Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

La lettre diplometque
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     Lutte contre le terrorisme
 
 

Tarir les sources de financement du terrorisme : une absolue priorité

Par Mme Nathalie GOULET,
Sénatrice de l’Orne, Rapporteur du rapport sur le financement du terrorisme au sein du comité sur les relations économiques transatlantiques de l’OTAN et Co-Présidente de la Commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe

Diriger une organisation terroriste coûte cher. Aussi trouver des fonds constitue-t-il un enjeu vital pour les groupes criminels qui agissent au Proche-Orient et dans la moitié nord du continent africain comme Al Nosra, Boko Haram, al-Qaïda au Maghreb islamique. Et Daech en tête. Vente de barils de pétrole, enlèvement contre rançon, extorsion, crowdfunding… Les moyens de réunir des fonds sont multiples. Rapporteur du rapport sur le financement du terrorisme au sein du Comité sur les relations économiques transatlantiques de l’OTAN, la Sénatrice Nathalie Goulet détaille pour nous les activités et les secteurs desquels les groupes terroristes tirent leurs revenus. Autant d’informations nécessaires aux États qui entendent lutter contre le terrorisme, notamment en asséchant ces sources de financement.

Les attentats du 11 septembre 2001 perpétrés aux États-Unis n’ont pas nécessité plus d’un million de dollars, l’attentat du 7 janvier 2015 contre Charlie Hebdo à Paris, quelques milliers d’euros. dans ce domaine auusi l argent est le nerf de la guerre, les sources de financement de Daech incluent le raffinage, la contrebande de pétrole, une fiscalité informelle, la collecte de péages routiers, le vol, le pillage de banques, l’extorsion, les enlèvements contre rançon, le trafic d’argent liquide et d’or, ainsi que le détournement de fonds de bienfaisance et de donations. Nombre des opérations de racket de Daech impliquent des techniques mafieuses éprouvées. Le groupe a démontré sa capacité à imposer ces systèmes en toute impunité.
Les responsables de la lutte contre le terrorisme  luttent contre un éventail de moyens plus ou moins sophistiqués, c’est cet inventaire à la Prévert, qui ne mentionne que les moyens avérés et prouvés, que je me propose de dresser. Trop bref pour être exhaustif et précis, cet article est destiné à faire prendre conscience de la mesure de la tâche à accomplir. Une tâche qui ne pourra être menée qu’avec une volonté sans faille au niveau international.

Le trafic de drogue
L’ONU estime que le commerce de la drogue génère environ 400 milliards de dollars par an. Les drogues offrent de nombreuses possibilités de revenus aux organisations terroristes, qu’elles s’y impliquent directement ou pas, telles la taxation des cultivateurs et des cartels locaux, ainsi que les activités de protection de tous les aspects de la production, du commerce et de la distribution.
L’Afghanistan illustre parfaitement bien cette situation, la production d’opium y représente depuis longtemps une source essentielle de revenus pour les talibans et al-Qaïda. L’Asie du Sud-Ouest continue pour sa part à assurer quelque 90% de la production illicite mondiale d’opiacés, pour une valeur marchande approchant les 33 milliards de dollars par an. Le cas afghan représente une sorte de modèle pour la franchise exercée par al-Qaïda. Ainsi, al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) est désormais directement impliqué dans des opérations de trafic de drogue dans tout le Sahara et le Sahel, accumulant ainsi un véritable trésor de guerre.
Elle a bénéficié de son expérience dans le trafic de cigarettes et d’autres marchandises, qui lui a permis de se doter des réseaux et des connaissances nécessaires pour passer sans difficulté à des activités de trafic de narcotiques beaucoup plus lucratives. Les analystes pensent qu’AQMI a désormais établi un partenariat avec les cartels de la drogue latino-américains et collabore directement avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) pour transférer de la cocaïne vers les marchés européens (Ramzi, décembre 2014). Le groupe criminel affilié à Al-Qaïda assure, en outre, la protection et le passage en toute sécurité d’autres trafiquants faisant transiter de la drogue par les zones qu’il contrôle et où la présence de l’État est absente ou quasi inexistante.
En 2011, la Banque libanaise du Canada (BLC) a été convaincue de collaboration avec des entreprises de services monétaires de Beyrouth pour canaliser l’argent généré par le trafic de drogue dans « l’hémisphère occidental » (ndlr : continent américain) vers le Hezbollah. Le mécanisme était des plus compliqués et impliquait l’achat de voitures d’occasion auprès de concessionnaires libanais aux États-Unis. Les voitures étaient acheminées en Afrique et vendues contre de l’argent liquide. L’argent de la drogue, mêlé à ces recettes, puis envoyé à la BLC à Beyrouth. La BLC a néanmoins été jugée responsable pour défaut de vigilance (Freeman & Ruehsen).

Le trafic d’armes
le commerce illicite des armes au niveau mondial est difficile à mesurer compte tenu de la porosité qui existe entre les ventes illégales d’armes légères et de petit calibre et celles d’armements conventionnels. Néanmoins les experts estiment qu’à lui seul, le commerce illégal d’armes légères et de petit calibre atteint un milliard de dollars par an (Council on Foreign Relations).
L’arrivée d’armes militaires libyennes dans le Sahara et le Sahel après la chute du colonel Mouammar Kadhafi en 2011 illustre parfaitement l’ampleur de ces dangers. La situation anarchique en Lybie qui s’en est suivie a permis la dissémination par air, terre et mer d’armes dans des pays allant du Nigéria à la Syrie (Arrouas, mars 2014). D’après un récent rapport d’un groupe d’experts des Nations unies, des armes provenant de Lybie ont atteint la Tunisie, l’Algérie, le Mali, le Niger, le Tchad, le Nigéria, la République centrafricaine, la Somalie, l’Égypte et la bande de Gaza (Krayewski). Ces armes ont exacerbé la guerre civile au Mali et compliquent fortement les efforts pour parvenir à la paix et pour rétablir l’autorité de l’État dans plusieurs régions, qui se caractérisent désormais par l’anarchie et la violence.
Des groupes tels qu’AQMI, Ansar Bayt al-Maqdis basé dans le Sinaï, ou Ansar al-Sharia en Lybie, bénéficient tous des armes venant de Libye. Les bénéfices de cette activité ont fourni un ballon d’oxygène à la milice salafiste Ansar al-Sharia, qui aurait organisé les attentats de 2012 contre le consulat américain à Benghazi, en Libye (Hunt, octobre 2014).

Le trafic des êtres humains
Des études récentes permettent de penser que le trafic des êtres humains constitue l’activité criminelle internationale qui s’accroît le plus rapidement au monde (voir le site internet du mouvement Stop the Traffik) L’Organisation internationale pour les Migrations (OIM), selon laquelle « it’s time to take action and save lives of migrants caught in crisis », estime que cette pratique abominable génère 35 milliards de dollars par an. En 2012, l’Organisation internationale du Travail (OIT) estimait, pour sa part, à 20 millions environ le nombre de personnes victimes de travaux forcés ou d’exploitation sexuelle à l’échelle mondiale. Ce chiffre est près de deux fois plus élevé que les estimations de 2005 qui s’établissaient à 12,3 millions.
Le trafic des êtres humains répond à des besoins organisationnels,tant au sein d’un même pays que par-delà les frontières et utilise souvent les mêmes réseaux que le trafic d’armes et de drogue. On estime que 27% des victimes signalées en 2012 ont fait l’objet d’un trafic infranational et près de la moitié au sein de la même région (Global Report on Trafficking in Persons, 2012).
C’est ainsi que le réseau Ansar al-Islam, basé à Milan (Italie), a généré des millions d’euros en se livrant au trafic de migrants kurdes vers l’Europe (Vidino). Il a, en outre, fait entrer au moins 200 militants provenant d’Europe en Irak. Les services de renseignement portugais ont constaté que des groupes terroristes pratiquaient régulièrement la migration illicite pour récolter des fonds. De jeunes hommes et femmes sont souvent introduits clandestinement en Afghanistan et au Pakistan, les uns pour devenir des militants, les autres pour servir de concubines à des terroristes de haut rang. L’ISIS (Islamic State in Irak and Syria) et Boko Haram au Nigéria ont fait les grands titres de la presse internationale en se livrant au trafic d’esclaves à des fins de propagande, de recrutement et de financement.
L’instabilité croissante dans de nombreuses régions du monde favorise d’autant plus l’expansion de cette pratique, et nombre de groupes terroristes en tirent profit.
Le paiement de rançons représente,également une source majeure de revenus pour de nombreux groupes terroristes. Ressortissants étrangers, hommes d’affaires prospères et membres du personnel de grandes sociétés et entreprises restent des « cibles » privilégiées. On pense ainsi que plusieurs gouvernements d’Europe et du Moyen-Orient ont payé des millions de dollars pour la libération de leurs ressortissants. Des éléments prouvent qu’ils ont, par ailleurs, consenti des concessions politiques, telles la remise en liberté de terroristes emprisonnés (Anyimadu, août 2014).
En 2013, le Premier Ministre britannique David Cameron a fait figurer la question des rançons en bonne place à l’ordre du jour de la réunion du G8 présidée par son pays, tout en encourageant les autres dirigeants à signer un communiqué mettant en lumière la manière dont les rançons servent aux groupes terroristes pour le recrutement et l’accroissement de leurs capacités opérationnelles.
Dans le cadre de cette attitude intransigeante face au paiement de rançons, le Royaume-Uni a adopté une loi « Insurer Making Payment in Response to Terrorist Demand Acts » fin 2014. La loi « Terrorism Act » de 2000 avait déjà proscrit le paiement de rançons, mais ce nouveau texte inclut des dispositions interdisant spécifiquement aux assureurs de rembourser leurs clients en cas de paiement d’une rançon à des terroristes. Cette disposition légale crée un nouveau type de délit et interdit explicitement le remboursement d’un paiement lorsque l’assureur sait ou a une bonne raison de suspecter qu’il a été effectué en réponse à une exigence de terroristes. Cet acte est depuis lors punissable d’une amende et d’un emprisonnement pouvant atteindre 14 ans.
La Libye, le Sahel et le Yémen sont des centres particulièrement actifs d’enlèvements, tandis que l’essor de l’ISIS rend désormais cette région du Moyen-Orient particulièrement dangereuse à cet égard. Al-Qaïda dans la péninsule Arabique (AQPA) et le Front al-Nosra sont devenus des partisans convaincus des méthodes de financement reposant sur l’enlèvement contre rançon. Les services de renseignement américains et britanniques considèrent qu’il s’agit de la plus importante source de revenus d’AQPA, qui a généré jusqu’à 20 millions de dollars de 2010 à 2012 (Callimachi, juillet 2014) et 20 millions supplémentaires en 2013 (KRM Magazine, avril 2014).

Le trafic d’œuvres d’art
La destruction d’œuvres d’art inestimables a récemment suscité l’attention des médias. Mais ce que l’on sait peut-être moins, c’est que Daech pille des trésors syriens et irakiens, et cherche à les vendre au marché noir. Ici encore, il est très difficile d’estimer le volume financier que ce commerce rapporte. Les experts tablent sur plusieurs dizaines de millions de dollars. Le groupe sert donc ses intérêts de deux manières : il exploite pour sa propagande la destruction de monuments inestimables, tout en pillant et en vendant tout un éventail d’œuvres d’art de grande valeur, avec l’aide d’organisations criminelles disposant de nombreux contacts internationaux. Il apparaît également que certaines de ces œuvres d’art sont acquises par des musées étrangers (Ajoury) et des collectionneurs privés aux USA Grande Bretagne et Japon notamment

Utilisation frauduleuse du système bancaire, fraude par carte de crédit et par chèque
La fraude par carte de crédit a dépassé la fraude par chèque et a engendré d’énormes défis pour les organismes de réglementation financière. À une époque marquée par l’intégration des réseaux de données, le niveau de la fraude liée au crédit s’accroît, de même que les bénéfices qu’elle génère pour les groupes criminels et terroristes. Le vol de numéros des cartes de crédit et d’informations relatives aux clients est devenu une infraction courante liée à la cybercriminalité, exploitée par les groupes terroristes. Le Groupe d’action financière (GAFI) a néanmoins signalé qu’une organisation terroriste basée en Afrique du Nord avait engagé 50 personnes pour pratiquer la fraude par chèque et récolter ainsi des fonds à Londres (FATF, 29/2/08).

Utilisation des productions locales, agricoles ou industrielles
On estime que Daech contrôle 40% des régions productrices de blé en Irak, ce qui lui assure d’importants revenus et lui permet d’affamer les chrétiens, les yézidis et d’autres parties de la population considérées comme des ennemis. Les fermiers qui vivent dans des régions de Syrie et d’Irak contrôlées par Daech sont désormais soumis à la « zakat », une partie de leur production devant être remise au groupe en qualité d’« aumône légale ». Daech confisque également le matériel agricole et le reloue ensuite aux fermiers. Il s’est emparé d’un certain nombre d’installations de stockage, ce qui lui confère aussi une capacité de fixer les prix et de contrôler la distribution. Signalons enfin que Daech profite de son contrôle sur plusieurs barrages hydrauliques pour inonder et détruire intentionnellement les terres agricoles de ceux qu’elle considère comme ses ennemis (FATF 2/15).
Daech a pris le contrôle de banques en Irak et, alors qu’il considère que les banques publiques lui appartiennent, il taxe les opérations des banques privées (FATF, février 2015). Des responsables américains ont récemment estimé que le groupe disposait d’environ 500 millions de dollars déposés dans des banques publiques dans plusieurs provinces d’Irak. La majeure partie de ces fonds est libellée en dinars et leur utilisation à l’échelle internationale est très limitée. Daech a mis en place ses propres gérants dans un certain nombre de banques, qui se sont empressés de confisquer l’argent des chrétiens et ont frappé de taxes les autres détenteurs de compte, dont 5% sur tous les retraits de fonds. Le prétexte invoqué est la collecte de l’aumône islamique à des fins religieuses. Dans d’autres cas, Daech a fait l’impasse sur ces prétextes théologiques et s’est contenté de piller les banques de villes comme Falloujah, Ramadi ou Deir ez-Zor.
Des indices évidents révèlent également que Daech suscite, dans de nombreuses régions, les donations effectuées par des gens séduits par son idéologie et qui soutiennent sa mission. Cela ne représente pas une source majeure de revenus pour l’organisation, mais les sommes ne sont pas négligeables pour autant. Une partie de cet argent provient de la région du Golfe et certains donateurs aisés apportent leur aide.il faut préciser que le département d’Etat américain interrogé directement par l’auteur de l’article indique qu’aucune preuve de l’implication de l’Etat du Qatar n’a été rapportée et que donc toute incrimimation serait injustifiée
 Daech utilise également des techniques internet sophistiquées de crowdfunding (financement participatif) pour générer des fonds et pour encourager le soutien. Cette pratique de financement est directement liée à des militants d’Occident qui se rendent en Syrie et en Irak pour rejoindre Daech.
En s’emparant de territoires en Syrie et en Irak, Daech a pris le contrôle d’un certain nombre de champs pétroliers et a immédiatement cherché à monétiser ces ressources par le biais de l’extraction, du raffinement et de la vente d’une série de produits pétroliers. Il s’agit là d’une source critique de financement pour l’organisation, qui se heurte toutefois à de sérieuses limites en la matière. En effet, Daech ne peut utiliser des canaux légaux pour vendre ces produits hors de Syrie et d’Irak, car aucun pays n’accepterait officiellement de faire des affaires avec lui. Il est dès lors contraint d’écouler en contrebande une partie du pétrole non consommé sur le territoire qu’il occupe – un autre moyen utilisé par Daech pour soustraire des richesses aux populations sous son contrôle. Cette nécessité de recourir à la contrebande pour écouler le pétrole excédentaire limite considérablement sa capacité de monétiser efficacement cette ressource.
A l’heure actuelle, il est très difficile d’estimer l’ampleur de ce trafic et les revenus qu’il génère. On sait que Daech vend du brut à la tête du puits pour environ 20 à 35 dollars le baril, ce qui offre d’importantes possibilités d’arbitrage à ceux qui acceptent de s’impliquer sur ce marché risqué (FATF 2/15). Il est également évident que la coalition s’attaque aux raffineries et aux convois pétroliers, tandis que le départ des opérateurs du secteur privé ayant les compétences techniques requises pour faire fonctionner ces raffineries a considérablement diminué la capacité de Daech à monétiser cette ressource. L’organisation a par ailleurs mis la main sur une série d’usines de phosphate et de souffre, ainsi que de cimenteries et de mines en Syrie et en Irak. Ici aussi, elle pratique la vente directe et la contrebande. Ces activités génèrent probablement des dizaines de millions de dollars, même si elles sont moins lucratives que le trafic de produits pétroliers.
Rappelons enfin que le prix du pétrole a presque diminué de moitié l’année dernière, de sorte que Daech est confronté à une détérioration des termes de l’échange pour la plus importante ressource économique sous son contrôle.
Le sujet est inépuisable et le besoin de prise de conscience majeur. Aucune solution ne doit être laissée dans l’ombre. Pour conclure, savez-vous comment les spécialistes appellent le billet de 500 euros ? Le « Ben Laden », car il permet de transporter d’importants d’argent avec un volume réduit.   

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