Mettre fin à la pauvreté tout en protégeant la planète
Par M. Erik Solheim, Président du Comité d’aide au développement (CAD) de l’Organisation pour la Coopération et le Développement économique (OCDE)
Des progrès considérables ont été réalisés entre autres pour réduire la pauvreté ou améliorer l’éducation et la santé. Pourtant, les défis restent colossaux alors même que les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) arrivent à échéance en 2015. En cette année charnière, le Forum mondial sur le Développement de l’Organisation pour la Coopération et le Développement économique (OCDE) a centré, le 1er avril dernier, ses réflexions sur le « financement post-2015 pour un développement durable » en compagnie d’un vaste éventail d’experts, de praticiens, d’acteurs non-étatiques et de décideurs politiques. Ancien Ministre de l’Environnement et du Développement international de la Norvège, M. Erik Solheim assure depuis janvier 2013 la direction du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE, principale structure internationale de rassemblement des bailleurs de fonds. Il nous livre ici des clés pour mieux appréhender les enjeux auxquels se trouvent confrontés les pays en développement.
Faits sans précédent dans l’histoire de l’humanité, l’extrême pauvreté a été réduite de moitié et d’énormes progrès ont été réalisés dans le domaine du développement au cours des dernières décennies. 2015 marque l’étape la plus importante de la poursuite de ces efforts et représente l’occasion ou jamais de placer le monde sur une trajectoire beaucoup plus « verte ». Les Présidents américain et chinois Barack Obama et XI Jinping rencontreront le Président français François Hollande et d’autres dirigeants du monde entier lors de l’Assemblée générale des Nations unies prévue en septembre 2015, pour convenir de mettre fin à l’extrême pauvreté d’ici à 2030 et adopter un ensemble d’objectifs de développement durable. En décembre 2015, le monde tournera son regard vers Paris où les pays se réuniront pour parachever l’élaboration d’un nouvel accord sur le climat. Les résultats de ces deux réunions détermineront le devenir de la planète et le développement mondial pour des décennies. Nous n’avons pas droit à l’erreur. Pendant trop longtemps, l’environnement et le développement ont été considérés comme deux questions bien distinctes. C’est un point de vue absurde. Ce qui est bon pour l’environnement l’est presque toujours aussi pour le développement. Les énergies vertes permettent de réduire les émissions nuisibles au climat et de stimuler la croissance économique. Le Nigéria ferait un bond qui la porterait d’environ 7% à plus de 10% de croissance par an si la production d’électricité reposait sur de meilleures sources. Mettre en place des projets pour préserver les récifs coralliens et atténuer le changement climatique est indispensable à la survie et au développement des petits États insulaires et de beaucoup de localités littorales. Les populations vivant dans la pauvreté ou dans des pays en situation de conflit n’ont ni les moyens ni la volonté de protéger l’environnement. De fait, le sort de la planète se confond avec celui de l’humanité. L’environnement et le développement doivent donc être considérés comme un seul et même problème lorsqu’il s’agit de définir l’action à mener et de la financer. La volonté politique et l’adoption de bonnes stratégies sont certes des conditions primordiales. Mais la nécessité de mobiliser des ressources financières plus importantes et de meilleure qualité en s’appuyant sur l’aide, l’investissement et une mobilisation plus efficace des impôts et autres ressources domestiques demeurera au centre des défis liés à la mise en œuvre de l’ambitieux programme de développement de l’après-2015. Le déficit annuel de financement des Objectifs de développement durable est estimé à 2 500 milliards de dollars, dont 1 600 milliards pour les seules infrastructures. C’est donc un problème de taille. Mais l’argent ne manque pas. Les investissements vont représenter quelque 20 000 milliards de dollars par an au cours des années à venir. Il faudrait en consacrer une part bien plus grande aux infrastructures, à l’agriculture verte et aux énergies renouvelables dans les pays en développement. Pour parvenir à mobiliser les ressources nécessaires, il convient d’allier judicieusement et avec une plus grande envergure l’aide, l’investissement et la fiscalité. L’aide au développement se maintient au niveau sans précédent de 135 milliards de dollars. Elle a été source de progrès considérables et continuera de jouer un rôle essentiel pour les pays les plus pauvres et les populations les plus vulnérables. Prenant acte de ce constat, les ministres des pays membres du Comité d’aide au développement ont réaffirmé leur engagement et sont convenus d’affecter davantage d’aide aux pays qui en ont particulièrement besoin. Les nouvelles règles concernant les prêts concessionnels encouragent aussi l’apport de ressources plus importantes et à des conditions plus favorables aux projets d’infrastructures et au développement dans les pays les plus pauvres. Afin de mieux cerner l’ensemble des concours financiers que reçoivent les pays en développement, l’OCDE est en train de mettre au point un nouvel instrument de mesure, le « Soutien public total au développement durable ». Destiné à compléter, et non à remplacer, l’Aide publique au développement, celui-ci permettra de connaître la totalité des apports publics ou faisant l’objet d’un soutien public aux pays en développement. L’investissement direct étranger dans les pays en développement est cinq fois supérieur à l’aide au développement. Utilisée comme un catalyseur, l’aide peut stimuler l’investissement de la part du secteur privé grâce à des dispositifs tels que les garanties, le financement composite et les partenariats publicprivé. Par exemple, en consacrant 2 milliards d’euros à des dons associés à des prêts et à des prises de participation, l’Union européenne est parvenue à susciter près de 40 milliards d’euros d’investissements dans les infrastructures économiques et sociales. L’OCDE réfléchit aussi aux moyens de déterminer de manière plus précise dans quelle mesure les fonds publics permettent de mobiliser des investissements privés. Intensifier et améliorer la mobilisation des ressources intérieures par la fiscalité constituent le troisième pilier d’un financement judicieux des efforts de l’après-2015 en faveur d’un développement durable. Environ 99 % de l’ensemble des fonds consacrés à l’éducation dans les pays en développement proviennent des ressources intérieures. Une augmentation de 1% des recettes fiscales de ces pays permettrait de mobiliser, pour la santé, l’éducation et les infrastructures vertes, un montant presque deux fois supérieur au total de l’aide au développement. Mais cette dernière peut être utilisée pour mobiliser des ressources intérieures plus abondantes et de meilleure qualité. À titre d’exemple, un projet pilote sur la fiscalité et le développement visant à aider l’administration fiscale du Kenya à lutter contre l’évasion fiscale, a permis d’obtenir le rendement étonnant de 1 650 dollars par dollar investi. Les ressources intérieures peuvent aussi être mieux employées. Les pays en développement dépensent chaque année inutilement plus de 500 milliards de dollars pour les subventions sur les combustibles fossiles. Or, outre leur coût élevé, ces dernières profitent surtout à la classe moyenne supérieure et aggravent la pollution. Certains pays pauvres consacrent aux subventions sur le pétrole des sommes supérieures à celles qu’ils affectent à la santé et à l’éducation confondues. C’est ce que faisait l’Indonésie, mais après l’arrivée du Président Jokowi, elle les a réduites et prévoit de libérer ainsi jusqu’à 20 milliards de dollars pour les infrastructures et la lutte contre la pauvreté. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, nous disposons des connaissances et de toutes les ressources nécessaires pour mettre fin à la pauvreté et stimuler le développement tout en protégeant la planète. Il ne manque plus que la volonté politique. L’année 2015 représente la date la plus importante pour le développement et l’environnement : il faut donc faire en sorte que la bonne démarche politique soit adoptée à New York, à Paris et ailleurs. |