« Nous sommes prêts à rejoindre la famille UNESCO »
Indépendant depuis 2008, le Kosovo est aujourd’hui reconnu comme un État souverain par 111 pays. Pour répondre à ses besoins de développement et de stabilité dans une région qui panse encore les plaies de la guerre des années 1990, ce pays d’1,8 million d’habitants situé au cœur des Balkans occidentaux veut accélérer son insertion dans le concert des nations. Ancien Premier Ministre du Kosovo, devenu Vice-Premier Ministre et Ministre des Affaires étrangères, M. Hashim Thaçi a été un acteur clé de la reconstruction du pays et du processus de normalisation de ses relations avec la Serbie. Il aborde pour nous les grands enjeux de l’adhésion du pays à l’UNESCO et sa vision des progrès accomplis.
La Lettre Diplomatique : Monsieur le Vice-Premier Ministre, le Kosovo célèbre en 2015 le septième anniversaire de son indépendance. Seize ans après l’intervention de l’Organisation du Traité Altantique-Nord (OTAN) qui sépara votre pays de la Serbie et le plaça sous protectorat des Nations unies, quelle est votre perception du chemin accompli ? En votre qualité de Ministre des Affaires étrangères du Kosovo, comment définiriez-vous les priorités de sa politique étrangère ?
M. Hashim Thaçi : Le Kosovo est aujourd’hui la plus jeune nation d’Europe. Nous avons parcouru un chemin historiquement difficile, au cours duquel il nous a fallu produire des résultats dans le cadre de plusieurs processus concomittants. Nous avons dû reconstruire totalement le pays et son économie après qu’a cessé la répression du régime de Milosevic durant les années 1990. Après la proclamation de l’indépendance, nous avons également eu besoin de construire des institutions souveraines et démocratiques, et nous œuvrons maintenant en profondeur à faire progresser le processus d’intégration européenne du Kosovo. Notre pays cherche à diversifier son interaction internationale, non seulement au niveau diplomatique bilatéral, mais aussi au niveau multilatéral. Le Kosovo est aujourd’hui reconnu par 111 États, dont dernièrement par les Îles Niue. En outre, nous avons poursuivi nos efforts d’intégration au sein de la communauté internationale, en devenant membre de plusieurs instances comme l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), le Comité international olympique (CIO), etc. Nous sommes également membres de la Banque Mondiale et du Fonds monétaire international (FMI), ainsi que de plus de 20 organisations régionales de l’Europe du Sud-Est. Autre étape importante, nous allons bientôt signer un Accord de stabilisation et d’association qui représente le premier pas vers l’intégration du Kosovo au sein de l’Union européenne (UE).
L.L.D. : Le Kosovo n’est pas encore membre de l’Organisation des Nations unies (ONU). Comment appréhendez-vous l’enjeu de son adhésion à cette instance multilatérale clé ? Dans quelle mesure cet état de fait n’entrave-t-il pas vos efforts d’intégration au sein de la communauté internationale ?
H.T. : L’appartenance d’un État à l’ONU ne définit pas son statut. Nous savons que la Chine, Israël où même la Suisse n’étaient pas membres de l’ONU durant des années, voire des décennies après la fin de la Seconde Guerre mondiale, sans que cela ne les empêche d’être des membres importants de la communauté internationale. De même, certains pays membres de l’ONU sont des États en déliquescence, en proie à la guerre civile et dont les économies sont dévastées. Alors, certes, le Kosovo n’est pas encore membre de l’ONU. Mais c’est un pays démocratique et indépendant où la criminalité par habitant est la plus faible d’Europe. Nous avons eu une croissance moyenne du PIB de 4% au cours des sept dernières années. La connexion internet couvre jusqu’à 85% des ménages. Les progrès que nous avons accomplis sont immenses. Par ailleurs, nous sommes aussi devenus membres souverains d’institutions spécialisées comme la Banque Mondiale et le FMI, ce qui aide beaucoup notre économie. En 2015, le Kosovo compte aussi déposer sa candidature pour devenir membre du Conseil de l’Europe et de l’UNESCO, ce qui permettra une plus grande interaction entre les peuples, ainsi qu’un accès aux différents instruments et programmes d’agences de l’ONU. Cela nous permettra également de continuer à construire notre pays et à réformer notre économie.
L.L.D. : Vous-même et le Vice-Ministre kosovar des Affaires étrangères, M. Petrit Selimi, avez effectué au cours des derniers mois de fréquentes visites à Paris en vue de préparer la candidature d’adhésion du Kosovo à l’UNESCO. Pourriez-vous nous préciser les retombées que vous attendez de cette initiative ? Avez-vous la certitude de réunir le nombre de votes requis lors de la prochaine Conférence générale de l’UNESCO qui se déroulera en novembre 2015 ?
H.T. : Comme je l’ai déjà souligné, la population du Kosovo est la plus jeune d’Europe. C’est un atout, mais qui implique aussi d’engager des réformes et des investissements d’une importance fondamentale en matière d’éducation, de culture et de science. Qui pourrait avoir à gagner de l’isolement du Kosovo ? Mon objectif est de faire en sorte que les Kosovars ne soient pas isolés. Je ne souhaite pas faire de l’adhésion du Kosovo l’otage de débats géopolitiques interminables. Je comprends que quelques pays n’aient pas reconnu le Kosovo au plan bilatéral. Mais, cela ne les a pas empêchés de voter en faveur de notre pays au sein de plusieurs organisations internationales. Plus de 170 pays reconnaissent maintenant les passeports du Kosovo, dont les cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, y compris donc la Chine et la Russie. Ils reconnaissent le droit des citoyens kosovars de voyager avec les passeports de la République du Kosovo. Aussi, j’ai la certitude que la grande majorité des pays membres de l’UNESCO seront heureux que notre pays fasse partie de cette famille. Cette adhésion sera réciproquement bénéfique : d’une part, nous apporterons à l’UNESCO la riche histoire de notre pays, ainsi que le dynamisme de notre population entrepreneuriale ; d’autre part, le Kosovo pourra profiter de l’expertise de l’UNESCO en vue d’améliorer la protection de son héritage culturel, son niveau d’éducation ou encore de production scientifique.
L.L.D. : Ces derniers mois, le Kosovo a été évoqué dans les médias internationaux comme une plateforme de dialogue entre les religions, mais aussi comme un pays d’origine de quelques extrémistes violents impliqués dans la guerre au Moyen-Orient. Comment analysez-vous ces visions paradoxales de votre pays ?
H.T. : Vous devriez visiter le Kosovo pour vous rendre compte, vous-même, de la vérité. Nous sommes une société laïque. Un récent sondage d’opinion conduit par le Conseil britannique au Kosovo montre que plus de 90% de la population soutient le projet d’adhésion du Kosovo à l’UE et à l’OTAN. Cela montre qu’il existe un consensus national pour remplir tous les standards exigés pour devenir membre de l’UE. Nous sommes le premier pays dans les Balkans à avoir élu une femme Présidente, et il existe une séparation stricte entre la religion et les institutions de l’État. Le taux de criminalité au Kosovo est le moins élevé d’Europe, et un tiers de notre population vit à l’étranger, dans la diaspora kosovare en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Suisse, aux États-Unis, etc. Je suis fier que le Secrétaire d’État américain, M. John Kerry, ait récemment déclaré que le Kosovo est un leader dans la lutte contre l’extrémisme. C’est pour cela que nous nous sommes investis dans la promotion du dialogue entre religions et que l’on en a fait un axe de notre diplomatie publique. Nous voulons en somme montrer que le Kosovo se transforme, que de pays importateur de ressources de sécurité, il devient un pays exportateur d’initiatives de paix. Mais nous avons également à relever des défis dans certaines franges de la société. Tout comme en France ou dans certains pays scandinaves, quelques Kosovars ont, en effet, rejoint Daech au cours de ces trois dernières années. Actuellement, on en dénombre environ 50. Notre police a été très efficace et a réussi à arrêter une dizaine de membres présumés. En outre, nous avons désormais une loi qui interdit la participation de nos concitoyens à une guerre à l’étranger. Le Kosovo n’est pas à l’abri des menaces mondiales, des agendas terroristes et radicaux, mais nous sommes un partenaire efficace et sincère dans la lutte contre ces fléaux.
L.L.D. : À l’image de l’église orthodoxe de Decani qui est inscrite sur la Liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2004, votre pays est détenteur d’un vaste héritage culturel. Comment ces sites sont-ils protégés ?
H.T. : Ces sites sont en très grande sécurité. Nous les respectons et nous avons instauré une protection constitutionnelle pour les Églises serbes orthodoxes, qui sont propriétaires de ces sites classsés au patrimoine mondial de l’UNESCO, bien qu’ils soient localisés au Kosovo. Ils peuvent d’ailleurs être visités par quiconque le souhaite. Même si la majorité des personnes se déclarent musulmanes dans notre pays, les différentes religions y entretiennent traditionnellement de bonnes relations. La guerre du Kosovo en 1999 n’était d’ailleurs pas une guerre religieuse, mais une guerre ethnique. De plus, les Albanais du Kosovo ont différentes religions et nous sommes habitués, dans notre vie quotidienne, à voir une église et une mosquée partager un même jardin. En outre, je tiens à vous rappeler que le régime serbe a brulé en 1999 environ 300 mosquées, que nous avons eu beaucoup de difficultés à restaurer avec l’aide de plusieurs partenaires à travers le monde, y compris l’Arabie saoudite et Israël. Malheureusement, quelques églises ont été endommagées pendant les violents affrontements de 2004. Mais depuis ces incidents, le gouvernement du Kosovo a investi dans la restauration de ces églises et nous avons inclus des dispositions spéciales pour la protection des églises orthodoxes dans notre législation. Aujourd’hui, des touristes peuvent visiter les églises et les mosquées, dont la protection est du ressort de la police kosovare dans 95% des cas. Auparavant, elle était de la responsabilité des forces de l’ordre de l’OTAN, mais aujourd’hui notre police est largement en mesure d’assumer cette tâche et bénéficie d’une entière confiance pour les protéger.
L.L.D. : Devenu indépendant en 2008, le Kosovo a bien résisté à l’impact de la crise économique et financière mondiale, affichant une croissance de 3,2% entre 2009 et 2013. Comment percevez-vous les déséquilibres qui caractérisent encore l’économie kosovare et quelles sont vos priorités pour les surmonter ?
H.T. : La plupart des personnes au Kosovo ne se sentent pas concernées par les agendas politiques et diplomatiques, mais plutôt par l’agenda économique et celui de la création d’emplois. Nous avons réussi à augmenter la croissance économique, mais nous devons encore travailler à la réduction du chômage qui s’élève à ce jour à hauteur de 30% de la population active. J’aimerais beaucoup rencontrer des partenaires internationaux, des investisseurs, des consultants qui pourraient nous aider à lutter contre la pauvreté. En 2015, un consortium français a remporté le projet de création d’une station de ski pour 400 millions d’euros. Une autre entreprise américaine va investir plus de 1 milliard d’euros dans la construction d’une nouvelle centrale électrique qui nous permettra de fermer les vieilles centrales polluantes. Dans ce même esprit, nous pouvons également relever quelques signes de l’intérêt croissant que manifestent les investisseurs privés à l’égard de notre pays. Ceci étant, il est vrai que nous devons approfondir les réformes en matière d’éducation afin que notre main d’œuvre soit compatible avec la demande du marché. Nous avons besoin de toute l’aide et de toute l’expertise possible afin de mener à bien des réformes efficaces dans ce domaine, qui ne manqueront pas de se traduire par un investissement à long terme pour l’épanouissement de notre société jeune et dynamique. Je suis confiant à l’égard du chemin pris par le Kosovo : il est en train de devenir lentement mais sûrement, un bon exemple de reconstruction et de développement d’un pays post-conflit. |