Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

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     Tunisie
 
  S.E.M. Mohamed Ali Chihi /H.E. Mohamed Ali Chihi

« Un rempart contre le terrorisme » 

Entretien avec S.E.M. Mohamed Ali Chihi,
Ambassadeur de Tunisie en France

Espoir du printemps arabe, la Tunisie est devenue plus qu’un symbole de la démocratisation possible des pays arabes. Forte de sa Constitution progressiste adoptée en janvier 2014 et d’un consensus national en faveur d’un juste développement économique, elle incarne aussi la parfaite compatibilité entre islam et démocratie. De quoi susciter l’ire des fanatiques terroristes de Daech face auxquels ni le gouvernement, ni le peuple tunisien ne sont prêts à céder. Revenant pour nous sur les réponses apportées à cette menace, S.E.M. Mohamed Ali Chihi, Ambassadeur de Tunisie en France, insiste dans cet entretien sur les raisons du succès de la transition politique tunisienne et sur les réformes lancées pour libérer le potentiel économique du pays à la veille du 60ème anniversaire de son indépendance qui sera célébrée en 2016.

La Lettre Diplomatique : Monsieur l’Ambassadeur, trois mois après l’attentat commis au Musée national du Bardo, la Tunisie a de nouveau été la cible, le 26 juin 2015, d’une attaque terroriste à Port El Kantaoui, dans la région de Sousse. Comment évaluez-vous la menace que représente le terrorisme sur la Tunisie ?

S.E.M. Mohamed Ali Chihi : Le terrorisme représente une menace réelle dont le gouvernement tunisien est pleinement conscient et contre laquelle il continue de prendre des mesures. Mais je dirais qu’elle n’est pas plus forte que pour les autres pays de notre voisinage, y compris la France ou l’Espagne. L’attentat de Sousse s’est d’ailleurs produit le même jour que celui qui a frappé Saint-Quentin-en-Isère, le Koweit et l’Irak. Ce fléau est devenu un phénomène mondial, très complexe, qui nécessite la mise en œuvre d’une stratégie globale pour enrayer ses mécanismes et le combattre.

L.L.D. : Invoquant « un danger imminent » sur la sécurité de votre pays, le Président Béji Caïd Essebsi a décrété le 4 juillet 2015 l’état d’urgence. Dans quelle mesure cette situation exceptionnelle pourrait-elle remettre en question les acquis de la Révolution tunisienne de 2011 ?

S.E.M.M.A.C : La Tunisie est, en effet, en guerre contre le terrorisme. Les deux attentats que nous avons subis prouvent la réalité de cette menace et des dangers qu’elle fait encourir à nos institutions, à nos citoyens et aux touristes étrangers qui viennent visiter notre pays. Ces terroristes n’ont rien à voir avec la démocratie, ni même avec l’humanité. Il est vrai que certaines mesures suscitent des critiques, comme la fermeture de certaines mosquées. Mais soyez sûr que notre gouvernement ne cherche pas à réduire les libertés civiles ou à bafouer les droits de l’homme. Ces libertés ont été chèrement acquises par le peuple tunisien et elles figurent aujourd’hui au cœur de notre Constitution. La Tunisie est devenue une démocratie. C’est une avancée irréversible.
On ne peut toutefois pas rester les bras croisés face au terrorisme. Aussi, notre Parlement a-t-il adopté, le 25 juin 2015, le rétablissement de la peine de mort pour les crimes terroristes. Une démocratie forte a besoin de mesures fermes pour se défendre. Tous les pays qui nous entourent, en Europe, aux États-Unis et ailleurs, ont pris leurs dispositions pour se défendre et lutter contre ce fléau.
Je tiens d’ailleurs à lever une ambiguïté. L’état d’urgence décrété par le Président tunisien ne signifie pas qu’un couvre-feu ait été instauré. Sa durée est, en outre, limitée à 30 jours. De plus, toutes les mesures prises par notre gouvernement sont scrupuleusement mises en œuvre sous le contrôle de notre appareil judiciaire et dans le respect des principes démocratiques et de l’État de droit.

L.L.D. : Autre mesure marquante, le gouvernement tunisien a entrepris la construction d’un mur le long d’une partie de la frontière tuniso-libyenne. Quels en sont les objectifs ? Quelles sont les autres mesures prévues pour mieux contrôler les autres frontières tunisiennes, en particulier aériennes et portuaires ?

S.E.M.M.A.C : L’enquête menée sur l’auteur de l’attentat terroriste de Sousse a mis, a priori, en lumière le cas de jeunes gens qui partiraient s’entrainer en Libye, avant de revenir en Tunisie. Cette facilité à passer la frontière sans être inquiété pose évidemment un grand problème.
Avec l’effondrement de l’État libyen, la porosité de cette frontière n’a fait que s’accroître, nous laissant seuls pour en assurer la surveillance. Les autorités tunisiennes ont dès lors décidé de mettre en place tout un dispositif sécuritaire, comprenant la construction d’un mur de sable renforcé par une tranchée remplie d’eau salée. Il permettra également de lutter contre la contrebande et les trafics en tous genres.
Pour ce qui des aéroports et des ports, ces points d’entrée et de sortie du territoire sont depuis longtemps très bien contrôlés, à tel point que nous faisons parfois l’objet de critiques pour notre rigueur dans ce domaine. Nous avons développé une réelle expertise à cet égard. Le problème actuel se concentre vraiment sur la frontière tuniso-libyenne.

L.L.D. : En Tunisie comme en France, les organisations terroristes et, en particulier Daech, exercent une attraction sur certaines franges de la jeunesse. Quelle est l’approche préconisée pour entraver ce phénomène ? Au-delà de la réponse sécuritaire de l’État, quelle est la politique de prévention mise en œuvre, en particulier, en matière socio-économique ?

S.E.M.M.A.C : Nous constatons, bien entendu, en Tunisie comme en France ou dans d’autres pays, une recrudescence des départs de jeunes soupçonnés de se rendre vers des zones sensibles ou en conflit, où les organisations terroristes ont la main forte. Nous avons dès lors accru nos moyens pour mieux surveiller et contrôler les agissements de ces jeunes et leurs motivations, notamment grâce à nos services de renseignement.
Le terrorisme constitue un phénomène très complexe qui concerne, il est vrai, des populations pauvres ou désœuvrées, mais aussi des familles aisées. Il touche surtout des personnes fragiles qui, à travers Internet et les réseaux sociaux, deviennent des proies faciles. Pour combattre ce fléau, il faut mettre en œuvre une stratégie globale sur plusieurs fronts : économique, sécuritaire, culturel et éducatif.
Dans ce cadre, le gouvernement tunisien compte sur les retombées positives de sa politique visant à réduire les écarts de développement entre les régions. Certaines d’entre elles peuvent, en effet, former un terreau fertile pour la propagation d’idées extrémistes, voire le basculement de jeunes mécontents dans le djihadisme. Les réformes économiques lancées par notre gouvernement ont vocation à créer de nouvelles opportunités dans ces régions défavorisées, en développant des projets adéquats, viables et rentables. La relance d’une dynamique de croissance, plus équilibrée à l’intérieur du pays, passe également par une révision de notre politique monétaire ou bien encore par le renforcement des réseaux d’infrastructures pour donner davantage d’accès au savoir et à l’emploi. L’éducation constitue, justement, un domaine clé de la prévention de ce fléau. Notre gouvernement est d’ailleurs en train de repenser le système éducatif tunisien.
Enfin, j’ajouterais que nous voulons également développer le sentiment d’appartenance nationale et d’amour de la patrie. Ces gens qui sont enrôlés dans des réseaux fanatiques oublient qui ils sont et d’où ils viennent, pour choisir des « patries » que je qualifierais de virtuelles comme Daech qui tend à englober le monde islamique dans une idéologie absurde. Au niveau culturel, nous devons revenir à l’authentique modèle de vie tunisien qui repose sur une véritable cohésion sociale et qui promeut une religion de tolérance. L’Islam tunisien est connu pour son excellence. Nos imams et nos savants s’exportent dans tous les pays musulmans. Il ne faut pas oublier que la Tunisie est l’hôte de la plus ancienne université islamique, la Zitouna. C’est un héritage fondamental que nous devons être fiers de promouvoir et qui illustre notre modèle de vie.
Ce sont autant de chantiers que le gouvernement tunisien a lancés dans le cadre de ses réformes structurelles.

L.L.D. : Trois ans après la Révolution qui a initié le « printemps arabe », la Tunisie a adopté une nouvelle Constitution en janvier 2014 et organisé, en novembre suivant, les premières élections démocratiques depuis son indépendance. La réussite de la transition démocratique tunisienne ne fait-elle pas, selon vous, de votre pays une cible prioritaire de Daech ?

S.E.M.M.A.C : Absolument, la Tunisie a été frappée car c’est un modèle qui dérange, je dirais même qui fait peur à ces terroristes. D’ailleurs, le fait même que notre pays soit parvenu à mener à bien cette transition et à mettre en place une démocratie dans le sud de la Méditerranée constitue un cinglant échec pour leurs théories extrémistes. Il est donc évident qu’ils cherchent maintenant à combattre le modèle d’épanouissement tunisien.
Dans ce contexte, il ne faut pas oublier que si la Tunisie représente l’espoir du printemps arabe, elle demeure un défi pour toute la région et surtout pour l’Europe, car elle constitue un rempart contre le terrorisme, sa brutalité barbare et sa conception totalement erronée de l’Islam.
La Tunisie continuera donc à avancer sur le chemin de la démocratie, de la tolérance et du développement, un chemin long et difficile. Malgré  les agressions que constituent les attentats, je demeure convaincu qu’elle restera debout. Nous n’avons aucunement l’intention de céder à la peur. Mais nous avons tout de même besoin de pouvoir compter sur nos amis, sur tous les partisans de la démocratie. Le monde libre doit aujourd’hui plus que jamais venir se battre à nos côtés contre le terrorisme.

L.L.D. : Au lendemain des attentats du 28 mars et du 28 juin 2015, le Président François Hollande a exprimé sa volonté d’intensifier la coopération franco-tunisienne en matière de lutte contre le terrorisme. Comment décririez-vous les priorités des deux pays dans ce domaine ?

S.E.M.M.A.C : En se joignant, le 29 mars 2015, à la marche organisée au lendemain de l’attaque terroriste au Musée du Bardo à Tunis, le Président François Hollande a pleinement manifesté la solidarité de la France à l’égard de la Tunisie. Elle est le premier pays à avoir soutenu la Tunisie, non seulement lors des attentats, mais aussi depuis notre Révolution. À deux reprises, le Ministre français de l’Intérieur, M. Bernard Cazeneuve, n’a pas hésité à faire le déplacement dans notre pays.
Déjà ancienne, la coopération dans le domaine de la sécurité a effectivement été renforcée au lendemain des attentats. Je ne peux pas vous en donner les détails, mais il est certain que nous recevons beaucoup d’aide de la France.
Pour aller plus loin, je tiens à ajouter que nous attendons également l’aide des autres pays européens qui nous donnent l’impression que nous ne figurons pas dans leurs priorités, alors même que nous sommes un rempart au sud de la Méditerranée contre le terrorisme. Je ne veux pas imaginer la Tunisie sombrer dans l’anarchie, comme c’est le cas en Libye. Quelles en seraient les conséquences ? Un nouveau pays en proie à l’instabilité à quelques kilomètres des côtes européennes, un risque accru d’afflux d’immigrés clandestins et même, pourquoi pas, de terroristes. Or, ces gens sont capables de décider de mourir d’un instant à l’autre. C’est pourquoi nous sommes vulnérables, en tous les cas encore plus si l’on n’est pas unis pour faire face à ce fléau et l’éradiquer.

L.L.D. : Lors de la visite officielle effectuée à Washington, le 21 mai 2015, par le Président tunisien, le Président Barack Obama a annoncé sa volonté de conférer à la Tunisie le statut d’allié majeur des États-Unis hors OTAN. Comment se matérialise le soutien de la communauté internationale à l’égard de votre pays ?

S.E.M.M.A.C : Comme je vous l’ai indiqué, nous pouvons pleinement compter sur la France et nous nous concertons également avec nos autres partenaires européens et la Commission européenne.
Par ailleurs, le Président tunisien a participé le 8 juin 2015 à la réunion du G7 qui s’est tenue à Elmau, en Allemagne. Il a de nouveau plaidé en faveur d’un soutien international plus engagé, rappelant que lors du lancement du Partenariat de Deauville pour les pays arabes, en mai 2011, les membres du G8 (ndlr, la participation de la Russie étant suspendue depuis mars 2014) s’étaient engagés à apporter une aide d’un montant total de 25 milliards à la Tunisie et à l’Égypte. Or, pour l’instant, cet engagement ne s’est pas concrétisé. Il faut maintenant prendre conscience de l’urgence de la situation. Ces fonds sont destinés pour partie à renforcer nos capacités sécuritaires et pour partie à développer les régions défavorisées.

L.L.D. : Dès son investiture, le 14 mars 2015, le Chef du gouvernement tunisien Habib Essid a annoncé une série de profondes réformes structurelles visant à soutenir la dynamique de développement économique de la Tunisie. Quels sont les principaux domaines concernés ? Pourriez-vous nous préciser le calendrier de leur mise en œuvre ?

S.E.M.M.A.C : Il existe effectivement un calendrier pour l’introduction de ces réformes. La plupart des lois relatives à ces réformes sont en cours d’élaboration ou d’examen. Le parlement tunisien doit ainsi voter l’instauration d’un nouveau code des investissements. D’autres chantiers concernent le système bancaire ou encore la fiscalité. Ils iront de pair avec des décisions parfois douloureuses pour éviter que la Tunisie ne se trouve dans une impasse économique à l’avenir. On espère que d’ici la fin 2015, on pourra revenir à une situation normale. Si les attentats ont entravé la dynamique de travail du gouvernement tunisien, celui-ci est résolument engagé à mener à bien ces réformes.

L.L.D. : Selon un rapport de la Banque mondiale publié en septembre 2014, la Tunisie dispose de tous les atouts pour devenir un « Tigre de la Méditerranée » si elle parvient à adapter son économie. Alors que le secteur du tourisme se trouve confronté à une conjoncture incertaine, comment décririez-vous les autres secteurs porteurs pour l’essor de votre pays ?

S.E.M.M.A.C : Il est vrai que le tourisme demeure un secteur important de l’économie tunisienne, mais il ne représente que 7% de notre PIB. Bien d’autres secteurs d’activité sont très dynamiques, comme ceux des industries mécaniques et électriques.
Plusieurs projets sont également à l’étude, comme celui d’un futur port en eaux profondes à Enfidha, ou en cours de développement, comme celui de Bizerte, ville située à 40 km au nord-ouest de Tunis, qui fait également l’objet de nombreux investissements de modernisation. Je peux encore citer le Pôle de compétitivité de Sousse, devenu en 2015 opérationnel et qui comprend une pépinière d’entreprises « soft-tech ». Bien d’autres projets d’envergure sont également à l’étude, dont vous pourrez sans doute prendre connaissance d’ici la fin de l’année. Enfin, toutes les réformes économiques lancées par notre gouvernement, comme le nouveau code des investissements ou la fiscalité, vont encourager les entreprises étrangères à venir s’installer.
Depuis l’indépendance, la Tunisie a beaucoup investi dans l’éducation et la formation d’une main d’œuvre qualifiée. Nous continuons aujourd’hui à faire le pari de l’innovation grâce à nos clusters, comme celui de M’Ghira dans l’aéronautique ou celui de Sousse, spécialisé dans la mécanique, l’électronique et l’informatique appliquée. Ceux-ci attirent beaucoup d’investisseurs étrangers. Il faut également tenir compte des entreprises déjà implantées en Tunisie et qui poursuivent leurs investissements pour développer de nouveaux projets et accroître leurs capacités.
L’ensemble de ce tissu industriel constitue une véritable plus-value pour l’économie tunisienne. Notre pays est ainsi le premier fournisseur de pièces de rechange automobile pour la France et pour l’Europe. Il est nécessaire aujourd’hui de continuer à valoriser ces atouts pour attirer davantage d’investisseurs en vue de répondre aux besoins du pays en matière d’infrastructures pour le développement des régions où il existe de larges marges de manœuvre. Et, en dépit du contexte difficile, nous nous réjouissons que les investissements étrangers se poursuivent et que notre pays reste attractif. Le groupe Airbus et la compagnie aérienne nationale Tunisair ont ainsi annoncé lors du Salon du Bourget, en juin 2015, le lancement de leur partenariat en matière de formation en maintenance des avions A320 et A330. Avec sa population jeune, diplômée et formée, il est certain que la Tunisie dispose de tous les atouts pour que son décollage économique atteigne sa vitesse de croisière et qu’elle devienne, comme vous l’avez mentionné, un « Tigre de la Méditerranée ».

L.L.D. : À l’occasion de sa rencontre avec le chef d’État tunisien, le Président François Hollande a annoncé la conversion en investissements de 60 millions d’euros de la dette tunisienne à l’égard de la France. Quelles sont vos attentes à l’égard du soutien de la France dans la période de transition que vous traversez ? Quelles nouvelles complémentarités économiques pourraient, selon vous, être mises en valeur ? Comment les échanges universitaires et culturels entre les deux pays pourraient-ils être accrus ?

S.E.M.M.A.C : Tout d’abord, je tiens à souligner que la visite d’État effectuée en France par le Président Béji Caïd Essebsi représente un message fort de la Tunisie à l’égard de la France. La France est le premier partenaire de la Tunisie et nous comptons bien continuer à renforcer ce partenariat. C’est un message politique pour dire que la France reste aussi notre premier ambassadeur sur la scène internationale  et notament en Europe, puisqu’au lendemain de la révolution, la France nous a apporté un large soutien. Il est vrai qu’au-delà du terrain politique, les Français restent attachés à notre pays, y compris au plus haut niveau de l’État, quelles que soient les orientations politiques, comme le manifestent actuellement le Président François Hollande ou le Premier Ministre Manuel Valls. C’est un réel atout qui facilite les contacts et les échanges d’idées.
La visite en France du chef d’État tunisien a consolidé encore davantage nos liens. De grandes orientations ont été définies dans de nombreux domaines qu’il appartient maintenant aux acteurs opérationnels de concrétiser. Il s’agit d’ailleurs d’un processus qui est bien en marche. Les dernières tranches de l’aide publique au développement débloquée par la France au titre de la conversion de 60 millions d’euros de la dette tunisienne à son égard, sont en cours de décaissement. Ces fonds sont consacrés au développement de la région de Gafsa, que nous avons choisie, autour d’un projet unique mais d’envergure, ce qui lui permettra d’assurer sa réussite.
Il ne faut pas non plus oublier de nombreux autres vecteurs de coopération, notamment dans le domaine scientifique avec l’IRD, énergétique avec l’ADEME ou industriel dont nous avons déjà cité quelques exemples. J’attire également votre attention sur l’essor d’un nouveau domaine de coopération à travers le concept de colocalisation. Il s’agit d’investissements conjoints davantage basés sur les complémentarités entre les savoir-faire des entreprises des deux pays. Ce concept donne lieu à des investissements conjoints dans des pays-tiers, notamment en Afrique subsaharienne ou dans d’autres pays arabes.
Dans le domaine universitaire, les échanges entre nos deux pays sont, en effet, particulièrement denses, grâce notamment à la présence d’une importante communauté d’étudiants tunisiens en France. Nous avons, là aussi, convenu d’intensifier notre collaboration. Un accord a, en outre, été conclu pour la création d’un deuxième pavillon au sein de la Maison de Tunisie de la Cité universitaire internationale de Paris, en vue d’en doubler la capacité d’accueil. Il y a également en matière de formation et de stages, une coopération exemplaire à travers CampusFrance.

L.L.D. : La Tunisie célèbrera en 2016 le 60ème anniversaire de son indépendance. Quel regard portez-vous sur son parcours ? En quoi la Révolution marque-t-elle un tournant pour votre pays ?

S.E.M.M.A.C : La Tunisie a émergé en tant que pays indépendant grâce au Président Habib Bourghiba. Il est le père de la nation. Son héritage est immense car c’est lui qui a bâti l’État moderne. Il nous a donné une arme très importante, bien plus efficace et précieuse que le pétrole ou la puissance militaire. Habib Bourghiba a investi dans la matière grise de la Tunisie, ce qui nous permet aujourd’hui de pouvoir nous appuyer sur une main d’œuvre d’une grande qualité dans tous les secteurs d’activités. L’éducation et notre capital humain forment aujourd’hui nos principaux atouts.
La Tunisie a ensuite pris son envol économique. Malheureusement, tous ces progrès ont été entachés des dérives du régime Ben Ali. Il y a eu alors une réduction des libertés qui a, en quelque sorte, mis la démocratie tunisienne entre parenthèses, d’autant qu’au plan économique, la corruption a accaparé une grande partie des richesses que créait ce pays, au profit d’un clan. La Révolution a mis fin à cette dérive. Elle nous a donné une Constitution extraordinaire qui garantit toutes les libertés fondamentales, y compris celles des femmes. Avec les réformes prévues, la Tunisie moderne est appelée à émerger. Je ne vois plus maintenant comment on pourrait revenir en arrière. Avec une société civile très active comme vous l’avez vu, la Tunisie a, à mon sens, définitivement tourné le dos à la dictature.    

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