Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

La lettre diplometque
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La médiation, un chemin de paix

Par Mme Michèle GUILLAUME-HOFNUNG,
Directrice du Master Diplomatie et négociations stratégiques de l’Université Paris-Sud, Directrice de l’Institut de Médiation

Les chemins de la paix sont si arides qu’il faut identifier clairement les voies qui s’attachent à y parvenir. Comme le bon ouvrier, les artisans de la paix doivent avoir de bons outils. La panoplie de l’artisan de paix n’échappe pas à la règle,  c’est pourquoi je vais m’efforcer  de distinguer la médiation de la conciliation ou de la négociation, non par mépris de la conciliation ou de la négociation mais pour contribuer à dégager les spécificités de la médiation contemporaine et les conditions de son efficacité.

La présente analyse porte sur la médiation contemporaine, celle qui a surgi des sociétés civiles dans les années 1980 tant sur le terrain local, que national et international. Sur la base de ses pratiques propres, son identité s’est dégagée, à la fois respectueuse du concept millénaire de médiation et distincte des notions juridiques ou diplomatiques présentées comme équivalentes. Telle qu’elle s’est construite et dessinée alors, elle se distingue des modes traditionnels, donc souvent masculins, de régulation par des autorités qu’elles soient religieuses, comme le curé, le qadi musulman, ou ancestrales comme le vieux sage oriental, ou sociales comme le chef de la palabre.
Sortent aussi du champ de cette analyse la médiation figurant dans les instruments du « pacigérat » énumérés dans la Convention pour le règlement pacifique des conflits internationaux (La Haye, 1907) qui lui consacre son titre II : « Des bons offices et de la médiation », mais lui assigne un régime et des fonctions qui la distingue mal de la conciliation quand ce n’est pas de l’arbitrage. Encore aujourd’hui, la médiation affiliée aux organisations internationales peine à se distinguer de cet ensemble indifférencié.
L’interpénétration des sociétés internationales, nationales et infranationales est telle que le thème de la médiation se joue sur les trois scènes. C’est pourquoi la médiation sera présentée comme un chemin de paix en général, indépendamment de l’ampleur de la scène qui l’attend. La théorie des négociations internationales n’est-elle pas une simple extension des modèles élaborés pour les négociations commerciales internes et, pour commencer, de proximité ?

La médiation est une voie de paix
La médiation contemporaine est une voie de paix tant par ses valeurs, perçues à l’aide de sa généalogie, que par la nature éthique de son processus.
1- Par ses valeurs que sa généalogie met en lumière :
– En France, dans les années 1980, l’association Droits de l’homme et solidarité (DHS), dont j’ai fait partie à cette période pionnière autour de la figure emblématique de Jean-François Six, a été le berceau de la médiation en France. Son texte de référence « La Charte de l’autre » révèle et induit l’esprit qui a guidé les premiers pas de la médiation contemporaine.
– De leur côté, à peu près à la même époque, les « femmes-relais » de Femmes interassociations / interservice migrants (FIA/ISM) œuvraient dans le même sens. Elles élaboraient des pratiques pour créer le lien social entre les migrants et le pays d’accueil mais aussi entre les migrants de cultures si différentes.
L’étude sur la médiation en Europe dont on m’a confié l’élaboration pour la préparation scientifique du séminaire de Créteil (20-22 septembre 2000) confirme l’origine du surgissement de la médiation. Lors de sa présidence de l’Union européenne (UE), et dans le cadre de la mise en œuvre des conclusions de la conférence de Bamako, la France a eu à organiser le Séminaire européen sur la médiation sociale et la résolution des conflits de la vie quotidienne. J’ai reçu mandat de proposer une définition de la médiation à l’échelle européenne et de présenter un tableau des pratiques de médiation. La dimension interculturelle et le souci d’intercompréhension pour vivre ensemble en paix constituent le ciment explicatif commun à toutes les société civiles de l’UE, des initiatives recensées dans ce rapport.1
– Le rôle du mouvement San Egidio n’est plus à démontrer. Une part importante de son efficacité provient de son absence de pouvoir institutionnel. Il illustre le surgissement à partir de la société civile d’initiatives de paix par le dialogue.
– La mission « Témoins pour la paix », dont Stéphane Hessel a fait partie, s’est impliquée en 2003 pour créer les conditions d’un dialogue israëlo-palestinien, hors institutions.
En résumé : malgré leur diversité d’origines spirituelles ou géographiques ces mouvements ont eu en commun le dialogue pour la paix par la médiation dans le respect des différences.
Les valeurs qui soutiennent la médiation et qu’elle soutient, résultent du socle même des droits de l’homme : la dignité humaine. L’égale dignité dans l’altérité la relie immédiatement aux droits de l’homme. La solidarité intellectuelle et morale proclamée en 1945 entraîne le souci de l’autre. La médiation se nourrit du sens de la responsabilité individuelle à l’égard des autres individus et du lien social.
Le Père Gabriel Nissim, alors Président du Comité des droits de l’homme de la Conférence des organisations internationales non-gouvernementales (OING) du Conseil de l’Europe formule bien « cette dimension humaine et humanisante de la médiation au service des droits de l’Homme ».2 La confiance réciproque fait partie des valeurs de la médiation ; elle constitue un des moteurs du processus de médiation.
2- Par la nature de son processus de communication éthique hors pouvoir y compris celui du médiateur : il fait vivre les valeurs de la médiation. Il commence par une reconnaissance mutuelle des participants et l’affirmation de leur liberté à y participer avec pour corollaire leur implication donc leur responsabilité et leur capacité à le faire avancer. La puissance de la médiation vient de l’absence de pouvoir du médiateur. Elle permet l’émergence d’une créativité mutuelle, reflet de la capacité créatrice qui caractérise l’espèce humaine présente en chacun de nous. Elle constitue une des facettes de la confiance réciproque, la confiance dans la bonne foi du partenaire, la confiance dans la capacité de chacun à réussir la médiation, la confiance dans le médiateur. Le processus de médiation met en œuvre une logique de coopération.
Il repose sur l’écoute mutuelle sans laquelle le dialogue n’est qu’apparence factice.
3- Par la posture du médiateur : tiers passeur de compréhension sans pouvoir ni explicite, ni induit. Tiers, au sens plein du mot : extérieur, ce que consolide les adjectifs « impartial » et « indépendant ». Neutre, rappelant son absence de pouvoir, il garantit le caractère éthique du dialogue mais respecte ses résultats. Pour dépourvu de pouvoir qu’il soit, le médiateur est un énergique créateur ou recréateur de lien. Par là même, il prévient souvent les conflits. Il contribue ainsi au maintien de la paix. En cas de conflit, il va contribuer à retrouver le chemin de la paix selon le processus spécifique de la médiation.
Le Père Nissim3 établit bien le lien entre le rôle du médiateur et la nature du processus de médiation : « C’est là que le médiateur va jouer son rôle et faire œuvre d’humanisation au sens propre, en amenant les  » médieurs  » à faire eux aussi place à l’autre. Par (…) son propre regard, qui inclut les uns et les autres, par la qualité de l’attention qu’il donne à chacune des personnes en cause, il va casser la sidération par laquelle ces personnes se regardaient jusque là  » en chien de faïence « , et les amener à passer, au sens propre, à la mutuelle  » considération  » les uns des autres, à se regarder non plus eux-mêmes seuls, mais à inclure l’autre dans leur regard sur eux-mêmes, un autre qui est leur semblable. »
 Ainsi caractérisée, la médiation contemporaine se présente comme une subversion positive contribuant à la préservation de la paix ou permettant de se remettre en chemin vers elle. Une subversion faite de la multitude des conversions individuelles sans lesquelles l’inertie l’emporte. Et pour commencer à assurer la prise en compte au quotidien des droits humains.
Les éléments de la société civile que sont les médiateurs hommes et femmes ordinaires, viennent épauler ou suppléer les organisations étatiques. La médiation s’inscrit dans la diplomatie des sociétés civiles dont Marc Lortie, Ambassadeur du Canada, a bien montré la complémentarité avec celle des États à l’occasion du colloque organisé par l’Ambassade du Canada et le Conseil national des villes le 29 mars 2011 sur le thème « Quelle prise en compte de la diversité culturelle par les politiques publiques ? ». Il serait irresponsable de prétendre supplanter les organisations étatiques et les règles de solution aux conflits et des principes de référence communes dont la nécessité s’est imposée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Mais il serait présomptueux de la part de celles-ci d’ignorer un chemin particulièrement apte au dialogue entre les cultures. Le n°114 des Cahiers de l’Orient consacré à « La médiation au cœur de l’interculturel » offre un panorama des situations dans lesquelles la médiation se montre efficace pour prévenir les conflits, pour construire par les sociétés civiles de nouvelles solidarités et, dans certaines hypothèses, frayer le chemin de la paix. La médiation peut créer des faits accomplis de paix, là où les gouvernants manquent à le faire, voire ne le veulent pas, quand ils ne se maintiennent au pouvoir que « grâce » à la guerre dont, de surcroît, ils tirent des richesses.
Comme le rappelait Federico Mayor, la Déclaration universelle des droits de l’homme en appelle aux peuples libres et responsables non aux dirigeants. Il n’est donc pas étonnant que la Conférence des OING du Conseil de l’Europe ait particulièrement bien perçu le potentiel de la médiation, en l’incluant le 14 novembre 2011 dans la boîte à outils du dialogue entre les cultures. Or, cette conférence des OING, forte de ses 360 ONG, représente la société civile dans une organisation internationale consacrée au respect des droits de l’homme.

Les conditions de son efficacité
Le besoin de médiation est tel qu’il faut la prendre au sérieux, ce qui veut dire sortir de l’invocation performative, aujourd’hui, hélas, dominante pour l’entourer d’une démarche qualité.
Comment trouver le chemin de la médiation, si on ne la définit pas ? Si on ne sait pas ce qu’elle est en particulier parce qu’on continue à la confondre avec les vieilles pistes, tout à fait respectables que sont la négociation, la conciliation, l’arbitrage et à l’utiliser de la même manière ?
Les 4 conditions prioritaires pour garantir son efficacité :
Condition n° 1 : Bien nommer pour bien faire. Il faut garantir son identité par une définition qui permettra de savoir ce qu’on fait en invoquant la médiation. Un mot qui ne débouche pas sur des actes est un mauvais mot. Encore faut-il utiliser le bon mot. Le bien nommer est la condition initiale pour bien faire. Définir, c’est identifier grâce à des caractéristiques si spécifiques qu’elles permettent de reconnaître.
La médiation contredit la maxime du Cardinal de Retz selon laquelle on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment. Elle gagnerait à sortir de la nébuleuse terminologique nourrie par un désir du mot qui la vide de sa substance.
Condition n° 2 : Le respect de son unité fondamentale. L’unité fondamentale de la médiation vient épauler son identité et son autonomie telles qu’elles apparaissent dans sa définition. L’adjonction d’un adjectif qualificatif au mot médiation, loin d’apporter une précision risque d’en atomiser l’essence. L’adjectif peut encourager à penser que le secteur symbolisé par lui s’éloigne du tronc commun et, pourquoi pas, mériterait un régime particulier, quand ce n’est pas dérogatoire. L’adjonction d’un adjectif au mot médiation ne saurait en changer la nature fondamentale, si c’était le cas il ne faudrait plus utiliser le mot médiation, sous peine de lui faire perdre son sens et donc de miner toutes les actions qui s’y réfèrent. L’adjonction de l’adjectif international traduit un changement d’échelle et de paramètres, et, parfois, d’objet mais pas de nature.
Condition n° 3 : un régime juridique adapté à sa nature. La médiation, il faut la vouloir obstinément et la mettre en œuvre concrètement pour ne pas la dénaturer ; il faut la doter d’un cadre institutionnel respectueux de ce qu’elle est profondément : un processus de communication éthique, reposant sur la liberté et la responsabilité des participants, dans lequel le médiateur, tiers impartial, indépendant et sans pouvoir, par des entretiens confidentiels favorise la (re-)création du lien social, contribuant ainsi à prévenir les conflits ou à les surmonter.
Imposer une médiation ou un médiateur revient à inscrire son échec. La confier à un négociateur célèbre investi d’une mission de résultats pré-établis et des moyens de les imposer révèle une incompréhension de sa nature profonde. Ces confusions terminologiques ont d’ailleurs valu à la médiation une réputation injuste d’inefficacité. Il serait cruel d’ébaucher une liste de « médiations » confiées sans succès et avec beaucoup d’éclat à des négociateurs, ou à des arbitres mandatés par des grandes puissances.
Condition n° 4 : Une formation spécifique des médiateurs. Il est difficile de trouver le chemin de la médiation. La qualité de médiateur ne s’auto-proclame pas. Le syndrome du médiateur naturel joint au syndrome de Monsieur Jourdain « qui aurait toujours fait de  la médiation sans le savoir » frappent de nombreux acteurs et contribuent en les dispensant de se former, à de nombreux échecs. Une formation sérieuse à la médiation doit présenter deux caractéristiques indispensables qui, malheureusement, ne sont pas des lapalissades.
Elle doit être une formation et non pas un simple « training ». Il faut du temps pour apprendre à éviter d’être désastreux par présomption. La formation à la médiation combine l’apprentissage de l’humilité à l’acquisition des compétences garantissant le déroulement du processus. Il faut de l’humilité pour savoir rester à sa place, ce qui commence par l’écoute respectueuse des autres que sont les médiés. Il faut acquérir la neutralité pour savoir respecter la solution qu’ils vont construire.
La formation doit porter sur la médiation : trop de programmes présentent des contenus très éloignés de la médiation. Soit le mot médiation ne figure pas dans les programmes, soit elle est enseignée sans définition de référence. Les termes négociations, résolution des conflits, gestion de l’agressivité l’éclipsent parfois totalement. Le « peace making » reposant exclusivement sur des jeux de rôles, séduit par son aspect ludique mais ne fournissant pas au médiateur la posture rigoureuse qui lui permet de garantir le processus de médiation.
Il faut former correctement ces fantassins de la paix que sont les médiateurs afin qu’ils posent un fait accompli de paix.
Il est encourageant, car inédit, que le Pape François lors de son retour de Turquie ait interpelé les dirigeants universitaires au même titre que les dirigeants économiques ou politiques.   

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