Un acteur clé de la stabilité au cœur du Proche-Orient
Alors que le contexte régional se détériore, la Jordanie fait figure d’îlot de stabilité et promeut le dialogue interconfessionnel et entre les peuples. Faisant face à une arrivée massive de migrants, le Royaume hachémite doit faire face aux fortes tensions qui pèsent sur ses infrastructures et ses ressources, et plus largement sur son activité économique. Mais, à la faveur des mesures destinées à attirer les investissements étrangers, Amman entend maintenir une croissance dynamique. Évoquant les grandes réformes visant à consolider la transition démocratique, S.E.M. Makram Mustafa A. Queisi, Ambassadeur de Jordanie en France, nous livre ses réflexions sur les orientations de la diplomatie régionale de son pays et de sa stratégie économique, ainsi que sur le potentiel de développement de ses liens avec la France.
La Lettre Diplomatique : Monsieur l’Ambassadeur, située en première ligne des principaux conflits du Proche-Orient, la Jordanie fait figure de partenaire incontournable de la stabilisation de la région. Seize ans après l’intronisation de Sa Majesté le Roi Abdallah II, comment définiriez-vous les facteurs expliquant la capacité de résilience de la monarchie hachémite ? Comment le processus de réforme politique initié par le chef de l’État est-il appelé à se poursuivre ?
S.E.M. Makram Mustafa A. Queisi : La Jordanie, située dans une région marquée par un contexte tendu, joue un rôle incontournable dans la stabilité et la sécurité du Moyen-Orient pour plusieurs raisons. Tout d’abord, elle jouit d’une excellente relation avec les 57 États arabes et islamiques ainsi qu’avec ses amis et alliés de l’Occident. De plus, Sa Majesté le Roi Abdallah II est réputé pour sa modération et les Hachémites, depuis la création de la Jordanie, ont toujours gouverné avec une conviction : faire partie intégrante de la société jordanienne. Depuis son accession au trône en 1999, S.M. le Roi Abdallah II s’est engagé dans des réformes exhaustives et cohérentes. Le processus de réforme de la Jordanie a commencé par la modification de plus d’un tiers de la Constitution. De nouvelles dispositions constitutionnelles ont été prises en vue d’élargir la représentation du peuple, de renforcer les partis politiques, de mieux protéger les droits et les libertés civiques, ainsi que de consolider la séparation des pouvoirs. En outre, une Cour constitutionnelle, une Commission électorale indépendante, une Commission de lutte contre la corruption ainsi qu’un poste de Médiateur ont été créés. Le Roi Abdallah II a également présenté une série de documents de travail visant à faciliter le débat national autour du plan de réforme des institutions jordaniennes et de la transition démocratique. La vague du « printemps arabe » n’a fait que renforcer la Jordanie dans ses actions et a permis d’accélérer le rythme des réformes dans le pays et d’atteindre les objectifs fixés par S.M. le Roi. En 2013, la Jordanie a organisé des élections parlementaires qui ont été décrites par les observateurs internationaux comme ayant été transparentes, équitables et représentatives de toutes les composantes de la société, contribuant à la construction d’une culture forte de partis politiques, nécessaire au bon fonctionnent d’un gouvernement parlementaire. La participation des femmes est en nette progression. Le dernier scrutin les a vues réussir à gagner 18 sièges, dépassant ainsi le quota de 15 sièges. Ce quota a été fixé pour s’assurer que les femmes soient représentées au Parlement, mais il n’est pas limité à 15 : le système électoral permet d’avoir un parlement ouvert aux femmes. Les islamistes ont, de leur côté, obtenu 18 sièges sur les 150 sièges parlementaires, tandis que 33 sièges ont été attribués à des députés sortants réélus. Par ailleurs, lors du dernier remaniement ministériel, une équipe a été nommée au sein du gouvernement, comprenant cinq femmes ministres. Le lien étroit entre une croissance économique soutenue et le développement des ressources humaines d’une nation a été maintes fois prouvé. Dès lors, la Jordanie investit dans son capital humain parce que le développement humain entraine un développement durable et une croissance substantielle de l’économie. La réforme ne s’est pas limitée à ce que je viens de mentionner. Elle comprend également un partenariat entre les secteurs public et privé. Ce processus va être long, mais nous y sommes sérieusement engagés. Nous sommes fiers de la vision de notre Roi ainsi que de son leadership prudent, et nous aspirons à instaurer un modèle de modernité et de modération dans la région.
L.L.D. : En visite officielle le 5 décembre 2014 à Washington, S.M. le Roi Abdallah II a affirmé que la lutte contre l’organisation terroriste Daech était une « troisième guerre mondiale ». Votre pays a engagé des frappes aériennes contre Daech après l’exécution barbare d’un pilote jordanien, le 3 février 2015. Peu avant, S.M. le Roi Abdallah II s’était rendu à Paris le 11 janvier 2015 pour apporter son soutien à la France après les attentats terroristes qui l’ont frappés. Promouvant un dialogue interreligieux illustré par la visite officielle à Amman, en mai 2014, de Sa Sainteté le Pape François, comment votre pays conçoit-il la lutte contre le fanatisme religieux et, plus particulièrement, le djihadisme ?
S.E.M.M.M.A.Q. : La Jordanie a toujours été à la pointe de tous les efforts pour combattre le terrorisme, l’extrémisme et les groupes extrémistes. Cet engagement s’inspire des principes fondateurs de l’État jordanien : la tolérance, la mesure et le respect mutuel. La participation de Leurs Majestés le Roi et la Reine de Jordanie à la marche républicaine, à Paris, le 11 janvier 2015, a donné un autre exemple de la modernité et de la modération de la Jordanie. Cette présence a illustré non seulement notre solidarité avec les dirigeants, le gouvernement et le peuple français, mais également notre intention d’envoyer un message au monde : S.M. le Roi Abdallah II, en tant que dirigeant musulman, a ainsi affirmé son opposition à l’utilisation de l’Islam comme prétexte au terrorisme, et son soutien aux musulmans de France, d’Europe et du monde. Sous sa conduite, la Jordanie est, comme elle l’a toujours été, représentative du message de paix de l’Islam. Nous n’avons pas engagé de guerre, mais celle que nous vivons en ce moment est aussi la nôtre, car il s’agit d’une guerre contre le terrorisme et les terroristes. Il faut rappeler que la Jordanie a subi, il y a dix ans, une attaque terroriste terrible en plein cœur d’Amman, perpétrée par un groupe de Khawarej (des bandits) et dans laquelle 60 citoyens ont été tués et plus de 100 personnes blessées. Au début de l’année 2015, ils ont à nouveau attaqué notre pays, cette fois en assassinant brutalement un pilote jordanien d’une manière barbare et inhumaine, conforme à l’idéologie de ce groupe. Les Jordaniens restent unis dans la force, la détermination et l’engagement. Daech n’a rien à voir avec l’Islam ni avec aucune religion d’ailleurs, ni même avec l’humanité. La Jordanie a pris un engagement indéfectible pour éradiquer le terrorisme et le fanatisme, et l’assassinat de son pilote l’a rendue plus unie et plus déterminée. En parlant de guerre mondiale, S.M. le Roi rappelle que plus de 80 nationalités sont engagées dans la lutte contre le terrorisme et le fanatisme et que le terrorisme n’a ni lieu ni temporalité, car il a frappé l’Europe, les États-Unis, l’Afrique, l’Australie et même l’Asie. Notre combat a pour objectif d’empêcher l’escalade et davantage de souffrance, non seulement au Moyen-Orient, mais aussi dans le monde entier. La Jordanie a été à l’origine d’une série d’initiatives visant à promouvoir la tolérance et l’harmonie. Dans ce cadre, elle a lancé un certain nombre d’initiatives interconfessionnelles et interreligieuses qui incluent le « Message d’Amman », un « Mot Commun » ainsi que « la Semaine mondiale de l’harmonie interconfessionnelle ». Notre pays a toujours été un ardent partisan du dialogue interreligieux et, depuis la venue de Sa Sainteté Paul VI en 1964, la visite du Pape en Jordanie est devenue une tradition. Chaque souverain pontife se rend ainsi sur la terre sacrée où Jésus-Christ a été baptisé et où les Jordaniens – musulmans et chrétiens – vivent en parfaite harmonie. En 2014, S.M. le Roi et la population jordanienne ont accueilli chaleureusement Sa Sainteté le Pape François pour sa première visite dans la région. Nous avons aussi célébré le 20ème anniversaire des relations diplomatiques entre Amman et le Vatican. Ce déplacement a été une nouvelle preuve du rôle essentiel que joue la Jordanie dans le dialogue interreligieux et une confirmation de son engagement dans la recherche d’un espace commun pour l’harmonie et la paix universelle.
L.L.D. : Membre du groupe central des pays Amis du peuple syrien, votre pays est partisan d’une solution politique à la crise syrienne. En quoi consiste-t-elle ?
S.E.M.M.M.A.Q. : En raison de sa situation géographique ainsi que des liens familiaux et de proximité entre les deux pays, la crise syrienne constitue un problème très sensible pour la Jordanie et, en particulier, pour les citoyens vivant dans les villes frontalières au nord de la Jordanie. Notre politique extérieure suit les décisions de la Ligue arabe et a toujours appelé à une transition politique globale qui mettrait fin à l’effusion de sang en Syrie et qui répondrait aux aspirations du peuple syrien. Je tiens, enfin, à souligner que l’absence d’une solution globale à la crise syrienne alimente le conflit confessionnel dans la région.
L.L.D. : Conséquence de la crise syrienne, votre pays doit faire face à un afflux massif de réfugiés syriens, estimés aujourd’hui à plus de 600 000. Comment évaluez-vous l’impact de ce phénomène sur l’économie et la société jordanienne ? Comment votre gouvernement assure-t-il la gestion de ces populations ?
S.E.M.M.M.A.Q. : Notre pays accueille actuellement environ 1,4 million de réfugiés syriens. 750 000 Syriens résidaient déjà sur le territoire jordanien avant la crise. Environ 85 000 réfugiés syriens vivent dans le camp de Zaatari, tandis que plus de 105 000 se répartissent dans d’autres camps. En sus, un grand nombre de réfugiés syriens réside à l’extérieur des camps, dans les gouvernorats du nord qui comptent parmi les plus peuplés du Royaume. Cette situation suscite une forte pression sur les infrastructures et les ressources qui sont limitées, et affecte le marché du travail. Selon les directives de S.M. le Roi, la Jordanie n’a pas fermé ses frontières aux réfugiés syriens. Les Jordaniens ont partagé leurs maisons, leurs écoles, leurs hôpitaux, leurs emplois et surtout leur eau, rare sur notre territoire, avec leurs amis syriens. Mais, il faut comprendre que cet effort fait peser un énorme fardeau sur l’économie nationale. Dans ce contexte, la Jordanie a élaboré le « Plan de résilience national » (PNR), étalé sur trois ans, dans le but de donner la priorité aux investissements étrangers, en particulier dans les domaines suivants : l’éducation (539 millions de dollars) ; l’énergie (118 millions de dollars) ; la santé (470 millions de dollars) ; le logement (5 millions de dollars) ; l’emploi (136 millions de dollars) ; les services municipaux, y compris la gestion des déchets solides (206 millions de dollars) ; la protection sociale (342 millions de dollars) ; l’eau et l’assainissement (671 millions de dollars). En plus de ces investissements, un soutien budgétaire additionnel est sollicité, représentant respectivement pour les trois prochaines années : 758 millions de dollars, 965 millions de dollars et 87 millions de dollars. Ce soutien vise à compenser les dépenses supplémentaires prises en charge par le gouvernement en subventions et pour la sécurité, ainsi que les pertes de revenus dans les secteurs des transports et de l’aviation, qui sont la conséquence directe de la crise syrienne. Le PNR contribuera à atténuer les effets potentiellement déstabilisants de la crise dans les domaines politique, démographique, social, économique et fiscal.
L.L.D. : En sa qualité de membre non-permanent pour la période 2014-2015, votre pays a soumis, fin 2014, au Conseil de sécurité de l’ONU le plan palestinien fixant un délai de un an pour la reconnaissance de l’État palestinien. Fort de la reprise des relations diplomatiques entre la Jordanie et Israël depuis le 2 février 2015 et des accords de paix liant les deux pays depuis plus de 20 ans, comment la diplomatie jordanienne peut-elle contribuer à une relance du processus de négociations au Proche-Orient ?
S.E.M.M.M.A.Q. : En tant que membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, la Jordanie a présenté, au nom des États arabes et à la suite d’une décision consensuelle, un projet pour mettre fin à l’occupation israélienne en Palestine. L’administration américaine s’est engagée dans ce processus et son implication en tant que médiateur est appréciée par les Palestiniens et les Israéliens. Je tiens à souligner que la Jordanie n’a jamais suspendu ses relations diplomatiques avec Israël, pays avec lequel nous avons signé un traité de paix en 1994 et en faveur duquel elle s’est engagée depuis 20 ans. Amman défend fermement le Plan de paix au Moyen-Orient et nous pensons que la seule issue pour parvenir à une paix durable repose sur une solution prévoyant l’existence de deux États qui puisse mettre fin au conflit en répondant aux besoins des deux parties. Il s’agit d’une priorité nationale qui sert également les intérêts de la région et de la communauté internationale : – Nous appelons à la création d’un État palestinien viable, souverain, indépendant, basé sur les frontières de 1967, vivant côte à côte, en paix et en sécurité avec Israël. – Nous nous engageons également à un règlement global du conflit israélo-arabe conformément aux résolutions de l’ONU, des principes de la Conférence de Madrid et de l’Initiative de paix arabe, qui donne à Israël des garanties de normalisation des relations, non seulement avec les Palestiniens, mais aussi avec 57 pays arabes et musulmans. – Les actions unilatérales commises par Israël compromettent et entravent le processus, telles que la colonisation ininterrompue et l’excavation sous la mosquée Al Aqsa. – Les négociations doivent aller de l’avant et toutes les parties devraient faire preuve d’engagement et de bonne volonté pour résoudre les divergences et atteindre une solution finale, en particulier en ce qui concerne Jérusalem.
L.L.D. : Alors que les troubles s’accentuent dans la région, comment qualifieriez-vous les relations politiques et diplomatiques que la Jordanie et la France entretiennent ? Quel regard portez-vous sur leur coopération économique ?
S.E.M.M.M.A.Q. : En effet, la France et la Jordanie entretiennent d’excellentes relations, et nous affirmons notre engagement commun à promouvoir la paix, le développement, l’éducation, le dialogue et la compréhension entre les religions ainsi qu’à lutter contre l’extrémisme et la violence contre les croyants de toutes les religions par la diffusion de messages de tolérance et de modération. Nous sommes déterminés à renforcer notre partenariat avec la France à tous les niveaux, et en particulier notre coopération économique et les liens entre les secteurs public et privé de nos deux pays. La France représente le premier investisseur étranger en Jordanie, après les États du Golfe, et nous œuvrons afin d’élever ce partenariat à un niveau supérieur dans tous les domaines.
L.L.D. : Avec une prévision de croissance de 4% en 2015, l’économie jordanienne est en « bonne santé » selon le FMI, en dépit d’un contexte régional difficile. Considérant le rôle moteur du secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC), quelles sont les mesures envisagées, y compris au plan de la formation, en vue de favoriser l’innovation ? À l’image de la nouvelle loi sur les investissements introduite en octobre 2014, quelles nouvelles initiatives sont susceptibles de favoriser l’attractivité de l’économie jordanienne ?
S.E.M.M.M.A.Q. : Nous sommes très fiers de notre secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC), notre pays comptant un nombre de diplômés en technologies de l’information plus élevé que dans tous les autres pays de la région. Nous assurons d’ailleurs la gestion de plus de 75% de tout le contenu internet en langue arabe de la région. J’ajouterais que notre pays est également classé parmi les 10 meilleurs environnements au monde pour le lancement d’une start-up technologique. La Jordanie est considérée comme la « Silicon Valley » du Monde Arabe et nous sommes déterminés à améliorer et à développer ce secteur, grâce à sa population jeune et fascinée par ce domaine. Malgré les troubles régionaux actuels, la Jordanie conserve un bon rythme de croissance économique et ses lois concernant l’investissement rendent son environnement des affaires attractif. Une nouvelle commission d’investissement très efficace a été créée par un décret royal au dernier trimestre 2014. Elle propose un guichet unique où les investisseurs sont pris en charge pour les démarches administratives. Dans un effort continu pour améliorer les conditions de l’investissement, cette structure délivre des services liés aux permis et à l’enregistrement de sociétés, en plus d’assurer un « service après-vente » permettant de garantir la satisfaction des investisseurs. La Commission est également responsable de la surveillance des problèmes auxquels font face les investisseurs et d’en informer les structures concernées.
L.L.D. : Dépourvue de ressources pétrolières significatives, la Jordanie a mis le développement des énergies renouvelables en tête de ses priorités. Quels sont les projets mis en œuvre et prévus en ce sens ? Comment qualifieriez-vous les avancées du projet de construction d’une centrale nucléaire ? Compte tenu de la coopération initiée avec la France dans le domaine de l’énergie, comment envisagez-vous une participation plus forte des entreprises françaises dans ce secteur ?
S.E.M.M.M.A.Q. : En matière d’énergie, la Jordanie importe plus de 96% de ses besoins. En raison des interruptions fréquentes du débit de gaz de l’Égypte, les coûts de production de l’électricité ont grimpé de presque 600% et coûtent actuellement à notre gouvernement plus de deux milliards de dollars par an. Dès lors, les énergies renouvelables représentent désormais pour nous une priorité. La Jordanie disposant d’un avantage concurrentiel dans le secteur des énergies solaire et éolienne, nous réfléchissons à la diversification de nos sources d’énergie, y compris dans le secteur nucléaire, pour lequel nous bénéficions de l’expertise française. La construction d’une centrale nucléaire, sans autres fins que pacifiques, soutiendra notre industrie et donnera un nouveau souffle à notre économie nationale. Nous souhaitons ainsi promouvoir la coopération régionale puisque nous envisageons d’exporter l’électricité produite par la future centrale nucléaire vers nos pays voisins.
L.L.D. : À l’instar de l’énergie, l’eau ainsi que le développement durable et local ont figuré au cœur des accords conclus à l’occasion de la visite officielle de S.M. le Roi Abdallah II à Paris, en septembre 2014. Comment appréhendez-vous le défi de la pénurie de l’eau ? Quels seront les vecteurs futurs de l’approfondissement des relations bilatérales ?
S.E.M.M.M.A.Q. : Les mégas projets que la Jordanie entreprend actuellement sont stratégiques pour l’intérêt national. La réalisation d’un ambitieux projet de dessalement de l’eau, baptisé « Canal Mer Morte-Mer Rouge », promet non seulement de pallier la pénurie d’eau dans le pays, mais aussi de favoriser la coopération régionale, en particulier entre les Palestiniens et les Israéliens. La France est un pays leader dans ce domaine et nous espérons un engagement sérieux de sa part dès la première phase de ce projet. De plus, elle compte de nombreuses réussites de projets liés aux secteurs de l’eau et de la gestion des eaux usées en Jordanie. Cette coopération doit se poursuivre.
L.L.D. : Avec la mise en œuvre de nouveaux projets dans la ville d’Aqaba et de sa zone économique spéciale, la Jordanie aspire à conforter son rôle de pôle logistique et de transport multimodal dans la région. Pourriez-vous détailler les projets les plus emblématiques de cette zone ? Quelles opportunités pourraient s’ouvrir, selon vous, aux entreprises françaises dans ce cadre ?
S.E.M.M.M.A.Q. : La zone économique spéciale d’Aqaba a vu le jour en 2001, conformément aux directives de S.M. le Roi sur la création d’un centre d’affaires international et d’une destination de loisirs sur la Mer Rouge. Sa création a eu un effet positif sur la qualité de vie et la prospérité de la Jordanie, par le biais d’un développement durable. Elle est également la seule région décentralisée du monde arabe, dont plus de 70% de ses habitants sont des expatriés. Plus de 20 milliards de dollars ont été investis à Aqaba depuis la création de cette zone, notamment au profit de nouveaux projets touristiques. La ville d’Aqaba est devenue attractive pour plusieurs entreprises mondiales, en particulier dans le secteur de la logistique. Ces groupes ont investi dans ce secteur, propulsant ainsi la ville au rang de plaque tournante pour le transport et la logistique. Le port sec constitue un point de départ à partir duquel nous recherchons davantage d’investissements français dans les secteurs clés, notamment l’énergie, la formation maritime ainsi que la sécurité côtière et environnementale. La prise en compte de l’aspect environnemental dans les projets de développement à Aqaba permet de préserver plus de 250 espèces marines ainsi que 28 sites de corail abritant quelque 90 000 colonies.
L.L.D. : Riche d’un patrimoine culturel multimillénaire, la Jordanie abrite trois sites inscrits sur la Liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO, dont la cité caravanière nabatéenne de Pétra. Comment ce patrimoine est-il valorisé dans votre pays, tant au plan culturel et éducatif que touristique ? En votre qualité de Délégué permanent de la Jordanie auprès de l’UNESCO, comment percevez-vous le rôle de cette organisation, 70 ans après sa création ?
S.E.M.M.M.A.Q. : État membre de l’UNESCO depuis le 16 avril 1950, la Jordanie a développé un excellent partenariat avec cette agence de l’ONU dans la promotion de son mandat dans notre pays et à travers notre pays, dans la région et dans le monde. En effet, la Jordanie a porté avec succès la candidature de cinq sites sur la Liste du patrimoine mondial comme celle de la « vieille ville de Jérusalem », dont S.M. le Roi Abdallah II est le Gardien des Lieux Saints islamiques et chrétiens. La Jordanie poursuit ses efforts pour préserver ces lieux saints et travaille avec l’UNESCO sur différents projets mettant en œuvre ses décisions. Les autres sites inscrits comprennent la ville nabatéenne de Petra, Quseir Amra, château du désert des Omeyyades, le site antique d’Um er-Rasas avec ses vestiges de l’époque romaine, byzantine et de l’époque islamique ancienne (Kastrom Mefa’a), ainsi que la zone protégée de Wadi Rum, site à la fois naturel et culturel. En outre, la Jordanie a déposé la candidature du « Site du baptême du Christ », afin qu’il soit inscrit lors de la prochaine réunion du Conseil du Patrimoine mondial. Le rôle de la Jordanie dans la protection des sites culturels est considéré comme exemplaire au regard de son engagement pour la préservation des sites du patrimoine mondial. De plus, l’expertise jordanienne dans ce domaine a permis aux pays voisins de bénéficier d’une sensibilisation à la préservation et à la protection du patrimoine. La Jordanie souhaite également développer des projets dans l’ensemble des domaines liés au mandat de l’UNESCO, y compris l’éducation, dans lequel la Jordanie est un pays en pointe. À titre d’exemple, plus de 150 000 écoliers syriens ont pu être scolarisés dans les écoles publiques jordaniennes, depuis que la Jordanie accueille les réfugiés syriens. Le rôle de l’UNESCO au XXIème siècle découle de sa constitution fondatrice : « Les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix ». Malgré les défis sans précédent qu’elle rencontre aujourd’hui, cette organisation a réussi à mener à bien plusieurs de ses missions. En conclusion, je souhaite profiter de cette occasion pour inviter tous les Français à visiter la Jordanie et ses sites archéologiques, tandis que la chaleureuse hospitalité du peuple jordanien leur laissera de merveilleux souvenirs. Je souhaite aussi les rassurer car, malgré les troubles actuels dans la région, la Jordanie demeure un oasis de sécurité et de stabilité. En effet, je vous encourage tous à venir admirer le point de rencontre entre l’Orient et l’Occident, un musée à ciel ouvert abritant l’une des sept nouvelles Merveilles du monde, la ville rose-rouge de Petra. |