Dynamiser la coopération franco-chilienne
L’approfondissement du dialogue politique entre Santiago et Paris, et la dynamisation des échanges économiques bilatéraux seront tout l’enjeu de la visite officielle de la Présidente chilienne Michelle Bachelet en France, prévue en juin 2015. Elue à la tête de la 4ème économie de l’Amérique latine le 15 décembre 2014, elle a fait de la réduction des inégalités la priorité de son mandat, en impulsant de vastes réformes en faveur de l’éducation et de l’attractivité économique du pays. Alors que le Chili entend devenir une plateforme régionale pour les réexportations et l’innovation, S.E.M. Patricio Halès Dib, Ambassadeur du Chili en France, revient sur la stratégie économique et les grandes orientations de la politique économique et extérieure de son pays.
La Lettre Diplomatique : Monsieur l’Ambassadeur, élue pour un second mandat à la Présidence du Chili le 15 décembre 2013, Mme Michelle Bachelet effectuera une visite officielle à Paris en juin 2015. Pourriez-vous préciser les enjeux de ce déplacement ? Dans quelle mesure pourrait-il contribuer à élever le partenariat franco-chilien au niveau stratégique ?
S.E.M. Patricio Halès Dib : La visite de la Présidente Michelle Bachelet en France est l’expression de l’excellent état des relations entre les deux pays. Dans ce second mandat de Michelle Bachelet (2014-2019), s’ouvre, ce qu’elle appelle, un « nouveau cycle ». Nouveau cycle au regard des contenus, de la profondeur de son programme et, au niveau politique, de l’amplitude des forces politiques qu’elle représente pour gouverner. Il s’agit de sa deuxième visite en tant que Présidente du Chili, puisqu’elle est déjà venue en France durant son premier mandat en 2009, ce qui reflète, au-delà de ses propres liens familiaux, son intérêt particulier pour la France, ses valeurs, ses principes républicains, sa position dans le monde. Le moment choisi pour la visite est opportun, car il permet de donner une nouvelle impulsion à la relation bilatérale, en élargissant et en approfondissant les domaines d’entente déjà nombreux entre nos pays. Nous ne faisons pas seulement allusion à la coopération dans les domaines spécifiques tels que la science et la technologie, l’innovation, l’éducation, les énergies renouvelables non conventionnelles, mais aussi à la coopération sur des thématiques de sécurité, d’environnement et dans le cadre des Nations unies. Nous aspirons à avoir avec la France une relation de type stratégique, sur laquelle nous sommes en train de travailler, ici à Paris, de concert avec nos partenaires du Quai d’Orsay. Parmi les domaines sur lesquels les efforts seront priorisés, il y a celui de l’éducation. Un des axes prioritaires de l’administration chilienne actuelle est, en effet, la réforme éducative nationale, l’un des piliers du programme du gouvernement de la Présidente Bachelet. Nous avons travaillé dans ce sens. Notre Ambassade a organisé à Paris la visite du Ministre de l’Éducation chilien en novembre 2014, durant laquelle a eu lieu un colloque de haut niveau. Les autres domaines de travail sont les thématiques du genre et la promotion des investissements réciproques, et plus généralement le renforcement des échanges commerciaux et des affaires entre les deux pays. Il y a quelques exemples du dynamisme de la relation franco-chilienne dans ce domaine, comme la récente attribution de l’administration de l’aéroport de Santiago à un consortium dirigé par les Aéroports de Paris (ADP) et Vinci, et la participation d’EDF pour la production d’électricité, ainsi que l’attribution au groupe DCNS, suite à l’appel d’offres de la Corporación de Fomento de Chile (CORFO), du projet de création d’un centre d’excellence en matière de recherche sur l’énergie marémotrice, avec l’idée que celui-ci prenne corps au sud du Chili, selon ce que décidera le gouvernement. L.L.D. : Depuis le 1er juillet 2014, le Chili préside le Groupe pilote sur les financements innovants du développement aux côtés de la France qui en assure le Secrétariat permanent. Comment caractériseriez-vous les priorités du mandat chilien ? Quelles sont les synergies chiliennes et françaises communes, notamment dans la perspective de la COP21 à Paris en 2015 ?
S.E.M.P.H. : Le Chili a pris la Présidence rotative du Groupe pilote sur les financements innovants en juillet 2014 qui s’achèvera par la réunion plénière qui aura lieu en octobre 2015. Comme nous le savons, le groupe pilote a été créé en 2006 sous la direction de la France, du Chili, du Brésil et de l’Espagne. Ce forum informel comprend 64 États et 20 organisations internationales, ONG, fondations privées et entités locales, et est dédié à l’éradication de la pauvreté et à la préservation des biens publics mondiaux. Sous la présidence chilienne, s’est tenue entre autres activités, une réunion de haut niveau dans le cadre de l’ouverture de la 69ème Assemblée générale des Nations unies (AGNU) à la fin du mois de septembre 2014 à New York. Le Secrétariat du Commonwealth (membre du Groupe pilote) a remis au Chili et à la France, en octobre 2014, le manuel des financements innovants pour le développement, qui consiste en un kit d’outils du Commonwealth. De même, le Chili a fait une intervention sur la valeur ajoutée que représentent les financements innovants durant la première session de consultations informelles de fond, convoquées par les modérateurs de la IIIème Conférence Internationale sur les financements pour le développement en novembre 2014. L’année 2015 est une année décisive pour le financement du développement. Sous l’impulsion des pays du G77, la communauté internationale a décidé d’organiser une conférence pour le suivi des conférences de Monterrey (2002) et Doha (2008) sur le financement du développement, laquelle aura lieu à Addis Abeba en juillet 2015. Le mandat du Chili s’inscrit dans le contexte de la préparation de ce sommet et des objectifs de développement durable. Les financements innovants pour le développement ont un impact positif du fait de la possibilité de laisser la place à de nouvelles sources de financement qui n’affectent pas directement et/ou ne pèsent pas de manière excessive sur les budgets. De plus, ils sont complémentaires et additionnels aux engagements propres de l’APD (Aide publique au développement), ce qui permet une meilleure visibilité et, en même temps, ajoute une plus grande flexibilité de l’investissement de ces ressources dans des programmes qui ont un impact direct. On associe le concept et l’idée à une nouvelle façon de pratiquer la coopération et de soutenir le développement qui est, de ce fait, plus horizontale et qui intègre des pays à différents niveaux de développement à ces efforts. Concernant la COP21, le financement innovant représente un thème relativement nouveau et requiert, dans le cadre de la discussion propre sur le changement climatique, une plus grande réflexion. À titre d’exemples, il serait possible d’amorcer des expériences (Projets pilotes) dans le champ du changement climatique permettant d’avoir recours à des financements innovants, qui soient compatibles avec des réponses proposées dans ce domaine et, en particulier, afin de conjuguer méthodes et volume de production avec le recours à des énergies propres.
L.L.D. : Axe majeur du programme de la Présidente Michelle Bachelet, la réforme de l’éducation vise à réduire les inégalités. Dans quelle mesure va-t-elle accroître la qualité de l’enseignement supérieur et retenir la matière grise chilienne ? Promulguée le 26 septembre 2014, la loi fiscale visant à prélever 8,3 milliards de dollars chaque année pour financer la réforme de l’éducation ne risque-t-elle pas d’obérer rapidement le dynamisme des entreprises chiliennes ?
S.E.M.P.H.D. : La réforme éducative, en ce qui concerne l’éducation supérieure, vise à améliorer la qualité de l’enseignement ainsi que la recherche de l’excellence du système et établit la gratuité comme principe, garantissant la non-discrimination pour raisons socio-économiques, l’intégration et l’égalité. Pour cela, de nouvelles institutions seront créées afin d’organiser l’éducation supérieure dans son ensemble. Parmi les mesures que le gouvernement souhaite mettre en place, la création d’un Sous-Secrétariat a pour vocation à définir les politiques publiques en la matière, mettre fin de manière effective au profit dans l’éducation, comme la loi le prévoit déjà. Il s’agit également de créer une nouvelle Direction de l’éducation supérieure ; d’établir des normes de qualité plus exigeantes ; de consacrer la gratuité universelle du système scolaire ; d’assurer un financement minimum pour les institutions ; de définir un nouveau traitement avec les universités d’État ; de créer un système politique d’éducation supérieure et enfin, dernier point mais non des moindres, de renforcer le système de l’éducation technique et professionnelle. Dans ses grandes lignes, la réforme cherche à assurer aux étudiants réunissant les conditions pour poursuivre des études supérieures, de pouvoir le faire sans crainte de devoir les abandonner pour des raisons économiques ou en raison du poids d’une dette contractée pour étudier et impossible à assumer dans le futur. De même, il s’agit d’améliorer la qualité de l’éducation de telle manière qu’elle permette à nos jeunes de s’insérer avec succès dans le monde du travail. Sur la « fuite des cerveaux » comme le suggère votre question, heureusement il ne s’agit pas d’un problème grave en ce qui concerne le Chili. Ces jeunes actifs ayant suivi des études de troisième cycle à l’étranger, reviennent au pays dans leur grande majorité, pour s’insérer dans le marché du travail. Il n’y a pas non plus un flux important de diplômés chiliens qui cherchent à s’installer, en tous cas de façon définitive, à l’étranger. Cela nous permet de compter sur un effectif croissant de jeunes hautement qualifiés qui représentent une contribution fondamentale pour le développement intégral de notre pays. Le gouvernement de la Présidente Bachelet s’est engagé dans une série de réformes qui ont pour objectif principal de réduire les inégalités. La réforme fiscale, promulguée en septembre 2014, vise à contribuer à la redistribution des recettes et à générer des ressources permanentes pour financer la réforme éducative. Conscients que sans un accès égalitaire à l’éducation, les différences d’opportunités pour les nouvelles générations se reproduiront, la réforme éducative constitue un axe principal de l’action du gouvernement. La réforme fiscale sera mise en œuvre de manière progressive jusqu’en 2017, date à laquelle elle entrera pleinement en vigueur, prévoyant toutefois un laps de temps pour que les entreprises puissent adapter leurs décisions. La réforme fiscale établit des règles claires pour ces dernières, qui pourront choisir le régime sous lequel elles s’acquitteront de l’impôt. De même, plusieurs mesures sont envisagées pour éviter la fraude et l’évasion, ce qui permettra aussi, parallèlement, d’augmenter les recettes.
L.L.D. : Prolongeant le programme Start-up Chile démarré en 2010, un fonds de soutien destiné aux entrepreneurs et à l’innovation en janvier 2015 confirme la volonté du Chili de devenir un hub régional de l’innovation. Quels en sont les objectifs ? À l’image du Centre d’innovation et de recherche en communication et information (CIRIC) fondé par l’institut français INRIA, comment votre pays compte-t-il attirer des centres d’excellence internationaux et dans quels secteurs ? Plus largement et tenant compte du cycle « recherche et innovation » de l’UE-CELAC, dont le Chili est partie prenante, quelles synergies communes pourraient émerger ?
S.E.M.P.H.D. : Effectivement, la mission de l’Initiative Start-up Chile est de faire du Chili un pôle d’innovation et d’entreprenariat dans la région, en travaillant avec celle-ci et nos voisins. Pour cela, ce programme a pour principal objectif d’attirer des entrepreneurs à fort potentiel ayant des projets en phase de lancement afin qu’ils démarrent leurs affaires au Chili. À travers ce type d’initiatives, on cherche à renforcer l’environnement – ou la culture – de l’entreprenariat dans le pays, en le connectant avec le reste du monde, à travers d’autres programmes complémentaires comme l’initiative « Global Connection », qui offre un soutien à des entrepreneurs nationaux pour leur développement à l’international. En 2010, 22 premiers projets Start-up ont été attirés en provenance de 14 pays. Ce programme a été dans l’ensemble un succès et son 13ème appel à projets est actuellement ouvert, dans le cadre duquel des mesures incitatives sont proposées pour au moins 50% des entrepreneurs sélectionnés s’établissant dans de grandes villes régionales. Un plus grand partenariat entre entrepreneurs locaux et internationaux sera encouragé et une plateforme sera créée pour attirer les talents qui entreprennent au Chili puis étendent leurs activités aux pays de la région. Quant au programme de création et/ou installation des Centres d’excellence internationale au Chili, InnovaChile de CORFO a lancé en 2009 le « Programme d’attraction des Centres d’excellence internationale » dans le cadre de la « Stratégie nationale d’Innovation pour la Compétitivité ». L’objectif principal de cette initiative a été d’inciter les principaux centres d’excellence et de recherche – de classe mondiale – à s’installer au Chili pour développer des activités R&D+i (Recherche & Développement + innovation). À cette fin, on a cherché l’association de ces centres internationaux avec des entités chiliennes – fondamentalement académiques – afin de réaliser des recherches qui amènent le Chili à la frontière technologique avec des innovations à fort impact sectoriel tant au niveau national qu’international. On peut signaler comme exemple du succès du programme qu’en 2009 (étape pilote), quatre centres ont été attribués et, du fait, du succès de ces derniers, CORFO a créé un second programme grâce auquel huit centres supplémentaires ont été sélectionnés (4 privés et 4 institutionnels). Parmi eux, on peut mentionner le Fraunhofer (Allemagne), l’INRIA (France), le CSIRO (Australie), l’Université de Wageningen (Hollande), le Pfizer (États-Unis), GDF Suez-Laborelec (France), Emerson (États-Unis), LEITAT Chile (Espagne) et, en 2014, DCNS (France) pour la recherche sur l’énergie marémotrice. Les principaux domaines de travail de ces centres au Chili sont : la biotechnologie, la nano-biologie, l’énergie, l’exploitation minière, les plateformes technologiques et Informatique (software), l’agriculture et le marché de l’alimentation. Il existe de nombreuses opportunités de synergie entre la Communauté d’États latino-américains et caraïbes (CELAC) et l’Union européenne (UE) dans les domaines de la science, de la technologie et de l’innovation, non seulement à travers des programmes cadres dans ces secteurs, mais aussi du fait du fort dynamisme que le Chili et plusieurs pays latino-américains leur consacrent. Concrètement, il y a peu, la Présidente Bachelet a créé une « Commission de la science pour le développement » où l’on évaluera la création d’un Ministère pour la Science et la Technologie, qui sera tenue d’élaborer une politique stratégique en termes de capital humain, de technologies, de connaissance et d’information. Les synergies avec l’UE peuvent provenir du développement conjoint de projets liés par exemple aux énergies renouvelables non-conventionnelles, à l’exploitation minière, à l’agro-alimentaire, aux industries de pointe et même aux projets hautement complexes comme le sont ceux du domaine de l’astronomie.
L.L.D. : Quatrième d’Amérique latine, l’économie chilienne repose sur un secteur primaire important grâce à des ressources minières abondantes Quels projets soutiennent la volonté de Codelco d’augmenter sa production de +40% en dix ans ? Quels sont les autres secteurs d’activité qui seraient appelés à dynamiser l’économie nationale ?
S.E.M.P.H.D. : En 2014, Codelco a produit près d’1,84 million de tonnes de cuivre, dont 1,67 million en propre, nécessaires pour soutenir et augmenter la capacité de production, et pour la réalisation des « projets structurels », qui bénéficieront à tous les Chiliens. Ces projets correspondent au nouveau niveau de la mine El Teniente, de Chuquicamata Subterránea, et Radomiro Tomic Sulfuros Fase. De plus, l’agrandissement de Andina et du site Ministro Hales est déjà en cours. Actuellement, les ressources disponibles pour concrétiser les investissements se trouvent déjà définies par la loi de capitalisation de Codelco, qui constitue une contribution historique de la part de l’État chilien. À cela s’ajoute l’émission d’obligations par l’entreprise. L’investissement pour de tels projets atteint près de 23 500 millions de dollars, dont 4 000 millions seraient directement financés par le budget fiscal, 5 400 millions au moyen de l’émission de dette et le reste par un financement propre. Concernant les nouveaux secteurs permettant de dynamiser l’économie, en prenant en compte que le secteur minier possède une combinaison taille-compétitivité importante au niveau mondial et qu’il représente presque 50% des exportations totales du pays, le gouvernement renforce actuellement différents secteurs stratégiques ou clusters, dont les services liés au secteur minier, le tourisme, l’industrie agroalimentaire, la construction à base de bois, l’économie créative, la pêche et l’aquaculture, ainsi que les manufactures à forte valeur ajoutée.
L.L.D. : Edification de grands barrages, construction d’un nouvel aéroport international, densification des maillages routiers et ferroviaires… La Présidente Michelle Bachelet a présenté le 3 juillet 2014 un vaste plan d’infrastructures évalué à 28,7 milliards de dollars. Comment le Chili compte-t-il financer ce programme ? Considérant l’insuffisance de la production électrique et le coût élevé de l’énergie, quelles sont les orientations privilégiées pour diversifier les ressources alternatives ? Déjà présentes dans ce secteur, quels autres domaines d’activités seraient susceptibles d’offrir des opportunités aux entreprises françaises et d’intensifier des échanges bilatéraux aujourd’hui modestes ?
S.E.M.P.H.D. : Le Plan d’investissement en infrastructures répond à l’effort que nous voulons faire pour avoir un pays moderne et adapté en vue de faciliter les flux commerciaux, entrepreneuriaux, politiques et culturels. À travers ce projet, nous voulons compter sur une infrastructure qui nous permette d’améliorer nos standards de croissance, de compétitivité, d’inclusion et de bien-être de nos citoyens. Ce plan comprendra des investissements directs de l’État, à travers la dépense publique, fonctionnant comme un partenariat entre l’État et le secteur privé, à travers le système de concessions. On estime que l’investissement public direct atteindra 18 milliards de dollars pour la période 2014-2021, comprenant le Plan de connectivité Austral, le Plan Arica Parinacota, les plans des grands et petits réservoirs et un plan important pour paver des routes rurales. En matière de concessions, les travaux d’infrastructures routières, tels que l’autoroute métropolitaine de Puerto Montt, la route de Farellones, le chemin de La Fruta, la route La Serena-Vallenar, entre autres, et l’amélioration des routes existantes pour un total estimé à 9 900 millions de dollars sont considérés comme importants. L’investissement annuel moyen de ce programme s’élèvera à environ 1,7% du PIB, ce qui, ajouté aux investissements dans d’autres domaines tels que le logement, la santé et les transports, permettrait d’atteindre 3,5% du PIB consacrés aux infrastructures dans les huit prochaines années. L’énergie constitue effectivement un défi pour le Chili dans les prochaines années, étant donné le niveau de croissance du pays. En effet, la croissance économique prévue pour le pays à l’horizon 2020 implique un accroissement de la demande en électricité estimée à 5% par an. Par conséquent, les investissements et études nécessaires pour équiper le Chili d’une nouvelle matrice énergétique sont en cours de réalisation. Le pays mise beaucoup sur les énergies propres et renouvelables non conventionnelles, qui représentent actuellement 5% de la production d’électricité, tout en bénéficiant des conditions géographiques favorables du pays. Dans le même temps, la matrice énergétique se diversifie. Le Chili est un pays ouvert à l’investissement étranger ; la France, avec ses entreprises, peut contribuer à la production d’énergies renouvelables et ainsi prendre part aux appels d’offres dans le domaine des infrastructures.
L.L.D. : Fort de 24 accords de libre-échanges avec 63 pays, le Chili se positionne comme un hub de réexportation. Comment qualifieriez-vous la stratégie qui vise à privilégier les partenariats bilatéraux ? Quelles sont les mesures mises en place en vue d’inciter les entreprises étrangères à faire passer leur exportation par le Chili ?
S.E.M.P.H.D. : Compte tenu de la stabilité économique, la primauté de l’État de droit et les accords commerciaux du Chili, notre pays peut devenir une plate-forme exportatrice vers les pays de la région. Le Chili a mis en place 24 accords commerciaux avec 63 pays, ce qui représente plus de 85% du PIB mondial. À travers ce prisme, le Chili a proposé de promouvoir un programme actif qui comprend l’amélioration des traités et de nouvelles négociations qui permettront d’ouvrir des destinations d’intérêt pour les exportations. Renforcer les liens avec l’Amérique latine fait également partie des priorités, c’est pourquoi nous travaillons à stimuler les niveaux de convergence entre la région et l’Alliance du Pacifique et le Mercosur, exemple de l’intégration commerciale dans laquelle le Chili est très engagé. Dans le même temps, nous voulons créer les conditions pour attirer de nouveaux investissements au Chili. En ce qui concerne la consultation sur les mesures d’incitation, il faut mentionner ce que le Chili a établi dans l’« Agenda pour la productivité, l’innovation et la croissance » (APIC), qui vise à définir les bases d’une nouvelle phase de développement de notre économie. Cela ne dépend pas seulement de l’exploitation et de l’exportation des ressources naturelles, mais également de la création d’un espace pour qu’émergent des secteurs capables de produire de nouveaux biens et services, de développer les industries et de générer des pôles d’innovation. Pour atteindre cet objectif, l’Agenda vise à encourager de manière stratégique et sélective ces secteurs dans lesquels le Chili a un fort potentiel de croissance, mais qui n’ont pas pu se développer. Il vise également à augmenter la productivité des entreprises, en particulier des PME, en les soutenant pour qu’elles puissent croître, s’internationaliser, augmenter leurs revenus et offrir des emplois de qualité. Le succès de cette tâche exige que l’État joue un rôle plus actif, en fournissant des infrastructures et des biens publics qui permettent de générer de nouveaux investissements, en se coordonnant avec les intervenants, en identifiant et en éliminant les obstacles qui rendent difficile l’esprit d’entreprise. Dans ce scénario, le Chili peut s’affirmer comme plateforme exportatrice et profiter de la proximité géographique avec les économies de la région et de l’accès préférentiel à une grande partie du commerce mondial grâce à ses nombreux accords. Une possibilité se présente via la création des enchaînements productifs et la participation dans des chaînes globales de valeur. Par exemple, profiter de l’accès tarifaire préférentiel dans l’achat d’intrants, de parties ou de pièces du monde entier pour ensuite exporter des produits aux marchés dont les préférences tarifaires ont été négociées, tout en respectant les règles d’origine des accords. Il est également possible de réfléchir à une plus grande participation dans le commerce mondial à travers une implication plus importante dans le commerce de services, associée ou non aux manufactures. Pour cela, l’important est de stimuler des zones de connaissance, telles que R&D+i, les technologies de l’information de la communication (TIC) et la biotechnologie, parmi d’autres. Un des défis du Chili est d’examiner l’ensemble des politiques que nous mettons en œuvre en matière de développement décentralisé : il s’agit d’un thème fondamental de l’APIC car les sources importantes de croissance pour notre pays se trouvent dans les régions. Ainsi, le renforcement des chaînes de production, la promotion du tourisme et le développement des PME dans différentes régions sont-ils essentiels pour poursuivre la croissance du pays. En outre, nous avons mis en place un accord avec la France pour éviter la double imposition. Cela rend notre pays plus attractif pour réaliser des investissements étrangers français, facilitant notamment la participation des chaînes de production.
L.L.D. : En 2014, le Chili a célébré avec les États-Unis le 10ème anniversaire de leur accord de libre-échange. Seul pays latino-américain à avoir rejoint le Visa Waiver Program, comment caractériseriez-vous vos relations avec le premier investisseur au Chili ? À l’aune de l’élargissement de l’accord sino-chilien le 10 novembre 2014, comment décririez-vous la stratégie de votre pays en Asie ?
S.E.M.P.H.D. : Naturellement, concernant les relations bilatérales du Chili avec les Etats-Unis et la Chine, les Ambassadeurs du Chili dans ces capitales, tout comme les autorités du Ministère des Relations extérieures, pourraient sans doute donner une vision plus complète les concernants et avec plus d’autorité que moi. L’entrée du Chili dans le programme Visa Waiver est un signe de confiance important envers notre pays. Nous reconnaissons l’importance du renforcement des relations entre les deux pays dans toutes leurs expressions sur la base des divers traités et accords que nous avons ratifiés, en particulier le traité de libre commerce. À cet égard, les États-Unis sont un partenaire commercial crucial pour notre pays, le deuxième partenaire plus important. De plus, les États-Unis sont le premier investisseur étranger, représentant 24,5% des investissements directs entre 1974 et juin 2014 au Chili. Ils sont également le cinquième marché récepteur d’investissements directs du Chili. La relation avec les pays d’Asie-Pacifique est dynamique et porteuse d’un grand avenir. Au-delà de notre relation privilégiée au niveau commercial avec cette région, où la Chine s’est hissée à la première place des partenaires commerciaux du Chili, nous avons établi un large programme de travail. Nous avons une coopération à long terme où le Chili, en tant que pays côtier de l’océan Pacifique, a forgé sa conviction que son immensité est un moyen naturel de connectivité. Cette vision est devenue la politique d’État et nous avons fait de ce rapprochement avec l’Asie-Pacifique un des piliers de notre action extérieure. Grâce à son vaste réseau d’accords commerciaux en Asie, le Chili se place comme un « pays pont » pour favoriser une meilleure relation entre l’Amérique latine et l’Asie-Pacifique. Quant à nos liens avec la République populaire de Chine, 2015 commémorera les 45 ans de nos relations diplomatiques. Sur le plan politique, la Présidente Michelle Bachelet a tenu en 2014 deux réunions bilatérales de la plus haute importance avec le Président XI Jinping et d’autres autorités du gouvernement chinois, d’abord à Brasilia puis à Pékin, à la suite du Sommet des dirigeants de l’APEC (Asia-Pacific Economic Cooperation).
L.L.D. : Lors de la Rencontre de haut niveau tenue au siège de la CEPAL à Santiago le 12 mars 2014, la Présidente Michelle Bachelet a déclaré que « l’Amérique latine va être l’axe de notre politique extérieure ». Partie prenante de l’UNASUR et de la CELAC, comment décririez-vous les aspirations de votre pays en matière d’intégration régionale ? Quel regard portez-vous sur la reprise du dialogue entre Cuba et les États-Unis ? Quels sont les dossiers que votre pays, membre non permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU jusqu’à la fin 2015, aspire à mettre à l’ordre du jour?
S.E.M.P.H.D. : En effet, le gouvernement de la Présidente Michelle Bachelet cherche à réaffirmer notre présence dans la région, prenant les devants sur certaines questions où le pays peut apporter une contribution, grâce à un travail proactif et participatif. L’un des objectifs du Chili est de devenir un « pays pont » et un « pays port », comme point de sortie et d’entrée pour les biens et services dans la région. En prenant conscience que l’Amérique latine est diverse, qu’il existe des voies de développement et des opinions politiques différentes sur la façon d’aller de l’avant, nous sommes conscients qu’elle ne peut être un obstacle pour trouver les accords et les éléments d’une intégration graduelle et pragmatique entre les pays de la région. C’est dans ce contexte que le Chili favorise la stratégie de convergence dans la diversité. Un exemple est l’« agenda court » convenu à Santiago au cours de la réunion convoquée par le Chili, des ministres des Affaires étrangères de l’Alliance du Pacifique et du Mercosur, à la fin du mois de novembre 2014. À cette occasion, il a été convenu d’aborder des thèmes tels que l’intégration physique, l’aide au commerce, la circulation des personnes et la promotion de la création des chaînes de production au niveau régional. L’UNASUR se présente comme un scenario propice à la convergence des idées et est un espace adapté pour connaître les problèmes de la région et pour comprendre les conflits de chaque pays. Concernant la restauration du dialogue entre Cuba et les États-Unis, le Chili a salué l’annonce des deux présidents et considère que cela représente une étape historique dans les relations entre ces pays et que cela peut également jouer un rôle pour une meilleure compréhension au sein de l’hémisphère. Nous considérons que les mesures de rapprochement bilatéral qui ont été annoncées vont dans le sens de la fin du blocus de Cuba, qui affecte le pays et ses habitants depuis des décennies. En ce qui concerne les Nations unies, le Chili, en tant que membre non-permanent du Conseil de Sécurité en 2014 et 2015, souhaite promouvoir des solutions consensuelles à la crise et stimuler le dialogue politique dans le contexte d’un agenda multidimensionnel de paix et de sécurité. Pour le Chili, la promotion d’un multilatéralisme effectif et inclusif, le respect de l’État de droit sur le plan national et international, la promotion des droits de l’Homme et de la démocratie, la responsabilité pénale internationale et la contribution des organisations régionales et sous-régionales et de la société civile, constituent des préoccupations prioritaires. À cela s’ajoutent la lutte contre le terrorisme et les processus de reconstruction des pays post-conflit. Parmi les initiatives prises au Conseil de sécurité, trois débats ouverts se distinguent : le développement inclusif pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales, le Moyen-Orient et la protection des populations civiles. Nous nous engageons pour une voix plus forte dans la région pour l’après – 2015, afin de ne pas être exclus de l’ordre du jour des 20 prochaines années. |