Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

La lettre diplometque
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Adopter une approche globale pour lutter contre le terrorisme 

Entretien avec M. Jean-Paul Laborde,
Directeur exécutif du Comité contre le terrorisme auprès des Nations unies

La Lettre Diplomatique : Intégré au sein du Conseil de sécurité, le Comité contre le Terrorisme (CTC) a été créé en 2004. Pourriez-vous nous décrire son rôle et ses moyens d’actions ? Nommé à la tête de sa Direction exécutive en juin 2013, quels sont les axes prioritaires de votre mandat ? Quels sont les moyens humains, financiers et techniques alloués à votre Direction pour lutter contre cette menace ?

M. Jean-Paul Laborde : Après le 11 septembre 2001, le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies a créé le Comité contre le Terrorisme (CTC) par la résolution 1373 (adoptée le 28 septembre 2001), pour assurer le suivi des actions en matière de lutte contre le terrorisme. Celle-ci prévoit l’évaluation de la capacité des pays à lutter contre cette menace ainsi que la mise en œuvre d’une coopération internationale renforcée.
En 2005, le CTC a créé un organe de suivi, à savoir la Direction exécutive du Comité contre le Terrorisme (DECT). Celle-ci est dirigée par un directeur exécutif et se compose de 45 personnes. Elle est chargée d’évaluer les pays, de détecter les défaillances dans les systèmes de lutte contre le terrorisme, tout en veillant à la préservation des droits de l’homme, et d’accompagner ces pays en vue de mettre l’ensemble des capacités concernées à niveau.
Notre mission ne doit pas être perçue comme un travail de sanction, à la différence d’organes subsidiaires, également mis en place par le Conseil de sécurité, comme le Comité créé par la résolution 1267 du 15 octobre 1999 et chargé de faire appliquer les sanctions à l’encontre du groupe terroriste Al-Qaïda. Le CTC et sa Direction exécutive adoptent une approche positive.
Concrètement, le CTC établit, sur proposition de la Direction exécutive, une liste des pays à évaluer. Une fois la proposition d’évaluation faite aux pays, ceux-ci peuvent répondre favorablement ou défavorablement. Jusqu’à présent, aucun Etat ne nous a adressé une fin de non recevoir. Cette évaluation peut prendre la forme d’une étude réalisée à partir de notre siège à New-York, ou d’une visite dans le pays. Par exemple, la France a été visitée fin octobre 2014, et Malte l’a été le mois suivant. A l’issue de ce déplacement, des conclusions préliminaires sont soumises aux autorités du pays et peuvent être matière à discussion. La Direction exécutive assume alors un rôle de facilitateur en vue de mettre, par exemple, la législation, les contrôles aux frontières ou encore les capacités des services de police et de gendarmerie à la hauteur des demandes.
Nous pouvons également entreprendre des actions d’envergure régionale. Ainsi, la Présidente du Comité contre le Terrorisme, Mme Raimonda Murmokaité, et moi-même, en qualité de Directeur exécutif, effectuerons prochainement une visite dans la région du Sahel et en Asie centrale. Parmi nos interlocuteurs, nous comptons également de nombreuses organisations régionales, telles que l’Union européenne (UE) ou l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
Les deux organes – CTC et Direction exécutive – sont extrêmement complémentaires, permettant une combinaison de travail technique et politique unique au sein des Nations unies et à l’échelle internationale. Cette symbiose permanente donne un poids très important au travail que nous réalisons.
La Direction exécutive dispose d’une variété d’experts diplomates au Conseil de sécurité, en plus de sa propre équipe permanente, composée notamment de procureurs et de juges. Lors des visites, nos moyens sont démultipliés par le fait que nous nous entourons de spécialistes de haut niveau de l’Union européenne (UE), de l’OSCE, de l’Organisation mondiale des Douanes, etc. Au sein des groupes de travail, chacun peut ainsi apporter son expertise en matière de réformes législatives, judiciaires, de contrôle des frontières, de questions relatives au gel des avoir ou à la menace des combattants terroristes étrangers, etc.
La dernière résolution 2178 du Conseil de sécurité adoptée lors du Sommet de niveau des chefs d’Etat du 24 septembre 2014 est très importante pour le CTC. Adoptée par 104 Etats, cette résolution relevant du chapitre 7 de la Charte des Nations unies nous donne des pouvoirs plus larges en vue de lutter contre les combattants terroristes étrangers.

L.L.D. : Al-Qaïda, Daech, Boko Haram au Nigeria, les Shebabs en Somalie, la Jemaah Islamiyah en Indonésie… les groupes criminels se multiplient, tandis que les moyens d’action terroristes mutent. Quelle analyse faîtes-vous de l’évolution de la menace terroriste ?

J.-P.L. : La guerre en Afghanistan constitue une rupture très nette dans l’évolution du terrorisme. Jusqu’alors, le terrorisme était lié à un mouvement de revendication nationale, y compris en Palestine. Depuis, il a depuis changé de nature, devenant d’abord un phénomène politico-criminel polymorphe, comme l’illustre Al Qaïda. Tout à fait novateur, ce groupe criminel a autorisé les factions non affiliées à s’en réclamer. Par nature, ce terrorisme international propose non pas la création d’un Etat sur un territoire au vu de revendications bien précises et fondées sur des considérations historiques, mais de porter la guerre contre le monde tel qu’il est, dans le monde entier. Le 11 septembre 2001 en est le symbole.
Avec l’arrivée de Daech, nous assistons à un terrorisme qui se reterritorialise. Ce groupe ne cherche pas à être reconnu par les Nations unies comme un Etat membre de la communauté internationale, mais à établir un pouvoir qui défie le monde. Son essor a été permis par des financements provenant de particuliers, mais peut-être aussi d’Etats en vue de mener la guerre contre le pouvoir en place en Syrie. A force d’évoluer, Daech dispose désormais de ses propres ressources : pétrolières (vente au marché noir), financières (acquises lors de la prise de Mossoul), etc. Celles-ci lui permettent d’entretenir une armée, de pérenniser une « fonction publique » ou encore de créer des prestations sociales. Ceci étant, ces structures risquent de lui poser des problèmes car elles génèrent de lourdes dépenses.

L.L.D. : Depuis septembre 2014, l’OTAN a engagé une opération militaire aérienne au Levant pour lutter contre Daech. Selon vous, ces frappes peuvent-elles être efficaces ? Outre les interventions militaires, quels sont les autres outils de répression à disposition des Etats ? A la lumière de l’expérience du Maroc, quelles mesures plus globales préconisez-vous pour réduire l’attractivité du terrorisme ?

J.-P.L. : On ne peut pas travailler sur le terrorisme sans une approche globale. Si une action militaire est bien évidemment nécessaire, une politique d’ensemble doit aussi être mise en œuvre. L’incrimination des actes, comme dans la résolution 2178 à l’égard des combattants étrangers, participe de cette démarche.
L’éducation, également, est fondamentale. Dans cette perspective, les Ministres des Affaires religieuses marocain, malien et guinéen, ainsi que les deux grands imams de Côte d’Ivoire et de Mauritanie ont, par exemple, créé un système d’instruction pour les imams. Cette formation est basée sur l’islam authentique et s’attache à se référer précisément aux sourates pour justifier les préceptes prêchés.
Outre l’impérieuse nécessité d’une approche éducative multiforme, la participation de la société civile est aussi essentielle, à l’instar de celle des médias qui sont de puissants vecteurs pédagogiques. Ces derniers ont déjà commencé à travailler en ce sens puisque, d’eux-mêmes, ils se sont contenus dans la présentation des assassinats des otages français et anglo-saxons par des terroristes islamistes. Par ailleurs, les médias me sollicitent de plus en plus pour présenter le rôle de la DECT et notre analyse.
J’ai déclaré sur leurs antennes « on va souffrir ». L’expression est brutale, mais elle est tout à fait consciente et volontaire. Je suis convaincu que tant que l’éducation n’aura pas réussi à éradiquer la violence ou l’attrait d’un extrémiste religieux, le terrorisme tel qu’il est pratiqué aujourd’hui perdurera.

L.L.D. : En réponse à l’accélération de l’action du groupe terroriste Daech et des départs de « combattants » occidentaux en Syrie et en Irak, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté le 24 septembre 2014, la résolution 2178 qui rappelle que « tous les Etats membres devaient veiller à ce que toute personne qui participe au financement, à l’organisation, à la préparation ou à la perpétration d’actes de terrorisme ou qui y apporte un appui soit traduite en justice ». Quelles dispositions peuvent être prises pour limiter ce phénomène ? Comment, selon vous, doit-on appréhender le retour de ces djihadistes dans leur pays d’origine ? Quelles recommandations formulez-vous à l’attention des Etats ?

J.-P.L. : Le phénomène des combattants terroristes étrangers n’est pas nécessairement à rattacher à un islamisme radical, pur et dur. Au moins la moitié d’entre eux ne sont même pas religieux. Selon moi, c’est davantage un phénomène de société : l’attrait de quelque chose de nouveau qui ne se réfère pas à la communauté internationale et qui permet d’aller exprimer des choses qui ne peuvent être exprimées chez soi.
Quant au retour de ces combattants dans leur pays d’origine, il se travaille en amont, notamment au niveau de la qualité des passeports et du contrôle aux frontières. Et je suis certain que l’UE va prendre les mesures qui s’imposent, en instaurant des contrôles d’identité plus fermes.
En aval, la police ne peut travailler que par sondage. C’est la raison pour laquelle une coopération internationale efficace entre les services de police est fondamentale. Aussi les Etats se doivent-il de faire beaucoup plus en matière de coopération internationale et, de fait, travailler davantage avec les Etats de transit.

L.L.D. : A l’image de l’affaire Merah, plusieurs dysfonctionnements ont été mis en évidence dans le système antiterroriste français. A l’aune de l’évaluation de la France que vous avez évoquée, quelles sont vos préconisations à son égard ?

J.-P.L. : Même s’il doit faire face à quelques difficultés, le système français est bon et cohérent. Absence de lutte entre services de renseignement et de sécurité, existence de services spécialisés au niveau judiciaire et policier, efficacité du système judiciaire, protection juridique et des droits humains… Tout cela participe au bon fonctionnement de l’antiterrorisme français, qui est centralisé autour d’un seul parquet, travaillant en collaboration avec la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).
Il est néanmoins nécessaire de renforcer la prévention en sensibilisant davantage les médias et les citoyens français, et de favoriser une relation plus harmonieuse entre la société civile et les autorités. Il est crucial que les citoyens, qui remarquent des faits suspects, remontent ces informations auprès des autorités compétentes, car le nombre de victimes d’un acte terroriste peut être important.

L.L.D. : Une nouvelle loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme a été adoptée par le Parlement français le 13 novembre 2014. Comment accompagnez-vous les Etats pour affermir leur législation tout en restant conforme au respect des droits de l’homme ? Quel regard portez-vous sur la création et la pérennité du centre de détention américain de Guantanamo ?

J.-P.L. : Au sein de mon équipe, deux experts des droits de l’homme apportent leur concours aux Etats révisant leur législation. Rappelons que le premier des droits de l’homme, c’est le droit à la vie et de ne pas être tué sans raison. La DECT travaille avec détermination avec les Etats pour concilier sécurité et liberté.
Les Etats ont des manières différentes de réagir devant les attaques terroristes. Il est impératif de faire évoluer un certain nombre d’aspects de ces réactions, comme Guantanamo, aux Etats-Unis.
Mais soyons clairs : ici, c’est le principe qui est important, pas l’action. Pourquoi nous battons-nous contre le terrorisme ? Pour que tout un chacun vive dans un monde conforme à la Charte des Nations unies et aux principes des droits de l’homme. Il ne s’agit pas de créer, sous couvert de lutte contre un terrorisme, une société répressive qui serait, au final, contraire à ces principes initiaux. Aussi est-il très important pour le CTC et sa Direction exécutive, de bien faire comprendre que les actions de chaque Etat en matière de lutte contre le terrorisme doivent être entreprises en considération des droits de la personne humaine et de l’Etat de droit. Tous les chapitres de la Charte des Nations unies doivent absolument être respectés, et nous veillons à cela.

L.L.D. : A l’heure où l’on parle de plus en plus de cyberterrorisme, sur quelle définition du terrorisme repose le travail de la Direction exécutive ? Avez-vous pour vocation de promouvoir une harmonisation des textes juridiques définissant le terrorisme ?


J.-P.L. : Les Nations unies ont déterminé un concept très clair et considère que le terrorisme est constitué des actes de terrorisme tels que définis par les conventions (terrorisme par explosifs, enlèvement de chefs d’Etat, prise d’otages…) pour un but précis (augus speciali), à savoir un meurtre en vue de contraindre un gouvernement de faire ou de ne pas faire quelque chose, ou de semer la terreur parmi la population générale. La DECT se réfère à cette définition stricto sensu, correspondant à la base de référence politique et juridique aux Nations unies. Elle évoluera peut-être avec le temps.
Il n’est pas du ressort de la DECT de promouvoir une harmonisation des textes existants, mais celui du Comité spécial des opérations de maintien de la paix. En revanche, l’une de nos missions est de favoriser une harmonisation de l’interprétation par les Cours suprêmes, et par la justice en générale, des standards terroristes qui sont prévus par les conventions internationales et leur transposition en droit national pour obtenir une jurisprudence rapprochée. Pour un juriste, l’existence d’une définition générale du terrorisme n’est pas la question première ; l’important est que la coopération internationale en matière pénale puisse fonctionner.
Si le terme « terrorisme » tend à se galvauder dans les discours politiques et médiatiques, il est indispensable de conserver une notion criminelle de l’acte de terrorisme. Si les concepts ne sont pas cadrés et qu’ils en viennent à côtoyer des notions politiques, cela pourrait être extrêmement nocif pour les droits de la personne humaine.

L.L.D. : Alors qu’une réforme de l’ONU est aujourd’hui en cours de réflexion, quel regard portez-vous sur l’idée de créer une force d’intervention onusienne mandatée pour désarmer les groupes terroristes ?

J.-P.L. : Rappelons que les Nations unies, si elle sont souvent présentées comme une entité monolithique, sont avant tout des Etats. Le Secrétariat général a pour rôle de les appuyer et de rappeler les règles.
Avec une résolution du Conseil de sécurité, des forces nationales peuvent tout à fait recevoir un tel mandat d’intervention. Si l’esprit de la résolution 2178 est de donner les éléments d’analyse et de soutien de coopération technique au DECT pour faciliter la coopération internationale, le reste doit être géré par les Etats eux-mêmes. A mon sens, cette force d’intervention spéciale doit être commanditée par les Nations unies, mais dépendre directement des Etats.    

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