Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

La lettre diplometque
  Éditorial
Entretien exclusif
Coopération
Diplomatie & Défense
Innovation
Culture
 
La lettre diplometque
La lettre diplomatique Haut
     Serbie
 
  S.E.M. / H.E. Rajko Ristic

Objectif UE

Près d’un an après l’ouverture officielle des négociations d’adhésion à l’Union européenne, le 21 janvier 2014, la Serbie s’apprête à prendre la présidence de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Un défi de taille pour ce pays qui cherche à s’intégrer dans les structures euro-atlantiques tout en préservant le traditionnel équilibre de sa politique étrangère. Au lendemain de la visite officielle du Premier Ministre français, M. Manuel Valls, les 6 et 7 novembre 2014, S.E.M. Rajko Ristic, Ambassadeur de Serbie en France, aborde pour nous les différents enjeux diplomatiques que doit relever Belgrade, les spécificités du partenariat stratégique forgé avec la France et les priorités de son gouvernement en vue d’amplifier la dynamique de croissance de la Serbie.*

La Lettre Diplomatique : Monsieur l’Ambassadeur, en 2015, la Serbie succédera à la Suisse à la présidence de l’Organisation de Sécurité et de Coopération en Europe (OSCE). Comment qualifieriez-vous les enjeux de cette responsabilité pour la diplomatie serbe ? Quelles seront les priorités de son mandat ? Quarante ans après la signature de l’Acte d’Helsinki, comment le rôle de l’OSCE dans l’architecture de sécurité internationale peut-il, selon vous, être renforcé ?  

S.E.M. Rajko Risticć : La présidence de l’OSCE représente un grand honneur et une grande responsabilité pour la diplomatie serbe. La candidature serbe à la présidence de cette organisation a été présentée conjointement avec celle de la Suisse. Ce nouveau modèle de présidence consécutive et coordonnée sur deux ans, de 2014 à 2015, contribue à la continuité de la gestion et de la planification du travail à long terme, au sein de la plus grande et de la plus complète organisation en matière de sécurité régionale, qu’est l’OSCE. Nous mettons en œuvre une très bonne coopération en vue de conduire les activités prévues par le Programme de travail commun et nous entreprenons des préparatifs approfondis et étendus pour 2015. Nous sommes prêts à contribuer pleinement et de manière active et impartiale à l’OSCE.
La situation actuelle en matière de sécurité dans et autour de la région de l’OSCE souligne la nécessité de renforcer les capacités de l’Organisation. Nous espérons que le 40ème anniversaire de l’adoption de l’Acte final d’Helsinki – document qui, exception faite de la Charte de l’ONU, a sans doute la plus grande importance dans l’histoire moderne – servira d’occasion pour renforcer l’OSCE à travers le processus d’Helsinki +40.
Nous considérons que l’approche globale de la sécurité propre à l’OSCE constitue son atout majeur et qu’il est nécessaire de le préserver. La  multidimensionnalité est, en effet, la valeur essentielle de l’OSCE et, en même, temps son avantage comparatif. Nous continuerons à traiter les dimensions politico-militaire, économico-environnementale et humaine comme parties d’un tout unifié. Nous poursuivrons le travail sur le renforcement des capacités et les mécanismes de l’OSCE afin de pouvoir réagir à toutes les étapes d’un cycle de conflit, de celle de l’alerte précoce à celles de la réhabilitation post-conflit et de la réconciliation, pour parvenir à des résultats concrets en termes de stabilisation sur le terrain. Compte tenu de l’expérience des Balkans occidentaux, nous croyons que des solutions concrètes et durables ne sont atteignables que par l’intermédiaire de l’action politique et du dialogue constructif.
Présider l’OSCE ne représente pas seulement, pour la Serbie, un grand succès et la prise des responsabilités dans le domaine de la diplomatie multilatérale, mais également une opportunité importante pour l’ensemble de la région des Balkans. La présidence serbe représente à nos yeux la reconnaissance de notre région et de son avenir. La Serbie attache, en effet, une grande importance à la coopération régionale. Il s’agit de l’une des priorités de notre politique étrangère. Le progrès et l’approfondissement de la coopération régionale contribuent également au processus d’intégration de cette partie de l’Europe au sein de l’Union européenne. Cette coopération constitue le socle de la stabilité, qui contribue à l’amélioration des relations bilatérales et à la création des conditions en faveur de la croissance économique et de l’amélioration du niveau de vie de la population.

L.L.D. : La présidence serbe de l’OSCE intervient alors que la crise ukrainienne a fait naître les plus fortes tensions entre les pays occidentaux et la Russie depuis la fin de la Guerre froide. Quelle est votre vision de cette crise et de son impact ? Alors que votre pays a bâti un partenariat étroit avec la Russie, comment peut-il contribuer à faciliter la recherche d’un compromis ? Comment appréhendez-vous les appels de la Commission européenne à harmoniser la politique étrangère serbe avec celle de l’Union européenne (UE) ?

S.E.M.R.R. : En effet, la présidence serbe débute au moment où l’OSCE est confrontée à l’une des plus grandes crises de son histoire. Cette crise a soulevé quelques-unes des questions essentielles en matière de sécurité européenne dans un contexte plus large et nous croyons qu’il est indispensable de déployer tous les efforts possibles en vue de sa résolution et du renforcement des relations dans toute la région de l’OSCE. Les activités de toutes les structures exécutives de l’OSCE et celles de la présidence suisse relative à l’Ukraine ont prouvé la pertinence de son rôle. La Serbie soutient ainsi fermement les activités coordonnées de l’Organisation visant à une désescalade de la crise et à l’établissement d’un dialogue inclusif dans le but de stabiliser la situation en Ukraine. Nous sommes prêts à en assumer la responsabilité pendant notre présidence et à continuer à coopérer activement dans le sens d’une stabilisation complète. Dans ce contexte, je tiens à souligner que la Serbie soutient la souveraineté et l’intégrité territoriale de tous les Etats membres de l’ONU. La Serbie présidera l’OSCE d’une manière constructive et impartiale, et nos bonnes relations bilatérales avec les partenaires de l’Est et de l’Ouest y contribueront certainement.
La question de l’harmonisation de la politique étrangère serbe avec la politique étrangère de l’UE devrait être examinée dans le contexte global de l’intégration européenne de la Serbie. Notre pays accorde une attention particulière aux négociations dans le domaine de la politique étrangère, de la sécurité et de la défense, car il souhaite s’affirmer en tant que partenaire fiable et responsable de l’UE et contribuer au succès des politiques européennes. En tant que pays candidat, nous contribuons aux efforts visant à préserver la paix et la stabilité mondiales, et nous participons à de nombreuses activités de l’UE, qui témoigne de notre engagement dans le cadre de ses missions. Durant la période de préadhésion à l’UE, la Serbie est censée harmoniser progressivement ses politiques étrangères avec celles de l’UE. Il s’agit d’un long processus, qui doit être observé à la lumière de l’ensemble du processus d’intégration européenne de la Serbie. Ses résultats seront appréciés à leur juste valeur à l’issue de notre chemin vers l’UE.

L.L.D. : Belgrade a commémoré en mars 2014 les 15 ans du début des bombardements de l’OTAN qui ont mis fin au régime de Slobodan Milosevic. Quel regard portez-vous sur le chemin parcouru depuis par votre pays ? Comment percevez-vous l’évolution de la coopération entre la Serbie et l’Alliance atlantique ?

S.E.M.R.R. : Pour nous, la commémoration des bombardements de l’OTAN, effectués contre notre pays sans mandat de l’ONU, représente un triste et douloureux événement, à cause des nombreuses victimes qu’ils ont entraînées, y compris de civils, dont des enfants. En plus des cibles militaires et des infrastructures, des hôpitaux, la Télévision de Serbie, l’Ambassade de Chine à Belgrade, ou certaines zones résidentielles ont, entre autres, été bombardés.
Aujourd’hui, 15 ans après, la majorité de la population serbe et non-albanaise expulsée en 1999 du Kosovo et Métochie n’est toujours pas en mesure de retourner dans ses foyers, alors que ceux qui sont restés au Kosovo et Métochie vivent dans des conditions très difficiles et voient souvent les droits de l’homme violés.
Les biens et le patrimoine culturel serbes, y compris les monastères médiévaux placés sous la protection de l’UNESCO, font souvent l’objet d’attaques et de menaces. N’oublions pas le pogrom dirigé contre la population serbe en 2004. Les graves crimes commis pendant et après le conflit, dont fait mention, notamment, le rapport « Traitement inhumain de personnes et trafic illicite d’organes humains au Kosovo » du rapporteur de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, M. Dick Marty, sont jusqu’à ce jour restés impunis. Malheureusement, les incidents visant à intimider les Serbes et à effacer l’identité serbe du Kosovo et Métochie se poursuivent toujours. La nouvelle menace contre le monastère Visoki Decani récemment rapportée constitue l’un des derniers d’une série d’événements de ce genre. Parmi d’autres, deux livres publiés en France, en 2014, traitent de cette problématique : Kosovo : une guerre « juste » pour un état mafieux de Pierre Péan et L’Europe est morte à Pristina de Jacques Hogard.
La Serbie est tournée vers le futur, vers la paix et la réconciliation. Nous souhaitons trouver des solutions justes et durables, à travers les négociations et le dialogue, en tenant compte des intérêts légitimes de la population albanaise, de la population serbe et d’autres populations du Kosovo et Métochie, et en respectant pleinement la Résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité de l’ONU.
En ce qui concerne la coopération entre la Serbie et l’Alliance atlantique, ces relations sont uniques à bien des égards et représentent le fruit de circonstances historiques, d’événements du passé récent et des questions actuelles. Des deux côtés, il existe un terrain d’entente sur le fait que la promotion de la coopération, en particulier à travers la participation de la République de Serbie au Programme de Partenariat pour la paix (depuis 2006), contribue à la stabilité et au renforcement de la confiance dans les Balkans et, plus généralement, dans la région euro-atlantique. Dans cette optique, la participation au programme de Partenariat pour la Paix représente actuellement, pour la République de Serbie, le cadre le plus approprié pour le développement des relations et de la coopération avec l’OTAN, les Etats membres de l’Alliance et d’autres participants à ce programme, surtout si l’on tient compte de sa nature, de sa flexibilité et de ses possibilités.
Parallèlement à l’amélioration des relations avec les structures pertinentes de l’OTAN, la Serbie a développé une coopération bilatérale sous des formes variées dans le domaine de la politique de sécurité avec les Etats membres de l’OTAN et les membres du Partenariat pour la paix. Cette coopération forme un segment important de l’ensemble des relations de la Serbie avec l’OTAN.

L.L.D. : Près d’un an après la signature d’un accord historique sur la normalisation des relations serbo-kosovares, l’UE a officiellement ouvert des négociations d’adhésion avec la Serbie le 21 janvier 2014. Quelles sont les étapes prévues pour mettre en œuvre les réformes nécessaires dans cette perspective, en particulier dans les domaines judiciaire et de la lutte contre la corruption ? Comment interprétez-vous le chapitre 35 du processus de négociations concernant les relations entre votre pays et le Kosovo ? A plus long terme, comment décririez-vous les attentes de la Serbie à l’égard de son entrée au sein de l’UE ?  

S.E.M.R.R. : Je tiens tout d’abord à préciser qu’il ne s’agit pas d’un accord sur les relations « serbo-kosovares », mais d’un accord réalisé sous les auspices de l’UE, avec les représentants des institutions provisoires de Pristina, afin de créer les conditions d’une coexistence pacifique entre les Serbes et les Albanais au Kosovo et Métochie. La perspective européenne a constitué un facteur clé de la réussite du dialogue entre Belgrade et Pristina. Ce succès a montré que la politique d’élargissement continue d’être un fort levier de motivation dans les Balkans occidentaux. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que la République de Serbie ne reconnaît en aucune façon l’indépendance unilatéralement proclamée de sa province méridionale du Kosovo et Métochie. La Serbie a toujours prôné le respect de l’intégrité territoriale et l’inviolabilité des frontières internationalement reconnues de tous les Etats membres de l’ONU.
L’adhésion à l’UE représente la priorité principale de la politique étrangère de la Serbie. A cet égard, il existe un large consensus politique dans notre pays. Il est intéressant de noter que tous les partis politiques au sein du Parlement serbe – ceux  appartenant à la majorité au pouvoir et ceux de l’opposition – sont unanimes sur cette question.
Les négociations d’adhésion ont formellement débuté le 21 janvier 2014 à Bruxelles, lors de la première conférence intergouvernementale sur l’adhésion de la Serbie à l’UE. Notre pays souhaite donner à l’ensemble du processus de négociations autant de dynamique que possible, y compris à l’ouverture (et à la conclusion) du plus grand nombre de chapitres concernés. Or, la dynamique du processus, lui-même, ne dépend pas seulement de la Serbie, mais principalement de l’UE et de ses Etats membres. Nous poursuivrons néanmoins sans relâche le processus dynamique des réformes globales du pays et de la réalisation des objectifs fixés.
Le processus d’analyse d’alignement sur l’acquis de l’UE a commencé en septembre 2013, avec les chapitres 23 et 24. A présent, nous travaillons ensemble, de manière intense, sur une vingtaine d’autres chapitres. Nous accordons une importance toute particulière à la question du chapitre 35 et du suivi de la mise en œuvre de ce qui a été convenu par le dialogue entre Belgrade et Pristina.
La Serbie reste fidèle à son engagement en faveur de la mise en œuvre de ce qui a été convenu à Bruxelles et de la poursuite du dialogue.
D’un point de vue historique, géographique, culturel et économique, la Serbie appartient à l’Europe. Il est désormais nécessaire que cette appartenance devienne également politique et institutionnelle. Je suis convaincu que la Serbie possède suffisamment de capacités administratives pour répondre, dans les quatre ans qui viennent, aux critères d’accession à l’UE. Il est de notre intérêt national de devenir le 29ème pays membre de l’UE, de mener à bien les négociations et de mettre en œuvre toutes les réformes nécessaires de manière efficace.


L.L.D. : Après avoir atteint 2,5% de croissance en 2013, l’économie serbe a été durement affectée par les récentes inondations historiques dans la région des Balkans. Quel a été l’impact économique de cette catastrophe naturelle ? Fort de la conférence des donateurs organisée à l’initiative de la France et de la Slovénie en juillet 2014, comment se manifeste la solidarité européenne à l’égard de la Serbie ? Comment se déroule la reconstruction des zones sinistrées ?

S.E.M.R.R. : Les Balkans ont dû faire face aux pires inondations dans la région depuis plus d’un siècle. Intervenant juste après les inondations catastrophiques qui ont causé de grandes pertes humaines et d’importants dégâts matériels, la visite officielle en France, le 22 mai 2014, du Président serbe Tomislav Nikolic a été fortement marquée par cet événement. A cette occasion, la rencontre entre les deux présidents, M. Hollande et M. Nikolic, a porté en partie sur ce sujet et sur les efforts conjoints susceptibles d’apporter une solution adéquate à la nouvelle situation. La France a fait preuve d’une grande solidarité envers notre pays dans le contexte de ces moments difficiles et nous en sommes très reconnaissants. L’initiative d’une conférence internationale de donateurs pour l’aide à la reconstruction en Serbie et Bosnie-Herzégovine, a été prise lors de cette rencontre à Paris. Cette conférence a, ensuite, été organisée en juillet à Bruxelles par la France, la Slovénie et la Commission européenne. Nous sommes très reconnaissants à l’égard de tous les acteurs qui nous ont aidés dans ces circonstances.
Le montant total des dommages en Serbie a été estimé à 1,532 milliard d’euros. Parmi les secteurs les plus touchés se situent en premier lieu ceux des mines et de l’énergie (494 millions d’euros), suivi de celui des infrastructures (276 millions d’euros). La conférence a réuni une somme totale de 1,846 milliard d’euros, dont 995 millions d’euros en faveur de la Serbie. Elle a reçu une aide non remboursable de l’UE provenant des fonds de l’Instrument d’aide de pré-adhésion (IPA), d’une valeur totale de 80 millions d’euros. Outre leur participation au budget européen, les Etats membres de l’UE ont accordé individuellement leurs dons au titre de l’aide humanitaire (la France a accordé à la Serbie un million d’euros de plus). Il faut souligner aussi que les équipes spéciales de sauvetage de la France étaient parmi les premières arrivées en Serbie pour aider les sinistrés.  
Le processus de reconstruction se poursuit de manière satisfaisante. Outre l’aide financière accordée à la population touchée, les dons ont permis de construire 216 maisons et de reconstruire 23 écoles. Un financement pour la construction de 20 barrages a également été apporté. De plus, la mise en œuvre du programme d’aide à l’agriculture d’un montant de 8 millions d’euros est en cours. Celui-ci est financé par l’UE et mis en œuvre par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

L.L.D. : Investi le 27 avril 2014 à l’issue d’élections législatives anticipées, le Premier Ministre Aleksandar Vucic dispose d’une large majorité pour moderniser l’économie serbe. A l’instar du projet de loi sur la faillite des entreprises ou de la révision du code du travail, à travers quelles initiatives la compétitivité de la Serbie peut-elle, selon vous, être accrue ? Quels sont les secteurs d’activité concernés par le programme de privatisation annoncé en août 2014 ? Dans quels domaines sont déployés les principaux efforts de réduction du déficit budgétaire ?

S.E.M.R.R. : La Serbie sort lentement de la période de crise avec un taux de croissance de 2,5% en 2013, ce qui est le résultat d’un afflux considérable d’investissements étrangers et d’un accroissement de nos exportations (10 milliards d’euros en 2013, soit deux fois plus qu’en 2009).
Pour autant, les faiblesses de notre économie se traduisent par un taux de chômage élevé (environ 20%), un secteur public surdimensionné et une dette estimée à 66% du PIB. Dans ce contexte, les priorités du gouvernement serbe sont assez ambitieuses : l’adhésion à l’UE, la consolidation fiscale, l’achèvement du processus de privatisation, les réformes du système de retraites et du marché du travail, ainsi que la réforme des entreprises publiques.  
La politique de notre gouvernement vise, notamment, à accroître davantage la compétitivité de l’économie et à améliorer l’environnement des affaires. De ce fait, en plus des modifications apportées à la loi sur la faillite des entreprises et au code du travail, des amendements ont été introduits dans la loi sur la privatisation : dans ce domaine, la nouvelle loi prévoit ainsi que l’ensemble du processus de privatisation des 584 entreprises se termine d’ici la fin de 2015. L’Agence pour la privatisation a publié un appel public pour recueillir des lettres sur l’intérêt des investisseurs potentiels pour l’achat de 502 entreprises, sur son site (www.priv.rs). Les secteurs d’activités concernés par le programme de privatisation sont divers : industrie de la transformation, agriculture, génie civil, commerce, information et communication, activités scientifiques et innovantes, logistique (transports et de stockage), énergie, industrie minière, finances, assurance médicale et sociale, fourniture de l’électricité, du gaz et des eaux, services publics.  
Concernant le déficit budgétaire qui s’élève à 2,5 milliards d’euros, le gouvernement a annoncé de nouvelles mesures pour le réduire d’environ 728 millions d’euros en 2015, et d’un milliard d’euros en 2016. En termes de mesures, il est prévu de diminuer les salaires et les retraites dans le secteur public, tout en maintenant l’interdiction de cumul de nouveaux emplois, qui est appliquée depuis le début 2014. Ensuite, les refinancements des prêts actuels, obtenus à des conditions peu favorables et pour lesquels la Serbie s’est endettée, sont censés générer d’importantes économies. Celles-ci sont également attendues dans le secteur des entreprises publiques. En matière de recettes budgétaires, au lieu d’augmenter les impôts, c’est le champ de perception des recettes qui devrait être plus étendu, tout en réduisant l’économie grise. La Commission européenne a d’ailleurs dressé, dans le cadre du rapport annuel sur la Serbie, un bilan positif de ces nouvelles mesures gouvernementales.

L.L.D. : Située au croisement d’importants corridors de transports transeuropéens, la Serbie aspire à s’affirmer comme la plateforme des échanges commerciaux dans la région. A l’instar du projet « Belgrade on Water », quels sont les programmes d’infrastructures susceptibles d’accroître l’attractivité de votre pays ? Comment décririez-vous les enjeux de la construction du gazoduc russe South Stream pour l’économie serbe et son rôle dans la région ? A la lumière de la Conférence sur les Balkans occidentaux organisée à Berlin en août 2014, quel bilan pouvez-vous dresser des progrès accomplis pour consolider les liens de coopération entre les pays de la région ?

S.E.M.R.R. : Construire des infrastructures constitue une priorité pour notre gouvernement, et c’est sur ces projets qu’il travaille efficacement. L’objectif est que la Serbie devienne le carrefour des corridors du transport régional, ainsi que le leader dans de nouveaux projets d’infrastructures. Une grande partie (80%) du Corridor X est déjà construite et son achèvement est prévu pour la fin 2016, tandis qu’il reste à déterminer le modèle de financement pour certaines sections du Corridor XI (autoroute de Belgrade au Monténégro) et en trouver les maîtres d’œuvre. La construction d’infrastructures ferroviaires relève, elle aussi, d’une grande importance, la valeur de ce projet s’élevant à 1,2 milliard d’euros. Au cours des trois prochaines années, il est prévu de revitaliser les 500 km de voies ferrées et de construire 100 km supplémentaires de chemin de fer.
« Belgrade sur l’eau » est certainement le plus important projet du développement de notre capitale et l’un des plus importants projets pour la Serbie dans les dix ans à venir. Le projet changera l’image de Belgrade et redressera considérablement l’économie. En plus du plan « Belgrade sur l’eau », la construction du métro de Belgrade est un projet très important. Il constitue le projet d’infrastructure prioritaire entre la France et la Serbie et le début de sa réalisation est attendu très prochainement.
Compte tenu de l’importance du Danube, l’une des priorités du gouvernement est l’amélioration des infrastructures portuaires et du transport intramodal en général. On estime qu’au cours des 10 prochaines années environ 300 millions d’euros devraient être investis dans les infrastructures portuaires. Le développement de ports ouverts au trafic international représente un grand potentiel. A titre d’exemple, 560 navires de croisière par an entrent actuellement en Serbie, alors que ce nombre dépassera 1 000 navires de croisière dans cinq ans, selon les estimations.
La construction et le renouvellement des infrastructures de transport et d’énergie, et en particulier les projets de grande envergure tels que « Belgrade sur l’eau » et le « South Stream » conduiraient au renforcement de notre secteur de la construction, qui a toujours été l’un des meilleurs dans le monde, et à l’augmentation de sa part dans le PIB, qui est aujourd’hui inférieur à 4%.
Les pays des Balkans occidentaux partagent un patrimoine commun et font face aux défis communs en matière d’intégration européenne. Les progrès de l’ensemble de la région ne peuvent se réaliser que par l’engagement de tous et la coopération commune. La Conférence sur les Balkans occidentaux organisée à Berlin, en août 2014, était une occasion pour affirmer ce fait. De notre côté, l’accent a été mis sur la nécessité d’une plus grande connectivité dans la région à travers des projets d’infrastructures et à travers l’augmentation de la circulation des personnes et des biens dans la région. A cet égard, nous avons proposé des projets tels que la reconstruction du chemin de fer Belgrade-Sarajevo, la construction de l’autoroute Belgrade-Bar (Monténégro), et celle de l’autoroute Niš-Priština. En plus, nous avons présenté à Berlin une initiative pour créer « L’Union de la jeunesse » selon le modèle de l’Office franco-allemand pour la Jeunesse, dont l’objectif principal serait de renforcer davantage la mobilité des jeunes au niveau régional. A cette occasion, nous avons également proposé une plus grande intégration économique de la région (pour faciliter la circulation des biens et des services dans les Balkans).

L.L.D. : A l’image du partenariat stratégique conclu en 2009 avec la Chine, la Serbie conduit une diplomatie active pour resserrer ses liens avec des pays émergents, tels que la Turquie, et, plus récemment, les Emirats Arabes Unis. Comment se traduisent ces nouveaux partenariats en termes de projets concrets au plan économique? Au-delà, quelles avancées votre pays doit-il encore réaliser afin d’adhérer à l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) ?

S.E.M.R.R. : La Serbie tend à renforcer les relations économiques avec ces pays et, dans ce domaine, des résultats concrets existent. S’agissant de la Chine, en plus du partenariat stratégique proclamé, les relations bilatérales sont très bonnes. En témoignent, entre autres, les rencontres politiques au plus haut niveau. La coopération est aussi concrétisée à travers le Mécanisme Chine-CIEZ (16 pays d’Europe centrale et orientale), qui vise à promouvoir la coopération dans le domaine de l’économie et de l’investissement, du tourisme, de la culture, de la science et de l’innovation. Le dernier Sommet Chine-CIEZ a eu lieu à Belgrade en décembre 2014. Les premiers ministres d’Europe centrale et orientale y ont assisté, ainsi que le Premier Ministre chinois.
Les relations bilatérales entre la Serbie et les Emirats arabes unis sont, pour leur part, très intenses et ont abouti à de nombreux partenariats et projets. Ainsi, la signature d’un contrat de partenariat stratégique entre le gouvernement de la Serbie et la compagnie aérienne Etihad des Emirats arabes unis en 2013 a-t-elle fondée une nouvelle compagnie aérienne, Air Serbia, qui un an seulement après son lancement a donné des résultats impressionnants, devenant la principale compagnie aérienne dans la région. De nombreux investissements se trouvent dans une phase de mise en œuvre, en particulier, dans le domaine de l’agriculture et de l’industrie.
Quant à nos relations avec la Turquie, la conclusion de l’accord de libre-échange avec notre pays, mis en œuvre depuis septembre 2010, représente une contribution importante pour l’amélioration de la coopération bilatérale. Les effets positifs du traitement commercial préférentiel convenu par le présent accord sont visibles dès le début de sa mise en œuvre. Grâce à cet accord (en plus de l’accord de libre-échange avec la Russie, le Kazakhstan et l’ensemble de la région dans le cadre de l’accord CEFTA), la Serbie est devenue un pays encore plus attractif pour les investissements étrangers, en particulier pour les pays de l’UE.
Le processus d’adhésion de la Serbie à l’OMC, a débuté le 15 février 2005, et les négociations sont actuellement dans leur phase finale. En termes de négociations multilatérales, il reste à harmoniser la loi serbe relative aux organismes génétiquement modifiés (OGM) avec les réglementations de l’OMC, alors qu’au niveau bilatéral, il est nécessaire de finaliser les négociations avec les Etats-Unis, le Brésil et l’Ukraine.


L.L.D. : Le Premier Ministre serbe Aleksandar Vucic a effectué le 3 juillet 2014 sa première visite officielle en France. Quels ont été les axes définis en vue d’intensifier les relations bilatérales ? Dans quelle mesure la coopération de sécurité et de défense pourrait être appelée à s’amplifier ? Tenant compte des liens d’amitié historiques scellés notamment durant la Grande Guerre dont le centenaire est commémoré en 2014, comment souhaiteriez-vous voir se développer les interactions entre les peuples français et serbe ?


S.E.M.R.R. : Les relations bilatérales entre la Serbie et la France sont de bonne qualité et en progrès permanent. Les liens entre nos deux peuples, qui remontent au Moyen Age, sont anciens. Au cours d’une période plus récente, de nombreux dirigeants et intellectuels serbes du XIXème et XXème siècle étaient formés sous l’influence de la démocratie et de la culture françaises. L’un des plus connus est, sans doute, le Roi Pierre Ier Karadjordjevic (Pierre Ier de Serbie), qui a fait ses études militaires à Saint-Cyr et s’est engagé dans l’armée française lors de la guerre franco-prussienne de 1870-1871.
Comme vous l’avez mentionné, nous commémorons à travers le monde entier en 2014, les anniversaires d’importants événements historiques, qui ont également marqué, d’une manière particulière, l’histoire de nos relations bilatérales. Pendant la Grande guerre, la Serbie a accusé de nombreuses pertes en vies humaines (un tiers de sa population) et a subi de graves destructions. La France, qui a aussi déplorée de graves pertes, a manifesté un fort soutien à la Serbie.
En souvenir de cette période et de cette alliance fondée sur des valeurs communes − la lutte pour la liberté, l’égalité, le respect des droits de l’homme − un monument de la reconnaissance à la France a d’ailleurs été érigé à Belgrade dans les années 1930. Dans le cadre de la commémoration du Centenaire du déclenchement de la Première Guerre mondiale, l’exposition « La Serbie dans la Grande guerre », qui relate l’histoire de l’amitié franco-serbe de l’époque, a été inaugurée en mai 2014 au Centre culturel de Serbie à Paris. Cette exposition, dont l’auteur est Mme Sigolène Franchet d’Espèrey Vujic, serait également présentée à Belgrade en 2016. Actuellement, au Centre culturel de Serbie à Paris l’exposition du Musée de l’histoire de la Serbie « Milunka Savic et les femmes de la Grande guerre », est en cours. Celle-ci est dédiée à cette héroïne serbe qui était une des femmes les plus décorées au monde pour ses services militaires durant la Grande guerre, y compris par la Légion d’honneur et la Croix de guerre française. En 2014, la Serbie et la France ont commémoré ensemble les 90 ans de l’attentat de Marseille. Assassinés dans la cité phocéenne le 9 octobre 1934, le roi Alexandre Ier Karadjordjevic de Yougoslavie et le Ministre des Affaires étrangères de la France Louis Barthou ont été parmi les premières victimes du fascisme en Europe.
Les liens historiques franco-serbes, fondés sur des valeurs européennes, représentent une base fondamentale et un patrimoine commun pour approfondir notre future coopération, surtout dans le domaine des intégrations européennes. Nos deux pays ont signé un Accord de partenariat stratégique en 2011, en réaffirmant ainsi l’engagement à promouvoir les relations bilatérales à long terme à travers des actions concrètes. Aujourd’hui, la France représente un des principaux partenaires de la Serbie dans la préparation de notre administration à l’adhésion à l’Union européenne, ce qui symbolise une continuité de notre coopération et de notre amitié.
La Serbie est également fortement déterminée à poursuivre la coopération avec la France dans les opérations internationales de maintien de la paix. Un bon exemple est la coopération réalisée dans le cadre des opérations maritimes de l’UE en Somalie – opération Atalanta / EUNAVFOR Somalie. La Serbie est un leader régional dans les missions internationales de paix, elle est le plus grand contributeur des Balkans aux efforts de paix de l’ONU et parmi les dix premiers en Europe. Mis à part les activités actuelles, nous envisageons le renforcement de notre participation dans ces missions, surtout en Afrique, et cela contribuera à la coopération bilatérale dans les domaines de défense et de sécurité.
Plusieurs rencontres de haut niveau en 2013 et en 2014 traduisent l’intensité des relations bilatérales entre la Serbie et la France. Après la rencontre des présidents serbe et français Tomislav Nikolic et François Hollande en juillet 2013 dans le cadre de Brdo Procès (la réunion des dirigeants des Balkans occidentaux et de l’Union européenne), le Président Nikolic a effectué une visite officielle à Paris le 22 mai 2014. Les premiers ministres des gouvernements précédents, Ivica Dacic et Jean-Marc Ayrault, se sont rencontrés en avril 2013 à Paris. La visite en France du Premier Ministre de Serbie Aleksandar Vucic, effectuée en juillet 2014, a eu une forte dimension économique. Ce dernier a exprimé son espoir que la France saisirait l’occasion pour renforcer sa présence en Serbie et dans les Balkans occidentaux. Nous attachons une grande importance à la visite du Premier Ministre français Manuel Valls en Serbie en novembre 2014. Il y a encore beaucoup de domaines qui présentent de grands potentiels pour l’approfondissement des relations bilatérales franco-serbes et l’un d’eux est la coopération économique, à laquelle nous accorderons un intérêt particulier dans la période à venir.

L.L.D. : Marquée par une forte dimension économique, la visite officielle du chef du gouvernement serbe a été suivie de celle du Premier Ministre Manuel Valls à Belgrade le 7 novembre 2014. Quelles sont les initiatives de nature à favoriser l’approfondissement des échanges économiques bilatéraux, qui paraissent plutôt modestes par rapport à ceux réalisés par la Serbie avec d’autres pays européens ? Dans quels secteurs d’activités spécifiques de nouvelles synergies pourraient être impulsées en la matière ?

S.E.M.R.R. : Lors de la visite qu’il a effectuée à Belgrade les 6 et 7 novembre 2014, le Premier Ministre français, M. Manuel Valls, était accompagné d’une délégation de représentants d’environ 35 entreprises. Cette visite traduit la volonté de la France d’être davantage présente en Serbie au plan économique. Elle constituera un déclencheur important pour le renforcement de nos relations économiques.
Près de 90 d’entreprises françaises sont actives aujourd’hui en Serbie, employant quelque 11 000 salariés (surtout dans le secteur industriel comme, par exemple, les groupes Michelin, Lafarge, Bongrain, Lactalis, Soufflet, mais aussi dans le secteur des services avec les banques Société Générale, Crédit Agricole et BNP Paribas).
Rapportée à la taille de l’économie de l’Hexagone, la présence des entreprises françaises en Serbie est, toutefois, assez modeste, ce qui reflète un manque d’intérêt plus global pour la région (exception faite de la Roumanie). Avec un stock de 890 millions d’euros d’investissements directs (depuis 2000), la France est le 10ème pays investisseur en Serbie, bien loin derrière l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie.
Pour autant, de nombreux projets entamés et les nouveaux investissements annoncés témoignent d’une tendance différente. Il semble donc que de plus en plus d’entreprises françaises s’intéressent à la Serbie, surtout depuis le début de l’année 2014 et le lancement des négociations d’adhésion à l’UE.
De plus, les échanges commerciaux entre la Serbie et la France sont aussi en augmentation constante. En 2013, ils s’élevaient à 928 millions de dollars, ce qui présente une hausse de 16,5% par rapport à 2012. Suivant cette dynamique, les trois premiers mois de 2014 ont été marqués par une hausse de 12% de nos échanges par rapport à la même période en 2013.
Il existe d’ailleurs de nombreuses opportunités d’affaires pour le renforcement de la coopération économique bilatérale. Tout d’abord, le marché serbe dispose d’atouts majeurs :
– une position géographique favorable située à seulement 2 h30 de vol de Paris ;
– des accords de libre-échange non seulement avec l’UE, mais aussi avec d’autres pays de la région à travers l’Accord de libre-échange centre-européen (ALECE), avec la Russie, la Turquie et le Kazakhstan, ce qui fait de la Serbie une plateforme idéale d’exportation ;
– une main d’œuvre qualifiée et associée à un régime fiscal très attractif (15% d’impôt sur les bénéfices).
Les secteurs les plus prometteurs pour l’approfondissement de la coopération économique entre la France et la Serbie sont ceux des infrastructures, de l’énergie, de la protection de l’environnement, de l’agriculture, de l’industrie agro-alimentaire, de l’industrie automobile et des technologies de l’information et de la communication (TIC) et, plus généralement, tous les secteurs propices aux investissements conjoints, aux transferts de technologie, à la coopération de production sur le long terme ainsi qu’aux opportunités de percée commune sur des marchés tiers.      

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