La locomotive de l’Amérique centrale
Alors qu’il assumera la présidence du Système d’intégration centraméricain (SICA) au 1er semestre de 2015, le Guatemala joue la carte régionale pour se développer. Première économie de la région avec un PIB de 54,4 milliards de dollars en 2013, le pays multiplie les projets d’infrastructures d’envergure régionale avec pour objectif de devenir une plate-forme logistique et un important exportateur d’électricité. A moins d’un an des prochaines élections présidentielles, S.E.M. Marco Tulio Chicas Sosa, Ambassadeur du Guatemala en France, dresse pour nous le bilan de l’action gouvernementale dans les domaines socio-économique et de politique étrangère, et met en exergue les perspectives du développement de son pays.
La Lettre Diplomatique : Monsieur l’Ambassadeur, Otto Pérez Molina, élu Président du Guatemala le 14 janvier 2012, achèvera son mandat dans un an. Pourriez-vous dresser un bilan de l’action de celui qui a été surnommé le Général de la paix ? Quel regard portez-vous sur l’évolution de votre pays depuis la signature des accords qui ont scellé la fin de la guerre civile en 1996 ?
S.E.M. Marco Tulio Chicas Sosa : Le Guatemala compte la plus grande population et l’économie la plus importante d’Amérique centrale. Les estimations de la croissance économique pour 2014 s’élèvent à 3,9%, alors que la moyenne pour l’Amérique latine et les Caraïbes est de 1,5%. La ville de Guatemala est la ville la plus peuplée entre Mexico et Bogota. Le Revenu national brut par habitant (RNB) ne s’élevait qu’à 1 490 dollars en 1996, année de la signature des Accords de paix mettant fin à un conflit armé interne qui a eu lieu dans le contexte de la Guerre froide. Depuis lors et jusqu’à nos jours, le pays a connu une croissance régulière de 7,3% en moyenne par an. Comme l’indiquent les données de la Banque Mondiale, le Guatemala a opéré une réduction drastique de ses dépenses de défense depuis 2004, au point qu’aujourd’hui, la défense est l’un des budgets les plus faibles dans le monde par rapport au PIB (entre 0,4 et 0,5%). En outre, ces chiffres sont les plus bas parmi tous les pays d’Amérique latine qui disposent de forces armées. Cet indicateur montre que des conflits de forte intensité ne sont pas envisageables. Dans le même temps, cela permet de concentrer les dépenses publiques sur d’autres domaines plus prioritaires tels que l’éducation. Le pays considère la paix comme élément essentiel pour le développement social. Pour cette raison, le gouvernement, dirigé par le Président Otto Perez Molina, a refusé d’augmenter les dépenses en matière de défense, ce qui est utilisé comme stratégie pour lutter contre le crime organisé. Les ressources issues du choix de ne pas augmenter ce budget ont été investies dans le domaine social, notamment pour créer le Ministère du Développement social et pour établir des programmes en vue d’aider les groupes les plus vulnérables de la population. De même, le gouvernement du Guatemala a été à l’initiative d’un large éventail d’efforts déployés aux niveaux national et international, qui incluent l’organisation, au Guatemala, de deux assemblées générales de l’Organisation des États américains (OEA) en 2013 et 2014, la première ordinaire et la deuxième extraordinaire. Ces rencontres ont abouti à l’adoption d’une position de consensus continental pour aborder la problématique de la drogue à travers, entre autres, une perspective de santé afin d’évaluer, mettre à jour et adapter les stratégies existantes et les normes internationales dans ce domaine. En outre, le Président Pérez Molina encourage une étroite coordination des efforts avec les pays amis dans le démantèlement des grandes organisations criminelles. En tant que membre de la communauté internationale, le Guatemala a assumé ses responsabilités pour promouvoir la paix à travers le système des Nations Unies, au travers de diverses missions, parmi lesquelles se trouvent les contingents envoyés en Haïti et en République démocratique du Congo. De même, le Guatemala a participé pour la première fois au Conseil de sécurité de l’ONU en qualité de membre non permanent pour la période 2012-2013.
L.L.D. : Comptant encore 52 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté selon le PNUD, le Guatemala demeure confronté à des déséquilibres économiques et sociaux. Quelles sont les mesures les plus significatives mises en place pour réduire les inégalités ? Comment les autorités guatémaltèques entendent répondre aux fortes attentes de la population en matière de santé et d’emploi ?
S.E.M.M.T.C.S. : Il existe trois principaux axes dans l’actuel gouvernement qui comprend le Programme fiscal et de compétitivité, le Programme faim zéro et le Programme de sécurité, de la justice et de la paix. Dans tous ces plans, des résultats significatifs ont été obtenus. En ce qui concerne la composante sociale, il est important de mettre en relief les progrès réalisés par le pays dans les régions les plus pauvres et les plus vulnérables du pays, comme l’indique l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI). Quant au domaine social, il est important de souligner la création du Ministère du Développement social en 2012. Cela a permis d’institutionnaliser des programmes d’aide sociale ainsi que l’allocation budgétaire pour son fonctionnement à partir de 2013. Dans le but d’améliorer la situation des personnes vivant dans les zones rurales, le gouvernement actuel a pris la décision d’augmenter de 80,1 % les fonds alloués au Ministère de l’Agriculture par rapport à 2011 et 2012. De nos jours, le Ministère de l’Éducation du Guatemala est le plus grand employeur en Amérique centrale, aussi bien dans le secteur privé que dans la fonction publique, avec près d’un quart de million de salariés. Le secteur le plus important dans les budgets du gouvernement du Guatemala est évidemment l’éducation, qui varie entre 17 et 18 % du budget global des dépenses de la nation. Des progrès considérables ont été réalisés : le taux de la population inscrite pour la première fois à l’école a augmenté tandis que celui de la l’analphabétisme a diminué. En 2013, le pays a reçu plus de 5 milliards de dollars issus des transferts de fonds, qui sont principalement destinés aux régions où le taux de pauvreté est le plus élevé, y générant une dynamique de croissance économique.
L.L.D. : Affichant un taux de croissance de 3,7 % en 2013, l’économie guatémaltèque s’appuie sur une industrie agroalimentaire dynamique, faisant de votre pays le premier producteur de sucre de la région. Quelles mesures préconisez-vous pour moderniser le secteur primaire ? Outre l’industrie minière et l’énergie hydroélectrique, quels sont les autres secteurs d’avenir de votre pays ? Comment caractériseriez-vous la stratégie de diversification économique ?
S.E.M.M.T.C.S. : Le Guatemala possède une croissance économique stable, une discipline macroéconomique qui comprend une dette faible (26 % du PIB), en plus d’une stabilité du taux de change, d’une augmentation constante de ses réserves internationales et d’un système financier sain. Le 18 octobre 2014, l’OCDE, à travers sa Division des crédits à l’exportation, a reconnu les progrès opérés sur divers indicateurs du Guatemala et a amélioré la notation de risque-pays, le plaçant au même niveau que la Colombie et d’autres pays émergents. En comparant les rapports « Doing Business » de la Banque Mondiale pour les années 2006 à 2014, une amélioration est constatée grâce aux progrès accomplis. Cela explique que le pays ait gagné 30 places en termes de facilité pour les affaires, par rapport à d’autres pays au cours de ces 8 dernières années. Pendant la même période, les investissements directs étrangers (IDE) à destination du Guatemala ont doublé. Le Guatemala est une économie ouverte, s’opposant aux barrières tarifaires et non tarifaires, comme en témoignent les positions promues au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Le Marché commun de l’Amérique centrale, qui comprend le Guatemala, El Salvador, le Honduras, le Nicaragua et le Costa Rica est l’une des expériences d’intégration économique la plus ancienne et la plus réussie dans le monde, au point que les entrepreneurs de la région considèrent le marché de l’Amérique centrale comme leur marché interne, bien au-delà des frontières de leurs pays respectifs. Le Panama fait de plus en plus d’efforts pour consolider sa position au sein du Marché commun centraméricain et de la région. En tant que bloc, la région dispose d’un instrument de libre-échange avec la République dominicaine, en plus de la dynamique créée par l’Accord de libre-échange entre l’Amérique centrale, la République dominicaine et les États-Unis d’Amérique, connue sous l’acronyme DR-CAFTA. Il existe également un Accord d’association entre l’Amérique centrale et l’Union européenne (UE), qui inclut une zone de libre-échange, et dont le volet commercial est entré en vigueur à la fin de 2013. Des grandes attentes sont soulevées par cet instrument pour rendre possible une augmentation substantielle du commerce et des investissements entre le Guatemala et la France. Le Guatemala a également conclu des accords de libre-échange avec le Mexique, la Colombie, le Pérou, le Chili, Trinité-et-Tobago, et Taiwan, ainsi que des accords de portée partielle avec l’Équateur, le Venezuela, Cuba et Belize.
L.L.D. : Après avoir entériné la prolongation du gazoduc transfrontalier avec le Mexique, le Guatemala a annoncé plusieurs projets d’infrastructures, comme la construction d’autoroutes et la modernisation du port de Quetzal, pour un montant de 8,4 milliards de dollars. Quels autres projets sont de nature à favoriser le développement économique du pays ? Estimez-vous que l’installation de « maquilas » à la frontière mexicaine est une stratégie viable pour l’essor d’une industrie guatémaltèque plus performante ?
S.E.M.M.T.C.S. : La loi de partenariats pour le développement de l’infrastructure de 2011 a permis la mise en place d’une législation pour le développement de grands projets qui nécessitent la mise en place de partenariats public-privé. Après le développement institutionnel nécessaire pour mettre en œuvre une telle législation les deux premiers appels d’offres auront lieu fin 2014. Le premier est le développement d’un port sec dans le principal point de passage commercial entre le Guatemala et le Mexique. Concernant le deuxième, il s’agit de la construction d’un Centre administratif de l’État dans la ville de Guatemala. Les deux projets ont un investissement total estimé à 200 millions de dollars. En 2015, un appel d’offres est également envisagé pour la construction d’une ligne ferroviaire destinée au transport de marchandises sur une zone parallèle à l’océan Pacifique, s’étirant de la frontière avec le Mexique jusqu’au centre du pays, pour un investissement s’élevant à environ 240 millions de dollars. A cela s’ajoute aussi un projet mixte composé d’une autoroute, le long des lignes d’un train de banlieue qui traverse la ville de Guatemala sur un axe Nord-Est-Sud-Ouest, pour un investissement de 480 millions de dollars. En 2016, un appel d’offre pour la construction d’un gazoduc de gaz naturel entre le Mexique et le Guatemala est envisagé, ainsi qu’une usine de production d’électricité de 400 mégawatts, pour un investissement total estimé à 750 millions de dollars. Il est important de souligner l’importance de ce projet puisqu’il permettra d’accéder à des stades plus avancés d’industrialisation grâce à des coûts d’électricité plus compétitifs. Enfin, un appel d’offre doit également être lancé en 2016 pour la création d’une station de traitement de déchets solides dans la ville de Guatemala (55 millions de dollars), ainsi que pour la construction d’un système d’irrigation des réservoirs (100 millions de dollars). Les bonnes relations politiques et diplomatiques entre les présidents du Guatemala et du Mexique ont comme résultat de bonnes synergies au-delà de la coopération traditionnelle. De plus, d’importants flux commerciaux et d’investissements entre les deux pays sont enregistrés. Le Guatemala constitue le pont reliant le Mexique et l’Amérique centrale.
L.L.D. : Le Guatemala a accueilli le 4ème Forum d’affaires latino-américain sur le thème « Etat et entreprises, unis pour le développement », le 10 septembre 2014. De quelle manière les conclusions du forum pourraient-elles, selon vous, contribuer à améliorer l’environnement des affaires ? A l’instar de la création du « Privy Council on Competitiveness », quelle portée peuvent avoir, selon vous, ces initiatives publiques-privées visant à libéraliser l’économie ? Quelles sont les autres initiatives prévues pour résorber le déficit commercial et favoriser les investissements étrangers ?
S.E.M.M.T.C.S. : L’économie du Guatemala est une économie ouverte et libéralisée, résultant des efforts qui ont été menés depuis la fin des années 1980 jusqu’à nos jours. Aujourd’hui, il n’y a pas de restrictions pour l’investisseur au moment de rapatrier ses capitaux et, conformément au droit interne, il bénéficie du même traitement que l’investisseur national. Entre 2006 et 2013, les estimations indiquent que les IDE ont doublé. Les réinvestissements de ceux déjà présents dans le pays et l’investissement intérieur à travers les envois de fonds sont également importants, puisqu’environ 20 % de ces derniers sont destinés à l’épargne et l’investissement. Enfin, en 2012, une législation permettant le développement de projets de partenariats public-privé a commencé à être appliquée. Le Forum mondial des affaires (World Business Forum) en Amérique latine a été un énorme succès. Il a permis la rencontre entre d’importants acteurs du domaine des affaires qui ont des intérêts en Amérique latine et dans les Caraïbes. Les chiffres économiques du Guatemala sont positifs d’un point de vue macroéconomique. Ainsi que je vous le mentionnais, le pays gagne régulièrement des positions dans les évaluations du rapport « Doing Business » de la Banque Mondiale. L’environnement des affaires se porte de mieux en mieux, le niveau de la consommation dans le pays augmente chaque année, les échanges commerciaux facilités avec le Mexique et l’Amérique centrale créent un dynamisme et des synergies jamais vus auparavant. Il est aussi important de souligner le bon niveau d’avancement des travaux en vue de moderniser et de construire les routes sur la côte pacifique et la partie nord du pays, ce qui améliore la communication avec le Mexique et le reste de l’Amérique centrale. Cela permet en même temps de réaffirmer la position du pays comme pont méso-américain reliant l’isthme centraméricain au Mexique. De ce fait, le Guatemala est en train de devenir un espace de logistique et de production avec un accès immédiat à plus de 70 millions de personnes, si on compte la population des États mexicains à proximité géographique avec le Guatemala, et celle de l’Amérique centrale. En outre, les instruments de libre-échange que le Guatemala a souscrit, et qui lui donnent accès aux zones de libre-échange avec de nombreux acteurs clés dont l’UE et les Etats-Unis, lui permettent de consolider sa présence sur des marchés de niche spécialisés, en particulier dans les domaines où le pays dispose d’avantages compétitifs.
L.L.D. : Membre fondateur du Système d’intégration centraméricain (SICA), votre pays en assumera la présidence au 1er semestre 2015. Alors que l’intégration régionale est une des priorités de la politique étrangère guatémaltèque, quels sont les grands axes de travail que le Président Otto Perez Molina souhaite promouvoir ? Plus largement, et tenant compte de la multiplication des alliances et des zones de libre-échange dans la région, comment percevez-vous l’enjeu de l’intégration politique en Amérique centrale ?
S.E.M.M.T.C.S. : Le Système d’intégration d’Amérique centrale (SICA) est le processus régional le plus ancien du continent américain et le mieux intégré dans la région, d’un point de vue néo-fonctionnaliste. Dans la pratique, l’Amérique latine et les Caraïbes ont développé des zones de libre-échange, d’unions tarifaires ou douanières qui sont imparfaites. Dans le cas du Marché commun centraméricain, il reste à améliorer l’union douanière. Au cours de la dernière crise financière entre 2008 et 2010, le Guatemala a réussi à maintenir un taux de croissance économique positif. Cela est dû à la consommation interne du marché de l’Amérique centrale, ce qui montre que la région est un partenaire stratégique pour le pays. Le protocole du Guatemala au Traité général d’intégration économique de l’Amérique centrale prévoit que les pays membres du sous-système d’intégration économique fassent des progrès à des rythmes différents. À titre d’exemple hypothétique à cet égard, le Guatemala pourrait travailler bilatéralement avec le Honduras pour améliorer l’union douanière, sans que cela porte atteinte à l’institution régionale. La pertinence de la combinaison de scénarii bilatéraux avec l’agenda d’intégration centraméricain est, sans aucun doute, une stratégie à envisager sérieusement pour continuer à avancer dans le processus d’intégration. Le marché centraméricain est déjà considéré comme faisant partie du marché intérieur des pays de la région. Les dynamiques à l’œuvre depuis plus de 50 ans de commerce et d’investissement ont conduit à des niveaux significatifs d’interdépendance entre les pays. Le cas le plus évident est celui du Guatemala et d’El Salvador, dont la proximité géographique et le flux des interactions les rendent les mieux intégrés de la région. Il est également important de mettre en valeur l’intégration du marché de l’électricité en Amérique centrale qui dispose d’une entité régulatrice et opérationnelle. Ce marché assure l’approvisionnement régional en énergie, ce qui a servi à promouvoir les investissements du secteur privé, notamment avec la construction de multiples centrales hydroélectriques dans tout le pays. Le Guatemala est en voie de devenir un exportateur net d’électricité, ce qui assure également ses perspectives de croissance économique. Les présidents d’Amérique centrale se rencontrent régulièrement dans le but d’aborder les questions d’intérêt commun et de guider le processus d’intégration régionale. Aujourd’hui, le processus de prise de décision est en cours, afin d’améliorer la structure institutionnelle d’intégration de l’Amérique centrale en vue de faciliter la coordination entre plus d’une centaine d’institutions. La menace commune du crime organisé rend nécessaire la prise de décisions politiques qui permettent d’apporter une réponse coordonnée aux défis présentés. Des expériences d’une police binationale ont été menées entre le Guatemala et El Salvador, en plus des coordinations rattachées à la Conférence régionale des forces armées centraméricaines (CFAC). L’intégration politique demeure un rêve depuis de nombreuses années et sa réalisation ne doit pas être écartée. Cependant, il est clair que le processus d’intégration doit encore continuer à mûrir. De plus, les conjonctures politiques, économiques et sociales doivent rendre viable la réalisation de ce processus. Pour le moment, dans le domaine politique, des actions sont menées dans le cadre de la coopération intergouvernementale.
L.L.D. : Lors de l’Assemblée générale de l’Organisation des Etats américains (OEA) à Antigua en juin 2013, le Président Otto Perez Molina a appelé à « innover et trouver une posture toujours plus progressiste » pour lutter contre le trafic de stupéfiants. Dans quelle mesure la nouvelle approche plus globale, décidée alors, pourrait-elle contribuer à endiguer le narcotrafic ? Quelles sont les mesures mises en œuvre par votre pays à cet égard ? Au-delà, comment votre pays entend-t-il endiguer la violence et la corruption ?
S.E.M.M.T.C.S. : Les instruments juridiques internationaux relatifs au traitement de la production, du trafic et de consommation de stupéfiants et de substances psychotropes ont plus de 50 ans d’existence et leur application n’a pas été suffisante pour résoudre le problème de la drogue. En revanche, on a vu avec une grande préoccupation que l’approche d’une question aussi délicate favorise le point de vue prohibitionniste, et dans certains cas, a exacerbé la violence, en particulier sur les routes de transit. Aujourd’hui dans le monde, nul ne peut prétendre avoir réussi à gagner la guerre contre la drogue. Dans certains cas, nous avons assisté à la perte tragique de milliers de vies à travers la guerre contre les cartels du crime organisé. Malgré les investissements de plusieurs milliards de dollars consentis, la fin de la production, du trafic et de la consommation de drogues n’est pas encore entrevue. C’est pour cela que, depuis 2012, le gouvernement du Président Pérez Molina s’est efforcé de promouvoir, au niveau international, la discussion des résultats des conventions actuelles et à envisager la recherche de mécanismes plus efficaces pour traiter cette problématique aussi complexe. L’Assemblée générale de l’OEA, tenue dans la ville d’Antigua Guatemala en juin 2013, a été l’occasion de discuter et d’évaluer, au niveau continental, l’état actuel du problème de la drogue, sans que la remise en question de l’efficacité des stratégies actuelles ne soit un tabou. Suite à cette réunion, il a été convenu de tenir une autre session extraordinaire de l’Assemblée générale de l’OEA, à Nueva Guatemala de l’Asunción (nom officiel de la ville de Guatemala), afin de continuer à approfondir les débats. Elle a eu lieu le 19 septembre 2014. Lors de cette dernière réunion, une résolution portant sur le consensus minimum a été adoptée afin de renforcer la position du continent dans les discussions qui auront lieu lors des sessions extraordinaires de l’Organisation des Nations unies (ONU), qui se tiendront en 2016. Ce consensus minimum aborde le sujet du point de vue des droits de l’homme et fait référence, en particulier, au fait d’être conscient qu’il s’agit d’un problème de santé et que, aujourd’hui, il existe de nouvelles réalités par rapport à celles qui existaient il y a 50 ans. À partir de ce consensus, de nouveaux instruments et stratégies pourront être adoptés. Ceux-là permettront de répondre au problème d’un point de vue holistique, qui ne privilégie pas seulement la répression comme moyen d’y faire face. Nous ne pouvons pas parler sérieusement de mettre fin au problème de la drogue sans aborder le problème du financement du crime organisé, à travers le blanchiment d’argent. Plus d’engagements et d’actions seront nécessaires de la part du système financier international, si des progrès veulent vraiment être atteints dans la lutte contre le trafic de drogue, ainsi que des mécanismes plus efficaces pour la confiscation des biens et des avoirs du crime organisé. Bien que la consommation de toute drogue n’est pas bon pour la santé, la vérité est que la société moderne est tolérante à la consommation de certains produits néfastes, et sont réglementés par l’Etat, pour éviter de générer un marché noir, qui à son tour provoque de la violence, de la corruption et de l’ingouvernabilité dans certains cas. En outre, la réglementation de certains produits peut les intégrer dans le système formel de l’économie et, bien sûr, ajuster les quantités et la manière dont ils seront vendus, afin de réduire les dommages causés à la santé, comme dans le cas du tabac et de l’alcool. Dans les cas comme celui du cannabis, il devrait être envisagé la création d’un dialogue sur les expériences des différents états de l’Union américaine et des pays comme l’Uruguay, où la réglementation du produit a été considérée. Le Guatemala a soutenu, devant divers acteurs internationaux, qu’aucune mesure unilatérale ne sera prise, car essayer de résoudre un problème mondial par des mesures nationales, de portée limitée et avec de ressources limitées. Le Guatemala est un pays respectueux des engagements juridiques acquis et le restera. De cette manière, il réaffirme son attachement aux conventions internationales en vigueur en matière de drogues, tout en favorisant et développant des mécanismes de coordination et de coopération étroite dans la lutte contre la drogue, avec divers partenaires tels que les Etats-Unis, le Mexique et les pays d’Amérique centrale, entre autres. Cela n’est, ni ne sera un obstacle à maintenir une position ferme sur la légitimité de continuer à promouvoir le dialogue dans la recherche de solutions globales adaptées aux nouvelles réalités.
L.L.D. : Les Etats-Unis restent un partenaire économique et politique de premier plan pour le Guatemala. Comment qualifieriez-vous leurs convergences de vue, notamment en matière de lutte contre l’immigration clandestine ? A l’aune de l’accord d’association bi-régional signé avec l’Union européenne en 2012, dont le volet commercial est entré en vigueur le 1er décembre 2013, dans quels domaines la coopération entre l’UE et le Guatemala est-elle appelée à se renforcer ?
S.E.M.M.T.C.S. : Le Guatemala conserve d’excellentes relations avec les Etats-Unis dans les domaines de la politique, de l’économie et de la coopération, étant chaque fois plus complexes et impliquant une série de thèmes et d’acteurs très différents. Il existe des thèmes de l’agenda extérieur bilatéral qui, par leur importance, deviennent des sujets de l’agenda interne de chaque pays. Tel est le cas de la migration. Selon les estimations, il y a entre 7 000 et 2 millions de Guatémaltèques aux Etats-Unis d’Amérique, la majorité étant en situation irrégulière, ce qui rend le thème de la migration prioritaire dans l’agenda bilatéral. Sa complexité fait qu’il est abordé par différentes perspectives et auprès de différents interlocuteurs. Nous sommes dans l’expectative d’une réforme de la migration dans l’Union américaine qui contribuerait à régulariser un grand nombre de Guatémaltèques ainsi que de citoyens d’autres nationalités et à réduire le nombre annuel de déportations. De même, il existe une grande préoccupation des mineurs non accompagnés qui décident de migrer vers les Etats-Unis et, plus particulièrement, vis-à-vis de tous les dangers qu’ils affrontent pendant leur traversée. C’est pourquoi des efforts coordonnés se créent avec les gouvernements d’El Salvador, du Honduras, du Mexique et des Etats-Unis afin de faire échouer les bandes de trafic illicite. Il s’agit de personnes, une fois qu’ils promeuvent les campagnes de prise de conscience sur les sérieux problèmes qu’ils rencontreront lors de leur traversée. Un autre élément prioritaire doit être pris en considération dans le phénomène migratoire vers les Etats-Unis : la réunification familiale pour des motifs humanitaires. En ce sens, le Guatemala se félicite des récentes mesures adoptées par l’administration Obama, qui visent à régulariser plusieurs millions de sans-papiers, dont un pourcentage important concerne des citoyens guatémaltèques. Le Guatemala est un pays qui favorise la diversification des relations internationales avec le plus grand nombre de partenaires. Dans ce contexte, il valorise ses relations avec l’Union européenne, avec qui il a toujours entretenu des liens étroits, comme cela a été le cas tout au long du XIXème siècle et une bonne partie du XXème, d’un point de vue commercial. L’Europe a également joué un rôle important dans la promotion du processus de paix dans le pays, dans les années 1980 et 1990, se présentant comme un troisième acteur autre que les superpuissances de la Guerre froide. Elle a favorisé d’autres moyens de trouver des solutions aux conflits que vivait l’Amérique centrale à cette époque. Dans ce contexte, les relations entretenues avec la France sont anciennes. Déjà en 1825, les relations diplomatiques avaient été établies à travers les Provinces-Unies d’Amérique centrale. Dans ce contexte, des accords ont été signés au cours du XIXème siècle. Il est également intéressant de mettre en exergue les nombreux intellectuels guatémaltèques qui ont été formés et inspirés en France. Les relations bilatérales ont connu différents degrés d’intensité. Aujourd’hui, elles passent par un excellent moment, notamment en ce qui concerne les valeurs et visions partagées, telle que l’a montré la bonne coordination entre les deux pays au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, en 2012 et 2013. De même, la diplomatie économique que favorise le Ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, est un autre élément partagé. Elle offre de multiples possibilités, en particulier à travers l’Accord d’association entre l’Amérique centrale et l’Union européenne, compte tenu du flux important des échanges commerciaux et de l’investissement qui peut être atteint grâce à ce dernier. À l’échange de visites au niveau ministériel en 2013, il faut aussi ajouter la réalisation du premier mécanisme de consultations politiques, tenu en avril 2014. Aussi la visite de M. Laurent Fabius à son homologue guatémaltèque, M. Carlos Raúl Morales est-elle prévue en 2015, pendant la présidence du Guatemala du Système d’intégration d’Amérique centrale (SICA). Ensemble, ils pourront aborder les questions relatives à l’agenda bilatéral, en plus de rencontrer les autres Ministres des Affaires étrangères d’Amérique centrale visant à aborder les questions liées à l’environnement, dans la perspective de la COP 21 qui aura lieu en décembre 2015 à Paris. De plus, ils pourront échanger sur le commerce et l’investissement entre la France et l’Amérique centrale, à travers la mise en œuvre de l’Accord d’association, ainsi que sur les aspects liés à la promotion des valeurs et des principes communs au sein de divers forums internationaux. Un domaine de la coopération qu’il faut concrétiser, se concentre sur les programmes de bourses d’études. En ce sens, des efforts sont réalisés pour rendre possible la mise en œuvre de mécanismes qui permettront, dans un avenir proche, la souscription d’accords pour que des étudiant guatémaltèques puissent réaliser leurs études supérieures, au niveau du master, en France, à travers le financement des fondations guatémaltèques.
L.L.D. : Pour la première fois, le Guatemala a assumé un mandat de membre non permanent en 2012-2013 au sein du Conseil de sécurité de l’ONU. De quelle façon cette participation contribue-t-elle au rayonnement de votre pays ? Comment caractériseriez-vous la politique multilatérale du Guatemala ?
S.E.M.M.T.C.S. : Bien que le Guatemala soit l’un des pays fondateurs de l’ONU, il n’avait jamais participé en tant que membre non-permanent du Conseil de sécurité. La décision de participer à cet organe répond à sa responsabilité de membre de la communauté internationale, et compte tenu des positions prises au fil des années en faveur de la paix et de la démocratie. Comme je l’ai déjà précisé, le Guatemala a longtemps été engagé dans différentes opérations de maintien de la paix de l’ONU, parmi lesquels se trouve sa participation aux opérations en Haïti et en République démocratique du Congo, en plus de l’accueil du centre régional de formation aux opérations de maintien de la paix de l’ONU. La mort au combat de huit soldats guatémaltèques membres de la mission de paix de l’ONU (MONUC) face aux rebelles de la Lord’s Resistance Army (LRA) en 2006, a été un moment critique de la participation à ces opérations. Cependant, les pressions politiques internes de l’époque ont fait que le pays a continué d’aller de l’avant avec son engagement aux missions de maintien de la paix des Nations Unies, comme il le fait encore à ce jour, convaincu qu’il est parfois nécessaire de faire des sacrifices pour les objectifs et les causes qui relèvent de la Charte des Nations Unies. L’expérience au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies a été évaluée positivement par tout le monde, ce qui prouve, une fois de plus, la légitimité du « soft power », mais aussi que des pays relativement petits peuvent contribuer au système et être respecté par les acteurs clés internationaux, même dans les cas où il n’y a pas de convergence de critères. Cela se justifie du moment où il existe une préparation suffisante et des positions raisonnables et cohérentes en accord avec les principes qui inspirent le droit international. En termes pratiques, le passage par le Conseil de sécurité a permis de renforcer les équipes de travail du Ministère des Affaires étrangères et de la Mission permanente auprès de l’ONU, ainsi que d’acquérir de nouvelles capacités dans la proposition systématique de positions, en réponse aux intérêts nationaux légitimes.
L.L.D. : Dans le sillage de la création du conseil économique France-Guatemala, le Ministre guatémaltèque de l’Economie et des Finances, M. Sergio de la Torre, a effectué une visite à Paris le 8 septembre 2013. Quelles sont les avancées les plus emblématiques de la coopération bilatérale ? A l’instar du vaste plan de transport urbain développé pour la capitale guatémaltèque, quels autres projets d’envergure pourraient générer des opportunités pour les entreprises françaises ? Plus largement, comment souhaiteriez-vous voir évoluer les relations culturelles entre les deux pays ?
S.E.M.M.T.C.S. : La visite officielle effectuée à Paris, en septembre 2013, par le Ministre de l’Economie du Guatemala en charge du commerce extérieur, Sergio de la Torre, montre l’intérêt du pays pour développer des liens économiques plus étroits avec la France. À cette occasion, il a été convenu qu’une visite des autorités françaises du même niveau aurait lieu au Guatemala, afin de promouvoir le commerce et l’investissement avec les pays d’Amérique centrale, à une date à définir par la France. Témoignant du résultat concret de la coopération économique entre le Guatemala et la France, le Ministère français du Commerce extérieur a apporté un soutien technique à l’Agence guatémaltèque de promotion des partenariats public-privé (ANADIE), récemment établis dans le pays en vue de renforcer la capacité dans la préparation de propositions et d’appels d’offres. Au cours de l’année 2015, d’importants processus d’appel d’offres auront lieu pour des grands projets qui seront menés à l’échelle nationale. L’énergie, l’exploration pétrolière, ainsi que la construction de routes et de chemins de fer sont, en principe, des domaines à fort potentiel pour l’investissement français au Guatemala. Ainsi, il pourrait être intéressant pour les entreprises de l’Hexagone d’explorer les possibilités de participer aux processus d’appel d’offres. Dans le domaine de l’énergie, il existe un éventail de possibilités qui ne sont pas limitées à la participation de l’État. Compte tenu de l’ouverture du marché de la production d’électricité, cela permet de nombreuses autres possibilités pour se lancer dans ce domaine. Il est également important de garder à l’esprit que les petites et moyennes entreprises françaises et guatémaltèques constituent des acteurs potentiels qui pourraient bénéficier du rapprochement politique entre les deux pays, ainsi que de l’existence d’un cadre juridique nécessaire pour leur implantation. Cela peut s’opérer soit par le biais des exportations, soit à travers la mise en place d’unités de production en dehors de leur pays d’origine, tant en France qu’au Guatemala, compte tenu que ce dernier a un accès immédiat à 70 millions de personnes, installée du sud-sud-est du Mexique jusqu’au sud de l’Amérique centrale. La relation entre les deux pays couvre différents domaines. L’attirance entre les deux cultures est de plus en plus perceptible. Les visiteurs français au Guatemala sont en voie de devenir le principal contingent de touristes européens dans le pays. Ils souhaitent principalement apprendre davantage de la civilisation maya et découvrir la nature du pays. De toute évidence, c’est le volet culturel qui apparaît comme élément déclencheur dans la découverte mutuelle. De nombreux intellectuels guatémaltèques sont passés par la France, parmi lesquels Miguel Angel Asturias, prix nobel de littérature, et Rigoberta Menchú, prix nobel de la paix, qui avaient des liens très affectifs avec la France. En 2011, des milliers de visiteurs ont été reçus au Musée du Quai Branly pour voir l’exposition « De l’aube au crépuscule, collections mayas du Guatemala ». Aujourd’hui, il existe des initiatives afin de montrer d’autres facettes de la culture guatémaltèque, en particulier les nouveaux courants et générations d’artistes contemporains, telle que l’exposition du sculpteur guatémaltèque « Pepo » Toledo à la Maison de l’Amérique latine à Paris, fin 2013. Enfin, des actions sont en cours en ce moment dans la perspective de la signature des accords de coopération éducative entre la France et le Guatemala, au niveau du troisième cycle. Cela permettra de former des cadres de haut niveau et, en même temps, ouvrira les portes pour renforcer les liens culturels entre les deux pays, puisque le contact humain reste le meilleur moyen de rapprocher les pays et les cultures. En conclusion, nous ne pouvons qu’être satisfaits et optimistes quant aux résultats obtenus à ce jour, mais aussi pour l’avenir, étant donné que le futur laisse entrevoir les meilleurs présages pour consolider la période positive que vivent les relations franco-guatémaltèques. |