Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

La lettre diplometque
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     Bahreïn
 
  H.R.H. / S.A.R. le Prince Khalifa Bin Salman AL KHALIFA

Une diplomatie d’ouverture

Plus petit Etat du Golfe, le Royaume de Bahreïn joue néanmoins un rôle pivot dans la stabilité et le processus d’intégration des pays de la région. Revenant sur les enjeux des élections législatives qui se sont tenues le 22 novembre 2014, S.A.R. le Prince Khalifa bin Salman Al Khalifa, Premier Ministre de Bahreïn, nous livre, dans un entretien exclusif, sa réflexion sur le débat démocratique à l’œuvre dans son pays. Il met aussi en relief les lignes directrices de la stratégie de diversification économique ainsi que la place du Royaume au sein du Conseil de coopération des Etats arabes du Golfe (CCEAG) et, plus largement, de la communauté internationale.

La Lettre Diplomatique : Votre Altesse Royale, le Royaume de Bahreïn a organisé le 22 novembre 2014 les premières élections législatives depuis les troubles qui ont marqué la société bahreïnie en février-mars 2011. Près de dix ans après le lancement du processus de démocratisation de la vie politique dans votre pays, comment percevez-vous les enjeux de ce scrutin ?

S.A.R. le Prince Khalifa bin Salman Al Khalifa : La participation de la population aux échéances électorales constitue l’un des principaux fondements de la société bahreïnie, ainsi que de la Constitution et de la Charte nationales. Elle bénéficie de ce fait de tout notre soutien. En effet, le Royaume de Bahreïn accorde, depuis longtemps déjà, une importance particulière à la participation populaire, d’autant qu’il n’existe pas de séparation dans notre pays entre les responsables politiques et les citoyens mais, au contraire, une communication constante entre toutes les composantes de la société.
Le principal enjeu de ce scrutin est, à notre avis, de pérenniser la prospérité de notre situation au niveau politique, économique et social, et de nous permettre de garantir le niveau de vie le plus élevé à nos citoyens.

L.L.D. : Fort des recommandations formulées en décembre 2011 par la Commission d’enquête indépendante (BICI), vous avez initié un grand nombre de réformes. Pourriez-vous nous rappeler, plus précisément, dans quels domaines ? Quelles autres initiatives envisagez-vous en vue d’inclure davantage la communauté chiite dans la vie politique bahreïnie, mais aussi au plan socio-économique ? Tenant compte de l’appel au boycott du scrutin législatif lancé par les partis d’opposition, comment le processus de dialogue national est-il appelé à se poursuivre ?

S.A.R.K.B.S.A.K. : Dans tous les domaines, le développement et la modernisation constituent un processus continu d’adaptation à la conjoncture, en fonction des besoins de Bahreïn et conformément aux étapes du programme de l’action gouvernementale.
A Bahreïn, nous ne faisons pas de distinction religieuse ou confessionnelle. Nous considérons toutes les personnes en tant que citoyens bahreïnis, sans critère de distinction.
La participation aux élections constitue un choix et un droit garantis pour tous les citoyens. Notre gouvernement veille à créer un cadre convenable permettant d’assurer la tenue des processus électoraux dans un climat de sécurité et de stabilité. Je tiens d’ailleurs à attirer votre attention sur le fait que tout observateur ayant suivi la présentation des candidatures pour les élections de 2014, peut constater l’augmentation du nombre de candidats par rapport aux élections précédentes, ce qui témoigne de tout l’intérêt que leur porte le peuple bahreïni.
En ce qui concerne la Commission d’enquête indépendante (BICI), Bahreïn a accompli une avancée historique majeure en créant cette commission, sur l’initiative de S.M. le Roi Hamad bin Isa Al Khalifa, ce qui demeure une démarche rarement entreprise à travers le monde. Celle-ci a été largement saluée et témoigne de l’importance qu’accorde le Royaume de Bahreïn à révéler en toute transparence l’ensemble des réalités de ce qui s’est produit, à travers les travaux conduits par une commission indépendante rassemblant d’éminents experts juridiques internationaux.
Comme vous le savez, le Royaume de Bahreïn a créé un groupe de travail gouvernemental pour étudier les recommandations de la Commission et définir les mesures nécessaires pour leur mise en application. Parmi les principaux accomplissements, on peut citer la création du Commissariat pour les prisonniers et les détenus, ainsi que du Bureau de l’Ombudsman (qui équivaut au Défenseur des droits en France) et de l’Unité des enquêtes spéciales au sein du Parquet général. Par ailleurs, d’autres mesures exécutives ont été prises et plusieurs lois ont été promulguées afin de promouvoir le respect des droits de l’homme.
Par conséquent, la plupart des recommandations ont été mises en œuvre, et il ne reste plus que celles qui nécessitent des amendements législatifs et des programmes qui sont actuellement en cours.

L.L.D. : Sous le haut patronage de S.M. le Roi Hamad Bin Isa Al-Khalifa, Manama a accueilli du 5 au 7 mai 2014 une conférence internationale sur le thème « Toutes les civilisations au service de l’humanité ». Comment le dialogue interculturel et interconfessionnel se reflète au Bahreïn ? Au-delà, quel rôle la femme doit-elle, selon vous, jouer dans ce dialogue et, plus particulièrement, dans le développement des sociétés musulmanes ? Comment avez-vous accueilli le Prix d’or qui vous a été décerné par la Fédération internationale des femmes professionnelles et d’affaires (BPW International) ?

S.A.R.K.B.S.A.K. : Notre pays est connu pour sa diversité religieuse et culturelle. Toutes les personnes de différentes ethnies, religions et cultures, cohabitent en paix. Tout au long de son histoire, le Royaume de Bahreïn n’a jamais connu de conflits confessionnels, à l’exception des dernières années, au cours desquelles certains les ont utilisés comme slogan pour agiter des mouvements scandaleux, dépourvus de toutes les valeurs démocratiques reconnues.
En outre, nous sommes fiers du rôle de la femme bahreïnie qui constitue un élément actif au sein de notre société et qui participe avec l’homme, à tous les domaines de la vie, tout en lui étant égale dans les droits et les devoirs. La femme bahreïnie est d’ailleurs parvenue à occuper des postes clés comme ceux de ministre, d’ambassadeur, de membre du parlement, ainsi que d’autres fonctions de haut niveau. A titre d’exemple, Sheikha Haya Al Khalifa a présidé la 61ème session de l’Assemblée générale des Nations unies.
En ce qui concerne le dialogue interculturel et interconfessionnel, nous sommes convaincus de l’importance de « dialoguer avec autrui » et du fait que le monde ne peut progresser et se développer qu’à travers la concertation et la communication constantes entre les différentes religions et cultures.
Quant à l’hommage qui m’a été fait par la Fédération internationale des femmes professionnelles et d’affaires (BPW International) en me décernant le Prix d’or, cette distinction constitue une véritable source de fierté, étant donné le rôle majeur que joue cette fédération. Mais, je considère qu’elle représente un hommage pour tous les Bahreïnis et, en particulier, pour la femme bahreïnie qui peut se montrer fière de la place éminente qu’elle occupe, ainsi que de sa grande contribution au développement de Bahreïn et au processus de gouvernance nationale.

L.L.D. : Considéré comme un « allié majeur hors OTAN » des Etats-Unis dont il abrite notamment le commandement de la V ème flotte, votre pays participe à la coalition internationale contre l’organisation terroriste Daech. Comment se manifeste cet engagement au plan militaire, mais aussi diplomatique ? Alors que vous avez récemment alerté la communauté internationale sur le péril que représente le terrorisme transfrontalier, quelles initiatives de coopération régionale peuvent être mises en œuvre ?

S.A.R.K.B.S.A.K. : Notre pays participe en effet à la lutte contre le terrorisme. Nous continuons d’ailleurs à mettre en garde la communauté internationale contre le phénomène du terrorisme, sachant qu’aucun pays n’est à l’abri des menaces et des répercussions destructives qu’il peut entrainer pour l’avenir des peuples et le développement mondial. Les groupes terroristes ont recours à tous les moyens possibles pour mettre en œuvre leurs plans dévastateurs, et un grand nombre de ces groupes bénéficient, malheureusement, du financement et du soutien de la part d’Etats qui ne s’intéressent pas à la stabilité mondiale mais cherchent, au contraire, à favoriser un déstabilisation mondiale afin de servir leurs propres intérêts ou ceux d’autres pays alliés.
De notre point de vue, le combat contre le terrorisme ne peut être mené à bien qu’au travers d’un engagement et d’efforts à l’échelle internationale. En effet, nous faisons face à un phénomène dangereux qui se propage et dont les cellules se multiplient et attaquent de toutes parts. Ce phénomène nous invite à nous interroger de nouveau : qui a créé le terrorisme et a contribué à son infiltration à ce point ?!
Bahreïn déploie tous les efforts possibles afin de contribuer, avec la communauté internationale, à combattre ce phénomène dangereux. A cet effet, il a accueilli plusieurs conférences et réunions, dont la dernière a été la réunion de Manama sur la lutte contre le financement du terrorisme. Celle-ci s’est conclue à des recommandations que nous espérons voir mis en œuvre afin d’éliminer les sources du financement de ce fléau.


L.L.D. : Outre la Syrie, l’Iran figure également au cœur des thèmes de réflexions du « Manama Dialogue » sur la sécurité régionale qui s’est tenu du 5 au 7 décembre 2014. Au regard des soupçons que suscite ce pays quant à son influence sur la stabilité régionale, quelles sont les mesures susceptibles de favoriser une concertation transparente avec Téhéran sur les enjeux de sécurité ? Comment percevez-vous les avancées des négociations sur le programme nucléaire iranien ?

S.A.R.K.B.S.A.K. : Nous avons toujours considéré l’Iran comme un pays musulman voisin, et nous continuons à le considérer comme tel. D’une manière générale, les musulmans n’aspirent qu’à la bonne entente avec les autres pays et nous ne souhaitons rien d’autre que la bienveillance de la part de notre voisin iranien. Nous voulons des liens de bon voisinage et que nous nous engagions tous à respecter les principes des relations internationales, en premier lieu celui de la non-ingérence dans les affaires des autres Etats. Nous n’intervenons pas dans les affaires des autres, et nous avons le droit d’attendre, en contrepartie, que les autres n’interviennent pas dans nos affaires intérieures qui ne concernent que nous, et nous seuls.
Grâce à de bonnes intentions, nous pouvons tous coopérer pour garantir la sécurité et la stabilité dans cette région vitale du monde. La question du dossier nucléaire devient ainsi simple et pourrait être résolue par l’entente, le dialogue et le respect des intérêts de tous les Etats de la région.

L.L.D. : Considéré par certains observateurs comme une conséquence inattendue du « printemps arabe », le Conseil de coopération des Etats arabes du Golfe (CCEAG) a connu au printemps 2014 une crise diplomatique d’une rare intensité. Tenant compte des liens étroits entre votre pays et l’Arabie Saoudite, quelle est votre vision du renforcement des liens entre les Etats membres du CCEAG, concernant en particulier les projets d’union monétaire et d’élargissement à d’autres pays ?


S.A.R.K.B.S.A.K. : Comme je viens de le souligner, nous refusons toute ingérence dans les affaires intérieures des Etats et, par conséquent, dans les affaires intérieures du Royaume de Bahreïn. Par ailleurs, nous réaffirmons la nécessité pour tous les pays de s’engager à respecter une politique de bon voisinage.
Mais, permettez-nous de nous interroger : où est le « printemps » dans ce que la région a connu au cours des dernières années ? En quoi y voyez-vous un « printemps » ? Voyez-vous un « printemps » dans les conflits, les explosions, les attentats, les divisions et le démantèlement ? Cela constitue, paraît-il, un nouveau concept du printemps que nous ignorions jusque-là.
Comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises, l’unité représente un impératif si l’on veut concevoir des coalitions de pays et de grandes structures de coopération. C’est dans cet esprit que nous avons soutenu l’initiative de S.M. le Roi Abdullah bin Abdulaziz bin Saoud, Roi de l’Arabie Saoudite amie, pour que le Conseil de coopération des Etats arabes du Golfe (CCEAG) passe de l’état de « coopération » à celui d’« union ».
Nous pensons que, dans le cadre d’une Union entre les pays du Golfe, chaque partie considèrera ses intérêts à la lumière des intérêts communs de l’ensemble des pays membres. De plus, nous insistons toujours, dans le cadre du CCEAG, sur l’importance d’une communication continue entre les dirigeants des pays membres du Conseil, à travers des réunions afin que nous puissions échanger nos idées et rapprocher nos points de vue, et ne pas nous en tenir seulement au sommet annuel.

L.L.D. : Seul pays du CCEAG à avoir conclu un accord de libre-échange avec les Etats-Unis en 2006, Bahreïn conduit une politique d’ouverture économique active notamment en direction de l’Asie. A l’instar de la visite officielle que vous avez récemment effectuée en Thaïlande, comment entendez-vous promouvoir l’approfondissement des liens avec les économies asiatiques ? Au-delà, dans quelles conditions une reprise des négociations sur un accord de libre-échange entre les pays du CCEAG et l’Union européenne serait-elle envisageable ?

S.A.R.K.B.S.A.K. : Nous entretenons, en effet, des liens de coopération avec les pays asiatiques. En outre, des réunions se tiennent fréquemment entre le Conseil de Coopération du Golfe (CCG) et l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN). Nous considérons les pays asiatiques comme un prolongement naturel de notre environnement immédiat du fait de notre appartenance au continent asiatique et des relations historiques et économiques qui nous relient.
En ce qui concerne l’accord de libre-échange avec l’Union européenne (UE), les négociations sur cet accord durent depuis longtemps et nous considérons que la coopération avec l’UE est tout aussi importante pour les pays membres du CEEAG que pour les Etats membres de l’UE. Nous partageons, en effet, de nombreux intérêts communs.

L.L.D. : Grâce notamment au redressement du secteur touristique, l’économie bahreïnie devrait afficher une croissance soutenue de 4% en 2014. A l’instar du secteur financier et de la production d’aluminium, quels sont les secteurs prioritaires de votre stratégie de diversification économique ? Quel sentiment vous inspirent les avertissements du Fonds monétaire international (FMI) concernant l’impact d’un déclin des cours du pétrole sur votre pays ?


S.A.R.K.B.S.A.K. : Le Royaume de Bahreïn a très tôt veillé à adopter une politique de « diversification économique », étant conscient des risques encourus par la dépendance à une seule source de revenus et ses répercussions néfastes sur notre processus de développement. C’est la raison pour laquelle Bahreïn a concentré ses efforts sur l’aménagement d’un environnement économique adéquat et sur l’amélioration du cadre des affaires en vue d’attirer les investissements étrangers et de favoriser leur participation positive à notre essor économique.
Quant aux prévisions du FMI (Fonds monétaire international) sur un déclin des cours du pétrole, et malgré le fait que notre pays ne soit pas membre de l’Organisation des pays producteurs de pétrole (OPEP), ce scénario n’est pas nouveau, les fluctuations du prix de pétrole étant assez courantes. De nombreuses mesures préventives sont adoptées pour éviter que cette tendance n’affecte l’économie bahreïnie de manière significative, surtout dans le cadre de l’élaboration du budget de l’Etat dont les estimations se fondent sur des cours beaucoup moins élevés que ceux du marché mondial. En outre, nous œuvrons en vue de faire face à tout déficit éventuel de notre compte courant.

L.L.D. : Le Conseil de Développement économique de Bahreïn (EDB) a annoncé en octobre 2014 le lancement d’un vaste programme d’investissements dans les infrastructures d’un montant de 22 milliards de dollars. Quelles opportunités peut-il, selon vous, offrir aux investisseurs français ?

S.A.R.K.B.S.A.K. : Notre pays offre de nombreuses opportunités d’investissement dans divers secteurs. Nous accueillons à bras ouverts les investisseurs français désireux d’initier des projets à Bahreïn. Par ailleurs, nous accordons une importance particulière aux apports des progrès de la technologie française dans différents domaines. Pour ces raisons, parmi d’autres, nous sommes fiers des relations de coopération et d’amitié que nous avons nouées avec le peuple français.
Comme vous le savez, nous avons adopté une politique d’économie de marché et d’ouverture. Aussi notre porte est-elle ouverte à l’ensemble des investisseurs français pour qu’ils choisissent les projets qui leur conviennent ou qu’ils proposent des initiatives et des idées susceptibles de participer à la mise en œuvre de projets communs franco-bahreïnis.

L.L.D. : Dans le sillage des liens historiques étroits qu’entretiennent le Royaume de Bahreïn et la France, S.M. le Roi Hamad Bin Isa Al-Khalifa a effectué une visite officielle en France le 23 juillet 2012. Tenant compte de la volonté des deux pays d’accentuer leur coopération de défense, comment le dialogue bilatéral sur les enjeux stratégiques de la région du Golfe et du Moyen-Orient a-t-il évolué ?

S.A.R.K.B.S.A.K. : Nous maintenons un contact étroit avec nos amis français avec lesquels nous discutons des différentes questions régionales et mondiales. A cet effet, nous soulignons le rôle actif et important que joue la France sur la scène internationale en faveur de la promotion de la paix, de la stabilité et de la sécurité à travers le monde.
Nous sommes confiants sur le fait que les responsables respectifs de nos deux pays amis ont à cœur, quelle que soit leur fonction, de consolider les liens de coopération et de communication, et de préserver nos intérêts communs dans les échanges que nous entretenons à tous les niveaux. Nous avons également confiance en l’avenir proche qui verra se concrétiser une plus étroite coopération bilatérale, ouvrant la voie aux nouvelles étapes de renforcement de nos relations auxquelles aspirent nos deux peuples amis.      

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