Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

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  M. Wolfgang Rau

Combattre la corruption dans la Grande Europe : le rôle du GRECO du Conseil de l’Europe

Par M. Wolfgang Rau,
Secrétaire exécutif, Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO)1

Le GRECO (l’acronyme pour « Groupe d’Etats contre la corruption ») est l’organe de monitoring anti-corruption du Conseil de l’Europe, basé à Strasbourg. Etabli sous la forme d’un accord élargi du Conseil de l’Europe, il est ouvert sur un pied d’égalité à l’ensemble des 47 Etats membres de l’Organisation et à des Etats non membres, en particulier à ceux qui ont participé à sa création, ce qui explique que les Etats-Unis et le Bélarus fassent partie de ses membres et que le Canada, le Saint-Siège, le Japon et le Mexique soient les bienvenus s’ils souhaitent le devenir. Le GRECO, qui a commencé en 1999 avec 17 membres, en compte désormais 49.

Mission et fonctionnement
Le GRECO a été établi pour doter les six instruments2 du Conseil de l’Europe en matière de lutte contre la corruption d’un mécanisme de monitoring approprié autant que durable. Jusqu’ici, quatre cycles d’évaluation ont été lancés. L’évaluation de chaque pays est réalisée par une équipe d’évaluateurs experts désignés par les Etats membres. Dans une première étape, les informations communiquées par l’Etat soumis à l’évaluation font l’objet d’un examen, puis une visite dans le pays concerné et des rencontres avec toute une palette d’acteurs pertinents (du gouvernement ou en-dehors de celui-ci) permet de les tester et de les compléter. Un rapport, assorti de recommandations, est ensuite rédigé et examiné soigneusement par tous les membres du GRECO en session plénière avant adoption et transmission à l’Etat concerné afin que ce dernier prenne les mesures nécessaires. Le mécanisme permet de mettre en œuvre un processus bien dosé de passage en revue scrupuleux, de recommandations soigneusement construites et de pression par les pairs. Les membres suivent en général la pratique consistant à autoriser la publication du rapport, un point important qui apporte une valeur ajoutée aux travaux du GRECO. Le rapport d’évaluation et les rapports ultérieurs de conformité qui examinent les mesures prises pour mettre en œuvre les recommandations (« évaluation de l’impact ») sont également des documents de référence fort utiles pour des parties prenantes et observateurs extérieurs, y compris le monde des affaires.3
Le Quatrième Cycle d’évaluation en cours est consacré à la prévention de la corruption chez les parlementaires, les juges et les procureurs. Dans ses trois précédents cycles, le GRECO a abordé une large gamme de questions telles que les organes de lutte contre la corruption, les immunités des agents publics en tant qu’obstacles possibles à la lutte contre la corruption, la déclaration de soupçons de corruption et la protection des lanceurs d’alerte ou encore la confiscation des produits de la corruption ; le Troisième Cycle d’évaluation s’est concentré sur deux grandes questions : le droit pénal de la corruption (incriminations) et la transparence du financement des partis politiques.
En quoi le GRECO est différent des autres mécanismes de monitoring ?
La portée ainsi que le processus de monitoring du GRECO le distinguent des autres. Le GRECO évalue la conformité de ses Etats membres avec les instruments anti-corruption du Conseil de l’Europe, qui constituent un arsenal complet de normes et de principes. En comparaison, le groupe de travail anti-corruption de l’OCDE suit la conformité avec sa convention4 dans le domaine très spécifique de la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales. Pour ce qui est du processus d’examen établi dans le cadre de la Convention des Nations unies contre la corruption (CNUCC), il concerne des pays dotés de systèmes politiques et juridiques foncièrement différents, alors que les membres du GRECO représentent un groupe relativement plus homogène. Par ailleurs, contrairement au processus du GRECO, le mécanisme d’examen de la CNUCC n’entraîne pas d’appréciation systématique de son impact sur la politique ou le droit internes.

Législation sur les pots-de-vin et financement des partis politiques – les dysfonctionnements les plus fréquents
A ce jour, la Convention pénale sur la corruption – dont la mise en œuvre constitue l’un des thèmes clés du Troisième Cycle d’évaluation du GRECO – a été ratifiée par 45 Etats membres. Les quatre qui n’ont pas encore ratifié cet important instrument sont l’Allemagne, le Liechtenstein, Saint-Marin et les Etats-Unis d’Amérique. L’Autriche et l’Italie ne l’ont fait qu’en 2013. L’expérience du GRECO montre que la ratification de la Convention n’aboutit pas automatiquement, ni dans tous les cas, à un niveau satisfaisant d’alignement de la législation nationale sur la lettre et l’esprit du traité.
Des lacunes ont été recensées dans certaines juridictions concernant l’incrimination de membres d’assemblées publiques nationales pour des actes de corruption et du trafic d’influence. De plus, dans un certain nombre de cas, le GRECO a établi que les sanctions prévues pour la corruption dans le secteur privé étaient significativement plus faibles que celles prévues pour la corruption dans le secteur public, ce qui pourrait amener à penser que le fait de verser des pots-de-vin en lien avec des arrangements de nature commerciale n’est pas considéré comme aussi grave et aussi problématique (voire est même considéré comme une pratique acceptable entre « gentlemen »).
A l’évidence, il n’entrait pas dans les intentions des rédacteurs de la Convention de cautionner une telle idée fallacieuse. A cet égard, il ressort largement des éléments probants recueillis par le GRECO et d’autres acteurs internationaux (au nombre desquels la Commission européenne et l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime) que tant la transposition des normes internationales pertinentes que leur mise en œuvre concrète sont en retard en ce qui concerne la corruption dans le secteur public. Pour ce qui est des propres travaux du GRECO, on relèvera à cet égard que seul un petit nombre des membres évalués a été en mesure de mentionner des cas de jurisprudence dans ce domaine. Près de la moitié seulement a été en mesure de fournir des statistiques couvrant les poursuites intentées et/ou condamnations prononcées. Dans la presque totalité des cas, les chiffres étaient plutôt bas.
L’une des questions qui se posent pour les poursuites transfrontalières concernant des délits de corruption est l’exigence de double incrimination pour les délits de corruption commis à l’étranger par des ressortissants ou des résidents d’un Etat donné. Le GRECO a, dans un certain nombre de cas, adopté le point de vue selon lequel cette exigence devrait être abolie, étant donné qu’elle peut faire obstacle à une application efficiente de la loi, en particulier lorsque le délit a été commis dans un pays qui n’a pas encore aligné son droit interne sur les traités internationaux applicables en matière de lutte contre la corruption.
Pour ce qui est du financement des partis politiques et des campagnes électorales, c’est là à l’évidence un sujet très polémique dans de nombreux pays. Deux domaines méritent une attention particulière, à savoir le contrôle des comptes de partis et de campagnes et l’application des règles financières pertinents (s’il en existe).
Tous s’accordent désormais à dire que les obligations liées à la transparence en matière de tenue des comptes des partis politiques et candidats à des élections ne peuvent porter leurs fruits que si elles font l’objet d’un contrôle par un ou des organes de vérification véritablement indépendants, dont seul un nombre limité de pays est doté. De plus, le GRECO a souligné à de nombreuses reprises que l’obligation pour les partis politiques de faire certifier leurs comptes par des auditeurs est un outil efficace pour renforcer la discipline financière et diminuer les possibilités de corruption. Il est essentiel que les auditeurs conservent leur indépendance – et donnent tous les signes qu’ils le restent – par rapport aux partis politiques dont ils vérifient les comptes. Cette condition fondamentale n’était pas fréquemment remplie.
Pour revenir à la question de l’application des règles relatives au financement, le GRECO a souvent été amené à conclure que les violations sont rarement dévoilées et que, même si elles le sont, elles n’entraînent pas souvent de réaction appropriée de la part des autorités de supervision (lorsqu’il en existe) et/ou des autorités de poursuite. A cet égard, le GRECO a insisté à de nombreuses reprises sur la nécessité d’introduire des sanctions plus flexibles pour compléter les sanctions pénales, notamment des sanctions administratives (suppression du financement public, inéligibilité à un futur financement) et éventuellement des sanctions au civil (radiation).

Corruption dans les systèmes parlementaire et judiciaire – premières conclusions
Le 4ème Cycle d’Evaluation du GRECO (lancé en janvier 2012) porte sur la prévention de la corruption chez les parlementaires, les juges et les procureurs. Chacune de ces catégories travaille au sein d’une institution nationale qui est fondamentale pour la lutte contre la corruption. Leur efficacité et intégrité contribuent à faire que les germes de la corruption vont prospérer ou non dans un pays.
Les rapports adoptés jusqu’ici5 ont donné lieu à des débats souvent durs mais constructifs au sein du GRECO en session plénière. Il est ressorti de ces discussions que les partis politiques et les représentants élus comptent au nombre des institutions publiques qui génèrent le moins de confiance – une tendance qui semble générale dans toute l’Europe. L’image est cependant plus contrastée s’agissant des juges et des procureurs. Dans un certain nombre de pays, les juges jouissent d’une grande confiance du public alors qu’une proportion non négligeable d’autres pays membres du GRECO connaît un degré de confiance inférieur aux niveaux moyens en Europe. Ceci peut pour partie s’expliquer par des affaires de corruption impliquant spécifiquement des juges ou, comme le relèvent certains rapports du GRECO, par une conjonction d’affaires de ce type, d’un système juridique laxiste et du fait que le public n’est pas sensibilisé aux mesures déjà prises pour renforcer l’indépendance institutionnelle de la justice.
Cela étant, il va sans dire que tout scandale de corruption impliquant un juge met sérieusement à mal la confiance du public dans la justice tout entière. Dans un certain nombre de rapports, le GRECO a formulé des recommandations en vue de renforcer la capacité de la justice à prévenir la corruption, préconisant dans certains cas de limiter l’ingérence politique dans les nominations judiciaires, de garantir la sécurité de l’emploi et d’encourager la capacité de la justice à s’autogérer, notamment en renforçant le rôle d’organes judiciaires indépendants en matière de nomination et de progression de carrière des juges.
Les rapports mettent aussi en avant un manque de pro-activité de la part des parlementaires pour ce qui est de donner la preuve de leur engagement en faveur de la prévention de la corruption, qu’il s’agisse de comportements individuels autant que de devoir public, et de faire en sorte qu’une éthique de la prévention prévale au sein des parlements nationaux mêmes.
Il est intéressant de relever que, selon un certain nombre de rapports, l’une des raisons qui sous-tendent l’inaction des parlementaires dans ce domaine pourrait être le fait qu’ils ne comprennent pas ce que l’on attend d’eux, en particulier pour ce qui concerne les conflits au-delà des conflits liés à des intérêts financiers. Cela a déclenché des recommandations du GRECO adressées à plusieurs pays en vue de promouvoir un système de déclarations ad hoc pour traiter la vaste palette d’intérêts pouvant influer sur l’impartialité de l’implication d’un parlementaire dans une initiative législative donnée.

Obtenir des résultats durables
Cette mission incombe à nos Etats membres. En dépit du fait que le Conseil de l’Europe en général – et dans ce cas précis le GRECO – ne peut imposer de véritable « sanctions » aux Etats membres qui se montrent peu désireux ou capables de mettre en œuvre pleinement ses recommandations, le mécanisme produit en définitive des résultats positifs dans un grand nombre de cas à travers un étroit partenariat avec les autorités nationales et une discussion empreinte de franchise et d’ouverture dans les pays et entre pairs durant les sessions plénières. Les recommandations du GRECO ne sont pas imposées par le haut, mais sont le résultat d’un processus qui permet une appropriation.
Ceux qui ont vu le GRECO à l’œuvre reconnaissent que les délégations du GRECO se comportent avec un réel sens de l’équité, en évitant toute complaisance, collusion et autres manœuvres politiques, ce qui renforce par là-même l’engagement à obtenir des résultats tangibles, qui s’inscrivent dans le long terme.
Le Rapport annuel du GRECO pour 2012 a pour la première fois présenté des statistiques sur les niveaux de conformité globaux de 45 de ses 49 Etats membres avec les recommandations formulées dans les deux premiers cycles d’évaluation. Il en ressort que, quelque trois ans après leur première évaluation, les Etats membres avaient pleinement mis en œuvre 78% des recommandations. C’est là un résultat impressionnant, qui donne la preuve d’un engagement déterminé des Etats membres en faveur du processus de réflexion et de réforme prôné par le GRECO.
Cela dit, la situation actuelle est loin d’être aussi positive. Si certains pays ont marqué des progrès notables dans certains domaines, tel n’est pas le cas pour d’autres et, pour quelques-uns d’entre eux, on note des signes clairs de régression. L’un des points qui demeurent problématiques est le nombre d’agents publics et représentants élus qui jouissent encore de l’immunité de poursuite, dans certains Etats membres. Un autre sujet préoccupant est la grande lenteur des progrès marqués en Europe en matière de mise en place d’une véritable protection sur le lieu de travail des donneurs d’alerte, qui sont en mesure d’alerter sur des problèmes de corruption suffisamment en amont pour qu’il soit possible d’agir rapidement et efficacement.
La principale pierre d’achoppement demeure, cependant, le financement des partis politiques et des campagnes électorales, qui s’est révélé être bien davantage qu’une simple question technique. Les partis politiques ont une fonction démocratique vitale, mais leur légitimité repose sur la confiance des citoyens, qui est remise en question lorsque les politiques et responsables de partis dans toute l’Europe bafouent les règles de conduite qui sont attendues d’eux – qu’il s’agisse de prendre l’ascendant sur leurs opposants politiques ou de servir leurs intérêts personnels ou ceux de leurs partisans.
Il est important de traiter les problèmes qui donnent lieu à une telle insatisfaction dans toute l’Europe. Les valeurs et principes qui sous-tendent les démocraties européennes doivent être réaffirmés concrètement si nous voulons agir contre la désaffection des électeurs et la montée des courants et partis politiques populistes dont les valeurs démocratiques sont fortement sujettes à caution.
A cet égard, la performance d’un nombre significatif d’Etats membres du GRECO pour ce qui concerne la mise en œuvre des recommandations du GRECO en matière de financement des partis politiques, a dû être considérée comme « globalement insatisfaisante ». Heureusement, sur cette question, tout n’est pas négatif. Nous pouvons citer de nombreux exemples de réussites où des pays ont progressé après avoir été placés sous un suivi plus étroit par le GRECO. Nous décelons des signes encourageants qui portent à penser que ces réussites vont faire des émules.

Le GRECO et l’Union européenne
L’un des points les plus importants à l’ordre du jour de la lutte contre la corruption en Europe et au-delà, est la question de la participation de l’Union européenne aux travaux du GRECO. Sa participation active au GRECO a été à nouveau examinée depuis l’adoption par l’UE du Programme de Stockholm de 2010 et la publication par la Commission européenne, en juin 2011, de son « Paquet anti-corruption ». Le GRECO s’en est réjoui sans réserve ; le statut du GRECO prévoit du reste cette participation depuis le départ et permet l’aménagement de modalités spécifiques, le cas échéant.
La question de la participation – et notamment de l’adhésion pleine et entière de l’UE au GRECO – a connu un regain d’intérêt du fait de la publication du premier Rapport anti-corruption de l’UE, le 3 février 2014. Une coopération encore plus étroite aboutirait à des politiques de lutte contre la corruption plus coordonnées en Europe et renforcerait les initiatives respectives de l’UE et du GRECO dans ce domaine. Elle contribuerait également à éviter les doublons inutiles, à capitaliser sur les synergies et à garantir la cohérence des travaux entrepris par les deux organisations en matière de lutte contre la corruption. Sur un plan plus général, on peut s’attendre à ce qu’une coopération plus étroite entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe/GRECO devienne un catalyseur de réforme, notamment en sensibilisant davantage les gouvernements, les parlements nationaux, la société civile et les médias aux enjeux de la lutte contre la corruption.

Le rôle crucial joué par la volonté politique
Tous les acteurs impliqués dans les travaux du GRECO savent bien qu’il reste encore trop d’Européens confrontés à la corruption dans leur vie quotidienne, qui doivent supporter des scandales de corruption impliquant des personnalités investies de missions de confiance au plus haut niveau dans leur pays. Les leaders responsables comprendront que, dans ces circonstances, il n’est pas facile d’instaurer et de préserver la confiance dans les systèmes, les institutions et les décideurs – mais qu’il s’agit au contraire d’une mission dont ils ne peuvent s’exonérer.
Concevoir de nouveaux programmes d’action, établir toujours plus de groupes de réflexion ou adopter un texte de loi après l’autre ne suffiront pas, à eux seuls, à apporter une réussite durable. Il est essentiel d’aller plus loin, tant au niveau international que national, afin de susciter la volonté politique nécessaire pour prévenir et combattre la corruption et – par-dessus tout – pour bâtir une culture de l’intégrité. Les responsables politiques doivent être prêts à relever ce défi.


1- Toutes les opinions exprimées ici le sont à titre personnel.
2- Convention pénale sur la corruption (STE 173) ; Convention civile sur la corruption (STE 174) ; Protocole additionnel à la Convention pénale sur la corruption (STE 191) ; Vingt principes directeurs pour la lutte contre la corruption (Résolution (97) 24); Recommandation sur les codes de conduite pour les agents publics (Recommandation n° R (2000) 10); Recommandation sur les règles communes contre la corruption dans le financement des partis politiques et des campagnes électorales (Rec(2013)4).
3- Tous les rapports d’évaluation et de conformité du GRECO sont disponibles en ligne, sur le site : www.coe.int/greco. Voir également le portail de la Direction Générale I – Droits de l’Homme et Etat de droit : www.coe.int/fr/web/human-rights-rule-of-law/home.

 

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