Entretien avec S.E.M. Henri Lopès, ancien Ministre, Ambassadeur de la République du Congo en France, Président du jury du Prix des Ambassadeurs
Ancien Ministre, Ambassadeur de la République du Congo en France, S.E.M. Henri Lopès a présidé le jury du Prix des Ambassadeurs qui a été remis le 3 octobre 2013 à l’historien et critique littéraire Jacques de Saint-Victor. Grand défenseur de la Francophonie, représentant de la littérature africaine contemporaine, il nous donne sa vision de cette distinction unique dans le paysage littéraire français. Il revient également dans cet entretien sur son parcours de romancier et sur les défis auxquels doit faire face la Francophonie.
La Lettre Diplomatique : Monsieur l’Ambassadeur, vous avez présidé le jury du Prix des Ambassadeurs, attribué le 3 octobre 2013 à Jacques de Saint-Victor pour son ouvrage Un pouvoir invisible – Les mafias et la société démocratique (XIXème-XXIème siècles). Quels arguments ont pesé dans le choix du jury ?
S.E.M. Henri Lopès : Cet ouvrage a rencontré l’unanimité des membres du jury dans la mesure où il traitait d’un sujet sur lequel peu d’études ont été réalisées ; un sujet qui est à la fois difficile d’accès et assez délicat. Nous avons estimé que M. de Saint-Victor avait accompli un travail de recherche d’une qualité professionnelle et scientifique remarquable. Il s’agit, en effet, d’une véritable enquête couvrant la plus grande partie du monde, constituant, de ce point de vue, une approche nouvelle dans les ouvrages d’histoire contemporaine. L.L.D. : Consacrant des œuvres centrées sur des sujets historiques, le Prix des Ambassadeurs a célébré en 2013 le 65ème anniversaire de sa création. Comment expliquez-vous qu’il reste méconnu ?
S.E.M.H.L. : Je crois que le Prix des Ambassadeurs demeure méconnu principalement en raison du nombre de prix littéraires extrêmement élevé en France. Nous avons essayé de faire un effort cette année pour donner plus de visibilité à ce prix et j’espère que cela portera ses fruits.
L.L.D. : Le jury est composé exclusivement d’ambassadeurs en poste à Paris. Pouvez-vous nous expliquer son fonctionnement ?
S.E.M.H.L. : Le jury est en effet composé de diplomates étrangers en poste à Paris et en relation bilatérale avec la France. Ils ont tous ce point commun d’être à l’aise dans le maniement du français. Ses membres sont choisis de manière un peu empirique, par cooptation. La vie du monde diplomatique à Paris offre de nombreuses occasions de rencontres, qui nous permettent de mieux nous connaître et d’identifier ceux qui ont la maîtrise du français, et sont interessés par les ouvrages historiques. En principe, le jury est composé de vingt membres. Il est rare, cependant, que les vingt postes soient attribués parce que beaucoup d’ambassadeurs ont des emplois du temps extrêmement chargés et ont des déplacements dans leur propre pays et à l’extérieur, si bien que c’est un peu une gageure que de réunir les membres plusieurs fois dans l’année pour examiner les livres qui ont été retenus. Ce sont tous des ouvrages d’histoire écrits en français. Il peut s’agir de biograhies, d’essais, d’études sur les relations internationales, ou sur une période bien particulière de l’histoire, pas nécessairement de l’histoire française, mais aussi du reste du monde. Ces ouvrages font l’objet d’une première sélection par notre comité consultatif qui est composé de deux académiciens, en l’occurrence Mme Hélène Carrère d’Encausse et M. Jean-Marie Rouart, ainsi que de l’historien Eric Roussel et Mme Anne Muratorri-Philip. Leur choix se fait dans un dialogue avec les éditeurs sur les ouvrages d’histoire parus récemment et dans l’année. Il peut arriver que le jury ajoute un livre qui aurait particulièrement attiré l’attention d’un des membres, mais en général nous suivons les propositions du comité consultatif et examinons le plus d’ouvrages possible.
L.L.D. : Dans ces conditions, comment décririez-vous les spécificités du Prix des Ambassadeurs en tant que distinction littéraire ?
S.E.M.H.L. : Je crois que ce prix est un « cadeau » pour la France, dans la mesure où il représente un hommage à la langue française. Le fait que des Africains, des Latino-Américains, des Européens de pays non francophones puissent se passionner pour des ouvrages en langue française, pour des études historiques, est aussi la preuve que la barrière de la langue peut être franchie, mais surtout de l’amour qui se manifeste pour cette langue, puisque tous les membres du jury font leur rapport en français. Ces rapports sont d’ailleurs, par la suite, déposés aux archives de l’Académie française.
L.L.D. : Vous-même êtes écrivain. Que peut ressentir un auteur lorsque ce sont des diplomates étrangers qui lui décernent ce prix ?
S.E.M.H.L. : Comme tout autre prix, je crois que l’on n’a pas trouvé meilleur moyen de consacrer une œuvre ou d’encourager un auteur au début de sa carrière. C’est un peu comme ces prix que l’on recevait dans le secondaire. Son attribution marque la reconnaissance de la qualité d’un travail et, dans ce cas particulier, de la nouveauté que peut apporter une étude historique sur telle période ou tel personnage par rapport aux études antérieures qui lui ont été consacrées. Même si le Prix des Ambassadeurs n’a pas une notoriété aussi grande que d’autres prix, je crois que, pour celui qui le reçoit, c’est une satisfaction personnelle qui, en général, va droit au cœur de l’auteur.
L.L.D. : Pensez-vous un jour vous consacrer à un ouvrage historique ?
S.E.M.H.L. : Je ne suis pas un écrivain de livres historiques, bien que j’aurais pu l’être de par ma formation en Histoire, et ma carrière de professeur d’Histoire. Mais, dans le domaine de la création, j’ai définitivement opté pour l’imaginaire et, plus précisément l’imaginaire romanesque. A l’avenir, je ne pense donc pas écrire d’ouvrage historique, d’autant que cet exercice demande une autre méthode, une autre appréhension des faits. Ce qui est possible, en revanche, c’est que dans les années qui viennent, j’ai envie de transmettre mon expérience et mes souvenirs, tout d’abord aux nouvelles générations africaines. De ce point de vue, je ne cache pas que je caresse l’idée d’écrire des mémoires pour les aider à mieux comprendre ce qui les a précédés.
L.L.D. : Parallèlement à votre engagement dans la vie politique congolaise et à votre carrière diplomatique, vous êtes devenu l’un des représentants les plus connus de la littérature africaine contemporaine. Depuis votre premier recueil de nouvelles, Tribaliques (1972), jusqu’à votre dernier roman Une enfant de Poto Poto, paru en 2012, comment votre regard a-t-il évolué en tant qu’écrivain ? Quel cheminement vous a conduit à mettre l’identité métisse au cœur de ce récit ?
S.E.M.H.L. : Pour moi, l’écriture constitue à la fois un moyen d’échapper aux contraintes de la vie professionnelle, et notamment diplomatique. En même temps, mon œuvre se nourrit de tout ce que je vois de l’être humain dans le quotidien. Le fait d’avoir occupé un poste diplomatique est extrêmement enrichissant à cet égard. Dans un poste comme celui d’Ambassadeur à Paris, où le nombre de représentations diplomatiques est important, le diplomate peut profiter d’une ouverture quasi universelle. Or, je crois que le romancier doit, même lorsque son histoire se situe dans un pays bien précis, chercher à créer des situations et des personnages qui dépassent le simple cadre local et qui touchent à l’universel. Quant au métissage, ce thème est présent dans la plupart de mes ouvrages. C’est d’abord dû au fait que, moi-même, je suis métis et parce que je pense que l’homme du XXIème siècle et des siècles à venir, sera de plus en plus un homme du métissage, c’est-à-dire qu’il vivra dans plusieurs cultures, d’abord par ses déplacements, par ses contacts, et quelquefois par sa propre famille. Les familles multiculturelles sont de plus en plus nombreuses, en tous cas beaucoup plus qu’il y a ne serait-ce que cinquante ans. Enfin, les moyens de communication qui lui permettent de développer sa connaissance dépassent, eux-mêmes, désormais les frontières. Et c’est pour cela que le métissage me semble vraiment représentatif du monde qui vient.
L.L.D. : En tant que diplomate et écrivain, vous avez toujours milité en faveur de la Francophonie. Quelle est votre vision de la place du français à l’aune du dernier sommet de l’Organisation internationale de la Francophonie, qui s’est tenu à Kinshasa, en octobre 2012 ? A quels défis vous semblent confrontés l’espace francophone et la langue française comme socle commun des Etats qui en sont membres ? Quel rôle l’Afrique dans sa diversité est-elle, selon vous, appelée à jouer pour les surmonter ?
S.E.M.H.L. : Tout d’abord, je dirais que, contrairement à une idée reçue, c’est la première fois dans l’Histoire qu’autant de gens sur la planète parlent le français. A l’époque, que l’on considère comme l’âge d’or de la langue française où effectivement le français était parlé à la cour de Russie, de Prusse ou de Pologne, elle se limitait à ces espaces-là et n’était pas parlée par le peuple. Au maximum, y a-t-il eu quelques dizaines de millions de personnes qui parlaient le français. Même dans l’Hexagone, tout le monde ne parlait pas le français jusqu’au développement de l’instruction publique et de l’école de Jules Ferry. Aujourd’hui, il y a de par le monde, 230 millions de personnes qui parlent le français. Dès les années 2030, la plus grande partie des francophones vivront en Afrique. Je crois que cette tendance est devenue irrémédiable. Paradoxalement, là où le français me semble avoir reculé, c’est en Europe. Beaucoup de pays de culture latine, dans lesquels le français était traditionnellement parlé par exemple par les diplomates, privilégient l’anglais. En revanche, je crois que le français continuera à avoir une vie importante en Afrique. Les deux langues les plus parlées sur le continent africain sont déjà et le resteront dans les prochaines années, le français et l’anglais. Les Africains ressentiront de plus en plus le besoin d’être bilingues avec ces deux langues. Ils les connaîtront toutes les deux, mais n’en utiliseront sans doute qu’une seule, tout en ayant une connaissance passive de l’autre. Dans beaucoup de nos pays, le français est une langue que nous avons adoptée et sa pratique a atteint un point de non retour. Nous aimerions être soutenu dans cet effort. Prenez le Congo par exemple. Tout l’enseignement se fait en français et tel est le cas dans de nombreux autres pays africains. Bien que nous parlions dans nos familles ou dans la rue dans d’autres langues, la grande langue de communication, d’enseignement, d’instruction, de développement, c’est le français. Dès lors, il est vrai que la Francophonie jouera un rôle majeur dans le destin de l’Afrique. Il convient toutefois de garder à l’esprit que la responsabilité première de l’avenir du français restera l’apanage de ceux dont le pays a été le berceau de cette langue, c’est-à-dire la France. Face aux défis auxquels est confrontée la langue française, elle est tout autant engagée que l’ensemble des pays francophones. Je constate à l’heure actuelle que l’institution francophone ne met pas, à mon sens, assez l’accent sur la langue française. On a peur de paraître ringard à vouloir développer l’expansion du français ou l’approfondissement du français. Sans vouloir être un francophone chauvin, je crois qu’il faut dépasser cette fausse pudeur. Il faut accorder beaucoup plus d’importance à la vie de la langue française, ce qui veut dire accorder beaucoup plus d’importance à une grande partie de l’Afrique. |