Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

La lettre diplometque
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     Coopération Internationale : L’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris : une stratégie à l’international
 
 

Par Mme Florence Veber,
Déléguée aux relations internationales à l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP)

En février 2013, l’Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) s’est vu attribuer l’étude de faisabilité portant sur la construction du nouveau Centre Hospitalier Universitaire de Hanoi, capitale du Vietnam. Marquant le premier succès de sa stratégie de développement à l’international, l’obtention de cet appel d’offres apparaît également pour le plus grand ensemble hospitalier de France et d’Europe comme une étape clé dans sa volonté de s’affirmer comme le fer de lance de la coopération sanitaire internationale française. Revenant sur les atouts du modèle hospitalier de la France, Mme Florence Veber, Déléguée aux relations internationales à l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), décline pour nous les objectifs de cette stratégie internationale et en analyse les principaux défis.

La Lettre Diplomatique : Regroupant une quarantaine d’hôpitaux, l’AP-HP est le plus grand centre hospitalier de France. Pouvez-vous nous présenter plus en détail le rôle et les activités de l’AP-HP ?

Mme Florence Veber : L’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) est, en effet, le plus grand ensemble hospitalier de France, mais aussi d’Europe. Créé administrativement en 1849, il compte aujourd’hui 38 hôpitaux dont 20 hôpitaux d’hospitalisation aiguë (court séjour) en médecine, chirurgie et obstétrique, une hospitalisation à domicile et des hôpitaux de moyen et long séjour le plus souvent réservés aux personnes âgées.
Ces hôpitaux ont récemment été restructurés en 12 groupes hospitaliers. Son budget de fonctionnement est de 7 milliards d’euros. 92 000 personnes y travaillent dont 22 000 médecins.
Tous les ans, l’AP-HP réalise 5 millions de consultations, 1 million d’hospitalisations et 1 million d’urgences, ce qui représente environ 10% de l’activité hospitalière française.
L’AP-HP est, par ailleurs, le centre hospitalier universitaire (CHU) de la région Ile-de-France, c’est-à-dire qu’il a une triple vocation, de soins, de formation et de recherche, et pour ce faire il travaille en convention avec sept universités qui comprennent sept facultés de médecine, deux facultés de pharmacie et deux facultés dentaires.
De plus, l’AP-HP dispose de 18 instituts de formation pour des métiers liés aux soins : écoles de formation infirmières, école de cadres, trois écoles d’infirmières spécialisées dont une école d’infirmière d’anesthésie accréditée aux normes américaines, deux écoles de sages femmes et trois écoles médico-techniques (techniciens de laboratoire, préparateurs en pharmacie, masseurs kinésithérapeutes).
Sur le plan de la recherche, 50% de la recherche clinique française se fait dans ses hôpitaux et l’AP-HP arrive en 4ème position sur le plan mondial en ce qui concerne le nombre et la qualité de ses publications médicales derrière les groupes américains.   

L.L.D. : L’AP-HP a inscrit dans son plan stratégique 2010-2014 le développement d’une politique internationale. Comment en définiriez-vous les motivations ?

F.V. : La santé représente un enjeu clé dans la mondialisation. Il s’agit pour l’AP-HP d’une part, de participer à la réponse que la France peut apporter vis-à-vis de la demande de soins et d’expertise  pour le modèle hospitalier français qui constitue une référence forte, d’autre part, de valoriser et développer des activités dans le cadre des échanges internationaux, car l’expérience montre que ces échanges sont toujours très enrichissants pour les équipes hospitalières.
La loi hospitalière de 1991 a reconnu aux hôpitaux publics français la possibilité de développer des coopérations internationales. Beaucoup d’équipes hospitalières de l’AP-HP mais aussi d’autres hôpitaux en France ont noué des partenariats souvent au fil des rencontres ou des intérêts de certains médecins pour telle ou telle région du monde. Actuellement, près d’une centaine de partenariats actifs sont recensés à l’AP-HP. Par ailleurs, l’AP-HP a toujours accueilli en son sein de nombreux médecins étrangers en formation (entre 400 et 600 selon les années). Enfin la notoriété de nos équipes médicales fait que plusieurs milliers de malades étrangers viennent tous les ans se faire soigner dans nos hôpitaux.
Le plan stratégique 2010-2014 de l’AP-HP a inscrit le développement d’une stratégie à l’international dans ses objectifs. Une délégation aux relations internationales a été créée en 2011. Si les moyens sont encore aujourd’hui modestes au regard des enjeux à venir, les ambitions sont fortes et la demande est importante. Nous accueillons par exemple chaque année près de 40 délégations étrangères et cela ne cesse d’augmenter.
Surtout, nous voulons développer une capacité de mobilisation de notre expertise dans l’organisation hospitalière soit en tant que telle, soit pour renforcer des consortiums français qui répondent à des projets de construction ou d’amélioration d’hôpitaux à l’étranger.
Nous commençons à développer, avec les services volontaires, une filière institutionnelle d’accueil de patients étrangers, afin de répondre à une demande forte. Enfin, nous contribuons au renforcement des prestations liés aux nouvelles techniques de l’information comme la télémédecine, la relecture de radiologies et des prestations de deuxième avis médical.


L.L.D. : Comment analysez-vous les défis auxquels se trouve confrontés cette nouvelle stratégie ?

F.V. : Comme souvent, il s’agit d’abord de développer une communication en interne et en externe précisant nos objectifs, notre offre, nos modes opératoires.  
En interne cette démarche n’est pas forcément bien comprise du personnel qui travaille dans des conditions difficiles et dont la principale préoccupation est, à juste titre, de répondre du mieux possible aux besoins des patients qui localement font appel à l’AP-HP. Pour autant, l’activité à l’international est toujours la reconnaissance d’une compétence et d’une mobilisation, motivante et enrichissante pour le personnel. La charge de travail étant souvent lourde, notre principal problème est d’arriver à mobiliser les compétences et faciliter les disponibilités. Ceci est d’autant plus difficile que, dans notre pays, le travail à l’international même en Europe ou en Amérique du Nord est rarement valorisé. Nous avons défini une vingtaine de thématiques où nous avons une expertise reconnue et la possibilité de mobiliser des experts pour des durées relativement courtes mais significative. C’est un début.
La perception en externe est aussi un sujet, car les hôpitaux français sont restés longtemps peu présents sur le marché international de la santé. La loi ne les autorise pas à créer de filiales commerciales. L’accès aux soins est perçu en France comme un droit humain et un élément important du pacte social et non comme une valeur marchande comme c’est le cas notamment aux Etats-Unis. Pour autant, le marché de la santé est important notamment dans les pays émergents.  D’autres pays comme l’Allemagne se sont résolument engagés dans cette compétition internationale qui joue un rôle croissant dans la mondialisation des échanges. La santé est désormais très présente dans les grands rendez-vous politiques, en particulier le G20 où les pays émergents soulignent l’importance de cette priorité. Il y a sans doute un modèle français à structurer et promouvoir dans ce domaine. Je rappelle qu’à la création de France Expertise Internationale, la santé avait bien été identifiée comme un des champs à développer. Le Ministère du Commerce extérieur a lui aussi identifié la santé comme l’un de ses quatre piliers à développer à l’international. Si le secteur hospitalier ne résume pas l’offre de santé, il doit y contribuer. La notoriété de l’AP-HP et le savoir-faire de ses équipes médicales mais aussi soignantes, techniques et administratives constituent, de ce point de vue, des atouts incontestables.

L.L.D. : Quels facteurs déterminent la force du système de soins hospitalier français ?

F.V. : Il s’agit d’une question importante. Les diplomates expliquent mal nos succès comme celui d’avoir été classé système de santé numéro un par l’Organisation mondiale de la Santé en 2000. Ce classement ne relève d’ailleurs pas uniquement bien sûr de la qualité de notre système hospitalier.
Trois points nous différencient à mon avis notamment des pays anglo-saxons et peuvent servir de faire valoir à l’international :
– La qualité de notre système de formation médicale. L’école de médecine « à la française » doit son succès à deux facteurs : une formation pratique au lit du malade avec, dès l’internat, une mise en responsabilité réelle et entière. Il n’y a rien de comparable aux Etats-Unis et cela attire en particuliers les chirurgiens qui veulent se former en France car ils savent qu’ils vont pouvoir pratiquer, sous la responsabilité d’un senior ; on peut dire, que notamment, l’école de chirurgie française est tout à fait remarquable. Si nous voulons tirer partie de cet atout à l’international, il faut évidement que  les questions de visa soient facilitées et que les procédures aujourd’hui complexes soient simplifiées.
Le deuxième atout de notre formation est son coût qui reste modeste et largement inférieur à ce que demandent les pays d’Amérique du Nord. Pour avoir un ordre d’idée, la formation pendant un an d’un interne coute environ 35 000 euros et à l’AP-HP près de 200 postes sont proposés gratuitement  tous les ans à des internes étrangers. Ce nombre se réduit cependant d’année en année du fait de l’augmentation du numerus clausus en France. Garder pourtant des marges de manœuvre pour accueillir des médecins étrangers est absolument fondamental en terme de stratégie d’influence. De nombreux médecins formés en France ont occupé ou occupent des postes de responsabilité dans leurs pays comme le Pr. Chen ZHU, ancien Ministre de la santé en Chine formé à l’hôpital Saint-Louis à Paris pendant quatre ans.
– Notre organisation en CHU avec la triple fonction de soins, de formation et de recherche. Dans beaucoup de pays, chacun vit sa vie de son côté et les interfaces sont modestes. Le système français, avec la création des professeurs des universités praticiens hospitaliers qui de fait incarnent cette triple fonction, mélange de façon permanente et naturelle les trois fonctions. Cette réalité a sans aucun doute fortement contribué à la reconnaissance internationale que confère le haut niveau scientifique des équipes hospitalières de l’AP-HP dans de nombreux domaines.
– Un système qui nous est reconnu et envié, est celui de l’organisation de nos urgences pré-hospitalières avec le SAMU (Service d’Aide Médicale d’Urgence). Ce système qui paraît souvent évident aux français tellement ils y sont habitués, n’est pas appliqué dans les pays de tradition anglo-saxonne. Nous l’avons développé en Chine pour les Jeux Olympiques et nous sommes en train de le développer aussi au Brésil.
On pourrait enfin ajouter deux autres données :
– la qualité de notre formation de directeurs d’hôpitaux quand on sait que dans de nombreux pays émergents, ce sont des médecins qui sont directeurs d’hôpitaux sans aucune formation de gestion ni de management ;
– la qualité de nos cadres de soins et de nos formations de paramédicaux. L’AP-HP, avec ses nombreuses écoles de formation, peut réellement apporter un savoir-faire unique à cet égard car le travail hospitalier est avant tout un travail d’équipe et le médecin tout seul ne peut pas faire grand chose.

L.L.D. : Peut-on, selon vous, exporter le modèle hospitalier français ?   

F.V. : C’est une question difficile car notre système de soins a ses propres problèmes et il est, par exemple, souvent critiqué pour son hospitalo-centrisme, preuve d’ailleurs que l’hôpital y tient en effet une place importante. Mais c’est justement cela qui attire un certain nombre de pays en quête de modèle de santé plus performant.
En même temps, ce système hospitalier ne peut être isolé du contexte culturel et historique dans lequel il s’est construit : le plein temps hospitalier avec la réforme Debré de 1958, les postes hospitalo-universitaires comme nous l’avons vu, la qualité et la diversité des métiers paramédicaux, la formation spécifique des directeurs d’hôpitaux, enfin et surtout l’accès aux soins hospitaliers pour tous garantis par la solidarité nationale. C’est cet ensemble qui fait l’hôpital public français  d’aujourd’hui et son niveau d’excellence.
Il est assez naïf de croire que l’on puisse obtenir des résultats comparables en transposant simplement des organisations et des équipes chirurgicales dans des pays où toutes ces conditions ne sont pas réunies, mais cela ne signifie pas que l’hôpital public français ne doive pas développer une offre à l’international : d’une part, nous vivons dans un monde d’échanges mondialisés et il serait pour le moins étonnant que l’hôpital en soit exclu, d’autre part nos partenaires feront eux mêmes la part des choses… Par exemple, les Japonais s’intéressent à nos durées de séjour plus courtes que chez eux, les Chinois à notre système de recherche clinique, les Vietnamiens à notre prise en charge des personnes âgées, les Brésiliens à notre SAMU, etc.  Enfin, nous avons nous-mêmes besoin d‘échanger et d’apprendre des autres systèmes hospitaliers.
Reconnaissons qu’une demande existe et que le système hospitalier français ne l’a guère anticipée et ne s’y est pas vraiment préparé… Les difficultés sont nombreuses à commencer par le fait que même les échanges et la mobilité au niveau européen ne sont pas favorisés, mais il est évident que le CHU, et l’AP-HP comme premier CHU de France, doit regarder au-delà des frontières, un monde qui bouge très vite et dont la demande en terme de santé et de soins hospitaliers ne va faire qu’augmenter et au sein duquel il doit savoir rester un élément moteur de la qualité et de la sécurité des soins pour tous.   

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