Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

La lettre diplometque
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     Saint-Christophe-et-Niévès
 
  Le Très Honorable Dr. / The Right Honorable Dr Denzil L. Douglas

« Devenir la première île durable du monde »

Situé au cœur de la Grande Caraïbe, Saint-Christophe-et-Niévès célèbre en 2013 le 30ème anniversaire de son indépendance. En visite officielle en France le 18 novembre 2013, au lendemain de sa participation au sommet du Commonwealth, le Très Honorable Dr Denzil Douglas, Premier Ministre de Saint-Christophe-et-Niévès, nous a accordé un entretien dans lequel il explique les priorités de sa diplomatie et ses mesures phares pour faire des énergies renouvelables et du tourisme les fers de lance du nouvel essor économique de son pays.

La Lettre Diplomatique : Monsieur le Premier Ministre, Saint-Christophe-et-Niévès célébre en 2013 le 30ème anniversaire de son indépendance. Quel regard portez-vous sur le parcours de votre pays au cours de ces trois décennies ?

Le Très Honorable Dr Denzil Douglas: Comme vous l’avez indiqué, Saint-Christophe-et-Niévès est une nation indépendante depuis le 19 septembre 1983. Trente ans après avoir mis fin à son statut colonial, notre pays est devenu un membre de la communauté internationale. Au travers de son propre développement économique, social et politique, Saint-Christophe-et-Niévès a également ouvert la voie à d’autres pays à travers le monde, ce qui illustre d’ailleurs la réussite de la construction de notre Etat.
Avec le soutien de plusieurs partenaires, nous avons évolué d’un pays dépendant en grande partie de son ancienne puissance coloniale de tutelle, à un pays offrant une nouvelle source d’éducation et d’opportunités de développement. Je peux identifier plus particulièrement les ressources humaines comme étant l’un des domaines ayant conduit à des investissements massifs et à un fort développement au cours de ces trois dernières décennies. En fait, je peux affirmer que le taux d’alphabétisation de 98% que nous avons atteint, fait de notre système d’accès universel à une éducation gratuite un véritable succès de notre pays et de son peuple trente ans après l’indépendance.
Néanmoins, je crois qu’à l’avenir nous devons préparer davantage nos ressources humaines dans les domaines de la formation technique et professionnelle en vue d’accompagner le nouvel essor économique que connaît Saint-Christophe-et-Niévès à l’heure actuelle. Dans ce cadre, la politique de logement, ainsi que les services de santé, représentent également un secteur prioritaire pour nous.
De manière plus large, le succès de la mutation économique de Saint-Christophe-et-Niévès repose sur sa capacité à être passé d’une économie dépendant largement de son industrie sucrière à une économie très diversifiée dans des secteurs tels que les services d’accueil touristiques, les technologies de l’information et de la communication (TIC), les services financiers internationaux, les petites entreprises manufacturières à succès et l’agriculture. Tous ces secteurs ont été développés depuis l’indépendance.
Désormais, nous devons poursuivre notre croissance en stimulant d’autres domaines clés comme notre système de télécommunications, ou encore nos infrastructures aéroportuaires et portuaires, qui sont déjà en conformité avec les normes internationales.

L.L.D. : Vous avez participé au sommet des chefs d’Etat et de gouvernement du Commonwealth qui s’est tenu du 14 au 16 novembre 2013 à Colombo, au Sri Lanka. Quel bilan pouvez-vous dresser de ce sommet ? Quels doivent être les axes prioritaires de la consolidation du partenariat de votre pays avec le Commonwealth ?

T.Hon.Dr D.D.: L’issue de ce sommet a été une réussite en ce sens qu’il a mis l’accent sur les problématiques des petits Etats insulaires et les solutions possibles ainsi que le soutien qui peut leur être apporté à cet égard. En effet, le communiqué final a, dans une large mesure, inclus les différentes manières de faire face aux problématiques communes du groupe de pays dont nous faisons partie, qui, comme il le souligne, est confronté à des défis globaux. Au nombre des questions soulevées durant le sommet, celle du changement climatique a été particulièrement discutée.
Nous avons également réalisé que nous devions utiliser le sommet pour nous préparer à atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement. Dès lors, nous avons concentré notre attention sur les moyens pour mettre en œuvre les mesures nécessaires en vue d’atteindre ces objectifs. Nous avons certes reconnu que nous ne parviendrons pas à les atteindre tous d’ici 2015 ; aussi avons-nous pu établir un Agenda de développement post-2015 pour tous les pays de notre catégorie.
Saint-Christophe-et-Niévès fait partie d’un groupe de pays décrits comme étant des petits Etats en développement, caractérisés par un haut revenu, fortement endettés et vulnérables. Nos pays sont en effet vulnérables aux chocs exogènes dont certains résultent de l’action de l’homme, tandis que d’autres sont d’origine naturelle. L’actuelle crise financière et économique, qui a commencé en 2008, est considérée comme l’un des chocs exogènes qui a dévasté les économies de pays comme le nôtre.
Dans ce contexte, il est apparu comme nécessaire de prendre en compte au sein du Commonwealth le devoir qui incombe aux pays développés de commencer à évoquer nos problématiques au sein d’instances de la communauté internationale où nous ne sommes pas présents, en particulier au niveau du G8 et du G20. Nous avons voulu sensibiliser les pays comme la Grande-Bretagne, le Canada ou l’Afrique du Sud qui siègent au sein du G20, pour qu’ils soient nos porte-paroles afin de surmonter des défis comme le haut niveau d’endettement, une croissance faible et un accès restreint au financement pour le développement.

L.L.D. :  Chargé par le Secrétaire général du Commonwealth, M. Kamalesh Sharma, d’une mission de haut niveau sur l’endettement des petits Etats, vous avez conduit le groupe de travail des Ministres des Finances du Commonwealth à Washington en octobre 2013. Quelles sont les lignes directrices du dialogue engagé à cette occasion avec le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque Mondiale ? Comment qualifieriez-vous les spécificités des défis auxquels sont confrontés les petits Etats comme Saint-Christophe-et-Niévès, dans leur effort visant à réduire leur dette ?

T.Hon.Dr D.D.: Comme je l’ai souligné auparavant, l’endettement qui caractérise notre catégorie de pays nous empêche de nous développer et d’attirer les investissements directs étrangers nécessaires à la croissance de nos économies.
Dans cette perspective, nous avons rencontré les dirigeants des institutions financières internationales (IFIs) pour évoquer les moyens de faire face à  ces défis, et principalement celui de notre endettement ; ainsi que les moyens de débloquer les financements pour le développement. A cette occasion, nous leur avons soumis nos propositions.
Tout d’abord, nous avons souligné que d’importants financements ont été rendus disponibles pour la lutte contre le changement climatique. Mais aucun de nos pays n’y a accès. La question est de savoir comment faire en sorte que ce financement inaccessible devienne un outil pour la conversion de la dette des petits Etats insulaires qui souffrent d’un haut niveau d’endettement.
Notre deuxième proposition est centrée sur les futurs emprunts. Lorsque ceux-ci doivent être structurés pour les petits pays comme le nôtre, pourquoi ne mettons-nous pas en œuvre des dispositions contre-cycliques, de manière à ce que nous puissions disposer d’un délai sans pénalité, lorsque nous faisons face à des chocs financiers et que nous ne sommes pas en mesure de payer les emprunts auprès de nos créditeurs.
Troisièmement, nous avons mis en lumière le fait que la vulnérabilité de ces pays n’a jamais été prise en considération. Nous avons proposé d’étudier un système qui permette de décider de l’accès au financement sur le principe de la vulnérabilité d’un pays et non du critère du PIB par habitant utilisé en règle générale et qui nous empêche d’avoir accès aux financements internationaux parce que nous sommes considérés comme des pays à revenus moyens et élevés. Nous pourrions simplement élargir les critères et inclure celui de la vulnérabilité.
Enfin, notre quatrième proposition visait à étudier l’établissement d’un dispositif de soutien dans le cadre de nos relations avec les IFIs en vue de surmonter les phases durant lesquelles les Petits Etats insulaires en développement peuvent être affectés par des chocs extérieurs.
Lors du dernier sommet du Commonwealth, nous avons cherché l’approbation et le soutien de l’ensemble des 54 pays membres afin qu’un nouveau cadre soit établi, incluant la création d’un groupe de travail. Celui-ci aura pour mission d’évaluer avec divers membres du Commonwealth et des IFIs si ces propositions sont réalisables dans un délai de un à deux ans.


L.L.D. : Sous votre impulsion, l’économie kiticienne, autrefois fondée sur l’industrie sucrière, s’est profondément transformée avec l’essor des secteurs du tourisme et de la finance. Compte tenu de la  progression du PIB évaluée par le FMI à 1,9% en 2013, quelles sont les principales orientations que vous privilégiez pour accélérer la dynamique de développement de votre pays ? Quelles nouvelles filières touristiques pourraient émerger dans ce contexte ? A travers quelles mesures comptez-vous améliorer son attractivité auprès des investisseurs étrangers ?

T.Hon.Dr D.D.: Saint-Christophe-et-Niévès cherche à investir dans l’expansion de son secteur touristique. Nous continuerons à améliorer nos programmes économiques et sociaux qui permettent d’investir dans cette perspective. Dans le même temps, nous devrons assurer un accès aérien direct fiable à notre destination, mais nous devrons aussi améliorer nos infrastructures de base, telles que notre aéroport. Lors de ma visite à Paris, le 18 novembre 2013, j’ai d’ailleurs eu à ce propos des discussions avec le groupe français Egis pour étudier les opportunités d’investissement dans nos infrastructures aéroportuaires.
Au-delà, nous mettons en œuvre de sérieux efforts visant à faire de Saint-Christophe-et-Niévès le premier Etat insulaire durable du monde, reposant sur une économie verte, nos ressources naturelles, notre forêt verte, notre faune, notre flore, ainsi que notre riche histoire, la chaleur et l’hospitalité de notre peuple, en vue de renforcer notre développement touristique et de nous inciter à vraiment travailler pour tenter de nous affirmer comme une destination haut de gamme.

L.L.D. : Illustrant la priorité que vous accordez au secteur des énergies renouvelables, votre pays a inauguré le 17 septembre 2013 sa première centrale solaire. Quels sont les autres projets envisagés en matière de développement durable ? Comment comptez-vous valoriser son potentiel géothermique ?

T.Hon.Dr D.D.: Nous considérons les sources d’énergie géothermique de notre pays comme étant fiables. A l’heure actuelle, notre potentiel géothermique est en cours d’exploration grâce aux systèmes d’un partenaire tiers en vue d’évaluer les investissements de capitaux nécessaires dans ce secteur spécifique. Celui-ci est promis à devenir notre principale source de production d’électricité dans le futur. Nous ne pensons pas qu’il répondra à tous nos besoins énergétiques, mais l’énergie géothermique devrait devenir le principal moteur de nos échanges extérieurs, celle-ci devant être exportée vers nos pays voisins, dont certains sont bien sûr Saint-Barthélémy, Saint-Martin, ou, si cela s’avère possible, la Guadeloupe, etc.

L.L.D. : Le changement climatique est considéré comme une problématique majeure pour les petits Etats insulaires en développement (PEID) comme votre pays. Comment envisagez-vous la coopération avec la communauté internationale en matière de lutte contre les effets négatifs de ce phénomène ?

T.Hon.Dr D.D.: Tout d’abord, nous sommes devenus un membre très actif des différentes instances internationales actives dans le domaine du changement climatique. Notre pays est aussi un partisan de la lutte contre l’impact de ce phénomène au sein des Nations unies et des agences en charge de cette question.
Nous n’avons que trop constaté les preuves de la manière dont le changement climatique affecte des pays comme le nôtre ; ce, alors qu’il n’est même pas responsable d’émissions de CO2 au-delà de ce qui est convenu par les accords internationaux dans ce domaine. Nous pensons qu’il est aujourd’hui nécessaire de rendre opérationnel un Fonds sur le changement climatique afin qu’il soit utilisé pour atténuer les effets de ce phénomène et s’adapter à cette situation. Nos littoraux et notre secteur touristique, qui dépend étroitement de nos plages en tant que source d’attraction, ont été sévèrement affectés. Nous avons également dû consacrer d’importantes ressources financières pour reloger des populations vivant auparavant dans les zones touchées.
Dans ce contexte, nous essayons de continuer à travailler avec d’autres instances internationales et d’autres pays pour faire en sorte que le monde prenne conscience du fait que les petites îles comme Saint-Christophe-et-Niévès ne devraient pas continuer à payer pour un phénomène qu’il n’a pas contribué à créer. Nous continuerons à éveiller les consciences à l’égard de ce phénomène dévastateur.


L.L.D. : L’éducation et la formation technique professionnelle constituent l’un des fers de lance de votre politique sociale. Quels sont les programmes phares mis en œuvre dans ce domaine ? Quelles sont vos attentes à l’égard des initiatives prises par l’UNESCO, notamment dans le cadre de sa politique de soutien aux PEID ?

T.Hon.Dr D.D.: L’action que nous menons dans le domaine de l’éducation et de la formation professionnelle sera accentuée dans le secteur de la construction. Nous avons besoin de plus de charpentiers, d’électriciens, d’ouvriers avec les compétences adéquates, diplômés de manière à ce qu’ils participent à la croissance actuelle de ce secteur dans notre pays.
Bien entendu, nous avons également besoin de personnes dotées des compétences professionnelles nécessaires pour l’économie de services que nous sommes en train de faire émerger, en particulier dans le secteur du tourisme. Nous devons nous assurer que dans ces domaines générateurs d’emplois, nous pouvons compter sur des personnes qualifiées.
Quant à nos attentes à l’égard de la politique menée par l’UNESCO en faveur des PEID, nous pensons que l’UNESCO doit continuer à jouer un rôle de facilitateur et de moteur, notamment afin d’apporter le soutien à la croissance de l’économie dans les secteurs que je viens de mentionner.

L.L.D. : En tant que Président du Pan Caribbean Partnership against HIV-AIDS. Comment évaluez-vous les progrès réalisés dans la région et, plus particulièrement dans votre pays, tant en matière de prévention face à cette maladie, que de soins apportés aux malades et de lutte contre les discriminations ?

T.Hon.Dr D.D.: Le Partenariat pan-caribéen de lutte contre le VIH/SIDA a été mis en place il y a dix ans pour contribuer à la lutte contre cette maladie. Depuis lors, nous avons obtenu d’incroyables résultats.
Tout d’abord, nous avons réussi à mettre en œuvre des mesures de prévention. Cela correspond à un programme actif d’éducation et de diffusion des informations en particulier auprès des jeunes. En effet, à Saint-Christophe-et-Niévès, comme c’est le cas dans le reste de la Caraïbe, l’âge moyen des personnes concernées par ce fléau se situe entre 14 et 35 ans. Mais, nous avons constaté ces derniers temps qu’en raison des progrès accomplis en matière de traitements et de soins, les messages véhiculés auprès de la jeunesse se sont avérés inefficaces. En conséquence, nous avons observé une forte diminution des efforts de prévention, alors que dans le même temps le nombre de personnes affectées par la maladie a recommencé à croître. Nous avons également pu constater la féminisation de la maladie. Par ailleurs, l’augmentation de jeunes femmes enceintes illustre le fait que les méthodes de prévention dans le cadre des rapports sexuels ne sont pas utilisées ; ce qui signifie que les vecteurs potentiels d’expansion du VIH existent encore. Cette tendance constitue pour nous une source de grande préocupation. Dès lors, l’idée qui doit être retenue, c’est que nous ne devons jamais baisser la garde en matière d’éducation aux méthodes de prévention et de diffusion des informations. Ces efforts doivent être poursuivis si nous voulons continuer à agir en amont face à la maladie.

L.L.D. : En novembre 2013, vous avez accompli ce qui est sans doute votre première visite officielle en France. Comment analysez-vous les opportunités qu’elle peut ouvrir en vue du renforcement des relations entre votre pays et la France ? Plus largement, à la lumière de la visite d’Etat effectuée par le Président taïwanais Ma Ying-jeou, à  Saint-Christophe-et-Niévès en août 2013, comment décririez-vous, les priorités de votre politique étrangère ?

T.Hon.Dr D.D.: Je souhaiterais dans un premier temps vous rappeler que des liens historiques unissent nos deux pays. La Caraïbe française a en effet commencé à voir le jour à Saint-Christophe-et-Niévès en 1538. Mais, s’il existe des liens culturels évidents, je pense qu’il est dommage que nos liaisons avec la France se soient interrompues. Ma visite à Paris en novembre 2013 est destinée à étudier et à explorer les possibilités et les moyens de renouer avec ces relations.
Nous avons déjà commencé à améliorer les relations entre Saint-Christophe-et-Niévès et les territoires français d’Outre-Mer comme Saint-Martin, La Martinique, La Guadeloupe, etc. Je pense que nous pouvons réellement améliorer nos relations au regard notamment de l’expertise française dans un certain nombre de domaines clés comme l’énergie. Par ailleurs, je crois qu’il est naturel de soutenir le renforcement de nos liens dans des domaines tels que la formation, la culture et l’éducation, en raison de notre proximité avec les territoires français.
De manière plus large, Saint-Christophe-et-Niévès cherche à consolider son propre développement au-delà de ses frontières historiques et de ses partenaires traditionnels hérités de notre passé colonial, en construisant des liens étroits avec des cultures et des économies qui représentent de véritables réussites comme Taïwan.    

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