Un nouvel élan pour la coopération franco-ghanéenne
Marquant une nouvelle étape dans l’approfondissement de leurs relations, le Ghana et la France ont signé en mai 2013 un document de partenariat stratégique. Acteur pivot de la stabilité en Afrique de l’Ouest, le Ghana est également l’un des pays à la plus forte croissance du continent africain. Ministre des Affaires étrangères et de l’Intégration régionale de la République du Ghana, l’Honorable Mme Hanna Serwaah Tetteh, nous explique sa vision du potentiel d’intensification de la coopération avec la France, ainsi que les principaux axes de la politique ghanéenne d’intégration dans la région et au sein d’une Union Africaine qui célèbre en 2013 son 50ème anniversaire.
La Lettre Diplomatique : Madame la Ministre, cinq mois après avoir accompagné le Président John Dramani Mahama au cours de la visite officielle qu’il a accomplie en France du 27 au 29 mai 2013, vous avez effectué un nouveau déplacement à Paris le 10 octobre. Considérant l’entretien que vous avez eu avec votre homologue, M. Laurent Fabius, quels sont les axes prioritaires de la concertation politique entre le Ghana et la France ? Pourriez-vous nous préciser vos aspirations concernant l’intensification des relations entre les deux pays ?
L’Honorable Mme Hanna Serwaah Tetteh : Tout d’abord, merci de me donner l’occasion de m’exprimer au nom du Gouvernement du Ghana et de l’intérêt que vous portez à mon pays afin de mieux le faire connaître. Nous sommes très reconnaissants de l’accueil chaleureux accordé au Président de la République du Ghana, M. John Dramani Mahama, et à sa délégation au cours de sa visite présidentielle à Paris en mai 2013. Rapidement après son accession à l’indépendance, le Ghana a établi avec la France des relations diplomatiques qui ont toujours été cordiales et mutuellement bénéfiques. Ces relations qui récemment se sont accélérées concernent les sphères politiques, économiques et culturelles. Ces faits sont étayés par les efforts concertés de différents leaders de nos deux pays qui travaillent en étroite collaboration. Sur la base des priorités du gouvernement du Ghana telles que définies dans l’Agenda de Croissance partagée et de Développement du Ghana (Ghana Shared Growth and Development Agenda – GSGDA), le partenariat entre le Ghana et la France pour la période 2013-2016 se concentre sur quatre domaines principaux, à savoir : – la bonne gouvernance : soutien à la gouvernance démocratique, réforme du secteur public, décentralisation, coopération dans la sécurité et la défense ; – le développement durable (agriculture et sécurité alimentaire) ; – la coopération dans les domaines tels que la culture, l’enseignement des langues, l’éducation supérieure et la recherche ; – le soutien au développement urbain et du gouvernement local. Le Ghana espère bénéficier d’un meilleur accès à l’assistance technique et financière française par le renforcement des liens entre les deux pays. Tous deux ont convenu du financement d’un certain nombre de projets par l’Agence française de Développement. Au cours d’une réunion au Palais de l’Élysée le 28 mai 2013, nos deux dirigeants ont discuté de l’assistance au commerce et au développement apportée par la France au Ghana, d’une augmentation de la coopération militaire, de la sécurité et de la démocratie en Afrique de l’Ouest et dans les régions sahéliennes d’Afrique, des conflits en Afrique et dans d’autres régions, du terrorisme et du besoin pour le Ghana de tirer profit de sa présence dans le bloc de la Francophonie pour améliorer l’enseignement et l’apprentissage du français.
L.L.D. : Dans le cadre de la visite du Président John Dramani Mahama en France, le Ministre ghanéen des Finances, M. Seth Terkper, a signé avec le Ministre français en charge du Développement, M. Pascal Canfin, un document de partenariat stratégique pour la période 2013-2016. Comment accueillez-vous la volonté française de renforcer ses liens avec le Ghana et, plus généralement, avec des pays situés hors de sa sphère traditionnelle de coopération en Afrique ? Tenant compte du vaste éventail de domaines couverts par cet accord, quels projets emblématiques sont d’ores et déjà envisagés ou à l’étude ?
Hon.H.S.T. : Le document cadre de partenariat entre le Ghana et la France signé au cours de la visite présidentielle a été conçu pour promouvoir et améliorer la coopération franco-ghanéenne dans des secteurs aussi essentiels que l’énergie, le développement urbain et rural, l’agriculture, les services financiers, le soutien aux gouvernements locaux, la décentralisation, l’amélioration des réseaux de transport, c’est-à-dire l’extension/modernisation des installations portuaires et aéroportuaires. Les domaines de partenariat choisis entre la France et le Ghana sont en adéquation avec ceux du programme commun des Etats membres de l’Union Européenne pour 2013-2020 dont la première phase est planifiée pour la période 2013-2016. Le souhait de la France de renforcer les relations avec le Ghana repose dans une large mesure sur les références démocratiques solides de ce pays, son respect de l’État de droit, et bien entendu la volonté du Ghana de promouvoir des valeurs similaires dans la sous-région d’Afrique de l’Ouest. Il est également important de mentionner la politique de bon voisinage du Ghana, son engagement dans la paix et la sécurité dans la sous-région et en Afrique et enfin le fait que le Ghana est prêt à discuter de nouvelles manières d’assurer la paix, la sécurité et la bonne gouvernance sur le continent. Comme vous venez fort justement de le dire, la France a toujours entretenu un partenariat avec les pays de l’Afrique francophone. Mais aujourd’hui que la France montre son intérêt pour le développement de relations mutuellement bénéfiques avec des pays africains non-francophones tels que le Ghana qui est membre associé de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), nous attendons beaucoup du renforcement de nos relations. Actuellement, deux nouveaux projets de l’Agence française de Développement (AFD) sont en cours de discussion et comprennent les domaines suivants : assainissement et adduction d’eau dans les petites villes et les zones rurales pour un montant de 40 millions d’euros, dont le statut doit encore être soumis à l’approbation du gouvernement, et l’extension du projet de route et de drainage à Kumasi pour un coût de 30 millions d’euros (projet de contrat de crédit revu par les agences gouvernementales ghanéennes).
L.L.D. : Illustrant l’essor des échanges économiques franco-ghanéens, une forte délégation d’entreprises françaises s’est rendue à Accra les 22 et 23 mai 2013. Que retenez-vous des rencontres nouées à cette occasion ? A la lumière de l’agenda du développement « Better Ghana » mis en œuvre par votre gouvernement, quelles opportunités votre pays peut-il offrir aux entreprises françaises et, plus précisément, dans quels secteurs d’activité ? Plus largement, quels changements la loi sur l’investissement adoptée par le Parlement en juillet 2013 introduit-elle dans le cadre des affaires ghanéen ?
Hon.H.S.T. : Un certain nombre d’entreprises françaises telles que la SCOA (services), la CFAO (automobile), SG-SSB (banque) et UMARCO (transports maritimes) opèrent au Ghana. De plus, le nombre d’investisseurs français désireux de s’établir au Ghana a régulièrement augmenté au cours des dernières années. Actuellement, on compte quelques 89 projets ghanéens dans lesquels des entreprises françaises sont parties prenantes (89 projets communs entre des entreprises ghanéennes et françaises). Selon un rapport d’activités publié par l’AFD en 2011, le Ghana reste le pays anglophone leader en Afrique de l’Ouest qui bénéficie de la coopération totale de la France et ce pays maintiendra sa confiance dans le futur du Ghana en raison du développement économique régulier de l’économie de ce pays au cours des ans. Il n’est donc pas étonnant d’observer qu’une forte délégation d’hommes d’affaires français se soit rendue au Ghana en mai 2013 et même avant pour explorer les opportunités commerciales. Nous sommes très heureux des contacts établis. Je souhaite également mentionner qu’il y a un large éventail de domaines dans lesquels les entreprises françaises pourraient opérer parmi lesquels les secteurs du gaz et du pétrole, l’énergie, les transports dont les extensions portuaires et aéroportuaires, la construction de routes et de voies ferrées, ainsi que le développement de l’industrie des télécommunications. Il est également important de noter que la nouvelle loi révisée du centre de promotion d’investissement du Ghana a permis de changer positivement le climat des affaires au Ghana.
L.L.D. : Deuxième producteur mondial de cacao et deuxième producteur d’or de l’Afrique, le Ghana se positionne en tête des pays à plus forte croissance du continent africain, avec une hausse du PIB attendue de plus de 8% en 2013. Quelle approche est préconisée pour valoriser durablement ses ressources naturelles ? A l’image de l’essor croissant de la production d’hydrocarbures, quels autres secteurs d’avenir sont susceptibles d’accroître la compétitivité de votre pays et son industrialisation ? Au vu des progrès réalisés pour atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), comment compte-t-il poursuivre ses efforts de lutte contre la pauvreté, notamment en terme de renforcement des infrastructures ?
Hon.H.S.T. : Les ressources naturelles du Ghana comprennent les terres agricoles, les forêts, la faune et la flore sauvage, ainsi que les ressources minérales. Une bonne gestion de ces ressources naturelles assurera la croissance socio-économique et le développement du pays. Le gouvernement a également lancé un certain nombre de programmes, de réformes et de politiques comprenant les points suivants pour assurer la gestion durable de ces ressources : – Promotion des articulations inter-agences et trans-sectorielles ; – Création d’un environnement favorable à une participation effective du secteur privé dans la gestion durable des ressources naturelles ; – Promotion de la participation des communautés dans l’utilisation de multiple manières des terres, forêts, faune et flore sauvages et ressources minérales. A ce titre, nous avons introduit le développement économique local et le projet de sources de revenus alternatives dans les communautés minières pour récupérer les zones exploitées en vue de planter des arbres fruitiers dont des agrumes, avec pour objectif le transfert de la gestion de ces projets aux communautés impliquées ; – La mise en œuvre d’un projet de dix ans de contrôle des incendies pour réduire l’impact négatif des feux de brousse sur la gestion et le développement des ressources naturelles ; – La promotion de l’utilisation du bambou et du rotin comme substituts au bois, ressource qui s’amenuit dans le pays. De toute évidence, le Ghana dispose de secteurs prometteurs en plus de l’industrie pétrolière et gazière. Nul ne peut douter de l’engagement du gouvernement dans le secteur agricole. Ainsi, l’Autorité de développement accéléré de la savane (Savannah Accelerated Development Authority – SADA), une initiative politique gouvernementale destinée à traiter de la fracture entre le nord et le sud du Ghana, reçoit une attention prioritaire. Son rôle est d’accélérer le développement socio-économique de la ceinture de savane par le biais d’investissements stratégiques dans le développement des ressources. Dans l’esprit du partenariat public-privé, la SADA a entre autres facilité les partenariats pour établir trois usines agro-alimentaires, à savoir une usine de traitement du karité à Buipe, une rizerie à Nyankpala près de Tamale et une raffinerie d’huile végétale également à Tamale. On considère que l’industrie agro-alimentaire couplée à des initiatives de mécanisation agricole actuelles pourrait dans un proche futur contribuer notablement à sortir de la pauvreté des dizaines de milliers de groupes pauvres et vulnérables par l’amélioration de leur niveau de vie. De plus, au cours des trois dernières années, le secteur des services a dépassé l’agriculture comme le plus gros contributeur de notre PIB global. Nous disposons d’indicateurs de développement potentiel dans le tourisme, les télécommunications, les services financiers et l’éducation privée, parmi beaucoup d’autres. La volonté du gouvernement d’améliorer et d’élargir les infrastructures pour la délivrance des services sociaux particulièrement aux populations pauvres et vulnérables est fortement ancrée dans l’agenda « Better Ghana ». En effet, la majorité de la population se trouve dans des communautés rurales dans tout le pays et ceci explique pourquoi le gouvernement, en dépit des contraintes économiques, continue à engager des ressources considérables dans la construction de routes, de ponts, d’installations médicales, et lance par ailleurs des programmes de logements bon marché, d’écoles et de système de transport public, d’installation d’eau et d’assainissement et un programme d’électrification des zones rurales. Ces projets d’infrastructure ont pour but essentiel d’ouvrir les communautés rurales et donc de leur permettre de créer des entreprises légitimes et productives qui garantiront une croissance et un développement durables. Il est évident que le gouvernement n’est pas capable seul de lancer de tels projets, d’où la décision d’encourager le secteur privé et les communautés locales dans un partenariat. Cette initiative devrait, entre autre, permettre d’endiguer l’exode rural-urbain dont a résulté le phénomène d’émergence de quartiers pauvres dans les zones urbaines.
L.L.D. : Fort de son projet de terminal de gaz naturel offshore ou de sa participation au prolongement vers Accra du corridor de transport Lagos-Abidjan, l’économie ghanéenne s’affirme comme l’un des moteurs de l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest. Comment percevez-vous les avancées de ce processus, mais également les obstacles à sa mise en œuvre comme en témoigne la fermeture récente de la frontière ghanéo-ivoirienne ? A l’instar du soutien apporté par votre pays au Bénin concernant la mise en place d’un plan régional sur l’énergie en Afrique de l’Ouest, quelles sont les propositions ghanéennes pour favoriser les coopérations transversales au sein de la région ?
Hon.H.S.T. : Lorsque le Ghana a découvert qu’il disposait de réserves pétrolières contenant du gaz, l’ancien Président John Evans Atta Mills a lancé le processus qui a conduit à l’établissement de la Ghana Gas Company en 2011. Il a été demandé à cette entreprise de construire, gérer et exploiter une infrastructure de gaz naturel. L’idée était d’éviter le torchage afin que le gaz associé au pétrole soit utilisé pour le développement du pays. En conséquence de quoi, le projet de développement d’infrastructure gazière du corridor ouest a été lancé à Atuabo dans l’Ouest du pays. Comme vous le savez sans doute déjà, le projet est avancé à hauteur de 72% de sa réalisation, laquelle devrait être achevée en 2014. Toutefois, le Gouvernement est engagé dans le projet et offre toute l’assistance possible à l’entreprise Ghana Gas Company et à ses parties prenantes pour faciliter l’achèvement rapide du projet. L’usine servira à séparer le gaz brut provenant des champs pétroliers en divers constituants, tels que le gaz pauvre, le gaz de pétrole liquéfié (GPL), le gaz liquide naturel, ainsi que des résidus minéraux tels que le propane, le bitume et autres. Nous espérons qu’une fois en activité, cette usine génèrera des emplois et créera une nouvelle infrastructure de soutien à une industrie pétrolière et pétrochimique forte. Elle permettra de créer un nouveau pôle de croissance économique dans la région ouest, placera le gaz de notre pays à un prix concurrentiel, et fera baisser le coût de la production d’électricité par le recours au gaz naturel pour alimenter nos centrales thermiques. De plus, le projet devrait assurer la compétitivité de nos industries locales et accélérer le développement économique, et ce faisant, apportera un soutien à l’objectif stratégique visant à faire du Ghana un acteur du raffinage pétrolier et un exportateur d’énergie privilégié dans la sous-région. Vous avez fait référence au projet du couloir transnational Abidjan-Lagos. Ce projet est cher à notre cœur en tant que gouvernement en raison de son potentiel d’accélération de l’intégration de nos peuples et du développement socio-économique de notre région. Une fois terminé, il favorisera les échanges dans la région et permettra un meilleur accès aux marchés d’exportation pour des pays enclavés tels que le Burkina Faso et le Mali. Comme vous le savez sans doute, nous ne nous limitons pas à ce seul projet routier. L’ensemble des projets dans ce domaine permettront d’élargir l’accès à la région, de faciliter les flux, de donner une nouvelle dynamique au commerce et, en fin de compte, de créer de nouveaux emplois. L’Union européenne a été remarquable dans ce registre et nous espérons parvenir aux mêmes résultats en Afrique de l’Ouest. Sur un plan plus général, je ne pense pas du tout qu’il y ait détérioration des relations avec entre nos pays voisins. Au contraire, j’observe une plus forte coopération et collaboration entre nos peuples et nos pays. Les dirigeants de notre région interagissent plus qu’auparavant, tant aux niveaux bilatéraux que multilatéraux. Comme jamais à ce jour, ils font preuve de plus d’engagement dans les vraies questions d’intégration régionale. Vous vous souvenez certainement qu’à la mort de notre ancien président, feu le Professeur John Evans Atta Mills, les chefs d’États voisins ont été les premiers à rendre visite au Ghana – même avant les funérailles. Par cet acte, ils ont démontré une vraie fraternité en accord avec les traditions et valeurs de notre continent, et nous leur sommes à jamais reconnaissants et à toute la région pour leur soutien en cette période difficile. D’autre part, le Président John Dramani Mahama a pris le temps de rendre visite à tous les pays voisins lors de sa prise de fonction. Il a utilisé cette occasion pour les remercier de leur soutien et pour les assurer de l’engagement continu de son gouvernement aux principes du bon voisinage et de l’intégration régionale. Je pense que la dynamique mondiale actuelle impose le rythme de nos efforts d’intégration – nous ne pouvons pas nous permettre de retarder la résolution des questions importantes nécessaires pour garantir le progrès et la prospérité de notre peuple. Ainsi, c’est pour cela qu’au cours du récent sommet extraordinaire de la CEDEAO à Dakar, les dirigeants se sont engagés dans des questions vitales pour la consolidation de l’économie régionale, à savoir les tarifs extérieurs communs de la CEDEAO, le prélèvement communautaire d’intégration et la conclusion d’un accord de partenariat économique de la CEDEAO. C’est dans le même esprit d’intégration régionale que le Ghana soutien la mise en œuvre du plan régional énergie pour l’Afrique de l’Ouest. Comme vous le savez probablement, le Ghana exporte actuellement de l’électricité vers quelques pays voisins tels que le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire et le Togo. Nous sommes disposés à élargir ces fournitures à d’autres pays après achèvement des projets du pipeline gazier d’Afrique de l’Ouest et Power Pool. En octobre 2000, par la signature de l’accord sur le système d’échange d’énergie d’Afrique de l’Ouest, tous les pays de la région se sont engagés à développer des installations de production d’énergie et à les interconnecter à leurs réseaux nationaux respectifs afin de dynamiser l’alimentation électrique. Ceci est la bonne voie et je pense que nous avançons. Cela ne signifie pas que ce processus sera exempt de problèmes. En effet, en tant qu’Etats souverains, nous avons nos intérêts individuels, nos préférences en termes de politiques, et des défis internes spécifiques. Ce que nous devons faire, en avançant, c’est de reconsidérer la question des postes frontières communs entre les pays voisins de la région, approfondir le contact bilatéral par le biais des commissions communes permanentes de coopération et explorer toutes les mesures de sensibilisation de nos citoyens à l’importance et au sens de l’intégration régionale.
L.L.D. : La recherche de la paix et de la sécurité dans la région de l’Afrique de l’Ouest demeure la priorité de la politique étrangère ghanéenne. Fort du déploiement récent de forces ghanéennes au Mali, comment se traduit l’engagement de votre pays en vue de la stabilisation durable de la région ? Comment évaluez-vous l’impact du désengagement partiel des troupes nigérianes au sein la mission de paix des Nations unies au Mali (Minusma) ? Au-delà, quelles sont les mesures prévues par la feuille de route adoptée en juillet 2013 lors du sommet de la CEDEAO pour une paix durable et la restauration de l’ordre constitutionnel au Mali et en Guinée Bissau ?
Hon.H.S.T. : Vous avez raison de dire que la recherche de la paix et de la sécurité dans la région d’Afrique de l’Ouest reste un objectif clef de la politique étrangère du Ghana. Nous avons toujours été convaincus que sans paix dans la sous-région il ne peut y avoir de développement significatif. Vous savez que lorsque notre premier président, le Dr. Kwame Nkrumah, militait pour des Etats-unis d’Afrique, il insistait beaucoup sur la mise en place d’une Force africaine destinée à répondre rapidement aux besoins en sécurité sur le continent. Depuis, nous avons fait du rétablissement et de la préservation de la paix dans la région une priorité. C’est pour cela que nous avons à plusieurs reprises fourni des troupes et autres ressources au service de la cause de la paix, que ce soit dans le contexte des Nations Unies, de l’Union africaine, ou de la CEDEAO. Nos contributions aux actions de maintien de la paix nous placent au 5ème rang dans le monde. Au cours de la crise au Mali, le Ghana a pris position pour un Mali stable et pacifié. C’est pour cela que nous avons participé activement à toutes les modalités de retour de la paix dans ce pays. Et c’est également pour cela que nous avons formé, équipé et déployé des troupes dans ce pays pour soutenir le processus de paix et que nous avons offert notre assistance financière et technique à ce pays en soutien aux efforts de construction de cette nation. Vous savez certainement que les Nations unies ont demandé au Ghana d’assurer un soutien aérien au Mali. Nous avons commencé nos préparatifs pour cela, et si nous pouvons faire quelque chose d’autre pour aider à la paix et à la stabilité du Mali, nous serons prêts à l’envisager dans les limites de nos ressources. Il est évident que le Nigéria est une plus grande puissance lorsqu’il s’agit de fournir des troupes dans la région. La contribution des troupes nigérianes à l’AFISMA et maintenant à la MINUSMA a constitué un effort de paix significatif pour la communauté internationale. De ce fait, leur retrait partiel de la MINUSMA va certainement affecter la Mission, en particulier en raison de la vaste étendue de terre que doit couvrir la Mission au Mali. De plus, les Français retirent des troupes du Mali. Dans l’intervalle, comme vous le savez certainement, la MINUSMA ne dispose pas encore des 12 600 hommes prévus pour cette Mission à la fin 2013. Nous devons donc mettre en place des mécanismes destinés à réduire l’impact de ces retraits de troupes sur la Mission. Il ne fait aucun doute que l’état de la sécurité au Mali et en Guinée Bissau représente une sérieuse source d’inquiétude pour la CEDEAO. Depuis la fin 2011, tous les sommets extraordinaires des autorités des chefs d’États et de Gouvernements de la CEDEAO ont été dédiés à la restauration de la paix dans ces pays. Nous sommes satisfaits des avancées politiques qui en résultent notamment au Mali et nous espérons que le nouveau gouvernement du Président Keita s’engagera dans la solution des problèmes clefs qui ont été au cœur de la crise. La situation en Guinée Bissau demeure un véritable défi. Il s’agit de sujets qui doivent être traités si nous voulons que se tiennent les élections présidentielles et législatives prévues pour le mois de mars 2014. Nous devons y travailler dur car il est impératif de remettre ce pays sur la voie de la paix, de la stabilité et du droit constitutionnel. La détermination de la CEDEAO et des autres partenaires pour l’avancement de cette cause est louable, mais nous avons besoin de plus de contributions de nos partenaires pour parvenir à un succès électoral similaire à celui que nous avons observé au Mali. Je dois dire qu’au delà de la tenue d’élections et du retour de ces deux pays dans le sein du Droit constitutionnel, nous devons revoir l’architecture de la paix et de la sécurité de notre région, particulièrement dans les domaines de la diplomatie préventive et de la capacité de réponse militaire rapide. Les enseignements tirés de la crise malienne doivent nous guider dans cette démarche. Tant que nous n’aurons pas renforcé notre architecture de paix et de sécurité, nous répondrons aux questions de sécurité dans la région de la même manière que nous l’avons fait au Mali. Il s’agissait là de l’une des inquiétudes de l’Autorité des chefs d’États et de Gouvernements de la CEDEAO au cours du dernier sommet d’Abuja.
L.L.D. : Confronté à une période d’intérim du pouvoir après la disparition de l’ancien Président John Atta Mills, le Ghana a confirmé sa stabilité politique lors de la tenue du scrutin du 8 décembre 2012 qui a vu la victoire du Président John Dahami Mahama. Comment expliquez-vous la solidité de ses fondamentaux démocratiques ? Comment se poursuivent les efforts de votre pays en vue de renforcer les pratiques de bonne gouvernance et notamment de lutte contre la corruption ? Quel regard portez-vous sur les bouleversements que traversent des pays de l’Afrique de l’Ouest comme le Mali ou la Côte d’Ivoire ?
Hon.H.S.T. : Le Ghana vient de loin pour ce qui relève de son développement politique. Vous devez comprendre que les succès obtenus au cours des deux dernières décennies ne nous ont pas été apportés sur un plateau. Après notre indépendance notre histoire a été marquée par des coups d’Etat jusqu’au début des années 1990, lorsque nous avons décidé que cela suffisait. Je pense donc que notre succès démocratique doit d’abord être attribué à la faculté de résistance du peuple ghanéen résultant des expériences passées de règle dictatoriale, prêt aujourd’hui à s’engager dans la construction et la consolidation de valeurs démocratiques, de l’Etat de droit, de respect des droits de l’homme, etc. La vérité est que les Ghanéens ont acquis une maturité politique, sont en mesure de se battre pour leurs droits et de demander des comptes à leurs autorités dirigeantes. Donc, il y a de fortes chances pour que tout personnage public, surtout un élu politique, qui prendrait les choses à la légère le fasse au péril de sa carrière politique. Les autres facteurs qui, selon moi, contribuent à nos succès démocratiques sont nos dispositions constitutionnelles qui garantissent les droits de l’homme et les libertés fondamentales, ainsi que nos institutions relativement fortes qui peuvent répondre à nos besoins dans les heures les plus critiques. Prenons, par exemple, les récentes élections et le litige juridique qui en a résulté engagé devant les tribunaux par le principal parti d’opposition. Il est important ici de noter que la commission électorale du Ghana est très bien perçue dans le monde en raison de sa déontologie professionnelle. Néanmoins, après les élections de 2012, les dirigeants du principal parti d’opposition ont contesté les résultats et porté l’affaire devant les tribunaux, mais ne se sont pas lancés dans des manifestations de rues ce qui aurait déclenché le chaos, car ils avaient clairement compris les implications de telles actions sur leur propre avenir électoral. De son côté, la Cour suprême a pris connaissance de ce recours et a accordé à ces dirigeants toutes les possibilités constitutionnelles de revendication de leur cause. Je pense donc que finalement, le Droit a prévalu au Ghana. Même avant les élections de 2012, à la mort de l’ancien président Mills ce sont là encore nos relativement robustes institutions étatiques qui ont prévalu – dans les six heures qui suivirent le décès du Président, son Vice-Président de l’époque, son Excellence John Dramani Mahama, a prêté serment comme Président. Il est important de noter qu’il n’était pas un président par intérim, mais le Président. Notre constitution ne prévoit pas de “Président par intérim”, et les dispositions sur la procédure à suivre dans de telles circonstances étaient tellement claires et prévisibles que toute tentative par un individu ou groupe d’individus de les ébranler aurait été évidente et aurait rencontré une juste résistance. Enfin, il faut garder à l’esprit la présence et le dynamisme des médias ghanéens et le rôle relativement actif de plaidoyer et de participation de la société civile ghanéenne dans le processus de gouvernance. Les médias du Ghana comptent parmi les plus libres d’Afrique en raison de la liberté de la presse, de l’indépendance des médias et de l’interdiction de la censure garanties par la constitution, Il y a actuellement près de 136 journaux au Ghana, et au dernier trimestre 2011, 247 stations de radio et 28 chaînes de télévision ont été autorisées à diffuser dans le pays. La pénétration non contrôlée de l’internet est également élevée, avec environ 14 millions de Ghanéens actuellement connectés. Ces fenêtres de liberté d’expression permettent à nos concitoyens de se tenir au fait des développements tant au Ghana que dans le monde, ce qui leur permet de mieux apprécier des sujets et d’être en mesure de demander des comptes à leurs dirigeants. En ce qui concerne la corruption, je pense que le Ghana progresse dans son combat contre ce fléau. Nous ne prétendons pas disposer d’un système parfait, mais je pense que nous avons une des plus remarquables législations dans le cadre de notre Constitution pour prévenir la corruption. Il faut noter les lois et organismes suivants : une loi sur les actes criminels (1960) ; la Commission des Droits Humains et la loi sur la justice administrative (1993) ; la loi sur les audits (2000) ; la loi sur l’Administration (2003) ; la loi sur l’agence d’audit interne (2003) ; la loi sur les appels d’offres publics (2003) ; la loi contre le blanchiment d’argent (2008) ; la loi sur les transactions électroniques (2008) ; et la loi sur la criminalité économique et organisée (2010). La gouvernement a également voté une loi sur la protection des dénonciateurs en juillet 2006 afin d’encourager les citoyens ghanéens à dénoncer les pratiques de corruption aux agences gouvernementales appropriées. Dans le même temps, le projet de loi sur la liberté d’information a été approuvé pour sa présentation comme texte de loi. Lorsqu’il sera devenu loi, ce texte donnera aux Ghanéens le droit de demander des informations sur tout sujet en lien avec toute institution du secteur public. En ce qui concerne le cadre institutionnel, nous avons créé la Commission sur les droits humains et la justice administrative, le Bureau de la criminalité économique et organisée, ainsi que des services de police et judiciaires. Sachez de plus que nous venons récemment de créer une cour pour les crimes financiers et économiques pour traiter de délits tels que le vol, le détournement de fonds publics, la corruption, le préjudice financier volontaire à l’encontre de l’État, entre autres. En dépit de tous ces efforts faits par notre gouvernement, je dois toutefois admettre qu’il y a dans notre pays une perception croissante d’augmentation de la corruption liée au gouvernement. Mais du fait que la perception de la corruption et la réalité de cette corruption sont deux choses différentes, le Gouvernement a décidé d’intensifier ses efforts sur les mécanismes de collecte de preuves pour amener devant les tribunaux les cas avérés de corruption. Nos médias, le rôle actif de la société civile et les groupes de plaidoyer auxquels j’ai déjà fait référence nous assistent également dans notre lutte contre la corruption. Donc, en règle générale, je pense que nous sommes sur la bonne voie. Concernant les soulèvements qui se sont produits dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, il faut insister sur le fait que la plupart de ces protestations résultent de griefs qui ont été ignorés pendant de longues périodes de temps. Lorsque toutes les portes à des solutions de compromis pour ces griefs demeurent fermées à des groupes ou des personnes, ces derniers peuvent naturellement recourir à d’autres moyens pour se faire entendre – y compris le fait de s’aligner sur des causes dans lesquelles ils ne croient pas nécessairement, ou de recourir à des actes qui mettent en péril la stabilité de l’État. Malheureusement, comme au Mali, il existait des groupes terroristes et d’autres organisations criminelles qui étaient prêts et n’attendaient qu’une occasion pour exploiter de telles situations à leur avantage. Nous sommes convaincus que pour relever de tels défis il est important de créer de solides institutions de gouvernance. Mais permettez moi d’ajouter qu’au delà d’une telle création, nous devons également créer les conditions qui permettent aux citoyens d’exprimer leurs griefs et de les voir traités selon des modalités qui n’induisent pas la violence. Nous devons passer de la politique de l’exclusivité à celle de l’inclusivité – le type qui permet un développement équitable et des opportunités égales pour tous de mettre en œuvre les talents et les potentiels dont ils disposent.
L.L.D. : Vous avez lancé le 23 avril 2013 les célébrations du 50ème anniversaire de l’Union africaine sur le thème « Panafricanisme et renaissance africaine ». Fort de l’héritage de l’ancien Président Kwame Nkrumah père de l’indépendance ghanéenne et de l’unité africaine, quelle est votre vision de la construction africaine et de l’efficacité d’outils comme le NEPAD ou le Conseil de paix et de sécurité ? Au regard du plan stratégique de la Commission de l’Union africaine adopté le 4 juin 2013, dans quels domaines cet effort doit-il être accentué ?
Hon.H.S.T. : Cette année, l’Union africaine célèbre son cinquantième anniversaire avec pour thème « le Panafricanisme et la renaissance africaine ». Et le Ghana qui pendant cinquante ans a été un membre dévoué de cette organisation continentale, s’est joint avec fierté à la célébration des générations d’innombrables patriotes, en lançant les commémorations nationales du 50ème anniversaire de l’Unité Africaine le 23 avril 2013 à Accra. Ensuite, les principales activités ont été célébrées avec succès du 21 au 25 mai 2013 dans tout le pays. Les célébrations de cet anniversaire ont été mises à profit pour invoquer l’esprit du panafricanisme et de la renaissance africaine dans le peuple ghanéen et ceci nous guidera dans notre entreprise collective de transformation du continent. En conséquence, pour le Ghana, notre contribution à la réalisation de ces objectifs stipulés dans le plan stratégique à l’échelle de l’Afrique pour 2063, l’un des principaux documents présentés par la Commission de l’Union africaine au cours du sommet du cinquantenaire en mai 2013 à Addis-Abeba, sera de travailler activement pour que l’Union africaine soit à la hauteur de sa vision et de ses promesses comme l’union de tous les peuples de l’Afrique. La Ghana a donc demandé à ce que les structures d’engagement de responsabilité de l’acte constitutif soit non seulement rendues opérationnelles mais qu’elles soient également réalignées de manière à permettre à des organismes clefs tels que le Conseil de paix et de sécurité, le Parlement panafricain, la Commission de l’Union africaine, ainsi que les comités techniques spécialisés (NEPAD) de travailler avec plus de transparence et d’harmonie. C’est la voie vers l’amélioration de la confiance entre les Etats membres et nos peuples au sein de cette union. De plus, l’acte constitutif devrait renforcer la gouvernance démocratique et fonctionner efficacement comme base de paix et de stabilité sur notre continent. Concernant le plan stratégique de l’UA 2014-2017, adopté par le CUA, le Ghana va se concentrer sur la promotion de la paix et de la stabilité, y compris des initiatives régionales, de la bonne gouvernance et les droits de l’homme. De plus, notre pays va chercher à promouvoir le développement économique et industriel et l’agenda sur le changement climatique. Tous ces éléments sont stipulés dans le plan stratégique du programme NEPAD. A cette fin, le Ghana dirigera les discussions sur les priorités identifiées au cours des réunions du partenariat et favorisera le soutien pour la mise en œuvre des stratégies au bénéfice du continent.
L.L.D. : Pays membre du Commonwealth, le Ghana a adhéré en 2006 à l’Organisation internationale de la Francophonie. Compte tenu de la volonté de votre gouvernement de privilégier l’apprentissage du français, quelles dispositions concrètes sont-elles envisagées en ce sens ? Comment évaluez-vous les apports de l’appartenance de votre pays à la Francophonie ?
Hon.H.S.T. : Le Ghana est membre associé de l’organisation internationale de la francophonie (OIF) depuis 2006 en raison de nos valeurs communes de solidarité active dans la promotion de la paix et de la sécurité internationale, la démocratie et les droits de l’homme par le partage d’une langue et d’une culture et la promotion de la diversité linguistique. Le Ghana a rejoint cette organisation non seulement pour des raisons économiques, sociales et culturelles, mais surtout parce que sa position géographique exige une solidarité active avec ses voisins francophones immédiats. Il est évident que le français est l’une des langues importantes utilisées dans des forums internationaux tels que la CEDEAO, l’Union africaine et les Nations unies. Ceci explique pourquoi les gouvernements successifs ont, depuis l’indépendance, assuré la promotion de l’enseignement et de l’apprentissage du français à tous les niveaux du système d’éducation du Ghana. En ce qui concerne les avantages de l’OIF pour le Ghana, il peut être important de noter que le Ghana étudie sérieusement un pacte linguistique avec l’OIF pour permettre à cette organisation une assistance ciblée et convenue mutuellement dans différents domaines d’entreprises de manière structurée et cohérente. La conclusion de cet accord donnera un cadre approprié de coopération de développement pour le bien du Ghana et de l’organisation. Dans le même temps, les forces armées ghanéennes n’ont pas été laissées en dehors de la promotion de la langue française au Ghana. Ainsi, elles ont lancé un programme de récompenses pour des examens de français dans le cadre de la coopération militaire franco-ghanéenne. En juin 2013, un centre d’apprentissage du français a été ouvert à Tamale pour permettre aux militaires d’acquérir une meilleure connaissance du français. |