Par Dr. Antonio Missiroli,
Directeur de l’Institut d’études de sécurité de l’union européenne
L’Institut d’études de sécurité de l’UE (EUISS), créé en janvier 2002, a fêté son dixième anniversaire au printemps 2012. Durant cette décennie, l’institut, partie intégrante du « système » institué par les traités d’Amsterdam et de Nice, a accompagné le travail du Haut représentant pour la PESC1 et le développement de la PESD2 au moyen d’analyses pertinentes, d’événements, de la diffusion de documents fondamentaux et de recherches approfondies.
Le temps est venu pour l’EUISS d’accélérer son adaptation au nouvel environnement institutionnel dans lequel il est appelé à agir, de redimensionner ses activités et publications en fonction de ce nouvel environnement et d’accroître sa visibilité sur la carte de l’Union européenne (UE) de façon à démontrer sa valeur ajoutée en confortant sa fonction initiale. Cet EUISS 2.0 constitue ainsi une étape nouvelle dans le développement de l’institut, après la première décennie sous les auspices de l’Union de l’Europe occidentale – UEO – (1991-2001) et la seconde en tant qu’agence de l’UE (EUISS 1.0).
Dès 2013, l’EUISS cherchera à renforcer son profil comme fournisseur d’expertise et d’analyse stratégique à ses commanditaires et comme plateforme de dialogue et de travail en réseau avec les think tanks en Europe et au-delà. Le nombre et la variété de think tanks européens traitant de l’action extérieure de l’Union se sont sensiblement accrus ces dernières années, avec pour effet de stimuler le débat public et souvent de remettre en question les politiques officielles. Dans ce contexte, l’institut doit faire de ce qui le caractérise (une agence financée par les 27) un atout et devenir une interface entre, d’une part, les institutions de l’UE et les États membres et, d’autre part, le monde plus large des experts, analystes et autres intervenants traitant des relations internationales et des questions de sécurité.
À cette fin, l’EUISS doit devenir plus flexible, réactif et pertinent. Cela suppose une certaine réorganisation interne en vue de renforcer sa capacité d’anticipation des (et de réaction aux) événements et évolutions, et de collaborer avec les autres institutions et organes de l’UE, tout en instaurant un mode d’opération collégial, dynamique et transparent. Cela signifie :
–
renforcer l’interopérabilité et l’accessibilité, notamment avec l’ouverture d’une antenne à Bruxelles (au sein du Résidence Palace) et l’organisation sur place d’événements, comme le font de plus en plus de think tanks nationaux ;
–
rationaliser les publications, pour offrir des notes d’analyse plus courtes et plus accessibles, tout en continuant à produire des études et d’autres produits bénéficiant d’une durée de péremption plus longue, avec si possible un annuaire ;
–
plus généralement, « faire mieux avec moins », dans la mesure où l’EUISS ne va pas demander d’augmentation nominale de son budget pour 2013 – une légère diminution est prévue, conforme à l’ambiance générale de l’Union.
Le « S » pour « sécurité » dans l’acronyme de l’institut renvoie à un concept suffisamment large pour englober des approches plus classiques (de la PSDC sous tous ses aspects) et d’autres moins conventionnels. Il va de soi qu’une attention particulière sera accordée à tous nos voisins : les Balkans, où l’européanisation n’a pas produit, près de dix ans après la déclaration de Thessalonique, tous les effets attendus ; le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, où des interrogations sur l’avenir ont succédé à l’enthousiasme initial pour le « printemps » arabe ; le voisinage oriental, où les progrès des droits de l’Homme et de la démocratisation marquent le pas. Seront aussi concernés l’Afrique subsaharienne, avec son mélange unique de défis récurrents et de réussites, et la région Asie-Pacifique qui prend son envol, entraînant un rééquilibrage de la stratégie de nos alliés américains.
Cela ne signifie pas négliger les questions horizontales et stratégiques qui traversent les dimensions géographiques autant que les domaines fonctionnels, qu’il s’agisse des interactions entre énergie et sécurité (en particulier à la lumière des nouveaux développements technologiques concernant le gaz et le pétrole de schiste) ou de ce que l’on appelle les « global commons », de l’accès aux ressources naturelles essentielles ou encore du besoin de développer la résilience des systèmes et des politiques. Notre monde est de plus en plus dépendant des réseaux mondiaux qui engendrent une tension singulière entre concurrence et interdépendance, en élargissant l’éventail des acteurs et des commanditaires tout en éparpillant (voire affaiblissant) les capacités de commandement et de contrôle. L’institut va surveiller et explorer ce territoire encore relativement inexploré. Son implication à la fois dans le projet interinstitutionnel ESPAS (European Strategy and Policy Analysis System), coordonné par le BEPA3 pour la Commission européenne, et dans l’initiative « European Global Strategy », lancée par la Suède, la Pologne, l’Italie et l’Espagne, témoigne de son engagement durable dans la réflexion stratégique.
2013 devrait être avant tout l’année de la défense européenne. La réunion spéciale du Conseil européen prévue pour la fin de l’automne offrira une occasion unique d’amener les décideurs politiques de l’UE à se concentrer sur un domaine politique qui, compte tenu de l’austérité budgétaire actuelle, nécessite à la fois une vision partagée et des décisions fortes. Là aussi, l’Europe a besoin de « faire mieux avec moins », c’est-à-dire d’économiser et de dépenser en commun plutôt que de faire des coupes séparément. L’initiative de l’Agence européenne de Défense (AED) visant à mutualiser et partager les capacités militaires, a déjà permis d’identifier des domaines de coopération plus étroite par-delà les frontières nationales, mais la crise accroît la difficulté de s’accorder sur quoi mutualiser et comment partager. L’institut va proposer des options dans la perspective de 2025, en indiquant comment avancer et comment éviter les pièges sur cette voie. Ce faisant l’institut sera fidèle à ses racines UEO dans un contexte politique et institutionnel changeant et exigeant.