Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

La lettre diplometque
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     « Amener l’hôpital vers les populations les plus démunies »
 
 

Entretien avec le Dr. Serge Michel Kodom,
Président-fondateur de l’Association internationale des Médecins pour la promotion de l’Education et de la Santé en Afrique

Créée depuis sept ans, AIMES-AFRIQUE est devenue, avec plus de 10 000 interventions chirurgicales à son actif, l’une des organisations non-gouvernementale les plus actives en Afrique de l’Ouest dans le domaine de la santé et de l’éducation. Diplômé en maladies infectieuses et du foie à l’Université Pierre et Marie Curie (Paris 6), son Président-fondateur, le Dr Serge Michel Kodom est médecin interniste, Directeur de la Clinique Immaculée Conception de Lomé, au Togo, et spécialiste en éducation pour la santé. 

La Lettre Diplomatique : Monsieur le Président, vous avez fondé l’ONG internationale AIMES-AFRIQUE en 2005 au Togo avec pour projet d’« amener l’hôpital vers les populations ». Quelles étaient vos motivations ?

Dr. Serge Michel Kodom : Au détour d’un fait que j’ai vécu personnellement, lors de mon stage rural dans la région centrale du Togo, à 300 km de Lomé, lorsque j’étais en 7ème année de médecine, le déclic s’est produit lorsqu’un jour j’ai reçu en consultation un vieillard de 70 ans qui avait des troubles mictionnels liés à un adénome de la prostate. L’ayant mis en confiance, il a eu droit à un examen clinique complet et ce septuagénaire m’a avoué que c’était sa première fois de sa vie qu’il rencontrait un médecin.
J’ai alors pris conscience du manque de médecins et de l’extrême pauvreté des populations rurales qui éprouvent d’énormes difficultés à accéder à des soins de santé primaire de qualité et à l’éducation. J’ai pu alors constater la gravité de la situation : manque de personnel soignant qualifié et inégale répartition des médecins (près de 70% des médecins africains vivent dans la capitale de leur pays) ; absence totale de spécialistes dans les zones non urbanisées ; manque de promotion de l’éducation sanitaire dans les écoles ; méconnaissance des actions humanitaires et du volontariat au sein du corps médical ; non-appropriation des OMD (Objectifs du millénaire pour le Développement) par la population en général et le corps médical en particulier.
J’ai fait part de ce constat et de mon expérience à un groupe de jeunes médecins qui pour la plupart étaient mes camarades de promotion. Nous avons décidé de créer une association de médecins pour mener périodiquement des actions comme celles que j’avais menée dans la région centrale du Togo, sachant bien que nous ne disposions que de modestes moyens financiers en dehors de nos échantillons médicaux.
Au Mali, j’ai été au contact d’une population rurale parmi laquelle se trouvaient des paysans qui, non seulement n’avaient pas de moyens, mais mouraient de maux pourtant guérissables, mais tout simplement aussi parce qu’ils n’avaient pas envie de se rendre dans des centres de santé généralement éloignés de leurs foyers.
Pour notre association l’objectif est donc d’amener l’hôpital auprès de cette population cible afin qu’elle puisse bénéficier des soins de santé de qualité. Cette expérience que j’ai vécue lors de mon séjour au Mali a joué un rôle majeur dans l’idée de la création d’une organisation d’envergure internationale et juridiquement constituée pour pallier aux problèmes du manque de médecins en dehors des zones urbaines et surtout pour favoriser l’accès à des soins de santé de qualité en milieu rural.

L.L.D. : Comment définiriez- vous les objectifs de votre organisation et sont mode de fonctionnement?

S.M.K. : Les objectifs que nous nous sommes assignés au départ sont les mêmes et toujours d’actualités, à savoir : promouvoir le sens de la responsabilité sociale et du volontariat au sein du corps médical et, à terme, former le plus grand réseau de professionnels de la santé en Afrique ; offrir des soins de santé primaires et spécialisés aux populations éloignées des systèmes de soins ; susciter un changement de comportement afin d’encourager les dépistages volontaires du VIH/SIDA et autres maladies infectieuses ; mettre à disposition le matériel minimum pour la prise en charge des affections courantes dans les centres de santé communautaires de même que les moyens d’évacuation sanitaire ; soutenir l’excellence et l’émulation des élèves en milieu rural.
Pour résumer, nous aspirons à participer efficacement à l’amélioration des conditions de vie des populations vulnérables, d’une part, et promouvoir le développement durable de l’Afrique, d’autre part, par l’implication des agents de santé en général et des médecins en particuliers. Enfin, nous cherchons également à créer une mutuelle de santé pour les paysans africains afin de pérenniser un accès aux soins de qualité.
En ce qui concerne notre fonctionnement interne, notre ONG vit des cotisations de ses membres dont les frais d’adhésion sont fixés à 25 000 francs CFA (40 euros) et les cotisations annuelles à 60.000 francs CFA (100 euros), ce qui permet de sauver la vie à deux paysans par an en milieu rural… Nous faisons appel à des financements intérieurs et extérieurs pour pouvoir mener à bien nos missions humanitaires de grandes envergure.
Par ailleurs, il faut sincèrement reconnaître le soutien des autorités togolaises qui nous ont permis de mener à bien ces missions, de nous installer au Togo et qui ont, par la suite, délivré l’accord de siège à l’ONG AIMES-AFRIQUE, ce qui lui confère un statut international et lui permet de bénéficier de facilités douanières. Les gouvernements respectifs des pays d’accueil des autres représentations nous ont, pour leur part, apporté leur soutien dans les démarches relative à leur création et leur installation.
Il convient aussi de souligner l’implication significative de la diaspora africaine dans la mise en œuvre de la création et de l’installation des représentations de la France et des Etats-Unis, dont la mission consiste à mobiliser des ressources humaines, matérielles et financières pour la réalisation de ses activités en Afrique.

L.L.D. : Sept ans après sa création, AIMES-AFRIQUE a accompli plus de 10 000 interventions chirurgicales. Comment avez-vous constitué son équipe médicale ? Dans quels pays votre ONG intervient-elle et auprès de quels types de population ?

S.M.K. : L’un des premiers objectifs assigné au secrétariat général du Bureau international de l’ONG basé à Lomé, est de sensibiliser aux notions de volontariat et du management à but non lucratif le personnel local du corps médical en Afrique à travers des rencontres et des échanges. Il s’agit ainsi de contribuer à l’éveil des consciences des agents de santé afin de jouer pleinement le rôle qui lui incombe dans le développement du continent africain.
AIMES-AFRIQUE compte ainsi en son sein plus de 300 médecins africains adhérents et plus de 1 200 agents de santé associés dans les six pays où elle est implantée à savoir le Bénin, le Burkina-Faso, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Sénégal et le Togo.
Plusieurs actions ont été menées sur le plan médico-chirurgical. Les domaines d’intervention tels que l’ophtalmologie, la stomatologie, l’oto-rhino-laryngologie, la dermatologie, la pédiatrie, la gynécologie, la chirurgie viscérale, la médecine générale sont pris en compte lors des missions  médico-chirurgicales itinérantes et bénévoles de AIMES-AFRIQUE. Elle compte ainsi près de 300 000 consultations médicales à son actif

L.L.D. : AIMES-AFRIQUE a mis l’accent sur la lutte contre la pandémie du VIH/Sida. Quels résultats votre organisation a-t-elle atteint dans ses zones d’intervention ? Quel regard portez-vous sur la prise de conscience des ravages de ce fléau par les populations et les gouvernements ?

S.M.K. : La question est très intéressante car là où AIMES-AFRIQUE pense avoir trouvé la formule de riposte au VIH/SIDA, se trouve dans la « matérialisation de la prise de conscience » des populations et des gouvernements. Et à ce niveau, nous estimons que face à cette pandémie et aux ravages, il faut prendre des mesures plus efficaces que celles proposées jusqu’à présent et ceci en milieu scolaire. Parmi ces mesures, il est nécessaire d’augmenter les ressources allouées aux programmes prenant en compte les groupes à haut risque ; promouvoir la vulgarisation des bonnes pratiques et, surtout, de l’éducation sexuelle à l’école ; et enfin insister sur le dépistage de masse.
Pour ce qui est de notre action, nous estimons, justement, avoir donné un signal très fort en faveur de la sensibilisation au dépistage de masse, de la non-discrimination et de la formation sur la prévention de la transmission du VIH/SIDA de la Mère à l’Enfant (PTME) afin de garantir la non contamination des naissances par le VIH des mères séropositives.

L.L.D. : Au-delà de votre action humanitaire et médicale, vous aspirez à développer la culture du volontariat au sein des écoles et des universités. A travers quelles initiatives se manifeste cet effort de sensibilisation ? Avez-vous le sentiment d’avoir suscité des vocations ou tout au moins d’avoir contribué au développement d’un engagement civique ?

S.M.K. : Devant l’absence de mécanismes d’émulation en milieu scolaire et universitaire destinés à susciter davantage de vocations pour le corps médical et l’action humanitaire, AIMES-AFRIQUE s’est fixée comme objectif prioritaire la promotion du volontariat au sein du corps médical à travers des formations sur le management à but non lucratif. A terme, notre ambition est de former le plus grand réseau de professionnels de la santé humanitaire. Nous pensons couvrir d’ici 2020 25 pays soit près de la moitié des pays du continent africain.

L.L.D. : Vous avez organisé le 12 juillet 2012, en coopération avec la Délégation du Togo auprès de l’UNESCO, un grand concert humanitaire sur le thème « Servir l’espoir ». En dehors de la mobilisation de ressources financières, quels liens de partenariat avez-vous pu nouer avec d’autres organisations, quelles soient non-gouvernementales, internationales ou françaises ? Quels autres projets envisagez-vous de mettre en place pour mieux faire connaître AIMES-AFRIQUE en France et dans le monde ?

S.M.K. : Dans le cadre du grand concert humanitaire que nous avons organisé à Paris en coopération avec la Délégation du Togo auprès de l’UNESCO, figurait, bien entendu, parmi nos objectifs, la mobilisation directe de ressources financières ainsi que matérielles à travers des partenariats institutionnalisés. Nous serons très heureux de concrétiser certains contacts pris lors de ce grand événement qui à réuni plus d’un millier de personnes sur le thème de « Servir l’espoir ».
Pour mieux faire connaître AIMES-AFRIQUE en France, nous avons retenu quatre projets qui seront menés par le Bureau exécutif et les membres de la représentation française de l’ONG. Ils  concernent entre autre :
– des rencontres et des échanges avec les associations et fondations françaises œuvrant dans le domaine de la santé et l’éducation ;
– des séminaires ou des colloques sur « le rôle des médecins africains de la diaspora dans le développement de l’Afrique » qui se tiendront dans les principales régions ou départements français ;
– la réalisation d’émissions et la participation aux débats sur les médias français et africains ;  
– des concerts humanitaires de levée de fonds dans les trois plus grandes villes de France.   

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