Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

La lettre diplometque
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     La Fondation Robert de Sorbon : une vocation au service du rayonnement de la culture française
 
 

Entretien avec M. le Recteur Jean-Louis Boursin,
Président du Directoire de la Fondation Robert de Sorbon, Professeur des Universités

Prestigieuse institution d’enseignement, la Fondation Robert de Sorbon accueille les étudiants étrangers amoureux de la langue et de la culture françaises. Elle participe de par sa vocation  à l’ouverture de la France sur le monde. En sa qualité de Président du Directoire de la Fondation, M. le Recteur Jean-Louis Boursin nous livre ses réflexions sur l’engouement que continue de susciter les Cours de civilisation qu’elle dispense, à l’heure où la langue française  semble être entrée dans une phase de déclin.

La Lettre Diplomatique : Monsieur le Recteur, organisés par la Fondation Robert de Sorbon, les Cours de civilisation française de la Sorbonne perpétuent une tradition et le prestige qui ont fait la renommée internationale de l’Université de la Sorbonne. Quelle est l’origine de la mise en place de cet enseignement ?

M. Jean-Louis Boursin : La Fondation Robert de Sorbon se situe dans la continuité d’une très ancienne association, la Société des Amis de l’Université de Paris, créée en 1899. Elle en prolonge, en diversifie et en intensifie l’activité. Déjà, à l’époque, l’Université de Paris (alors unique) avait ressenti le besoin d’une structure souple, débarrassée des pesanteurs administratives, et capable d’attirer des donations, les crédits publics étant déjà insuffisants pour qu’une part soit consacrée au rayonnement national et international de l’Université de Paris. C’est ainsi que l’Association en est venue à s’intéresser aux étudiants étrangers : elle organisait pour eux des cycles de conférences en français, plus accessibles que les cours, mais elle ne se limitait pas à cela : elle a voulu en outre faciliter leur séjour parisien, faciliter leurs études universitaires, faciliter leur découverte de notre culture et de notre civilisation.
En mai 2009, l’Association, qui était devenue la Société des Amis des universités de Paris après l’éclatement en 1970 de l’ancienne Sorbonne en une dizaine d’universités autonomes, a été transformée en Fondation d’utilité publique par un décret du premier ministre. Cela met à l’abri des convoitises son important patrimoine immobilier, et assure sa pérennité. Un conseil de surveillance en assure le pilotage, conseil dans lequel sont représentés les ministres des affaires étrangères et de l’intérieur, ainsi que le recteur chancelier des universités de Paris.
En 114 ans, les besoins n’ont pas changé, mais certains se sont intensifiés ; c’est ainsi que le déclin de la langue française dans de nombreux pays a, par réaction, poussé des jeunes et des moins jeunes, de plus en plus nombreux, à souhaiter venir à Paris pour découvrir notre civilisation et la langue qui en est la clé.

L.L.D. : Conçus pour les étudiants étrangers, les Cours de civilisation française de la Sorbonne associent apprentissage de la langue et connaissance de la culture et de l’histoire de France. Comment définiriez-vous les spécificités de cet enseignement en terme de projet pédagogique ? Quelle place y occupe l’étude de la France contemporaine et l’utilisation des nouvelles technologies de la communication ?

J-L.B. : C’est en effet notre originalité : nous ne formons pas des portiers d’hôtel (encore que certains ont une connaissance stupéfiante des trésors de leur région) et nous associons toujours un enseignement de langue (grammaire et vocabulaire, même si certains étudiants trouvent cela un peu austère), des enseignements de phonétique (différenciés selon le pays d’origine : un Italien et un Japonais n’ont pas les mêmes difficultés pour s’exprimer en français) et des enseignements de civilisation, souvent enrichis de visites de musées ou de monuments. Une attention particulière est accordée à l’expression écrite et à l’expression orale, par l’organisation de groupes homogènes à effectifs réduits.

L.L.D. : Les Cours dispensés sous l’égide de la Fondation Robert de Sorbon intègrent des enseignements préparant à certains diplômes universitaires. Pourriez-vous nous préciser vers quelles filières universitaires se destinent les étudiants participant à ces Cours ? Quelles opportunités ouvrent-ils à ceux qui souhaitent s’initier au monde des affaires francophone ?  

J-L.B. : Il est vrai que l’époque est révolue où les jeunes de bonnes familles considéraient qu’une éducation réussie comportait une ouverture à la France, un peu comme le piano ou quelques « arts d’agrément ». La quasi-totalité de nos étudiants ont l’ambition de poursuivre des études universitaires non seulement à leur retour dans leur pays d’origine mais aussi en France ou dans un pays francophone, dans une perspective professionnelle : combien de nos étudiants chinois ne nous cachent pas leur ambition de « faire du business en Afrique ». Certains visent des études artistiques (les métiers de la culture, du design – matériel ou virtuel -, les métiers de la mode… ) mais d’autres veulent poursuivre des études juridiques, scientifiques ou techniques. Cependant, les vocations littéraires restent majoritaires, et le destin de l’écrivain François Cheng, membre de l’Académie française, un ancien élève de nos cours, fait rêver plus d’un ambitieux.

L.L.D. : Lors de leur création par la Société des Amis des Universités de Paris (SAUP) au début du XXème siècle, les Cours de civilisation française de la Sorbonne accueillaient un public d’étudiants essentiellement d’origine américaine. Quel type de liens continuent-ils de nourrir entre la France et les Etats-Unis ? Comment décririez-vous la diversification de son ouverture internationale ?

J-L.B. : Encore aujourd’hui, les étudiants provenant des Etats-Unis constituent aux Cours de Civilisation française de la Sorbonne le groupe national le plus largement représenté parmi nos étudiants. Nous en sommes très heureux car ils témoignent d’un désir de France, et pas seulement du besoin d’une langue de simple communication qu’ils pourraient apprendre à moindres frais à proximité de leur pays.
Nous maintenons des liens étroits avec l’Association américaine des professeurs de français, un groupement très actif, même si l’expansion hispanique aux Etats-Unis se fait bien souvent aux dépens du français. Il faut aussi observer que, dans nos statistiques, les étudiants chinois talonnent de près les américains, comme sont nombreux les étudiants d’Extrême-Orient : Corée et Japon notamment. Mais il suffit d’assister à une de nos cérémonies de graduation pour constater la très grande variété des origines : lors de la plus récente, 138 pays étaient représentés parmi nos lauréats, même tous les ambassadeurs n’avaient pu répondre à notre invitation. L’un d’eux, que les usages diplomatiques m’empêchent de désigner, nous a même écrit pour demander que nous cessions de lui adresser des invitations, les succès de ses jeunes compatriotes en France n’étant pas au nombre de ses priorités ! Et pourtant, l’empressement joyeux avec lequel ces jeunes se groupent autour du représentant de leur pays pour une photo souvenir dans le péristyle impressionnant de la Sorbonne fait plaisir à voir.

L.L.D. : De par leur nature, les Cours de civilisation française de la Sorbonne participent du rayonnement culturel international de la France. Quelle analyse faites-vous de l’impact de la mondialisation et des bouleversements civilisationnels qu’elle entraîne sur l’influence de la culture française et de ses valeurs ? Quelles sont de ce point de vue vos attentes à l’égard de l’Organisation internationale de la Francophonie dont le 14ème sommet s’est tenu à Kinshasa en octobre 2012 ? Au-delà, quel regard portez-vous sur la diplomatie culturelle de la France ?

J-L.B. : En ce qui concerne la langue, les jeux semblent faits : avec la complicité de nos propres élites, la langue française disparaît des réunions internationales, même dans les enceintes où elle reste langue officielle. Certains de nos diplomates, de nos grands chefs d’entreprise, parfois de nos ministres semblent être fiers de s’exprimer en anglais alors même que des Africains nous donnent l’exemple.
J’ai personnellement assisté à une remise de décoration, il s’agissait des Palmes académiques, au président de l’association locale des professeurs de français, devant un parterre presque uniquement composé de ses adhérents : l’ambassadeur prestigieux qui officiait a fait un très beau discours… en anglais. Dans les revues scientifiques, dans les congrès – même se déroulant en France –, nos chercheurs s’évertuent à parler ou à écrire en anglais, et parfois quel anglais ! Ils ne se rendent pas compte de l’image déplorable qu’ils donnent d’eux-mêmes : on croit leur pensée pauvre, c’est leur langue qui l’est.
Et pourtant, dans certains pays, de plus en plus nombreux en ce début de XXIème siècle, on assiste à une renaissance du désir de langue et de culture françaises : l’analyse qui nous en a été faite par de hauts responsables locaux la fait reposer sur une volonté politique : ne pas avoir une seule clé d’accès, la langue et la littérature anglo-saxonne,  à la culture de l’Occident.
Malgré quelques tentatives de rationalisation, notre diplomatie culturelle souffre de son émiettement, source de gaspillages alors que des moyens manquent pour certaines actions admirables. La création de l’Institut français, présidé de surcroît par un ambassadeur, universitaire et ancien ministre, allait dans le bon sens, même si d’autres organismes tentent de grignoter certaines de ses compétences.
Quant au sommet de Kinshasa, il va lui aussi dans le bon sens, même si les graves difficultés internes de plusieurs pays participants ont un peu obscurci les images qui nous en sont parvenues ; il a en effet souligné que les pays de la Francophonie n’ont pas seulement une langue en commun, mais un certain nombre de valeurs qui, ensemble, appuyées sur l’Histoire, constituent une culture, une civilisation.   

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