Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

La lettre diplometque
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     Ukraine
 
  S.E.M. / H.E. Oleksandr Kupchyshyn

Intégration européenne et présidence de l’OSCE : Kyiv à la croisée des chemins

À partir du 1er janvier 2013, l’Ukraine présidera l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Un enjeu décisif pour ce pays d’Europe orientale qui a fait de son intégration au sein de l’UE la priorité de sa politique étrangère. Revenant sur les défis que doit surmonter la diplomatie ukrainienne dans cette perspective, S.E.M. Oleksandr Kupchyshyn, Ambassadeur d’Ukraine en France nous livre également ses réflexions sur la dynamique qu’a entraînée l’Euro 2012 au plan économique et pour son rayonnement international.

La Lettre Diplomatique : Monsieur l’Ambassadeur, plus de deux ans après l’élection du Président Viktor Ianoukovitch, les Ukrainiens se sont rendus aux urnes le 28 octobre 2012 pour élire leurs parlementaires. Comment analysez-vous les enjeux de ce scrutin ? À l’instar du rétablissement de la Constitution de 1996, quel bilan pouvez-vous dresser des mesures phares mises en œuvre sous l’impulsion du chef de l’Etat ukrainien ?

S.E.M. Oleksandr Kupchyshyn : Ces élections parlementaires ont représenté un enjeu crucial pour les Ukrainiens, le développement futur de notre pays et nos relations avec l’Union européenne (UE). Tout le paradoxe consiste dans le fait que ce ne sont pas les résultats du scrutin qui étaient décisifs pour l’avenir de l’Ukraine, mais avant tout le processus électoral lui-même. Celui-ci s’est tenu dans le calme et de manière absolument transparente. Nous restons d’ailleurs sensibles aux appels de la communauté internationale quant à la nécessité de garantir la transparence et le déroulement démocratique des processus électoraux.
Au moment où s’est déroulé ce scrutin, beaucoup de choses avaient déjà été faites. Une nouvelle loi électorale avait été adoptée, que les experts ont accueillie positivement. Tous les bureaux de vote ont été équipés de caméras, ce qui a permis d’empêcher les fraudes lors du dépouillement des bulletins. De plus, tous les partis politiques souhaitant présenter des candidats à ces élections ont pu le faire sans entraves. Si bien que dès avant cette échéance nous étions prêts à accueillir autant d’observateurs que les pays européens, les États-Unis et les organisations internationales jugeaient nécessaire d’envoyer en Ukraine. Il s’avère de toute façon très difficile, voire impossible, que des fraudes massives se produisent quand toute l’attention de l’Occident est fixée sur un scrutin de ce genre et qu’il est examiné au microscope. Il y a, évidemment eu quelques irrégularités, comme il peut y en avoir pour tout scrutin, mais elles n’ont pas été massives et n’ont pas influencé les résultats des élections. Cinq circonscriptions ont été, d’une certaine manière, problématiques en raison de problèmes dus aux imperfections de la législation. La Commission centrale électorale y a annulé les résultats du vote et recommandé d’organiser de nouvelles élections. Cependant, cela n’a eu aucun impact sur le travail du nouveau parlement qui est tout à fait légitime.
Les enjeux du scrutin qui s’est déroulé le 28 octobre 2012 sont tout à fait clairs pour nous. Nous sommes conscients que l’Europe le considère comme un test démocratique pour notre pays. Et, en fin de compte, il représente un jalon capital et décisif sur notre chemin vers l’intégration européenne.
Le cap sur l’UE que nous nous sommes fixé est synonyme pour nous de modernisation du pays, d’amélioration de la vie des Ukrainiens et traduit, en résumé, notre volonté d’atteindre tout ce que l’on appelle « les standards européens ». C’est dans cette optique que toute une série de réformes est engagée en Ukraine. Au plan social, elles concernent les systèmes de la santé et de l’éducation en vue de garantir à nos citoyens des services plus modernes et plus performants. Elles incluent également les initiatives sociales du Président Viktor Ianoukovitch qui, dans les conditions de l’après-crise, sont destinées à élever le niveau de vie de la population.
Ce processus de profonde transformation du pays ne se limite pas seulement à des mesures de soutien à la population. Tout notre système nécessitait des changements radicaux qui ont été entrepris par le gouvernement actuel. Avant tout, il s’agit de la lutte contre la corruption qui occupe une place centrale dans le programme mis en œuvre à l’heure actuelle. Les réformes de fonctionnement de l’Etat ont également été réalisées ou sont en cours d’exécution. Je peux notamment mentionner les réformes fiscale, administrative et judiciaire avec l’adoption d’un nouveau code de procédure pénale, mais aussi la réforme de la Constitution qui vise à créer un système politique plus transparent, responsable, démocratique et respectueux des droits de l’homme dans notre société. Dans ce cadre, nous avons d’ailleurs créé une Assemblée constitutionnelle chargée de réfléchir sur des modifications pertinentes à introduire dans la Constitution.
L’autre domaine essentiel pour le développement de notre pays est l’économie. Notre tâche principale sur ce plan consiste à attirer les investisseurs. Toute une série de réformes visant à déréglementer l’entrepreneuriat et à créer un climat d’investissement favorable a ainsi été mise en œuvre. L’une des mesures phares adoptées est la réforme du secteur agricole et la réforme foncière.
Comme vous pouvez vous en rendre compte, l’effort que nous avons entrepris vise donc à moderniser de façon globale et approfondie l’Ukraine. Il s’étendra, certainement, sur plusieurs années, mais il est indispensable dans tous les domaines de la vie de mon pays.

L.L.D. : Avec plus d’un million de visiteurs, le championnat d’Europe de football, co-organisé avec la Pologne en juin 2012, a représenté un succès pour votre pays. Rétrospectivement, quel sentiment vous inspire son déroulement ? Comment en évaluez-vous les retombées pour l’Ukraine, notamment sur le plan économique ?

S.E.M.O.K. : L’essentiel est que l’Euro 2012 a changé l’image de l’Ukraine dans le monde. C’est notre plus grand succès. Rétrospectivement, j’éprouve évidemment de la fierté pour mon pays, mais en même temps je me dis qu’il ne faut pas s’en contenter, qu’il faut utiliser tout ce qui a été créé avec beaucoup de rationalité au profit de l’Ukraine et des Ukrainiens. Une chose est d’organiser brillamment un championnat, il en est une autre de savoir tirer parti de son impact positif au cours des années, voire des décennies, qui suivent.
En tant qu’Ambassadeur en France, j’aurais, bien sûr, souhaité qu’il y eût davantage de supporters français pendant le championnat pour qu’ils puissent découvrir l’Ukraine. Ceux qui ont fait le déplacement ont été très contents de leur séjour à Donetsk et charmés de l’hospitalité des Ukrainiens. D’ailleurs, il en est de même pour l’équipe nationale de France, qui était logée près de Donetsk, dans le centre d’entraînement du Chakhtar où les conditions étaient exceptionnelles.
L’ouverture de l’Ukraine à l’Europe et au monde est un gage de notre réussite, d’une perception plus positive de notre pays par les étrangers. Je peux vous donner quelques chiffres : après avoir visité l’Ukraine, 57% des Européens disent que l’Euro 2012 a amélioré leur opinion sur notre pays, et 55% éprouvent de la sympathie pour l’Ukraine. En plus, 42% des Européens estiment que l’Ukraine mérite de devenir dans un avenir proche un pays membre de l’UE, et 30% considèrent que cette adhésion doit se réaliser à moyen terme. C’est la meilleure reconnaissance de notre progrès et de notre identité européenne.
L’un des principaux résultats de l’Euro 2012 est la modernisation globale des infrastructures du pays. Elle ne concerne pas seulement les villes-hôtes, mais également les réseaux routiers et ferroviaires sur tout le territoire, la construction d’aéroports, le développement de l’hôtellerie et de sites sportifs. Certains vont jusqu’à dire qu’en l’espace de 21 ans d’indépendance, toutes ces infrastructures auraient dû être construites bien avant et ils ont raison. Quoi qu’il en soit, c’est l’actuel gouvernement qui l’a accompli sous l’impulsion de ce championnat.
Pour ce qui est des retombées économiques, il est pour l’heure très difficile de donner des évaluations chiffrées et concrètes. Il est vrai que les recettes à court terme sont moins élevées que les ressources financières investies pour la préparation du championnat. Mais les compétitions sportives de cette ampleur représentent avant tout des investissements sur le long terme dont les effets ne seront visibles que dans quelques années.
En ce qui concerne les bénéfices immédiats, il ne faut pas oublier que des milliers d’emplois ont été créés, que le fonctionnement des transports publics dont les Ukrainiens se servent quotidiennement a été optimisé, et que les villes-hôtes ont généré des recettes considérables durant le championnat.
Nous espérons par ailleurs réaliser une véritable percée sur le plan touristique. Lviv a vu, par exemple, le nombre de ses touristes augmenter de 25% après l’Euro 2012. Plusieurs projets de constructions de nouveaux hôtels ont d’ores et déjà été lancés à Kyiv. De leur côté, les agences et les bureaux de tourisme s’efforcent de développer leurs services pour les rendre plus conformes à la demande des Européens.
De notre point de vue, l’Euro 2012 représente donc un investissement économique à long terme, mais c’est aussi un investissement symbolique et interhumain qui rapproche notre société de l’Europe et contribue à la découverte mutuelle de l’Ukraine et de l’Europe.

L.L.D. : Fragilisée par la crise financière internationale, l’économie ukrainienne s’est redressée en 2011 avec une hausse du PIB de 5,3%. Considérant les encouragements récemment exprimés par le Fonds monétaire international (FMI), quelles sont les orientations préconisées pour pérenniser cette dynamique et poursuivre sa modernisation ? Comment qualifieriez-vous les progrès accomplis pour consolider le secteur bancaire ? Dans quelle mesure une reprise de la coopération financière avec le FMI vous semble-t-elle envisageable ?

S.E.M.O.K. : Le gouvernement ukrainien espère continuer sa coopération avec le FMI. L’évaluation positive des réformes en cours en Ukraine par le Conseil des directeurs du FMI, inspire l’optimisme quant aux perspectives de notre coopération. Récemment, une série de  négociations, menées au niveau d’experts ukrainiens et de responsables du FMI, a confirmé l’essentiel : nous entretenons une compréhension mutuelle s’agissant des prochaines étapes de nos relations.
Lors de leur dernière mission à Kyiv, en septembre 2012, les experts du FMI ont constaté que la plupart des paramètres du programme de coopération sont respectés : l’Ukraine reste ainsi dans les limites du cadre du déficit budgétaire fixé dans notre accord avec le FMI, tout comme dans celles définies pour les autres indices financiers. Autrement dit, notre pays  a confirmé sa solvabilité tout en préservant un bon rythme de croissance économique.
Il faut également souligner que le Conseil des directeurs du FMI a porté un jugement objectif et équilibré de la situation économique actuelle de l’Ukraine. Une reprise de la croissance économique après la crise de 2008-2009 a été constatée, tandis que le niveau d’inflation et du déficit public a décru. Le FMI a en outre fait part de sa grande satisfaction à l’égard des efforts du gouvernement ukrainien pour mettre en œuvre des réformes et des progrès réalisés dans le secteur bancaire.
L’ensemble des accomplissements que nous avons accumulés ces derniers temps nous permettent dès lors d’envisager de manière optimiste les possibilités de poursuivre notre coopération avec le FMI.
L’objectif principal des négociations qui se sont déroulées en septembre 2012 avec les experts du FMI était de poursuivre notre dialogue concernant l’obtention d’une nouvelle ligne de crédit prévue dans le cadre du programme de coopération en cours. Nous avons réussi à négocier les objectifs concernant les indices macroéconomiques pour l’année 2013, les tarifs pour les services municipaux et ceux du logement, ainsi qu’un taux de change plus flexible. C’est très important, car c’est de la compréhension mutuelle et, je dirais, de la qualité du budget pour l’année 2013 que dépendra la possibilité de poursuivre cette coopération financière.
Il est important de comprendre que, pour nous, l’essentiel n’est pas d’obtenir des fonds, mais de confirmer une possibilité d’accès aux ressources de crédit du FMI. Pourquoi cela est-il important ? Parce que, compte tenu d’une conjoncture économique extérieure qui n’est pas suffisamment favorable aujourd’hui, l’Ukraine a besoin de cette réserve de crédits. Je pense donc qu’une reprise de la coopération financière avec le FMI est tout à fait envisageable.

L.L.D. : Alors que l’Ukraine dispose de vastes ressources agricoles, minières et énergétiques, l’acier continue de représenter près de 40% de ses exportations. À travers quels mécanismes votre gouvernement compte-t-il stimuler la diversification du tissu industriel et exportateur ukrainien ? Tenant compte du savoir-faire de votre pays dans les secteurs aéronautique et spatial, quelles autres filières de haute technologie pourraient être développées ?

S.E.M.O.K. : Je tiens tout d’abord à rappeler qu’avec le redressement, en 2011, de l’économie ukrainienne et une hausse du PIB de 5,3%, nous assistons à la reprise d’une dynamique positive des exportations ukrainiennes. C’est un signe encourageant surtout sur fond de crise financière internationale.
En 2011, l’Ukraine a exporté des marchandises pour une valeur de 68,4 milliards de dollars, ce qui représente une hausse de 33% par rapport à 2010. Je dois dire que la structure des exportations a retrouvé une certaine stabilité, après les fortes contractions de 2009 (notamment pour les produits sidérurgiques et chimiques), même si elle reste quand même relativement peu diversifiée.
Le premier poste des exportations ukrainiennes correspond aux produits des industries sidérurgiques, représentant une valeur de 22,1 milliards de dollars. Mais ces ventes restent nettement en-deçà de leur niveau d’avant-crise (27,5 milliards de dollars en 2008).
Les produits minéraux constituent notre deuxième poste d’exportation, comptant pour 12,4% du total de nos exportations. Le troisième poste est composé de machines et équipements électriques (8,2% du total), devant les produits pétroliers (en hausse de 55% par rapport à 2010). Viennent ensuite les produits d’origine végétale qui représentent 6,7% du total et les produits chimiques, dont le secteur est redevenu compétitif (6,5% du total par rapport à 2010). Les exportations d’équipements de transport viennent en 7ème position, avec une part de marché de 5,9% et une croissance de 49% en 2011.
Par ailleurs, 2011 a été une année agricole exceptionnelle avec une production de près de 55 mégatonnes de céréales, performance jamais atteinte depuis l’indépendance.
De janvier à mai 2012, le volume des exportations des produits ukrainiens a augmenté de 5,8% par rapport à la même période en 2011, ce qui, bien évidemment, est important pour l’Ukraine dont l’économie est orientée vers l’exportation. Il convient toutefois de reconnaître que la tendance négative, avec la hausse du rythme de croissance des importations par rapport à nos exportations, continue de perdurer. Selon les statistiques, de janvier à mai 2012, le volume des importations ukrainiennes a ainsi augmenté de 7,4% par rapport à la même période de l’année précédente. Le solde négatif du commerce extérieur de marchandises reste dès lors important, atteignant 5,7 milliards de dollars.
Malheureusement, le renforcement du rythme de progression des exportations ukrainiennes en 2012 influe négativement sur la dynamique de croissance de l’économie nationale. Dans le même temps, les conditions défavorables sur les marchés extérieurs sont compensées, jusqu’à un certain point, par une augmentation de la consommation intérieure. En résulte un PIB en hausse de 3% au deuxième trimestre 2012 par rapport à la même période en 2011.
En vue de diversifier le tissu industriel et exportateur ukrainien, notre gouvernement a déjà élaboré un projet de loi sur la création d’une Agence pour le soutien aux exportations qui va bientôt être soumise à l’examen du parlement. Cette agence accordera des garanties aux exportateurs ukrainiens afin qu’ils puissent obtenir les investissements nécessaires et promouvoir leurs produits sur les marchés extérieurs.
Pour ce qui est des hautes technologies, je tiens à vous dire que 2012 est pour notre pays l’année de la mise en place d’une plateforme d’innovation, considérée par notre gouvernement comme une priorité.
En 2012, nous avons en outre enregistré des réussites d’envergure internationale dans les domaines scientifique, technique et de l’innovation. Dans leur ensemble, ces progrès se concentrent dans les filières de hautes technologies telles que les biotechnologies, les nanotechnologies, les nanomatériaux, les technologies de l’information et la médecine nucléaire.
À titre d’exemple, les scientifiques ukrainiens ont réussi en 2011 à mettre au point de nouveaux nanomatériaux sans équivalent dans le monde qui pourront être utilisés pour le contrôle du stockage du combustible nucléaire. Les Etats-Unis et le Japon ont d’ailleurs déjà exprimé leur intérêt pour cette invention.
Les nanotechnologies ukrainiennes ont ainsi une forte probabilité d’être commercialisées avec succès dans le monde. C’est en partenariat avec nos collègues américains que l’Ukraine mettra prochainement en pratique certains projets dans le domaine de la médecine nucléaire. Par ailleurs, nous sommes en train de créer avec la Chine un institut ukraino-chinois de la soudure.

L.L.D. : Devenu membre de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) en 2008, votre pays a fortement accru ses échanges économiques avec les pays émergents. À l’image de la Chine qui est devenu son 3ème partenaire commercial, quels débouchés ces nouveaux marchés offrent-ils à l’économie ukrainienne ? Quels sont les projets les plus emblématiques de son ouverture à ces pays ? En dehors de la lutte contre la corruption, quels efforts doivent encore, selon vous, être déployés pour améliorer l’attractivité du marché ukrainien auprès des investisseurs étrangers ?

S.E.M.O.K. : Pour, l’Ukraine les marchés du continent américain, ainsi que de la région Asie-Pacifique deviennent aujourd’hui de plus en plus attractifs. Le développement et la mise en œuvre de notre potentiel de coopération avec l’ensemble panaméricain constituent aujourd’hui l’objectif le plus important. Cela concerne, outre les États-Unis et le Canada, les marchés du Brésil, du Pérou et de l’Argentine, sans oublier, bien évidemment, le Chili, le Paraguay, la Bolivie, le Venezuela, l’Uruguay et la Colombie.
Il existe en effet de réelles possibilités d’augmenter nos exportations vers les pays d’Amérique latine, tant en matière de biens d’équipement les usines sidérurgiques, des entreprises des secteurs minier, pétrolier et de l’énergie électrique, que de produits chimiques, d’engrais minéraux et de produits agricoles. Les produits du complexe militaro-industriel ukrainien jouissent également d’un intérêt particulier, tout comme nos avions et nos équipements pour les chemins de fer. Un fort potentiel d’exportation de nos services peut également être exploité dans les secteurs de l’aviation, du génie civil, des grands travaux, de la construction de routes, de la médecine ou encore de la formation des cadres.
Pour ce qui est de la région Asie-Pacifique, l’Ukraine la considère également comme une priorité, d’autant que l’on peut à présent constater sans exagérer que cette région joue un rôle de moteur pour l’économie mondiale.
Notre pays se situe géographiquement sur la Grande Route de la soie qui a, durant des siècles, relié l’Asie à l’Europe. Dans ce contexte, il peut et va proposer son modèle d’intégration aux systèmes économiques globaux tels que l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) et l’UE, au sein desquels l’Ukraine pourrait devenir un maillon important et naturel sur le plan des flux commerciaux et d’investissements.
Les pays asiatiques affichent, dans les conditions actuelles de leur insertion à la mondialisation, une politique commerciale de plus en plus dynamique et parfois même agressive. C’est bien dans ce contexte-là que l’Ukraine pourrait s’inspirer, au profit de sa propre économie, de nombreux aspects de l’expérience de la Chine, de l’Inde et de la Corée du Sud.
J’ajouterais que les pays du continent africain demeurent traditionnellement très importants pour les exportations ukrainiennes. La construction représente le principal secteur de la coopération  avec cette région : que ce soit en matière de gazoducs, d’oléoducs, de chemins de fer, de ports, d’aérodromes, de grands sites industriels, d’infrastructures sociales et de transports.
Par ailleurs, le gouvernement ukrainien a créé un environnement juridique étoffé pour améliorer l’attractivité de notre marché et drainer les investissements étrangers. Une Agence nationale pour les investissements et la gestion des projets nationaux a ainsi été créée en vue de faciliter les contacts des investisseurs étrangers avec les autorités centrales et locales ukrainiennes.
De plus, la loi sur la mise en œuvre en Ukraine des projets d’investissements, selon le principe de « guichet unique », est entrée en vigueur le 1er janvier 2012. En 2010, une loi sur le partenariat public et privé a également été adoptée. Au nombre des autres réformes introduites en vue d’ouvrir notre marché, je peux en outre citer le nouveau code douanier, en vigueur depuis le 1er juin 2012, les réformes dans les domaines des privatisations, du droit de la propriété et du droit des affaires, l’élaboration des nouveaux codes sur la fiscalité et le travail, la réforme foncière et la levée du moratoire sur la vente des terres agricoles, l’introduction annoncée d’une taxe sur les produits de luxe et le début de la restructuration de Naftogaz.

L.L.D. : Deuxième plus grand pays d’Europe, l’Ukraine a fait du resserrement de ses liens avec l’UE l’une des priorités de sa politique étrangère. Cinq ans après le début des négociations, comment qualifieriez-vous la portée de l’accord d’association et de stabilisation paraphé avec l’UE le 30 mars 2012 ? Dans la perspective de son entrée en vigueur, quelles réponses votre gouvernement envisage-t-il d’apporter aux attentes européennes en matière de renforcement de l’État de droit et de réforme de la justice ? Comment percevez-vous les réactions européennes aux procédures judiciaires visant d’anciens ministres, dont l’ancien Premier Ministre ukrainien Ioulia Timoshenko ?

S.E.M.O.K. : L’Ukraine a déclaré à maintes reprises que le rapprochement avec l’UE et, à terme, l’adhésion à l’UE, constituaient la priorité de sa politique extérieure. Mon pays en fait la preuve de manière claire et réfléchie, par la réalisation de progrès considérables dans le cadre des négociations sur l’accord d’association avec l’UE. Le paraphe de cet accord, qui a eu lieu, comme vous l’avez mentionné, le 30 mars 2012, signifie que l’intégralité du texte est approuvée par les deux parties et qu’il n’y a plus de points à débattre.
Le paraphe lui-même marque une étape très importante témoignant de tout le travail interne requis qui a été accompli par l’Ukraine dans le cadre de la feuille de route pour l’association. Il s’agit tout d’abord de plusieurs réformes que j’ai déjà évoquées. L’Ukraine a adhéré à quatre conventions internationales, adopté 11 nouvelles lois et presque achevé l’élaboration de la législation exigée par le Plan d’action pour la libéralisation du régime des visas avec l’UE, y compris la décision d’introduire des passeports biométriques.
Après le paraphe, l’accord d’association doit être signé et ratifié pour entrer en vigueur. On entend aujourd’hui certains parler d’un éventuel gel des négociations et du refus supposé des Européens de le signer. Je dois les rassurer : ce processus n’est pas arrêté. Les parties travaillent à présent à la vérification juridique du texte et à sa traduction en 23 langues officielles des pays de l’UE et en ukrainien. Cette étape prend plusieurs mois et est obligatoire avant la signature du document.
Cet accord représente pour nous le socle légal, mais aussi politique et même symbolique,  de notre rapprochement avec l’UE. Il crée les conditions pour la mise en œuvre de réformes et le suivi du travail de l’Ukraine en la matière par l’UE. Il établit donc un niveau de responsabilité beaucoup plus élevé pour notre pays car, dans le cadre de cet accord, nous serons obligés de respecter tous les engagements dont on nous reproche aujourd’hui le non-respect.
L’accord d’association comprend aussi un chapitre sur la création d’une zone de libre-échange entre l’Ukraine et l’UE. Cette disposition nous permettra de réaliser un rapprochement sans précédent sur le plan économique et commercial, mais cela donnera également à l’UE des avantages très importants pour accéder à notre marché dont le potentiel est énorme.
Il est clair que cet accord n’est pas, pour ainsi dire, un « cadeau » pour notre pays. Il est très rigoureux et sa mise en œuvre exigera beaucoup d’efforts. Mais c’est aussi le choix des Ukrainiens qui soutiennent, dans leur majorité absolue, les aspirations européennes de leur pays. Pour autant, l’intégration à l’UE n’est pas une fin en soi, tout au moins à court terme. C’est avant tout un moyen puissant de modernisation et de développement de notre pays.
Nous sommes conscients qu’il y a actuellement des doutes et des inquiétudes en Europe concernant l’Etat de droit en Ukraine, lesquels sont susceptibles d’influencer le sort des négociations entre notre pays et l’UE, et celui de l’accord d’association. En même temps, est-il juste de lier l’avenir des aspirations de l’ensemble du pays à certains procès, même s’il peut y avoir des interrogations par rapport à la pertinence de la législation pénale dans le cadre de laquelle ils se déroulent ? L’essentiel est que tous ces procès se tiennent dans le strict cadre juridique et légal, conformément à la législation en vigueur. Il est bien sûr nécessaire de  réformer cette législation qui est parfois franchement obsolète, ce que nous faisons déjà, d’ailleurs, avec l’adoption, par exemple, du nouveau Code de procédure pénale.

L.L.D : Partenaire clé de la politique de voisinage de l’UE, l’Ukraine constitue un pays pivot pour l’approvisionnement énergétique de l’UE. Compte tenu de son aspiration à renforcer ses propres capacités de production d’énergie, comment ce rôle est-il appelé à évoluer ? Plus largement, en quoi les liens étroits entre votre pays et la Pologne pourraient-ils favoriser l’essor de la coopération régionale ?

S.E.M.O.K. : L’approvisionnement et le transit énergétiques représentent l’un des domaines où l’importance de l’Ukraine aux yeux de l’UE se manifeste très nettement. Conscient de cet enjeu, notre pays déploie tous ses efforts pour se poser en partenaire fiable de l’Europe, tout en aspirant à consolider la coopération dans le domaine énergétique avec l’UE, laquelle forme l’un des volets cruciaux de la sécurité de notre Etat.
L’intégration dans l’espace énergétique européen nous permet de valoriser notre statut de pays de transit. Dans le cadre de ce processus, l’Ukraine a adhéré le 1er février 2011 à la Communauté de l’Energie. Cela exige bien entendu de nous un travail considérable pour adapter la législation ukrainienne aux normes européennes et mettre celles-ci en pratique. En même temps, ce processus nous ouvre des marges de manœuvre importantes pour la modernisation et la sécurisation de notre système énergétique. Dans ce contexte, le problème le plus urgent est la modernisation du réseau des gazoducs, à laquelle l’Ukraine souhaiterait que l’UE participe. En fait, l’UE a tout intérêt à aider l’Ukraine dans ce domaine. Ce projet est en effet beaucoup moins coûteux et plus rentable que, par exemple, le projet South Stream, d’autant qu’il contribuera à renforcer l’indépendance économique et énergétique de notre pays.
Malgré la concurrence sur le marché du transit de gaz, notre rôle de plateforme de transit principale est appelé à demeurer intact. Après le renoncement de certains pays européens à l’énergie nucléaire, les volumes de gaz acheminés vers l’Europe ne cesseront d’augmenter, ce qui permettra à l’Ukraine d’utiliser pleinement ses gazoducs, et ce, même si des projets concurrents se mettent en place.
L’autre priorité de la sécurité énergétique de l’Ukraine consiste à diversifier ses sources d’énergie. Il y a quelques semaines, la plus grande centrale éolienne d’Europe de l’Est a été inaugurée dans le sud de notre pays. On travaille également à la mise en œuvre du projet d’approvisionnement de l’Ukraine en gaz liquéfié et à la construction d’un terminal de regazéification dans la Mer Noire.
Par ailleurs, notre coopération avec l’UE prévoit la diversification de ses voies d’approvisionnement de l’énergie. Je peux citer à cet égard le vaste projet de corridor pétrolier eurasiatique dans le cadre duquel sont prévues l’utilisation de l’oléoduc ukrainien Odessa-Brody et son intégration dans le système de transport de pétrole polonais avec la prolongation de l’oléoduc entre Brody en Ukraine et Gdansk en Pologne.
Il s’agit là d’un exemple frappant de notre synergie avec la Pologne correspond non seulement aux intérêts ukrainiens et polonais, mais également aux intérêts de toute l’UE. Il témoigne en outre de l’intégration effective de l’Ukraine au sein de l’espace énergétique européen. Je ne reviens pas non plus sur le succès de l’Euro 2012 qui a démontré la grande réussite de notre capacité de coordination et de travail en commun, ni sur les projets de coopération dans le domaine des transports et des infrastructures avec la Pologne qui sont très importants tant sur le plan régional, que pour le rapprochement graduel de l’Ukraine avec l’UE.

L.L.D. : Participant activement à la Synergie de la Mer Noire initiée par l’UE en 2007, la diplomatie ukrainienne plaide en faveur d’un approfondissement des relations entre les pays riverains. Vingt ans après la création de l’Organisation de coopération économique de la Mer Noire (OCEMN), dont le dernier sommet s’est tenu en juin 2012 à Istanbul, comment le potentiel de cet espace pourrait-il être davantage valorisé ? Fort de sa médiation dans le conflit transnistrien, comment Kyiv entend-elle contribuer à la stabilisation durable de la région et notamment du Caucase ?

S.E.M.O.K. : Il est vrai que l’Ukraine joue un rôle important dans la région de la Mer Noire que nous considérons comme l’une de nos priorités stratégiques. Actuellement, notre intérêt porte essentiellement sur la coopération dans les domaines de la protection de l’environnement, du tourisme, des transports, du développement économique et du commerce dans cette région.
Sur le plan économique notre pays occupe une position clé en matière de transport de fret vers l’Europe centrale et orientale, ainsi que pour le contrôle des corridors de transport qui relient les pays baltiques avec le bassin de la Mer Noire. Nous approfondissons d’ailleurs notre coopération dans ce domaine, notamment avec la Turquie.
L’Ukraine joue également un rôle crucial dans le secteur agricole à l’échelle régionale. Nous disposons à cet égard d’un potentiel considérable pour consolider et développer nos positions, surtout dans le contexte de l’aggravation de la crise alimentaire mondiale.
Nous aspirons en outre à renforcer la coopération entre, d’une part, l’OCEMN et, d’autre part, l’ONU, l’UE, l’OCDE, ainsi que d’autres organisations internationales et régionales, institutions et initiatives en vue d’accroître le potentiel de la région de la Mer Noire. Ce sont ces relations-là qui forment la vraie valeur ajoutée de l’organisation.
À l’occasion du 20ème sommet de l’OCEMN, l’Ukraine a proposé le 26 juin 2012 à Istanbul, un certain nombre d’initiatives régionales, parmi lesquelles la conclusion d’un accord multilatéral sur le transport intermodal et la mise en œuvre du projet de connexions directes de transport de fret ferry-rail, y compris avec l’utilisation du train de transport combiné Viking.
Il existe donc, de mon point de vue, des perspectives importantes pour notre pays, en particulier dans les secteurs du développement du tourisme, des transports, du commerce, de l’agriculture, de l’énergie, mais aussi en raison de l’augmentation de notre poids politique dans la région.
Cette dynamique suppose, bien évidemment, une implication active dans la résolution des conflits gelés dans la région. La présidence de l’OSCE que l’Ukraine assurera en 2013 sera l’opportunité, pour nous, d’y apporter une contribution concrète et efficace. Il s’agit de l’une de nos priorités pendant la présidence de l’Organisation, et dont le traitement constituera un indice de la réussite de cette mission.

L.L.D. : Adossées à une histoire et à un patrimoine culturel communs, les relations entre l’Ukraine et la Russie sont déterminées par des enjeux stratégiques dans les domaines de l’énergie et de la défense. Deux ans après la signature de l’accord de Kharkiv en avril 2010, quelle analyse faites-vous des progrès de la concertation bilatérale, en particulier en ce qui concerne l’approvisionnement ukrainien en gaz russe ? Comment souhaiteriez-vous voir évoluer les interactions industrielles entre les deux pays ? Une participation ukrainienne à l’Union douanière réunissant la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan vous paraît-elle envisageable et selon quelles modalités ?

S.E.M.O.K. : L’Ukraine s’est engagée à établir une relation de partenariat stable avec son voisin et partenaire stratégique qu’est la Russie. Notre position est très simple : dans les relations bilatérales il n’y a ni « grands frères », ni « petits frères ». Nous sommes des partenaires égaux et nos relations doivent reposer sur les principes de pragmatisme, de respect mutuel et de protection des intérêts nationaux. Les liens culturels, historiques, économiques et humains qui nous unissent depuis des siècles donnent à notre partenariat sa dimension stratégique, et nous tenons à le développer, en le rendant encore plus profond et plus pertinent. Ce partenariat doit se traduire par une confiance constructive dans les relations, mais aussi par la volonté des deux parties de s’asseoir à la table des négociations et de discuter des problèmes existants.
Depuis l’élection du Président Viktor Ianoukovitch nous avons réalisé des progrès considérables dans l’amélioration de nos relations avec la Russie. Nous devons maintenant consolider ce succès tout en défendant nos intérêts nationaux dans un climat constructif et amical.
Il est vrai que la coopération dans le domaine énergétique, où le pragmatisme national prévaut également, occupe une place particulière dans les relations bilatérales entre nos deux pays. Nous espérons trouver des solutions dans le dossier gazier en renforçant nos politiques d’efficacité énergétique et d’économie d’énergie, ainsi qu’en diversifiant nos sources d’énergie. L’Ukraine acquiert son gaz au prix le plus élevé en Europe. C’est un coût totalement infondé pour les consommateurs ukrainiens. Les négociations avec la Russie sur cette question sont en cours depuis deux ans, mais toujours sans aucun résultat. Nous continuerons à chercher un compromis avec la Russie sur cette question, mais il faut avant tout diminuer notre dépendance à l’égard du gaz russe.
Depuis l’adhésion de la Russie à l’OMC, notre pays recherche avec son partenaire de nouveaux moyens efficaces de coopération économique. Les domaines les plus prometteurs sont les produits industriels de haute technologie, la machinerie lourde, l’industrie aéronautique, la construction navale et la construction mécanique pour le secteur énergétique.
En ce qui concerne la coopération de l’Ukraine avec l’Union douanière, nous sommes prêts à examiner notre participation à cette Union au sein de l’Espace économique commun, formé le 1er janvier 2012 par la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan, dans le format « 3+1 ». Pour l’instant nous analysons soigneusement l’expérience de création et de fonctionnement de l’Union douanière et de l’Espace économique commun, afin de définir des formes et des moyens de coopération acceptables.
Il faut en effet que nos relations avec la Russie soient mutuellement avantageuses et tout d’abord, sur le plan économique et commercial. Notre approche se veut avant tout pragmatique et exempte de toutes spéculations politiques ou idéologiques.

L.L.D. : Bien qu’elle ait fait le choix de rester un pays « non-aligné », l’Ukraine maintient une coopération active avec l’OTAN qui se caractérise par des exercices militaires conjoints. Comment appréhendez-vous les développements à venir de ces relations ? Dans quelle mesure votre pays pourrait-il ouvrir des négociations officielles sur le projet de défense antimissile de l’Alliance atlantique ? Comment s’articule le dialogue entre Kyiv et Washington à ce sujet et quelles sont vos attentes à l’égard de l’intensification de la concertation avec les Etats-Unis ?

S.E.M.O.K. : La coopération avec l’OTAN constitue pour l’Ukraine l’un des principaux volets de sa politique en matière de sécurité. Ce partenariat a pour objectif d’atteindre les standards de développement et des capacités de défense, ainsi que de mener avec l’Alliance atlantique une interaction efficace en vue de lutter contre les menaces et les défis traditionnels et nouveaux.
L’histoire des relations entre l’Ukraine et l’OTAN est assez riche. Notre pays est devenu membre du Conseil de coopération Nord-Atlantique en mars 1992, avant de devenir, en 1997, cofondatrice et membre de l’organe qui lui a succédé – le Conseil de partenariat euro-atlantique, qui comprend aujourd’hui 26 Etats-membres de l’OTAN et 20 pays partenaires.
À partir de 1994, notre pays a participé activement au programme « Partenariat pour la paix », dans le cadre duquel des militaires ukrainiens ont pris part à des dizaines de manœuvres de maintien de la paix, conjointement avec d’autres pays de l’OTAN et ses partenaires tant sur le territoire ukrainien qu’à l’étranger.
Les sphères clés de notre coopération avec l’Alliance couvrent la planification de défense, le développement de capacité, opérationnelles et les opérations de règlement de crises.
De plus, l’Ukraine est le seul pays partenaire à participer à la plupart des opérations menées sous l’égide de l’OTAN : 22 militaires ukrainiens font ainsi partie de la Force internationale d’assistance et de sécurité en Afghanistan et 134 ont été engagés dans la Kosovo Force (KFOR) ; en 2010, la corvette ukrainienne Ternopil a participé aux manœuvres menées dans le cadre de l’opération « Effort Actif » en Méditerranée. En 2013, l’Ukraine prévoit de prendre part à l’opération de lutte contre la piraterie de l’OTAN « Bouclier de l’Océan » au large de la Somalie.
Comme vous pouvez le constater, nos relations s’appuient sur une base solide et des perspectives prometteuses pour l’avenir. La direction de l’Alliance partage cet avis. Lors de la 7ème conférence internationale de l’OTAN, qui s’est tenue en septembre 2012 à Riga, le Secrétaire général adjoint de l’OTAN, M. Alexander Vershbow, a ainsi souligné que l’Alliance considérait notre pays comme un partenaire clé.
Par ailleurs, le statut de pays « non-aligné » n’entrave pas du tout cette coopération active. Bien au contraire, la politique d’appartenance aux blocs militaro-politiques n’influence plus nos relations avec la Russie. Cette décision de l’Ukraine a été aussi perçue positivement par Washington.
Dans le contexte de nos relations avec l’OTAN, une éventuelle participation de l’Ukraine au projet de création de la défense antimissile en Europe ne fait pas, pour l’instant, l’objet de négociations. Les perspectives de ce projet pour notre pays et la place qu’il pourrait y occuper ne sont pas encore clairement définies. Lors de sa récente visite à Kyiv, le Secrétaire général de l’Alliance, M. Anders Fogh Rasmussen, a aussi déclaré qu’il était encore prématuré de discuter de l’engagement de l’Ukraine dans le projet de défense antimissile en Europe. Pour autant, cette position n’a pas d’impact négatif sur nos relations avec les États-Unis qui représentent pour nous l’un de nos principaux partenaires stratégiques.

L.L.D. : L’Ukraine et la France ont célébré, le 24 janvier 2012, le 20ème anniversaire de leurs relations diplomatiques. Comment décririez-vous les principales réalisations de la coopération entre les deux pays ? À la lumière de l’élection du Président François Hollande, comment souhaiteriez-vous la voir s’amplifier ? Alors que les échanges économiques franco-ukrainiens demeurent modestes, quelles initiatives pourraient, selon vous, favoriser leur essor et dans quels secteurs d’activités ?

S.E.M.O.K. : Début 2012, nous avons en effet célébré le 20ème anniversaire de la signature par la France et l’Ukraine du protocole intergouvernemental sur l’établissement des relations diplomatiques. Il constitue une bonne occasion de dresser le bilan de ce qui a été réalisé entre nos deux pays et de ce qui est envisageable pour l’avenir proche de notre coopération bilatérale.
Le parcours accompli est considérable : nos deux pays ont dû repartir pratiquement de zéro pour chercher et identifier, dans un premier temps, des domaines d’intérêt mutuel et parvenir, aujourd’hui, à mettre en place une coopération multiforme pragmatique et un partenariat privilégié. L’étape initiale de ce processus a d’ailleurs été caractérisée par une certaine prudence et un attentisme de la part de la France envers un nouvel État souvent perçu à travers des clichés et des stéréotypes comme une région de la Russie – ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.
Vingt ans après, la France est désormais consciente du potentiel de l’Ukraine sur le plan bilatéral, multilatéral et régional, de sa place et de son rôle dans le système des interactions politique et économique du continent européen.
Nous considérons la visite officielle du Président ukrainien à Paris, en octobre 2010, parmi les événements récents les plus importants ayant marqué nos relations bilatérales. Au cours de cette visite, son homologue français a souligné l’existence de toutes les conditions nécessaires pour que nos relations se hissent au niveau d’un partenariat stratégique. Il y eut également la visite, en avril 2011, du Premier Ministre français en Ukraine, où il a coprésidé la Conférence internationale de collecte de fonds pour les projets de Tchernobyl, ainsi que la visite à Paris du Ministre ukrainien des Affaires étrangères, en septembre 2011.
Il est certain que les échéances électorales en France et en Ukraine en 2012 n’ont pas été très propices au maintien d’échanges réguliers et denses au plan politique. Toutefois, avec l’élection du nouveau Président de la République française, M. François Hollande, la formation d’un nouveau gouvernement français et la tenue d’élections législatives dans nos deux pays, je crois qu’il est désormais grand temps de reprendre des contacts bilatéraux actifs.
Pour maintenir le dialogue entre nos deux pays, nous pouvons nous appuyer sur un mécanisme éprouvé : la Feuille de route des relations franco-ukrainiennes, renouvelée tous les deux ans, conformément à laquelle nous travaillons. La troisième édition de ce document biennal arrive à expiration fin 2012. Je pense donc qu’il faut impérativement s’atteler sans tarder à la rédaction d’une nouvelle édition de ce texte important qui portera sur les axes principaux de notre coopération à court terme.
Cependant, l’intensité du dialogue politique est traditionnellement déterminée pour la France surtout et avant tout par des enjeux économiques. Bien que le niveau envisageable des échanges commerciaux entre nos deux pays soit loin d’être atteint, on peut parler d’une évolution spectaculaire : pendant les dix dernières années, les investissements français se sont accrus jusqu’à atteindre 2,223 milliards de dollars contre 24 millions de dollars il y a dix ans, tandis que le volume des échanges bilatéraux s’est élevé de 446 millions à 2,4 milliards de dollars au cours de la même période. Aujourd’hui, plus de 300 entreprises françaises sont implantées en Ukraine, la France s’étant hissée au 6ème rang des investisseurs étrangers dans l’économie ukrainienne.
Il est évident que l’Ukraine dispose de tous les atouts nécessaires pour devenir un pôle attractif de production industrielle en Europe de l’Est. La coopération avec les économies occidentales, parmi lesquelles la France, joue un rôle clé, et représente l’un des enjeux majeurs en vue de la réalisation de cette stratégie. Dans la mesure où la France et l’Ukraine ont besoin de nouveaux marchés pour améliorer la balance commerciale de leur commerce extérieur, les deux pays ont tout intérêt à développer davantage de projets communs dans la construction d’infrastructures, la production agricole, les industries innovantes et les hautes technologies.
Enfin, je conclurais en soulignant que ces vingt années de relations diplomatiques et de coopération avec la France ont largement contribué au rapprochement réel de l’Ukraine et de sa population avec les pays européens sur les plans politique et économique, mais aussi sur le plan des échanges culturels, humanitaires et humains. Renforcer la coopération multiforme avec l’Ukraine à tous les niveaux permettrait de garantir l’existence d’un pôle de stabilité et de croissance tant pour l’Europe en général que pour la France en particulier.    

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