ITER, le rêve et la nécessité
Par Pr. Osamu Motojima, Directeur général d’ITER Organization
L’ITER est né il y a un plus d’un quart de siècle d’un rêve et d’une nécessité. Le rêve ? Reproduire, sur Terre, les réactions physiques qui donnent vie au Soleil et aux étoiles. La nécessité ? Mettre à la disposition de l’humanité tout entière une source d’énergie inépuisable, sûre, universellement accessible et d’un faible impact sur l’environnement. Le projet n’a pas surgi du néant. Lorsqu’au mois de novembre 1985 Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev se rencontrent à Genève et décident d’œuvrer ensemble à la construction d’un « réacteur thermonucléaire expérimental international », la communauté scientifique mondiale est depuis longtemps prête à se lancer dans cette formidable entreprise. Depuis la fin des années 1950, dans la plupart des pays développés, les recherches sur « l’énergie de fusion » n’ont cessé de progresser. Des centaines de machines, toujours plus performantes, ont été construites et exploitées. Un concept particulier, celui du « tokamak1 » s’est rapidement imposé. En 1983, le Joint European Torus (JET), un tokamak de très grande taille que l’Europe a construit au Royaume-Uni, est entré en activité. Physiciens et ingénieurs préparent déjà l’étape suivante – cet ITER auquel les deux hommes d’État, soucieux d’en finir avec les affrontements de la guerre froide, viennent de donner le coup de pouce politique décisif. Rêve, nécessité, mais également projet géopolitique et démarche pédagogique : dans ITER se conjuguent l’ambition de maîtriser une source d’énergie nouvelle « pour le bénéfice de toute l’humanité » (selon les termes du communiqué publié à l’issue du « Sommet de Genève »2) ; la volonté de rassembler les nations3 dans une entreprise de paix et de partager la connaissance et les technologies donnant accès à l’énergie de fusion. En 1985, les États-Unis et l’Union soviétique n’étaient pas seuls à porter le projet ITER. L’Europe, ainsi que le Japon, y étaient fortement engagés. Dans les décennies qui vont suivre, tandis que se dessinent les grandes lignes de l’entreprise, de son organisation scientifique, technique et juridique, la Chine et la Corée, puis l’Inde, se joindront au projet. Au mois de juin 2005, au terme de plusieurs années de négociations, les sept membres d’ITER choisiront à l’unanimité de construire la machine et ses installations annexes à Cadarache, en France, à une trentaine de kilomètres au nord d’Aix-en-Provence. L’année suivante, au mois de novembre, l’Accord ITER sera signé au Palais de l’Elysée et l’organisation internationale ITER (« ITER Organization ») verra officiellement le jour le 24 octobre 2007. Coordinateur de l’ensemble du programme, ITER Organization assure la conception, l’assemblage et l’exploitation de la machine tandis que les sept « membres d’ITER » (Chine, Union européenne, Inde, Japon, Corée, Russie et États-Unis) fournissent l’essentiel de ses éléments4. Fabriqués sur le territoire des pays membres, ces éléments, souvent de très grande taille et d’une masse exceptionnelle (jusqu’à 900 tonnes pour les plus lourds et 61 mètres pour les plus longs), seront débarqués au port de Fos-sur-Mer, à l’ouest de Marseille, et acheminés par un itinéraire spécial jusqu’au site de Cadarache. Cinq ans après la création d’ITER Organization, où en sommes-nous ? Sur les 42 hectares de la plateforme ITER, le chantier, entamé au mois d’août 2010, progresse de manière soutenue : la fosse de protection parasismique du Tokamak est aménagée ; le premier des 39 bâtiments de l’installation5 a été livré, un deuxième, le hall d’assemblage, attenant au futur complexe Tokamak, est en construction ; un poste de transformation électrique a été créé et les réseaux sont en cours d’installation. Depuis le début de l’automne, les personnels d’ITER Organization prennent possession de leurs nouveaux bureaux, dans le « bâtiment siège » – une contribution de l’Europe et de la France – situé en contrebas de la plate-forme. Sur trois continents, dans les usines des Membres d’ITER, la fabrication des prototypes, des maquettes, voire des éléments définitifs de la machine, est lancée. Dès 2014, les premiers « colis » seront livrés sur le site d’ITER et l’assemblage de la machine, qui compte près d’un million de pièces différentes, pourra commencer. ITER doit produire son « Premier plasma » (un plasma d’hydrogène) à la fin de l’année 2020. Au terme d’un programme expérimental de sept ans ; une fois le Tokamak parfaitement réglé et les opérateurs formés à sa conduite, ITER sera enfin prêt à réaliser la démonstration qui est au cœur de son cahier des charges : générer pendant plusieurs dizaines de secondes, dans un plasma de deutérium et de tritium, dix fois plus d’énergie que ce même plasma en aura reçu. Cette démonstration effectuée et renouvelée, ITER pourra alors explorer le domaine des décharges de longue durée, avec des facteurs d’amplification supérieurs à dix, et se rapprocher ainsi des conditions d’exploitation du réacteur de démonstration6 qui lui succédera. Si les ambitions scientifiques et technologiques d’ITER sont de nature à infléchir durablement la marche de notre civilisation, l’organisation du projet, sa gouvernance, sa « culture », s’imposent déjà comme un modèle pour les futures collaborations scientifiques internationales. Ce qui « s’invente » chaque jour à ITER, ce n’est pas seulement le moyen de libérer l’humanité des contraintes énergétiques qui pèsent sur son avenir ; c’est une façon de travailler ensemble, pour le bien de tous, dans le respect de la culture de chacun. Issus d’une trentaine de nationalités, tendus vers la réalisation d’un objectif particulièrement ambitieux, les hommes et les femmes d’ITER forment une communauté dont l’histoire n’offre pas d’équivalent. Porteurs du rêve de trois générations de physiciens, ils frayent le chemin7 qui conduit à la maîtrise du feu des étoiles. |