Doit-on douter du retour à la croissance durable et de la réduction des inégalités ?
Par M. Philippe-Henri Latimier, Ph.D., Professeur d’Ingénierie Financière & Financement de Grands Projets
La conception optimiste des cycles économiques globalement autorégulés entend imposer l’idée que le retour à une croissance forte est une cause entendue. Ainsi sous l’effet d’un rattrapage de la consommation et de l’investissement contenus en période de récession, le cercle vertueux de la croissance reprendrait systématiquement ses droits quand bien même celle-ci pourrait être plus laborieuse. Stimuler la croissance durable et créer des emplois de qualité tout en réduisant les inégalités, voilà résumée ici la feuille de route des gouvernements de l’OCDE confrontés à l’urgence de l’emploi. D’aucuns affirment toutefois que la croissance ne serait plus susceptible de résorber le chômage de masse, tant il apparait que la politique de réduction des effectifs au sein des grandes entreprises fait désormais partie intégrante de leur mode de gestion même lorsque la croissance reprend le dessus. D’autres experts prétendent que l’avenir des sociétés avancées est plus que jamais conditionné par l’idée d’une redéfinition du partage et de l’utilisation des richesses. L’OCDE, de son côté, déclare lors de ses réunions ministérielles qu’il est prouvé qu’en période de conjoncture défavorable, certaines réformes du marché du travail, en particulier les régimes d’indemnités de chômage et la protection de l’emploi, peuvent aggraver temporairement la situation économique. Nous venons de traverser à l’évidence trois années de crise et tout indique que le chemin de la reprise reste semé d’embûches même si différents signaux laissent entrevoir un léger frémissement. La vérité c’est que le chômage mondial touche aujourd’hui plus de 200 millions d’individus. Et tout le monde s’accorde à penser que les tensions ont commencé à peser fortement sur les pays de la communauté européenne lorsque les marchés financiers ont commencé à s’inquiéter de la dette publique de grands pays de la zone euro, en marge de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal. Les estimations de l’OIT (Organisation internationale du Travail) évoquent la nécessité de créer plus de 20 millions d’emplois par an d’ici 2015 pour retrouver les taux d’emploi d’avant la crise. On est donc fondé à s’interroger sur cette sortie de crise qui tarde à se consolider et sur ses modalités techniques, d’où certaines interrogations lancinantes. La première étant de savoir si l’économie de marché est en mesure de résorber le niveau de chômage actuel et de le ramener au niveau antérieur à la crise avant que l’on puisse s’autoriser à parler sérieusement de « reprise ». Et ce, alors que certains pays d’Europe s’enfoncent sous nos yeux dans la récession et que la zone euro reste la menace majeure pour l’économie mondiale. La seconde, tout aussi cardinale, est de savoir si l’économie de marché porte en elle les ressorts pour réduire les inégalités qui, au sein de la zone OCDE, sont à leur plus haut niveau depuis un demi-siècle. En effet, comment les décideurs politiques pourraient-ils s’exonérer de prendre en compte dans le débat public les inégalités croissantes de revenus dans la plupart des pays de l’OCDE, ainsi que dans de nombreuses économies émergentes ? À cet égard, comment ignorer les mouvements de contestation tels qu’Occupy Wall Street, la marche pour l’emploi ou les Indignés qui ont si bien exprimé avec l’amertume et la colère de millions de citoyens révoltés par les rémunérations stratosphériques des dirigeants des grands groupes côtés en bourse et la distribution dans des banques encore soutenues par l’État de bonus indécents versés aux opérateurs de la finance de marché, elle-même responsable d’un bien grand nombre de nos malheurs ? Dans l’actualité du monde qui nous tend un miroir, deux évènements nous obligent à sortir de notre torpeur. D’abord, l’objectif croissance et équité qui doit servir de ligne d’action aux pouvoirs publics. Ensuite, la réduction des écarts de revenus qui se creusent et qui passe forcément par une réforme de la fiscalité et des régimes sociaux afin de mieux répartir les revenus tout en stimulant la croissance. En ce qui nous concerne, nous avons la conviction chevillée au corps que pour gagner la partie tout doit être mis en œuvre pour que, d’une part, l’investissement soit favorisé dans les infrastructures à l’échelle européenne. L’idée d’un grand emprunt obligataire à l’échelle de la zone euro, obligatoirement souscrit par tous et chacun à l’abri de la garantie de la Banque centrale européenne et exclusivement dédié au financement de grands projets d’infrastructure créateurs d’emplois et de richesse, nous paraît opportune et souhaitable ! D’autre part, l’idée de la création d’une taxe sur les transactions financières pour éliminer les opérations ultra-spéculatives liées à la finance de marché, telle qu’elle est envisagée par l’OCDE en vue de libérer de nouvelles sources de financement affectées à la consolidation budgétaire, nous semble de bon augure ! Enfin, pour relancer la croissance, stimuler l’innovation, abattre le mur de la dette et le syndrome de la défaite économique, il nous faut adopter d’urgence des mesures coordonnées pour inciter les fonds d’investissement souverains et privés à prendre le relai des banques commerciales globalement en mal de liquidités. Et désormais toutes globalement sanctionnées par les agences de notation. En revanche, tout indique que les fonds « Private Equity » et « Venture Capital » ont un rôle essentiel à jouer dans le processus de relance économique à l’échelle de l’Europe en tant que source de financement alternative. Déjà, plus de 20 000 entreprises auraient reçues des apports de leur part. 25 000 entreprises, majoritairement des PME, seraient désormais détenues par des fonds soit l’équivalent de 9 millions d’emplois salariés. Il convient dans le même temps d’encourager la tenue de symposiums tel celui du World Investment Conference Europe de La Baule qui s’est tenu en juin 2012 sur la relance durable : une manifestation qui réunissait sous la présidence de Clara Gaymard, Vice-Présidente de General Electric International et Président-Directeur général de General Electric France, de nombreux dirigeants de grandes entreprises internationales telles Siemens, Veolia, Technip, des représentants d’institutions bancaires ou de fonds d’investissement de renommée internationale telles la BEI (Banque européenne d’investissement), Riverside Europe Partners, PAI, ECVA (Association européenne du capital investissement et du capital risque), l’AFII (Agence française pour les investissements internationaux), la DATAR (Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale) et des décideurs politiques, pour débattre des moyens de stimuler l’attractivité et la compétitivité européenne afin de renouer avec la croissance. On l’aura compris, l’économie a changé. Et les faits se sont vengés cruellement. Pour renouer avec la croissance, justement, il convient de repenser ses fondamentaux comme l’innovation : la croissance et la compétitivité de l’Europe passent par la redéfinition des structures permettant de dégager des flux de liquidités excédentaires destinées à s’investir dans des projets innovants et rentables. Pour renouer avec la croissance, il est plus que jamais impératif de placer l’Europe au cœur de la chaîne de valeur. À cet égard, l’on doit légitimement s’inquiéter du fait que la France vient de passer de la 2ème à la 3ème place en matière d’implantations internationales en Europe. Et que selon les conclusions de la 11ème édition du Baromètre Ernst & Young de l’attractivité du site France 2012 présentées à la World Conference à La Baule (20-22 juin), la France est désormais devancée par l’Allemagne, derrière le Royaume-Uni. Selon les mêmes sources, le territoire français aurait attiré 540 nouveaux projets seulement, soit une baisse de 4% par rapport à 2010 alors que son voisin allemand en aurait compté 597 soit une progression de 7% par rapport à 2010 ; des chiffres qui marquent bien l’avantage concurrentiel pris par l’Allemagne. Ils attestent également que la France, pour revenir en pôle position du classement, doit d’abord stabiliser et adapter son cadre administratif, législatif et financiers aux besoins des grandes entreprises tout en offrant aux PME un environnement qui les autorise à croître à l’international plus aisément, et ensuite, combler d’urgence son déficit d’image auprès des investisseurs des puissances émergentes. Au final, il faut désormais « penser structurel » et « penser social » comme l’a dit si justement Angel Gurria, Secrétaire général de l’OCDE lors du Forum OCDE de mai 2012, si l’on veut enclencher une dynamique de relance et de progrès ! Pour le dire autrement, cela signifie plus d’intégration fiscale et plus de réformes structurelles. Et surtout aussi, davantage d’initiatives comme celle actuellement en phase de pilotage à la BEI, relatives à l’émission d’emprunts obligataires affectés à des projets d’infrastructure créateurs de richesse et d’emplois. Une initiative lancée avec le concours de la Commission européenne et qui, en vitesse de croisière, pourrait représenter la contrevaleur de plusieurs dizaines de milliards d’euros. A bon entendeur ! |