CGIAR : un partenariat mondial de recherche pour un futur sans faim
Par M. Frank Rijsberman, Directeur Général du Consortium CGIAR
Avant de parler du rôle du CGIAR et de notre stratégie pour combattre l’insécurité alimentaire mondiale, je voudrais expliquer brièvement pourquoi l’agriculture et l’alimentation sont devenues des problématiques clés dans les affaires internationales. L’agriculture et l’alimentation sont les fondations de toute civilisation. S’assurer que les gens aient suffisamment à manger, des aliments nutritifs à un prix raisonnable a toujours été une priorité pour chaque pays. L’agriculture est toujours le secteur qui fournit le plus d’emplois dans le monde. 40% de la population mondiale dépendent aujourd’hui de l’agriculture. C’est aussi la source prédominante de revenus et d’emplois pour les familles rurales pauvres. Cependant, pendant les trois dernières décennies, les investissements en agriculture ont chuté. Par exemple, l’aide publique au développement pour l’agriculture est tombée de plus de 20 milliards de dollars dans les années 1980 à 3 milliards en 2006. Il y avait alors une perception générale que le défi de produire suffisamment de nourriture avait été résolu. Cela résultait peut-être des succès de la révolution verte et des chercheurs pionniers comme Norman Borlaug, qui a démontré comment l’emploi de variétés améliorées et de techniques agricoles pouvaient augmenter fortement les rendements pour faire reculer la famine. La volatilité des prix agricoles ces dernières années, avec des émeutes de la faim dans plusieurs parties du monde, nous rappelle que la sécurité alimentaire, voire la souveraineté alimentaire, est cruciale pour la paix et le développement. Plusieurs raisons pour expliquer cette crise alimentaire ont été avancées : pertes importantes de récoltes suite à des sécheresses, la spéculation, l’émergence des biocarburants, les barrières du commerce agricole mondial… Derrière ce scénario répétitif se cache une explication simple. Avec presque 80 millions de personnes en plus à nourrir par an, l’agriculture ne peut plus satisfaire cette demande alimentaire croissante. La FAO estime que nous devrons doubler la production alimentaire à l’horizon 2050 pour nourrir les 9 milliards attendus, sachant qu’un milliard de personnes vont déjà au lit affamés chaque soir. Si l’on considère les contraintes nombreuses auxquelles fait face l’agriculture d’aujourd’hui, comme les pressions sur la terre, l’eau et les autres ressources naturelles ; la désertification et le changement climatique ; ou la migration massive des zones rurales agricoles vers les cités ; dans les années à venir, le défi de produire suffisamment de nourriture pour tous est énorme. Nous ne pouvons pas appliquer les mêmes solutions de plus d’engrais ou plus d’eau, comme les décennies précédentes. Au Gujarat par exemple, une des principales régions de production du blé en Inde, les paysans utilisent plus d’intrants, comme les engrais, les pesticides, et ils pompent beaucoup plus d’eau qu’il y a 30 ans, alors que le climat est devenu plus sec dans cette région. Ils peuvent encore maintenir leur production mais la nappe phréatique a chuté de 90 centimètres par an sur cette période. Bientôt, la production agricole dans cette région est appelée à s’effondrer si rien ne change. Nous devons également trouver de nouvelles façons de produire durablement suffisamment d’aliments sains pour tous, tout en assurant un accès équitable aux ressources naturelles. Et nous devons agir maintenant avant que cette crise alimentaire croissante ne génère des dommages irréversibles sur le plan social, économique et sur notre environnement. Le CGIAR est là pour fournir un soutien scientifique en vue de faire émerger les solutions durables à la crise alimentaire mondiale actuelle.
Qu’est-ce que le CGIAR: historique, mission et activités Fondé en 1971, par des visionnaires comme Norman Borlaug et Alex McNamara, des agronomes de réputation internationale, le CGIAR est un partenariat mondial qui rassemble les organisations engagées dans la recherche pour garantir notre sécurité alimentaire future. La recherche du CGIAR vise à réduire la pauvreté rurale, à augmenter la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et la santé humaine, et assurer une gestion plus durable des ressources naturelles. Notre cible c’est les 500 millions de petites fermes familiales dans les pays en voie de développement, qui produisent la majeure partie de la nourriture dans les pays du Sud, mais qui représentent aussi la majorité des gens en situation d’insécurité alimentaire dans le monde. Cette recherche est menée par 15 centres internationaux de recherche agricole qui sont membres du Consortium du CGIAR nouvellement établi à Agropolis International, à Montpellier, et par leurs nombreux partenaires dans les pays du Nord et du Sud. Les 15 centres de recherche représentent plus de 8 000 chercheurs et employés présents dans plus de 50 pays. Ils génèrent et disséminent, à travers les Programmes de Recherche du CGIAR, de nouvelles connaissances, technologies et politiques en faveur d’un développement agricole. Le nouveau Fonds du CGIAR a pour objectif de rassembler des financements multi-annuels garantis et prévisibles pour permettre une planification de recherche sur le long terme et d’allouer des ressources selon des priorités choisies en accord entre les bailleurs et la communauté de recherche. Le Consortium du CGIAR a pour rôle de coordonner le travail des 15 centres CGIAR, en vue de faire émerger une approche de recherche multidisciplinaire et intégrée capable d’aborder les problèmes des agro-écosystèmes appauvris et mal desservis, et d’améliorer l’impact sur les petits paysans et les systèmes alimentaires dans les pays en voie de développement. Le Conseil d’administration du CGIAR a décidé d’installer le Consortium à Agropolis en 2010 notamment du fait de la présence d’une communauté académique et scientifique en agriculture et environnement de haut renom, tels le CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) et l’IRD (Institut de recherche pour le développement). L’installation du Consortium à Agropolis facilitera l’implication des chercheurs français dans les Programmes de Recherche du CGIAR, comme le Partenariat mondial scientifique sur le Riz, ou celui sur les céréales des zones arides telles le mil, le sorgho ou l’orge. Le gouvernement français, avec la Hongrie et le Danemark, a permis au Consortium d’obtenir le statut d’organisation internationale, via un traité intergouvernemental. Ce statut obtenu en mars 2012 permettra au Consortium du CGIAR de promouvoir une vision coordonnée sur les problèmes agricoles et de sécurité alimentaire au niveau international, et lors de conférences clés de développement comme le Sommet de Rio+20.
Le CGIAR vise à réduire la faim et la pauvreté, et à améliorer la nutrition et la santé dans les pays en voie de développement en suivant une approche holistique. Les quinze programmes globaux de recherche visent à améliorer la productivité et la rentabilité des cultures et de l’élevage pour les fermiers des pays en voie de développement, tout en gérant de façon équitable et durable l’eau, le sol et les autres ressources naturelles, et s’assurer que les systèmes agricoles et les communautés peuvent s’adapter et lutter contre le changement climatique. Le CGIAR cherche également à identifier quelles sont les meilleures politiques et institutions à être en mesure d’améliorer les systèmes alimentaires et d’assurer la sécurité alimentaire au niveau mondial et local. Mais tout cet effort de recherche serait vain si nous ne travaillions pas en partenariat. Le CGIAR collabore étroitement avec des centaines d’organisations, incluant des instituts de recherche nationaux et régionaux, des organisations de la société civile, le secteur académique et le secteur privé pour résoudre les problématiques de développement et s’assurer que des solutions éprouvées et adaptées arrivent aux mains des paysans, et finalement dans les assiettes. Notre recherche est aussi participative, depuis le début, avec les paysans qui jouent un rôle central dans ce processus, et leur retour d’expérience façonne les programmes de recherche. Prendre en compte la question du genre dans l’innovation constitue aussi un élément important pour les activités de recherche du CGIAR, puisque renforcer le statut des femmes est un facteur-clé pour résoudre de nombreux problèmes agricoles et de nutrition. Même si les femmes représentent plus de la moitié de la population active engagée en agriculture dans les pays en voie de développement, et sont cruciales pour améliorer la nutrition familiale, leur contribution est souvent sous-estimée. Le CGIAR s’assure aussi que les chercheurs des pays du Sud soient bien impliqués dans les programmes internationaux de recherche, ce qui aide à renforcer les compétences des institutions nationales de recherche agricole dans le Sud.
Avoir un plus fort impact Aujourd’hui, les pays du Sahel, frappés par une sécheresse sévère, font face à une crise humanitaire avec plus de la moitié de leur population qui ont besoin d’aide alimentaire. Tout le monde demande des solutions de long terme pour enrayer ce cycle répétitif de la faim. Ce sont ce type de solutions durables que le CGIAR développe avec ses partenaires. Nous ne travaillons pas seulement sur la sélection de plantes tolérantes à la sécheresse, et qui sont importantes pour la petite agriculture de cette région comme le mil ou le sorgho, mais aussi sur des techniques agricoles appropriées comme le micro-dosage d’engrais ou l’agroforesterie qui ont démontré des augmentations de rendement significatives. Notre but est d’éradiquer la malnutrition et les crises alimentaires chroniques qui frappent aujourd’hui des millions de personnes vulnérables dans le monde. Avec un retour d’expérience de quarante années, le CGIAR a prouvé qu’investir dans la recherche agricole a un impact en générant un bon rapport coût-efficacité dans le combat contre la faim et la malnutrition. Il a été estimé qu’un dollar investi dans la recherche du CGIAR rapportait l’équivalent de neuf dollars en augmentation de productivité agricole dans les pays du Sud. À la fin des années 1980, la recherche du CGIAR sur les moyens de lutte biologique contre la cochenille du manioc, un insecte qui avait détruit les récoltes en Afrique Sub-saharienne, avait sauvé au moins vingt millions de personnes pour un coût total de 20 millions de dollars. En d’autres termes, pour chaque dollar investi, une vie a été sauvée.
Soutenir le CGIAR pour un monde sans faim Ceci est juste un des nombreux exemples illustrant comment investir dans des partenariats mondiaux de recherche agricole comme le CGIAR peut résoudre de façon durable les problèmes de faim et de pauvreté. Pour cela, le CGIAR cherche à doubler ses financements de recherche de 673 millions de dollars en 2010, à 1,6 milliard de dollars en 2025. Le CGIAR appelle la communauté internationale à soutenir notre effort de recherche et une collaboration étroite entre tous les acteurs du développement agricole international, pour garantir la sécurité alimentaire du monde de demain. |