Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

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Le Conseil économique et social : un « produit français » exporté dans le monde entier

 

Par M. Jacques Dermagne, Président du Conseil économique et social de France, Président de l’Association internationale des Conseils économiques et sociaux et institutions similaires (AICESIS)

 

Le Conseil économique et social de la République, que j’ai l’honneur de présider depuis 1999 et à la présidence duquel j’ai été reconduit en septembre 2004, est un « produit français », puisant, dans l’histoire tourmentée de notre pays, ses racines propres, sa culture du débat, le sens même de sa fonction consultative.

Pour autant, il a su progressivement, à travers ses travaux constitutionnels, s’ouvrir aux dimensions européennes et internationales, si prégnantes aujourd’hui dans tous les aspects de l’action publique. Et son effort à l’international ne s’est pas arrêté là ! Reconnu pour son rôle matriciel dans la naissance et l’affermissement de plus de 65 conseils économiques et sociaux (CES) dans le monde, il assure, depuis juin 2003 et pour quelques mois encore, la présidence de la communauté mondiale des CES de cinq continents, à savoir de l’Association internationale des Conseils économiques et sociaux et institutions similaires (AICESIS).

Le CES est, à n’en pas douter, un « produit français » qui s’exporte bien, parce que beaucoup de nations, mais aussi d’organisations internationales ont compris désormais qu’on ne peut plus prendre les décisions loin des hommes et de leurs attentes…

Depuis sa création en 1925, son inscription dans la Constitution en 1946, l’attribution d’un titre spécifique de la Constitution en 1958, le Conseil économique et social s’est efforcé de jouer pleinement le rôle que lui confère la République : conseiller les pouvoirs publics, sur saisine gouvernementale ou sur autosaisine, dans la conception et la mise en œuvre de la politique économique et sociale.

A bas bruit, loin des débats médiatiques ou politiciens trop souvent stériles, il est devenu un acteur réel de la décision publique. Un acteur qui respecte toujours les limites de l’exercice consultatif ! J’ai l’habitude de décrire le CES en utilisant l’image de « l’Assemblée du premier mot ». Car telle est bien notre responsabilité : apporter au décideur public le premier mot – parfois un premier mot qui dérange, souvent un premier mot qui aide, toujours un premier mot qui exprime la réalité vécue sur le terrain – ; mais laisser au décideur, gouvernement et chambres du Parlement, le dernier mot de la décision. La modestie même de notre rôle est le gage de notre crédibilité et de l’écoute qui nous est accordée.

De par sa composition très large, le CES exprime, sur chaque sujet qu’il étudie et dont il débat, les interrogations, les espoirs, les propositions concrètes de la société civile, c’est-à-dire de l’agriculteur dans son champ, de l’ouvrier à son poste de travail, de l’entrepreneur au pied de son bilan, du bénévole au cœur de son activité associative… De par sa méthode propre, faite d’écoute de l’autre, de dialogue, de débat, le CES tente d’identifier, parmi les « souhaitables » défendus par chacun, les « possibles » de l’action publique.

Déterminer les « possibles » de la politique économique et sociale française, c’est aujourd’hui prendre toute la mesure du contexte européen et international. La construction de l’Union, la mondialisation, la financiarisation, l’accélération des temps économiques et sociaux sont autant de facteurs qui impliquent, avant toute décision, de regarder ce qui se fait hors nos murs. Les CES de la République s’y emploie, avec le concours des représentations diplomatiques étrangères en France et françaises à l’étranger.

Beaucoup de nos avis au gouvernement portent directement sur des dimensions internationales. La mandature 1999-2004 a ainsi permis de traiter des problèmes de développement, du commerce international, du processus de Lisbonne, de la Charte européenne des droits fondamentaux, des contours d’un modèle social européen, de l’attractivité de l’économie française pour les investisseurs étrangers ou encore des relations entre la France, l’Europe et de grands espaces régionaux (Russie, Inde, Amérique du Nord, Mercosur…).

Par ailleurs, chacun de nos avis, même s’il traite d’un sujet national, veille à proposer ce « supplément d’âme » que confère l’approche européenne ou la comparaison internationale. Il n’est d’ailleurs pas anodin que le CES se soit doté, en 2001, d’une Délégation pour l’Union européenne, dont l’une des missions est la veille sur toutes les dimensions traitées à Bruxelles. Lire un avis du Conseil, c’est certes découvrir le point de vue partagé par la majorité des organisations de la société civile, mais c’est aussi disposer d’une expertise européenne et internationale reconnue, ce qui pour un élu de la Nation, une administration, une organisation de la société civile ou un citoyen est appréciable !

Mais pouvions-nous nous limiter à témoigner, dans nos travaux, de ce qui se fait à l’étranger sans apporter à notre tour, à l’étranger, cette vision de l’avenir qui est propre à la société civile française ? Nous ne le pensons pas.

Aussi, très tôt, avons-nous construit des relations de confiance privilégiées avec le Comité économique et social européen, instauré en 1957 par le Traité de Rome. Cette structure, construite sur le modèle français, formule des avis à destination des autres institutions de l’Union. Nous entretenons avec elle les meilleurs rapports, d’autant que plusieurs de mes collègues du CES français en sont aussi membres. Notre Délégation pour l’Union européenne travaille quotidiennement à renforcer ces liens.

C’est d’ailleurs dans le cadre de cette coopération que Mme Anne-Marie Sigmund, Présidente du CESE, est venue, en janvier 2005, au Palais d’Iéna, pour présenter la vision que son assemblée a de l’avenir de l’Union et du rôle des institutions de la société civile dans la mobilisation de l’opinion publique européenne à l’heure de l’adoption de la Constitution. M. Michel Barnier, Ministre des Affaires étrangères, a participé personnellement à cet échange.

Mais notre responsabilité dépasse le champ européen. Le CES, depuis 1999, s’est lancé de nouveaux défis de taille : aider au renforcement, partout dans le monde, d’une société civile prête au débat et apte à construire ; favoriser la constitution de Conseils économiques et sociaux dans les démocraties émergentes ; conquérir au sein des organisations internationales la place qui doit revenir à la société civile. Sous l’impulsion de mon prédécesseur, Jean Matteoli, un gros effort avait déjà été entrepris, mais l’international relevait du Président et non de l’institution. C’est la raison pour laquelle, après en avoir délibéré, notre assemblée plénière a décidé d’en faire un des axes de l’action du CES en commençant par créer une direction des relations internationales. Le résultat dépasse aujourd’hui nos espoirs !

Le CES français a été matriciel dans la création de plus de 65 CES dans le monde. L’Association internationale des Conseils économiques et sociaux et institutions similaires – l’AICESIS -, créée en 1999, en réunit, autour de la même table, plus de quarante, ce qui donne à cette association une représentativité très réelle. La mission de l’Association consiste à apporter une aide active à ses membres afin qu’ils développent leurs activités dans leur pays. Mais le rôle de l’AICESIS va beaucoup plus loin. L’Association, comme le CES français, apporte son appui, son « expérience matricielle », aux Etats qui souhaitent créer un conseil économique et social ; les plus récents en date sont le Brésil et la Corée du Sud. Et il n’est pas de démocratie émergente qui ne se dote d’une assemblée où peuvent dialoguer les représentants de leur société civile.

Enfin, l’AICESIS joue un rôle croissant dans le dialogue international, en confortant progressivement son influence auprès des organisations internationales, telles que l’OMC, le BIT, la FAO, l’ONU et son ECOSOC, auprès duquel elle dispose d’un siège d’observateur permanent à vocation générale. J’ai d’ailleurs rencontré, en février 2005, à New York, MM. Jean Ping, Président en exercice de l’Assemblée générale, Munir Akram, Président du Comité économique et social des Nations unies, ainsi que plusieurs responsables du Secrétariat général des Nations unies, afin de jeter les bases d’une véritable association de l’AICESIS aux travaux de l’ECOSOC, d’une part, et aux réflexions sur la réforme des Nations unies et notamment de l’ECOSOC, de l’autre.

Le temps est heureusement révolu où, dans les enceintes internationales, ne s’exprimait que la position des Etats. La société souhaite, à Bamako, Paris, Brasilia ou Sofia, être associée préalablement à la prise de décision. Si cette participation ne se réalise pas à travers un dialogue construit entre organisations représentatives, elle s’exprimera, à n’en pas douter, par des manifestations dont on mesure déjà la violence potentielle, le caractère, hélas, si peu constructif. Donner, dans les enceintes internationales, la parole à l’AICESIS, c’est bénéficier de l’expérience de terrain de ses membres, d’une habitude d’écoute de l’autre et d’une capacité forte de proposition pour la gouvernance du XXIème siècle.

A ce titre, je mise beaucoup sur le Congrès mondial des CES, qui aura lieu à Paris, en juin 2005. Je ne peux certes pas en déflorer le programme, ni préjuger des propositions qui y seront formulées. Mais je puis déjà vous annoncer qu’à cette occasion, l’AICESIS abordera, avec le « libre ton » qui la caractérise, plusieurs des grands dossiers qui préoccupent aujourd’hui la planète, au premier rang desquels le sous-développement. J’espère que La Lettre Diplomatique suivra nos travaux et que ses lecteurs mesureront combien le dialogue entre les acteurs de terrain peut modifier le regard sur les défis modernes et conduire à des propositions vraiment innovantes pour le bien des peuples, de tous les peuples.

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