Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

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« Quel devenir pour la Libye ? »


Par M. Emmanuel Dupuy,
Président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE)

A l’occasion d’un petit-déjeuner débat « Enjeux européens », organisé par l’agence Noé com, en partenariat avec l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), S.E.M. François Gouyette, Chef de la cellule Libye au Ministère des Affaires étrangères et Mme Hélène Bravin, journaliste, auteur de l’ouvrage « Kadhafi, vie et mort d’un dictateur » (éditions Bourin) ont dressé un bilan sans complaisance de la situation en Libye, depuis le départ de l’OTAN en octobre 2011, après sept mois d’opérations militaires suite à la résolution 1973 de l’ONU, et la mort de Mouammar Kadhafi, le 20 octobre.
Les deux intervenants ont rappelé que, bien que l’actualité des dernières semaines ait été marquée par la reprise des combats entre milices à Sebha et par les velléités d’autonomie en Cyrénaïque (qui recèle 60% des réserves pétrolières), la situation restait malgré tout relativement maitrisée et sous contrôle du CNT (Conseil national transitoire), et ce en vue des élections du 23 juin 2012.
La reprise de l’activité pétrolière, qui a retrouvé récemment son niveau d’avant crise, accompagnée entre autre par le dégel de près de 110 milliards de dollars d’avoirs, vient rappeler que la Libye reste un marché des plus attractifs.
Il existe pourtant actuellement en Libye plusieurs pôles de conflits qui mettent en exergue l’existence d’acteurs aux agendas et aux intérêts différents.
Parmi ceux-ci, les conflits tribaux sont sans doute les plus dangereux car ils touchent à la structure de l’Etat – ballotée entre fédéralisme « tribal » et « géographique », État centralisé, État de droit à l’occidental – ; la constitution civile de l’État – permettant de relativiser le poids religieux en Libye – ; ainsi qu’à la préservation de l’unité même du pays.
Bien que reconstituées, la faiblesse des forces armées, l’absence de police, l’état de faiblesse du CNT semblent avoir délégué aux milices, qui ne souhaitent pas désarmer, le soin de mettre de l’ordre dans les conflits tribaux. C’est une stratégie à double tranchant : les milices se mettent ainsi « sous la tutelle » du CNT, ce qui renforce le pouvoir de celui-ci. Toutefois, les milices redeviennent indépendantes une fois les conflits apaisés et réapparaissent lors de ces derniers. Cette stratégie pourrait ainsi créer une dynamique de conflits tribaux, lesquels pourraient être attisés par les milices.
La Libye est par ailleurs menacée par des troubles sociaux. Le budget du CNT a été déclaré déficitaire. De plus, le CNT de M. Mustapha Abdeljalid ne veut pas injecter dans les circuits bancaires les devises provenant du dégel des fonds (100 milliards de dollars) en raison d’un énorme trafic de devises. Cela provoque une fuite des capitaux. Les frontières n’étant plus surveillées, elles sont devenues les maillons faibles.

Des « effets collatéraux »
pour les pays frontaliers
La chute du régime de Kadhafi a provoqué le départ massif de Touaregs lourdement armés qui menacent directement la stabilité régionale et la souveraineté interne de certains pays voisins (à l’instar du Mali aujourd’hui, le Tchad, le Soudan et le Niger demain…) On évoque ainsi la circulation de plus d’un million d’armes individuelles, ainsi que la disparition de plusieurs milliers de missiles sol-air.
Dans ce contexte, l’Union du Maghreb Arabe (UMA) récemment relancée grâce à l’action énergétique du nouveau président tunisien, M. Moncef Marzouki, en vue de l’unité des peuples maghrébins, pourrait jouer un rôle déterminant. Mais pour l’instant seule l’Algérie a accepté une collaboration en vue de sécuriser les frontières communes.
Il faudra cependant du temps pour envisager la réconciliation entre Libyens, la démobilisation et la réintégration des anciens combattants, le désarmement des factions armées, ainsi que la tenue d’élections dans l’immédiat.
Toutefois, ce schéma peut ne pas empêcher la tenue d’élections, les Libyens étant capables, à l’exemple de ce qui a été fait à Misrata, de mettre en place des élections municipales. Toutefois, en étant organisées sans cadre légal institutionnel, on est en droit de s’interroger du bien fondé de telles élections, si elles devaient avoir lieu dans d’autres villes. Il en va de même des partis politiques. Ces derniers qui s’apparentent plutôt à des groupements de personnes, se sont créés pour l’heure sans cadre légal.

Néanmoins, si l’on reste très optimiste, quel Etat pour la Libye ?
À l’instar de certains pays arabes, notamment de la Fédération des Républiques arabes (1952) après la période des indépendances des années 1960, la Libye a tenté de créer un État nation. Certains pays arabes ont choisi leur système de valeurs dans les textes coraniques, ou dans une combinaison de nationalisme et de socialisme tiers-mondiste au lieu d’instaurer les fondements d’un Etat et d’une identité (culture politique, supériorité de la loi, citoyenneté, définition de l’identité….).
De son côté, la Libye a instauré un modèle unique basé sur le socialisme coranique, emprunt d’un penchant très fort au panarabisme, au panafricanisme et au tiers-mondisme qui a conduit Kadhafi bien au-delà même de ses frontières ; ceci afin de forger une identité arabe commune. Son système a tenté de déstructurer le tribalisme en l’intégrant politiquement et administrativement. Économiquement, les tribus ont été affaiblies voire anéanties par la nationalisation à outrance de la Libye.
Quelque soit le modèle adopté, force est de constater que toutes les tentatives dans ce pays ont échoué. Bien qu’officiellement arabes, les nouveaux citoyens libyens ont continué à se référer à leur appartenance clanique, tribale, régionale voire familiale. En ce qui concerne la Libye, le tribalisme a très vite pris le pas sur le nouvel État. La culture tribale a induit le favoritisme, la rivalité des tribus, la corruption et in fine les inégalités…
Aujourd’hui, quel modèle pour le nouvel État, sachant que la culture tribale est restée très forte ? Doit-on ou non prendre en considération le tribalisme de la société libyenne ? Calquer un modèle occidental ? L’Ambassadeur Gouyette s’est montré relativement optimiste, estimant qu’il existait « un sentiment national libyen. »
Cela suppose une « détribalisation » complète de l’État que pourrait accompagner une reconnaissance officielle des tribus en son sein ou qui pourrait permettre de mettre en exergue une difficile symbiose entre les institutions de l’Etat de droit et la culture locale.
En guise de conclusion, les deux intervenants ont surtout cherché à rappeler aux chefs d’entreprises français, soucieux avant toute chose de la structuration de l’offre française et devant tenir compte des perspectives durables de stabilité économique que la France ainsi que l’Europe doivent être présents dans un contexte hautement concurrentiel (Chine, Inde, Turquie, Qatar…).   

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