Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

La lettre diplometque
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L’INALCO : « un creuset de projets, un foyer de rencontres »


Entretien avec le Prof. Jacques Legrand
Président de l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO)

Situé au cœur de Paris, au sein du Pôle des langues et civilisations du monde, l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) est entré dans une nouvelle phase de son histoire, avec le rassemblement de tous ses enseignements en un seul lieu. Président de l’INALCO, le Professeur Jacques Legrand analyse pour nous les mutations de cet institut unique dans le monde et les nouvelles opportunités qu’il offre en termes d’enseignement et de coopération internationale.

La Lettre Diplomatique : Monsieur le Président, depuis la rentrée universitaire 2011, tous les enseignements de l’INALCO sont rassemblés rue des Grands Moulins dans le cadre du Pôle des langues et civilisations du monde. Pourriez-vous nous rappeler quelles ont été les motivations de ce déménagement ?

Prof. Jacques Legrand : N’employez surtout pas le terme de « déménagement ». Pour l’INALCO, cette opération est avant tout une opération de rassemblement tant aux plans physique que politique et psychologique. La dimension « déménagement » est quasi nulle : le mobilier a, par exemple, été financé dans le cadre de la construction du nouveau bâtiment.
Nous sommes pour le moment dans la phase d’« entrée » dans les lieux. Bien entendu, nous rencontrons des imprévus et des améliorations doivent encore être introduites. Certains problèmes sont d’ailleurs liés à l’appropriation de l’ensemble du bâtiment et de toutes les possibilités qu’il offre. Mais il faut comprendre que ce lieu rassemblé est surtout un creuset de projets, un foyer de rencontres entre gens qui ne s’étaient jamais vues depuis le début de leur carrière et qui maintenant partagent un étage entier de salles des professeurs. Je m’étais moi-même dis que cette phase de démarrage prendrait au moins quelques mois. Finalement, elle n’a duré que quelques semaines : dès le mois d’octobre, nous avons commencé à avoir un rythme insoutenable de colloques dans notre bel auditorium. Le planning est plein jusqu’en 2015 !
Il est clair aussi que cette phase se déroule avec pour toile de fond la question des investissements d’avenir. Nous en sommes en effet partie prenante, notamment en tant que membre fondateur, du projet d’Initiative d’excellence (IDEX) Université Sorbonne Paris Cité qui devrait voir le jour à l’horizon 2016.

L.L.D. : L’INALCO partage désormais un site commun avec la Bibliothèque universitaire des langues et civilisations (BULAC). Comment définiriez-vous les apports communs des deux institutions ?

 
J.L. : Un facteur important qui a convergé avec les réclamations formulées depuis une trentaine d’années par l’INALCO en faveur d’un lieu rassemblé, a été la mise en place d’une politique de soutien à la documentation publique, en particulier aux bibliothèques, de la part de la région Ile-de-France, qui a lourdement participé au financement de la construction du bâtiment actuel, et de l’État. La Région a en effet concentré son action sur les bibliothèques surtout dans le domaine de l’enseignement supérieur. Plusieurs bibliothèques interuniversitaires ont ainsi été modernisées, remplacées ou construites. La BULAC a bénéficié de cette démarche.
L’idée d’un projet immobilier conçu sur la base initiale de la Bibliothèque interuniversitaire des langues orientales (BIULO) a émergé à la fin des années 1990. Elle consistait à rassembler au sein d’un édifice plus large, et donc d’une même institution, aujourd’hui la BULAC, des fonds documentaires sur les langues et les cultures en partie extra-europénnes, mais pas seulement. Ce projet a été mis œuvre par la création d’un groupement d’intérêt public, le GIP BULAC, qui réunit une quinzaine d’établissements. Il associe donc plusieurs universités, don l’École pratique des Hautes études (EPHE), l’École des Hautes études en Sciences sociales (EHESS) etc. Doté à l’origine du potentiel qui était celui de la BIULO, la BULAC fait ainsi figure de nouveau venu dans le paysage universitaire.

L.L.D. : Au-delà des aspects techniques, la création du nouveau site de l’INALCO au sein du Pôle des langues et civilisations du monde, implique-t-elle un changement des missions de l’INALCO ?  

J.L. : Non, les missions de l’INALCO restent ce qu’elles sont depuis le décret loi de 1795, celles des « les langues et cultures dans l’intérêt de la politique et du commerce ». Si l’intérêt en question ne porte plus expressément sur ces objectifs, nous demeurons cet organisme là, mais aussi un conservatoire de langues, même si l’expression peut sembler impropre.
J’ajouterais que notre objectif n’est pas nécessairement d’enseigner le plus grand nombre possible de langues, comme certains établissements dans le monde dont l’offre de formation finit par se révéler plus modeste. Nous enseignons ainsi une petite centaine de langues, c’est-à-dire un échantillon représentatif de la diversité des langues dans le monde. Mais, cela veut dire aussi que nous laissons de côté au moins 7 500 langues…

L.L.D. : Les origines de l’INALCO remontent au XVIIème siècle avec la fondation de l’École des Jeunes de Langues. À l’instar de la création récente de filières de formation tournées vers les nouvelles technologies, comment caractériseriez-vous les mutations de l’institut et ses capacités d’adaptation au contexte de la mondialisation et de la révolution des moyens de communication ?  

J.L. : Nous avons vraiment été témoins de l’accélération extraordinaire de la mobilité mondiale, non seulement des individus mais aussi des idées. Au sein de l’INALCO, l’utilisation des nouvelles technologies est encore émergente. Elle suppose que l’on modernise d’abord fondamentalement nos techniques et notre méthodologie d’apprentissage. C’est un processus qui ne se fait pas tout seul et qui rencontre encore des réticences. Mais, dès que nous avons pu disposer d’une marge financière d’équipement informatique, j’ai, par exemple, souhaité acquérir un certain nombre de tableaux interactifs pour équiper les salles de cours. Aujourd’hui, treize outils de ce type ont été installés — alors qu’en Grande-Bretagne, les trois quarts des classes primaires en sont équipées. Cette modernisation s’inscrit également dans le cadre de notre alliance avec l’Université numérique Paris-Ile de France dont nous sommes membres et qui représentera à terme un réseau considérable de 800 000 étudiants.
Nous insistons par ailleurs désormais sur le recrutement d’enseignants ayant déjà des compétences dans le domaine des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Mais pour ce qui est de nos filières de formation, nous continuons à privilégier les intérêts de la politique et du commerce, c’est-à-dire notre filière des hautes études internationales. Il faut savoir que beaucoup de nos étudiants finissent au concours d’Orient (préparant à la carrière diplomatique, Ndlr), tandis que le Centre de préparation aux échanges internationaux (CPEI) est considéré comme l’une des meilleures « business school » de France, classé chaque année parmi les six premiers établissements dans ce domaine au plan national.

L.L.D. : Comment expliquez-vous que cette ouverture au monde des affaires soit méconnue ?

J.L. : Cette dimension de notre enseignement existe pourtant depuis les origines de l’INALCO. Le CPEI a été créé avec le soutien de Louis Denis, qui a été pendant des décennies l’un des dirigeants de la Compagnie française des pétroles, aujourd’hui Total, et dont le père, Jean Denis, a eu à défendre la survie de l’École des langues orientales au milieu du XXème siècle. La naissance de cette filière tournée vers le commerce a en outre coïncidé avec l’évolution de l’INALCO vers un véritable statut universitaire.  

L.L.D. : Accueillant près de 9 000 étudiants, l’INALCO propose aujourd’hui l’enseignement de quatre-vingt treize langues et civilisations, cinq filières à vocation professionnelle et cinq filières de recherche. Comment analysez-vous le manque de visibilité de l’INALCO ?

J.L. : Il est vrai que notre visibilité internationale est plus grande qu’au plan national. Elle est appelée à devenir encore plus évidente avec notre participation au pôle de recherche et d’enseignement supérieur Sorbonne Paris Cité et au fait que nous ayons été choisis dans le cadre de l’IDEX. Mais le classement des universités de Shanghai par exemple n’est pas non plus une priorité absolue. Il n’en reste pas moins qu’en terme de visibilité globale, être membre de plein droit d’un ensemble qui a toute les chances de se retrouver aux alentours de la 30ème place mondiale, n’est pas totalement inintéressant non plus.

L.L.D. : Comment cette visibilité se traduit-elle en terme d’attractivité d’étudiants étrangers et de coopération avec d’autres établissements d’enseignement supérieur ?

J.L. : Ces questions ne sont pas complètement liées. Nous avons bien entendu développé une politique de coopération, sans exclusive, ni préjugés à caractère politique, culturel ou religieux. C’est par définition la réalité du monde qui nous intéresse. C’est la raison pour laquelle je me suis récemment rendu à Pyongyang après être passé par Pékin en venant de Taipei. Il faut ensuite faire vivre cette politique d’ouverture, parce qu’en définitive, le vrai moteur de la coopération ne repose pas sur le nombre d’accords que l’on signe mais sur la qualité des projets. C’est aussi vrai pour les coopérations mises en œuvre avec des établissements français.
Les distances, les questions de transports peuvent certes soulever des difficultés mais ce n’est pas par visio-conférence que nos étudiants vont accéder à l’odeur des marchés d’Asie centrale, même si ce type d’outils aura permis à un grand nombre de partager des cours avec des étudiants d’autres pays. À titre d’exemple, l’un de nos projets en Asie centrale est de mettre en place des cours de chinois associant des enseignants et des étudiants français et ouzbeks ou kazakhs, qui permettront de confronter les différences de méthode, de travailler la prononciation, etc.
L’un des pièges dans lesquels nous sommes souvent tombés à l’INALCO est de penser la relation de coopération internationale de façon assez étroitement bilatérale. C’est au contraire l’approche transversale qu’il faut privilégier et la capacité de porter des projets propres à chaque établissement avec lesquels nous travaillons. Par exemple, nos équipes ont tendance à penser que travailler sur le Moyen-Orient passe nécessairement par l’arabe et l’hébreu. Or ce sont les universités japonaises qui figurent parmi les meilleures au monde sur les problèmes politiques, économiques et sociaux de cette région. Il faut donc aussi passer par le japonais. Il faut faire exploser ce genre d’a priori. Cette démarche ne peut pas non plus complètement se faire sans l’anglais.
Pour ce qui est des étudiants étrangers, ils représentent environ un tiers de nos 9 000 étudiants. Mais ils ne relèvent pas tous de la mobilité internationale. Pratiquement tout le monde pense aux mécanismes comme Erasmus en Europe, mais il existe aussi de nombreuses communautés étrangères en France, parmi lesquelles certaines personnes sont désireuses de poursuivre leurs études qu’elles soient ou non de nationalité française. L’un des cursus d’études qu’elles privilégient consiste à resituer leur propre origine, leur identité, leur langue maternelle, dans un profil qui les intègre dans la communauté française. De ce point de vue, l’INALCO assume une mission d’intégration que je considère comme fondatrice.

L.L.D. : À l’image de l’Université Paris-Sorbonne d’Abou Dhabi, vous semble-t-il envisageable d’exporter le modèle d’enseignement de l’INALCO ? Dans quelles régions du monde l’établissement de « filiales » serait-il, selon vous, le plus pertinent ?

J.L. : Si l’on mettait à ma disposition des moyens colossaux ou si l’on trouvait des partenariats, pourquoi pas ? Ce serait probablement très bénéfique. Mais sur ce point nous ne sommes pas totalement désarmés dans le cadre de l’Université Sorbonne Paris Cité. Dans le cadre du projet IDEX, nous avons en effet la vocation déclarée à ouvrir une demi-douzaine de points de représentation permanents à travers le monde, dont l’une des missions serait, précisément, d’étudier l’intérêt d’établir de telles « filiales ». Les régions importantes pour nous, seraient l’Asie, mais également l’Afrique où se développe fortement la présence chinoise.

L.L.D. : Le Prix INALCO récompense chaque année des films asiatiques à l’occasion du Festival international des Cinémas d’Asie de Vesoul. Quels en sont les objectifs ? Quelle importance accordez-vous à la participation de l’INALCO à de tels événements culturels et, plus largement, à son grand public ?

J.L. : Notre coopération avec le Festival de Vesoul date du début des années 2000. J’ai moi-même eu l’occasion de m’y rendre à plusieurs reprises. Cette association dans la durée correspond bien entendu à une volonté de s’ouvrir au grand public. Les étudiants sont eux-mêmes les premiers intéressés à ce type de coopération. Tous les ans, une délégation de l’INALCO se rend au Festival de Vesoul. Constituée de quelques enseignants et d’étudiants, elle y participe en tant que jury. Dans ce cadre, les étudiants représentent un relais de ce qui est l’une de nos vocations fondamentales, celle d’être un conservatoire des langues et des cultures, désireux de faire circuler les idées et de les diffuser dans la société.
De ce point de vue, le nouveau bâtiment de l’INALCO crée des conditions qui étaient tout simplement inexistantes jusqu’à cette année. Auparavant, les films primés à Vesoul étaient régulièrement présentés à l’auditorium du Musée Guimet, avec notre participation. Nous disposons aujourd’hui d’un auditorium de très grande qualité et d’un environnement propice à l’organisation d’animations de différentes natures. Ces nouvelles conditions m’ont amenées à proposer l’adoption d’un projet pour 2013 et les années suivantes, d’un « Vesoul à Paris » ou d’un « Vesoul sur Seine », qui ne soit pas concurrent du Festival, mais avec pour objectif d’y intéresser un plus large public, en profitant par exemple du passage par Paris des cinéastes venus présenter leur film, pour organiser une série de table rondes.    

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