Un engagement sur la scène internationale renouvelé
Longtemps occultés par son conflit interne, les atouts de la Colombie semblent aujourd’hui percer au grand jour. Dotée d’immenses ressources naturelles, humaines et culturelles, elle est promise à devenir la 3ème économie d’Amérique latine. Membre non permanent du Conseil de sécurité, acteur clé dans les institutions régionales sud-américaines, pays hôte du 6ème Sommet des Amériques, elle affiche également un nouveau visage dans le concert des nations. Deux ans après son élection, le Président Juan Manuel Santos nous livre sa vision des avancées accomplies par la Colombie et des priorités qu’il s’est fixées pour accélérer la montée en puissance de son économie.
La Lettre Diplomatique : Monsieur le Président, élu le 21 juin 2010 avec 69% des voix pour un mandat de quatre ans, vous avez imprimé dès votre investiture une nouvelle orientation à la politique colombienne. Pourriez-vous nous expliquer votre concept de « prospérité démocratique » et votre vision globale des changements que vous aspirez à introduire en Colombie pour accélérer son émergence ?
M. Juan Manuel Santos : Lors de la campagne électorale, nous avons proposé un projet, soutenu par plus de 9 millions de suffrages, visant à progresser sur la voie de la sécurité démocratique que nous avait léguée le Président Alvaro Uribe, pour atteindre un objectif intégrant cette dimension sécuritaire, mais permettant aussi d’aller plus loin et d’entrer dans une nouvelle ère ; cet objectif est celui de la prospérité démocratique. Il ne s’agit pas de prospérité évaluée uniquement en termes de progrès matériel, mais de prospérité intégrale, associant croissance économique et égalité sur le plan social. En effet, la croissance ne sert à rien si la richesse produite ne se traduit pas par des emplois plus nombreux et meilleurs, une éducation plus accessible et plus performante, une santé avec une plus grande couverture et plus satisfaisante, ainsi qu’une meilleure qualité de vie pour la population. C’est dans cet esprit que nous avons articulé les objectifs de notre gouvernement – qui figurent au sein du Plan national de développement – autour de trois axes essentiels : le maintien et l’amélioration de la sécurité, la création d’emplois de qualité plus nombreux, et la réduction des indices de pauvreté. Le résultat final de cette tâche, qui est la nôtre, est résumé dans l’appellation de notre programme d’action, « Prospérité pour Tous ».
L.L.D. : En promulguant en juin 2011 une loi sur le dédommagement des victimes du conflit interne dans votre pays, vous avez fait de la « construction de la paix » une priorité. Comment les procédures d’indemnisation et de restitution des terres prévues par cette loi se déroulent-elles ? Plus largement, quelle approche privilégiez-vous pour mettre fin à ce conflit, que ce soit à l’égard de la guérilla du FARC ou des organisations paramilitaires ?
J.M.S. : L’un des arguments utilisés par la guérilla pour justifier sa violence a traditionnellement été la distribution inéquitable des terres. Mais c’est de leur sauvagerie que résulte l’apparition des paramilitaires, laquelle a engendré un cercle vicieux produisant davantage d’iniquité et de paysans sans terre – déplacés et spoliés – ainsi que davantage de familles ayant perdu leur père, victime d’un assassinat, d’enfants enrôlés par les groupes armés et de femmes agressées sous toutes les formes. La loi en faveur des victimes et de la restitution, que nous avons promulguée et que nous mettons en œuvre avec le soutien des différentes forces politiques du pays, est un instrument permettant à l’État d’accompagner et d’apporter son aide aux paysans dans la récupération de leurs terres. Certaines études affirment que 2 millions d’hectares environ ont été volées de différentes façons par des personnes violentes et corrompues, profitant du conflit pour en devenir légalement propriétaires. Il s’agit d’un énorme enjeu, surtout si l’on considère qu’en seulement deux mois et demi d’application de la loi, nous avons déjà reçu des demandes de restitution représentant plus de 740 000 hectares. Nous en sommes donc à la moitié de l’enjeu, puisque l’on évalue à 4 millions d’hectares les terres qui, sans changer légalement de propriétaires, ont été abandonnées du fait des déplacements. Nous agissons également dans ce domaine, non seulement en accompagnant les paysans dans leur démarche de retour, mais aussi en leur remettant les titres de propriété de ces terres, ce qui formalise la possession de la propriété. Depuis le début de notre mandat, nous avons remis des titres de propriété et nous avons ainsi officialisé la possession de terres représentant 850 000 hectares à des familles de paysans, d’indigènes et de Colombiens d’origine africaine. J’insiste sur le fait que ces familles ont reçu en mains propres les titres de propriété correspondants. Nous menons à bien cette espèce de « révolution agraire », cette simple action de justice mais nécessaire, en nous appuyant sur les institutions, dans le cadre de la stricte légalité, démontrant ainsi que la violence n’a plus de place dans notre pays. Nous poursuivons notre lutte contre la guérilla, tout en lui offrant la voie de la démobilisation, que d’ailleurs des milliers de ses membres ont prise. Nous luttons également contre les bandes criminelles financées par le narcotrafic en leur appliquant tout le poids de la loi et en faisant intervenir notre Police et nos forces armées avec détermination et professionnalisme.
L.L.D. : S’appuyant sur cinq « locomotives », le Plan de développement 2011-2014 élaboré sous votre égide vise à accélérer la réduction de la pauvreté et prévoit de consacrer 10% des droits d’exploitation de l’industrie minière à l’innovation. Tenant compte de la hausse de près de 6% du PIB colombien en 2011, quelles réalisations ont été accomplies en ce sens ? Quels sont les principaux axes de la Stratégie nationale d’innovation ?
J.M.S. : Notre réalisation la plus importante a été l’adoption par le Congrès de la Réforme sur les redevances (royalties), entrée en vigueur en 2012. Nous allons distribuer les ressources de notre sous-sol avec équité de telle sorte qu’elles soient profitables non seulement aux régions minières et pétrolières mais aussi à tous les Colombiens, notamment les plus pauvres. En outre, 10% de ces redevances seront destinées à un Fonds pour la Science, la Technologie et l’Innovation (tel que stipulé dans la réforme), qui sera accessible à toutes les régions voulant financer de grands projets et des programmes améliorant leur compétitivité. Cette année, nous disposerons ainsi de 350 millions de dollars – correspondant uniquement au produit des redevances – qui seront utilisés à augmenter notre capacité scientifique, technologique et en matière d’innovation. Il s’agit là d’un pari historique pour les Colombiens. En effet, jamais auparavant autant de ressources n’avaient été allouées à ce secteur, même si on avait toujours évoqué l’importance des investissements dans le domaine de la connaissance. L’élaboration de la Stratégie nationale en matière d’innovation représente une autre avancée. Elle se décompose en trois axes : le capital humain, la science et les technologies, et enfin, l’innovation dans les entreprises et le désir d’entreprendre. En ce qui concerne le capital humain, nous voulons que davantage d’hommes et de femmes deviennent titulaires d’un doctorat et nous nous y employons en vue de pouvoir compter, au terme de mon mandat, sur 3 000 nouveaux docteurs. S’agissant du domaine de la science et des technologies, nous allons consacrer davantage d’investissements en matière de recherche, en les faisant passer de 0,19% à 0,5% du PIB. Et pour ce qui est de l’innovation dans les entreprises et le désir d’entreprendre, notre but consiste à accroître de 45% les entreprises pouvant être considérées comme innovantes, sachant que selon la dernière étude en date, seuls 25% des entreprises de notre pays peuvent recevoir ce label. Nous avons naturellement tenus à être accompagnés, dans ce but, par les plus grands experts au monde en la matière. A cet égard, nous faisons amorcer les démarches pour intégrer le Comité pour la Politique scientifique et technologique de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement économiques). Nous aspirons en effet à pouvoir bénéficier de l’assistance technique de cette organisation afin d’élaborer et de mettre en œuvre de meilleures politiques publiques ainsi que les bonnes pratiques qui les caractérisent.
L.L.D. : Détentrice de considérables ressources naturelles, la Colombie veut porter la contribution des secteurs minier et pétrolier à hauteur de 6% du PIB, contre 1,5% à l’heure actuelle. Au regard des vastes investissements publics récemment consacrés dans cette perspective, quelles mesures préconisez-vous en vue de valoriser le potentiel de croissance de la Colombie dans ces domaines ? Quels efforts sont envisagés pour tenir compte des contraintes liées à la protection de l’environnement ?
J.M.S. : Le secteur minier et pétrolier fait effectivement preuve d’un grand dynamisme, ce qui se traduit non seulement dans sa participation au PIB dans son ensemble, mais aussi dans le flux des investissements étrangers dans ce domaine, lequel a doublé en 2011, atteignant près de 10 milliards de dollars. Nous sommes sûrs que ces investissements se traduiront par une augmentation de la production et de la capacité de transport des minerais et du pétrole, ainsi que dans le bien-être des communautés grâce aux revenus produits par ce secteur. Depuis le début de mon mandat, nous nous efforçons d’améliorer les conditions garantissant l’intérêt des investisseurs pour la Colombie : les principaux indicateurs macroéconomiques sont à la hausse, nous avons une politique publique stable ne grevant ni les nouveaux capitaux arrivant sur notre territoire, ni ceux qui y sont déjà investis. En outre, nous souhaitons maintenir les conditions de la sécurité et nous renforçons, pour ce faire, les facteurs à même de protéger les infrastructures concernées. Par ailleurs, en 2012, nous allons émettre des appels d’offres concernant des zones dotées d’un grand potentiel en matière d’hydrocarbures, avec la certitude que nous attirerons ainsi de nouveaux capitaux pour ce secteur. De fait, nous disposons de perspectives prometteuses dans le domaine des hydrocarbures non conventionnels et nous chercherons à assurer pour l’année en cours les conditions favorables à l’afflux des investissements. Comme vous pouvez le constater, la Colombie table sérieusement sur ce secteur. C’est pourquoi nous nous sommes engagés à assurer son développement sans pour autant sacrifier notre richesse environnementale. Nous avons donc créé une institution délivrant des permis environnementaux qui nous aidera à atteindre notre objectif en portant le moins possible atteinte à l’environnement.
L.L.D. : Symbole de votre volonté d’approfondir l’insertion de votre pays sur la scène internationale, votre pays aspire à devenir membre de l’OCDE. Quel calendrier de réformes structurelles avez-vous défini pour atteindre cet objectif ? Quelles nouvelles dispositions sont prévues dans le cadre de la ratification de la Convention anti-corruption de l’OCDE ? Au-delà, comment décririez-vous les opportunités qu’offre le renouveau de la Colombie aux entreprises étrangères ?
J.M.S. : L’OCDE est l’organisation la plus performante du monde pour débattre de la qualité des politiques publiques mises en place dans les différents pays. Mais elle ne fournit pas des « recettes magiques » quant aux réformes à accomplir lorsqu’un pays veut en devenir membre. Bien au contraire, mais on y aborde les politiques publiques qui ont été couronnées de succès dans d’autres pays développés ou en développement. Nous sommes donc en train de préparer les études techniques élaborées par l’OCDE pour évaluer la qualité des politiques publiques de notre pays. Ce sont ces études et les débats en comités et en groupes de travail qui nous aideront à définir les réformes qui nous sont nécessaires. Dans le cadre de ce processus, le gouvernement colombien souhaite adhérer à la Convention contre la corruption de l’OCDE. Celle-ci représente l’un des instruments les plus importants de l’organisation et elle est fondamentale pour le processus d’admission. La Convention est, en effet, le premier et le seul instrument international axé sur la lutte contre la corruption du point de vue de l’offre dans les transactions effectuées par le secteur privé. Trente-huit pays en font partie, représentant en 2009 les deux tiers des exportations mondiales et 90% des flux sortants d’investissements directs étrangers. Afin d’adhérer à cette Convention, la Colombie a inclus, dans le Statut anti-corruption approuvé en 2011, les suggestions de l’OCDE en matière de lutte contre la corruption. Grâce à un travail technique intense de la part de la Colombie et de l’OCDE, notre pays a été invité à devenir membre de la Convention en novembre dernier. Il a accepté cette invitation et les procédures en vue de sa ratification sont en cours d’exécution au sein du Congrès de la République, dans le respect de la législation colombienne. Il est évident que les entreprises étrangères arrivant en Colombie jouiront ainsi d’un environnement sans aucune tolérance en ce qui concerne la corruption et la subornation.
L.L.D. : Fort de la position stratégique qu’occupe le marché colombien au cœur du continent américain, vous avez consolidé son ouverture commerciale en participant à la formation de l’Alliance du Pacifique en avril 2011 et en annonçant la candidature d’adhésion de votre pays à l’APEC. Quels effets d’entraînement escomptez-vous de ces initiatives en terme de compétitivité économique ? A l’inverse, que vous inspirent les craintes exprimées au sein du secteur agricole colombien concernant les risques d’une concurrence déséquilibrée que pourraient entraîner les accords de libre-échange ratifiés avec l’UE et les Etats-Unis ?
J.M.S. : L’Alliance du Pacifique, dans le cadre de l’Amérique latine, tout comme le rapprochement avec les économies asiatiques, dans différentes enceintes, comme l’APEC ou le Partenariat trans-pacifique (TPP), sont nécessaires à notre intégration à l’échelle internationale. Nous voulons ainsi atteindre l’objectif consistant à multiplier par trois les exportations colombiennes au cours de cette décennie et à augmenter les flux d’investissements étrangers directs. Nous faisons ces paris sur l’avenir avec la conviction des progrès réalisés au cours de la précédente décennie. Les accords ont la vertu de garantir la sécurité juridique et de fournir des règles stables aux exportateurs et aux investisseurs tant nationaux qu’étrangers. La Colombie est le seul pays d’Amérique du Sud ayant des côtes sur les océans Pacifique et Atlantique, ce qui lui donne une vocation naturelle : celle d’être un dénominateur commun, ainsi qu’un pont pour les marchés européen, nord-américain, asiatique et, naturellement, latino-américain. Chaque traité couvrant des secteurs qui tirent profit du libre-échange et d’autres qui, en revanche, en souffrent, le plus important est que la somme des avantages et des inconvénients soit positive pour les parties. Le traité conclu avec les États-Unis, comme d’ailleurs celui que nous avons signé avec l’Union européenne (UE), a reçu le soutien de la grande majorité des filières agricoles colombiennes. Cependant, certaines filières requièrent, au vu de leurs conditions spécifiques, une adaptation et nous nous efforçons de tirer parti du temps que nous donnent les différentes possibilités de dégrèvements, pour augmenter la productivité de celles qui accusent le plus de retard. Par ailleurs, les traités permettent de contrôler les subventions aux exportations, ce qui représente un pas fondamental sur la voie de la réduction de la distorsion en matière de prix agricoles. De plus, nous pensons que les traités avec les États-Unis et l’UE permettront d’augmenter les exportations agricoles colombiennes et surtout de les diversifier. Nous considérons qu’un potentiel important se développera grâce à l’entrée en vigueur des traités, tout particulièrement en matière de fruits et légumes, secteur dans lequel les importations sont déjà conséquente aussi bien sur le marché européen que sur le marché nord-américain. Nous avons, pour ce faire, identifié l’agriculture comme l’un des secteurs qui devraient tirer le meilleur profit de ces traités. Il est évident que les efforts que doivent déployer à cet égard le secteur public et le secteur privé sont considérables, mais nous sommes convaincus que nous sommes sur le bonne voie.
L.L.D. : Membre de l’UNASUR depuis février 2011, votre pays est à l’heure actuelle à la tête de son secrétariat général. Que pensez-vous de la dynamique donnée par cette Union au processus d’intégration de l’Amérique du Sud? L’UNASUR étant maintenant une entité juridique internationale, quelle contribution la Colombie peut-elle apporter à ses programmes de coopération dans le domaine économique, mais aussi dans celui de la sécurité face aux défis régionaux que sont le narcotrafic ou le crime organisé ?
J.M.S. : Le choix de l’ancienne Ministre des Affaires étrangères, Mme Maria Emma Mejia, pour diriger le secrétariat général de l’UNASUR, représente un vote de confiance vis-à-vis de la Colombie de la part des pays de la région, ainsi que la reconnaissance de notre souhait de participer de façon constructive aux processus mis en œuvre à l’échelle régionale. À travers ce choix et le rétablissement complet de nos relations avec l’Équateur et le Venezuela, nous avons renforcé notre position en Amérique du Sud. La contribution apportée par la Colombie a, en outre, été fondamentale pour la définition de la structure internationale de l’UNASUR, fondée sur la souplesse et l’efficacité. Nous avons travaillé sur des questions de premier plan de l’agenda de l’UNASUR, comme les infrastructures et la mise en service d’un système d’alertes et de coordination face à la crise financière internationale. En matière de sécurité, nous sommes parvenus à l’adoption d’un Protocole de mesures de confiance et à l’élaboration d’un registre des dépenses militaires dans la région. Par ailleurs, sur notre initiative, des travaux ont été lancés en vue d’identifier le moyen le plus adéquat pour traiter conjointement les menaces régionales et transnationales que posent la délinquance organisée et le narcotrafic. C’est dans ce cadre que se tiendra à Carthagène, en mai 2012, une réunion des Ministres des Affaires étrangères, de la Défense, de l’Intérieur ainsi que de la Justice, qui sera chargée de décider quelle est l’instance la plus appropriée pour traiter de ces questions au sein de l’organisation. En matière de coopération, il est particulièrement important pour la Colombie de renforcer les pouvoirs des institutions grâce à l’application de programmes et de projets de promotion de l’intégration sectorielle, dotés d’indicateurs durables et évaluables. Au-delà, nous coopérons actuellement avec des pays d’Amérique centrale et des Caraïbes en ce qui concerne la sécurité intégrale, avec le souhait de partager également les avancées et les expériences que nous avons acquises avec les pays membres de la Communauté sud-américaine.
L.L.D. : Dans un contexte d’apaisement des relations avec le Venezuela, vous avez participé au sommet fondateur de la Communauté des États latino-américains et des Caraïbes (CELAC) les 2 et 3 décembre 2011. La création de ce nouveau forum de dialogue traduit-il, selon vous, l’affirmation d’une nouvelle donne géopolitique continentale ? Compte tenu des liens étroits entretenus par Bogota et Washington, quelles sont vos attentes à l’égard du rôle des Etats-Unis en Amérique latine ?
J.M.S. : La création de la CELAC est, sans aucun doute, un fait remarquable pour la région, issu de la convergence de deux processus : le Groupe de Rio et le sommet Amérique latine-Caraïbes. Son objectif est d’être un espace important de concertation et de rayonnement de la région au niveau international. La CELAC concrétise l’engagement politique de trente-trois États visant à bâtir une enceinte unique où puissent être abordées des questions d’une importance particulière pour la région dans son ensemble, comme les inégalités, la pauvreté, le chômage, ainsi que celles pour lesquelles l’Amérique latine et les Caraïbes peuvent apporter au monde leur contribution en matière de ressources énergétiques et environnementales. Il est évident que le rôle des États-Unis est important pour la région. Nous constatons que son rôle change au fur et à mesure que le continent se transforme. Les États-Unis peuvent trouver dans la région des partenaires et des alliés stratégiques décidés à développer leurs sociétés en les rendant plus prospères, et la Colombie continue à en faire partie. En Amérique latine et aux Caraïbes, les États-Unis peuvent trouver d’immenses opportunités pour leurs entreprises étant donné qu’il s’agit d’une région de croissance et de stabilité. De plus, les problèmes d’éradication de la pauvreté, d’intégration physique, de renforcement des économies et de la consolidation de la démocratie sont des lignes de force qui permettent d’identifier des intérêts communs et des façons communes de travailler ensemble.
L.L.D : Elue membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, la Colombie en a assumé la présidence au mois d’avril 2011. Quelles priorités avez-vous définit dans le cadre de ce mandat ?
J.M.S. : En avril 2011, la Colombie a effectivement assumé la présidence du Conseil de sécurité. Notre présidence a mis au cœur de son action la possibilité de débattre de la situation en Haïti. Pour la Colombie et les Amériques, il s’agit d’une question qui revêt une signification particulière. De plus, c’était à ce moment là qu’arrivait à son terme le processus électoral ayant conduit à l’élection du Président Martelly. Le débat que nous avons initié nous a donné la possibilité de réaffirmer l’engagement du Conseil de sécurité et de l’ONU à l’égard du processus démocratique dans ce pays et d’examiner les efforts déployés pour la reconstruction depuis le tremblement de terre de janvier 2010. Enfin, il nous a surtout permis de discuter du rôle de la MINUSTAH (Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti) dans la coordination de la coopération destinée à réunir les conditions permettant de favoriser et d’inscrire à long terme la paix et la stabilité en Haïti.
L.L.D. : Lors de la présidence colombienne du Conseil de sécurité, les débats ont été dominés par la question du soulèvement populaire en Libye. Quelle expérience retenez-vous de cette responsabilité pour l’affirmation de la politique étrangère de la Colombie?
J.M.S. : La Colombie croit au multilatéralisme et cherche de ce fait à mettre en œuvre une participation active sur les différents théâtres internationaux. Ainsi, nous prenons part pour la septième fois aux travaux du Conseil de sécurité. En examinant les questions à l’ordre du jour, nous essayons de prendre toujours en considération le fait que le Conseil agit en tant que représentant de tous les membres des Nations unies, en faveur du maintien de la paix et de la sécurité à l’échelle internationale. Certes, la contribution des membres non permanents du Conseil de sécurité a ses limites, mais nous encourageons la recherche de consensus et de solutions pacifiques, conformément au chapitre VI de la Charte Nations unies, et la coopération avec les organisations régionales. Les décisions fondées sur le chapitre VII, même si elles sont parfois nécessaires, doivent constituer le dernier recours, comme je l’ai déclaré lors d’une intervention au Conseil lui-même. En ce qui concerne la Libye, le Conseil a agi progressivement, en adressant tout d’abord un avertissement au régime de Kadhafi sous la forme d’une déclaration, puis en adoptant des sanctions et finalement, en permettant l’usage de la force. Le point central de ces décisions a été le souci de la protection des civils, notamment contre les ripostes organisées par le gouvernement d’alors pour réprimer les manifestations. Un autre point important dans les décisions du Conseil a été la position exprimée par le groupe régional de la Ligue arabe. Malheureusement, le consensus a ensuite été rompu. Nous pensons que celui-ci représente un facteur majeur de la légitimité des décisions du Conseil de sécurité. Dans le cas libyen, le Conseil a agi légitimement, en répondant non seulement aux espoirs de la communauté internationale, mais aussi à ceux du groupe régional en défendant la population civile libyenne des atrocités perpétrées par ce qui était son propre gouvernement.
L.L.D. : A l’aune de la crise en cours en Syrie et de la problématique soulevée par le programme nucléaire iranien, comment appréhendez-vous la présidence du Conseil de sécurité que vous assumerez en juillet 2012 ?
J.M.S. : Le déroulement des actions sur le terrain libyen, après l’adoption de la résolution 1973, a fait voler en éclats le consensus qui avait été réuni au départ, non sans une certaine incidence sur les travaux menés à bien par le Conseil de sécurité dans le cadre de ses fonctions. Cette situation pose des problèmes pour l’exercice de sa présidence, non seulement pour la Colombie, mais aussi pour tous les membres de cet organe. Aussi, l’efficacité atteinte par le Conseil dans le cas de la Libye, ne l’a pas été dans celui de la Syrie. Les espoirs de parvenir à une solution à la crise syrienne s’appuient donc, actuellement, sur la médiation de M. Kofi Annan, ancien Secrétaire général des Nations unies, en sa qualité d’Envoyé spécial des Nations unies et de la Ligue arabe. Nous considérons que la « déclaration présidentielle », approuvée récemment au sein du Conseil de sécurité, représente un pas sur la bonne voie puisque le consensus de tous les membres permanents a été obtenu, ce qui est fondamental pour que cette instance produise les effets escomptés. En ce qui concerne les problèmes qui découlent du programme nucléaire iranien, nous estimons que le manque de clarté en la matière, auquel s’ajoute la réaction éventuelle d’autres pays, constitue actuellement le plus grand défi pour la paix et la sécurité. Les efforts politiques pour aboutir à une solution face à cette situation passent par le mécanisme appelé E3+3, qui est composé des membres permanents et l’Allemagne. Nous espérons que les parties en présence aboutiront à des accords et réussiront surtout à rétablir la confiance perdue.
L.L.D. : Plus largement, quelle est votre vision de l’élargissement de la représentativité au sein des organes des Nations unies et, d’une manière générale, multilatéraux ?
J.M.S. : Dans le cas de la Colombie, la reconnaissance précise de notre capacité à gérer les politiques internationales – avec leadership, efficacité et en pays visionnaire – s’est matérialisée dans le vote de confiance que nous ont accordé de nombreux pays au sein de différentes organisations multilatérales, au niveau international, régional ou sous-régional, pour l’attribution de postes de direction. C’est ainsi qu’à l’heure actuelle, en plus de la direction du Secrétariat général de l’UNASUR et de la présidence pro-tempore de la CAN, nous sommes à la tête de l’Association des Etats de la Caraïbe (AEC). Je tiens à souligner la qualité de plus en plus grande de nos ressources humaines, comme l’illustre notre participation aux travaux sur la scène multilatérale. Dans cet esprit, nous avons notamment décidé de promouvoir la candidature du Vice-Président de la République, M. Angelino Garzon, à l’élection au poste de Directeur général de l’Organisation internationale du Travail (OIT).
L.L.D. : Lors de votre visite en France, la première en Europe après votre élection, vous avez signé, le 26 janvier 2011, avec le Président Nicolas Sarkozy, une déclaration conjointe destinée à donner une nouvelle impulsion aux relations entre les deux pays. Dans quels domaines la concertation politique pourrait-elle être approfondie ? La France étant le premier pays étranger créateur d’emplois en Colombie, quels sont les secteurs d’activité qui vous semblent les plus propices pour créer de nouvelles synergies économiques bilatérales ? Au-delà, comment qualifieriez-vous les apports de la coopération franco-colombienne en matière d’éducation et de culture?
J.M.S. : Nous œuvrons avec la France au renforcement des relations bilatérales par la mise sur pied d’un agenda positif et global. Nous avons pu compter sur son soutien lorsque nous avons exprimé notre souhait d’adhérer à l’OCDE, devenant ainsi un allié en vue d’atteindre cet objectif. Nous avons également reçu le ferme soutien du gouvernement français pour l’approbation et l’entrée en vigueur de l’accord commercial multipartite entre la Colombie et le Pérou d’une part, et l’UE de l’autre. Cet accord fera émerger un nouveau cadre pour les relations commerciales entre nos deux pays, ainsi que les investissements, compte tenu de son vaste champ d’application. Concernant les thématiques de l’éducation et de la culture que vous évoquez, qui constituent des sujets prioritaires pour la diversification et l’approfondissement de notre agenda bilatéral. Nous avons en effet conclu des accords entre nos ministères de l’Éducation respectifs, afin de mettre en œuvre des programmes de formation destinés aux jeunes ingénieurs. Par ailleurs, nous avons intensifié nos liens universitaires, les échanges entre étudiants et les projets de recherche grâce un accord interuniversitaire. Nous disposons également d’un mécanisme pour l’échange d’assistants en langues qui permet, chaque année, d’accueillir des enseignants venant contribuer à l’enseignement de l’espagnol en France et du français en Colombie. En outre, nous avons reçu près de 40 jeunes Français dans nos universités publiques et privées, et 200 Colombiens ayant obtenu leur diplôme de licence se sont rendus en France pour enseigner dans des écoles publiques françaises. En novembre 2011, plus de 3 100 étudiants colombiens étaient ainsi inscrits en France, dont 2 300 inscrits dans des universités, plaçant nos compatriotes au 3ème rang pour les étudiants latino-américains poursuivant leurs études en France, après le Mexique et le Brésil. C’est là le reflet de notre coopération bilatérale en la matière. Pour notre part, nous avons commencé à recevoir l’aide des Écoles d’Agriculture de France et nous espérons disposer, d’ici quelques années, d’un modèle semblable dans nos campagnes qui représentent une source essentielle de notre développement, puisque la Colombie devrait à l’avenir s’affirmer comme une puissance agricole. Par ailleurs, nous encourageons la coopération en matière de transfert de technologies et de formation de personnel médical dans des domaines tels que la maîtrise et la prévention des maladies chroniques non transmissibles, le traitement du tabagisme et la nutrition. Comme je l’ai déjà mentionné, nous avons identifié l’innovation comme l’une des locomotives de notre développement. La France représente pour nous un partenaire majeur en vue de mener à bien des projets encourageant la recherche et la formation de compétences afin de réduire la pauvreté et les inégalités. Nous établissons ainsi des lignes de front permettant d’agir dans les domaines du transfert de technologies et de l’innovation, notamment en direction des secteurs les plus marginalisés. Nous continuerons bien entendu à encourager et à favoriser les investissements français qui sont particulièrement créateurs d’emplois dans notre pays. Les entreprises françaises peuvent compter sur un environnement stable sur les plans juridique et social, ainsi que sur un gouvernement et des règles favorables aux investisseurs étrangers. Ce n’est pas un hasard en effet si la Colombie est considérée par le rapport Doing Business de la Banque Mondiale comme le pays qui protège le plus les investisseurs dans la région.
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