Pivot de l’Afrique de l'Est
50 ans après avoir acquis son indépendance, la Tanzanie s’est affirmée comme l’une des économies les plus dynamiques du continent africain. Acteur clé de l’intégration est-africaine, son ouverture sur l’Océan indien en fait aussi un interlocuteur privilégié des puissances émergentes d’Asie. S.E.Mme Begum K. Taj, Ambassadeur de Tanzanie en France, évoque pour nous sa vision du parcours de la Tanzanie et de ses aspirations à l’égard d’un resserrement des liens avec la France.
La Lettre Diplomatique : Madame l’Ambassadeur, la Tanzanie célèbre en 2011 le 50ème anniversaire de son accession à l’indépendance. Comment décririez-vous l’héritage du père fondateur de la nation tanzanienne Julius Nyerere ? Quel regard portez-vous sur le chemin parcouru par votre pays ?
S.E.Mme Begum K. Taj :
La Tanzanie, alors nommée Tanganyika, a pris son indépendance de l’administration coloniale britannique le 9 décembre 1961 et Mwalimu Julius Kambarage Nyerere en devint son premier président. Il a joué un rôle crucial dans la consolidation de l’indépendance dans quatre domaines principaux : l’unité du pays, sa libération, la construction d’un Etat géré par un parti unique et la mise en place d’une politique socialiste.
L’unité a pris deux visages distincts : d’abord parmi les Tanzaniens, en rassemblant plus de 150 ethnies et langues au sein d’une seule nation avec une lingua franca commune, le swahili ; ensuite l’unité entre le Tanganyika et Zanzibar pour former la République Unie de Tanzanie, le 26 avril 1964. L’île de Zanzibar venait alors d’obtenir son indépendance sous la présidence d'Aman Abeid Karume, après une révolution qui renversa le règne du Sultan d’Oman.
Durant son mandat à la tête de l’Etat tanzanien, Mwalimu Nyerere entreprit de soutenir la lutte pour la libération d’autres pays africains qui étaient sous le joug colonial, à savoir, le Mozambique, l’Angola, l’Afrique du Sud, la Namibie et le Zimbabwe. Il croyait profondément que tant que d’autres pays africains n’accéderaient pas à l'indépendance, la Tanzanie ne pourrait être totalement indépendante. Notre pays s’est ainsi fortement opposé à l’apartheid en Afrique du Sud et s’est affirmé comme un ardent partisan des mouvements de libération des pays d’Afrique australe qui se sont tous refugiés en Tanzanie et où certains y ont d’ailleurs établi leur siège.
Jusqu’en 1992, la Tanzanie fut gouvernée par un parti unique. A cette date, la Constitution fut amendée pour autoriser le multipartisme. Le système du parti unique correspondait aux besoins et aux aspirations des Tanzaniens dans les premiers temps de l’indépendance, mais les mutations dans le monde et l’évolution des perspectives qui s’ouvraient pour eux après la fin de la lutte pour la libération, ont impliqué la nécessité de transformer le système politique afin de l’adapter à cet environnement changeant.
En 1967, le gouvernement tanzanien avait lancé une politique socialiste axée sur la nationalisation de tous les principaux moyens de production. Ce processus a permis le contrôle des secteurs économiques par l’Etat. Le système éducatif du pays était alors orienté vers la mise en œuvre de la politique socialiste, qui a accentué l’autonomie des personnes, le respect et l’égalité entre elles, l’éradication de l’ignorance, la maladie, la pauvreté et la corruption. Ces mesures ont permis à la Tanzanie de figurer parmi les rares pays africains à atteindre un degré élevé de développement économique et social. 87% des citoyens ont reçu sept ans d’enseignement général. Les études pour les adultes étaient populaires.
Cependant, tout comme les transformations dans le système politique, une vague de changements dans le système socio-économique a traversé le monde et la Tanzanie n’est pas restée à la traîne. Une politique d’économie de marché a ensuite été initiée et notre pays a ouvert ses portes au monde des affaires.
On se rappellera de Mwalimu Nyerere pour son engagement pour la paix, l’égalité, l’unité et l’indépendance de la nation sur le plan économique et politique. Il a quitté volontairement le pouvoir en 1985 et depuis lors, le monde a été témoin des changements démocratiques successifs à la tête de la Tanzanie. L’actuel président, le Dr Jakaya Mrisho Kikwete est ainsi le 4ème Président la République Unie de Tanzanie depuis l’indépendance.
L.L.D. : Réélu le 31 octobre 2010, le Président Jakaya Kikwete a inauguré son second mandat en nommant, à la demande des partis politiques d’opposition, une Commission de révision constitutionnelle. Dans quels domaines la Constitution tanzanienne est-elle, selon vous, appelée à connaître les changements les plus fondamentaux ?
S.E.Mme B.K.T. : Le Président Kikwete a été réélu le 31 octobre 2010 pour un deuxième mandat. Lors de son discours d'investiture, il a déclaré que son gouvernement allait tenir compte de l’opinion des citoyens à l’égard des modifications à apporter à la Constitution. Dans cette perspective, il a formé un comité spécial chargé de recueillir leurs aspirations, dont les travaux ont déjà été initiés.
Les différents points mis en exergue par la population tanzanienne sont : un gouvernement d’union, la question foncière, les droits des femmes à l’égard de la propriété des terres et des biens, la séparation des pouvoirs de l’Etat, la création d’une commission électorale indépendante, des candidats indépendants aux élections présidentielles.
L.L.D. : En entérinant le principe d’un gouvernement d’union nationale, le référendum du 31 juillet 2010 a marqué un tournant pour l’archipel de Zanzibar. Comment analysez-vous cette avancée notamment en vue d’un apaisement durable des tensions politiques qui marquent son histoire ?
S.E.Mme B.K.T. :
Le référendum du 31 juillet 2010 qui a eu lieu à Zanzibar a, en effet, marqué un tournant pour la scène politique de l’archipel, qui a pendant trop longtemps été dominée par des frictions, principalement entre les membres du parti au pouvoir, le Parti de la Révolution (Chama cha Mapinduzi – CCM), et du parti de l’opposition, le Front civique uni (Civic United Front – CUF). Les résultats du référendum ont montré que 66% des votes étaient favorables à la formation d’un gouvernement d’union nationale ; ce qui signifie que les deux partis avaient convenu de partager tous les pouvoirs de l’Etat : si le CCM remportait la majorité et nommait le président, il revenait alors au parti de l’opposition de nommer le vice-président.
Dans ces conditions, l’élection présidentielle de 2010 dans les îles de Zanzibar a facilité la mise en œuvre de l’accord. Le Président actuel de Zanzibar est le Président Ali Mohamed Shein (du parti CCM) et son Vice-Président est M. Seif Sharrif Hamad, du parti de l’opposition (CUF).
Je vous rappellerais enfin que lorsque le Président Kikwete avait été élu pour son premier mandat en 2005, il avait promis de trouver une issue à l'impasse politique qui prévalait depuis longtemps à Zanzibar. Il avait formé à cette fin une commission comprenant les membres des deux partis pour discuter d’un certain nombre de questions concernant la formation d’un gouvernement d’union ainsi que l’archipel.
L.L.D. : Deuxième économie d’Afrique orientale, la Tanzanie a atteint un taux de croissance relativement élevé oscillant autour de 7% par an depuis 2000. Fort des retombées attendues de la mise en production des gisements gaziers récemment découverts, comment votre gouvernement compte-t-il accompagner cette dynamique de développement ? Tenant compte des secteurs en pleine expansion comme le tourisme et l’industrie minière, ainsi que de la privatisation de certaines entreprises publiques, quelles opportunités le marché tanzanien peut-il offrir aux investisseurs étrangers, et plus particulièrement français ?
S.E.Mme B.K.T. :
Il est vrai que l’économie tanzanienne connaît un taux de croissance annuel de 7%. Cette dynamique s’explique par les nombreuses mesures importantes prises par le gouvernement, notamment, en matière de libéralisation de l’économie et en vue de favoriser l’accroissement des investissements domestiques et étrangers. D’autres initiatives ont été lancées en vue d’élaborer des politiques de réduction des déficits budgétaires, d’améliorer le contrôle sur la politique monétaire, ainsi que de mettre en œuvre la restructuration du secteur financier et la privatisation des entreprises publiques. Sur 425 entités para-étatiques, environ 325 ont été privatisées à ce jour.
La Tanzanie a ainsi créé un environnement propice pour attirer les investissements directs étrangers dans divers secteurs économiques les plus importants, notamment l’exploitation minière, le tourisme, l’industrie, l’énergie et l’agriculture. Afin d’atteindre ses objectifs et de faciliter les procédures d’investissement, le gouvernement a créé le Centre d’investissement de Tanzanie (Tanzania Investment Centre – TIC). Ces efforts ont contribué à améliorer l’économie nationale dont témoigne la croissance positive des secteurs minier, touristique, agricole, ainsi que de l’élevage et de la pêche.
Selon les statistiques actuelles des relations commerciales entre la France et la Tanzanie, 22 entreprises françaises sont implantées en Tanzanie, contre seulement quatre dans les années 1960. La Tanzanie pourrait bénéficier davantage de l’expertise et des technologies françaises dans divers domaines tels que l’énergie, l’agriculture et l’élevage, le tourisme et les transports. Dans ce contexte, notre pays invite donc les investisseurs français à investir plus nombreux et davantage dans les secteurs que je viens d’évoquer.
Nous invitons également les touristes français à venir en nombre visiter la Tanzanie pour y vivre une expérience unique. Notre pays est, en effet, considéré comme une destination de premier choix pour la richesse de sa faune ; une destination d’aventure pour le tourisme de safari qu’elle propose, parce qu’elle est l’hôte des « Big Five », les cinq grands mammifères terrestres (le lion, le léopard, l'éléphant, le buffle, le rhinocéros) que l’on peut observer dans leur habitat naturel, en plus grand nombre qu’ailleurs dans le monde.
La Tanzanie peut être fière des filières d’éco-tourisme et de tourisme culturel qu’elle a développé et dont il est reconnu qu’elle est un exemple des meilleures pratiques en la matière. Terre du Kilimandjaro, du Serengeti et de Zanzibar, elle offre des possibilités infinies pour, par exemple, gravir la plus haute montagne de l’Afrique, parcourir des parcs nationaux et des réserves totalisant 24% de la masse terrestre, avec sept sites classés réserve naturelle et inscrits au sein de la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, sans oublier les plages, la plongée et d’autres sports nautiques que l’on peut pratiquer à Zanzibar.
L.L.D. : La Tanzanie a occupé jusqu’en avril 2011 la présidence tournante de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC). Quels progrès ont-il été accomplis dans la mise en place du marché commun et de l’union monétaire prévus par l’accord du 1er juillet 2010 ? A l’instar du vaste projet de corridor ferroviaire, quelles autres infrastructures communes sont-elles appelées à matérialiser la cohésion économique de l’EAC ? Comment appréhendez-vous les prochaines étapes de ce processus d’intégration régionale ?
S.E.Mme B.K.T. :
La Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) est une organisation intergouvernementale rassemblant cinq pays, à savoir le Burundi, le Kenya, le Rwanda, la Tanzanie et l’Ouganda. D’autres pays ont récemment fait leur demande d’adhésion à l’instar du Sud-Soudan, tandis que la Somalie, le Malawi et les Comores ont manifesté leur intérêt à rejoindre ce bloc économique.
L’EAC a été initialement fondée en 1967, puis dissoute en 1977, avant d’être officiellement recréée le 7 juillet 2000. Les principales institutions qui la constituent sont le Parlement, la bourse et la Cour commune de Justice de l’Afrique de l’Est.
La présidence de la Communauté est organisée sur la base d’un système de rotation annuelle. Succédant au Burundi, la Tanzanie en a assumé les responsabilités jusqu’en avril 2011. Jusqu’à présent, les accomplissements de l’EAC peuvent se résumer par :
– la création d’une union douanière ;
– l’instauration d’une assemblée législative ;
– la mise en place d’une cour de justice ;
– le lancement d’un marché commun garantissant la libre circulation des marchandises, des personnes et des capitaux dans la région, avec pour objectif de mettre en place une monnaie commune d’ici 2012.
La Communauté de l’Afrique de l’Est a également entrepris divers projets d’infrastructures pour améliorer les réseaux de transports et promouvoir le développement socio-économique dans la région. Au nombre des priorités en matière de développement des infrastructures figurent ainsi le projet de construction d’un nouveau système ferroviaire régional et l’amélioration du système ferroviaire existant. Ce nouveau projet reliera plusieurs villes et ports de l’Afrique de l’Est. Des projets routiers ont également été prévus pour relier les capitales des pays membres de l’EAC.
Dans le domaine de l’énergie, différents projets ont été identifiés dans le cadre du Plan énergétique est-africain (EAC Power Master Plan). Il concerne notamment les combustibles fossiles, les énergies renouvelables et la production d’électricité. L’un de ces projets porte notamment sur l’interconnectivité énergétique qui vise à faciliter la distribution transfrontalière de l’électricité au sein de la communauté des pays membres.
Concernant l’agriculture, une stratégie régionale de développement agricole et rural a été adoptée, avec pour objectifs d’améliorer ce secteur d’activité et d’attirer davantage d’investissements directs étrangers dans la région.
La promotion du tourisme en Afrique de l’Est compte également au nombre des projets communs que nous avons élaboré. Dans ce cadre, un certain nombre d'initiatives ont été mises en œuvre dont :
– l’achèvement de la première phase d’étude sur le développement du tourisme régional en Afrique de l’Est ;
– la création d’un Conseil est-africain du tourisme ;
– l’identification des centres régionaux de formation dans le domaine du tourisme ;
– la réalisation d’une étude sur la mise aux normes du secteur hôtelier.
L’ensemble de ces atouts ainsi que le vaste marché de plus de 127 millions d’habitants que représente les pays de l’EAC, constituent donc autant de motifs pour les investisseurs étrangers d’investir dans la région. L’EAC est en outre lié à d’autres blocs économiques régionaux, à savoir le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA) et la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC). Ces trois blocs représentent 26 pays avec une population combinée de 527 millions d’habitants.
L.L.D. : Dans la continuité des liens historiques que partagent votre pays et l’Afrique du Sud, le Président Jakaya Kikwete a effectué une visite d’Etat à Pretoria le 23 juillet 2011. En dehors des accords conclus en matière de coopération culturelle, comment qualifieriez-vous le potentiel d’intensification des relations entre les deux pays, notamment sur le plan économique ? Quels vous semblent être les aspects primordiaux de leur concertation au sein de la SADC ? A l’instar des crises malgache et, auparavant, zimbabwéenne, comment analysez-vous les capacités de médiation de cette organisation ?
S.E.Mme B.K.T. :
La Tanzanie et l'Afrique du Sud partagent un lien historique de longue date qui remonte à la lutte en Afrique du Sud contre le régime de l’apartheid. L’ancien Président tanzanien Mwalimu Julius Kambarage Nyerere a ouvert les portes de notre pays aux Sud-Africains en exil. Suite à l’interdiction de tous les partis politiques en Afrique du Sud par le régime d’apartheid sud-africain, le Congrès national africain (ANC) y a établi ses premiers bureaux en 1960. La Tanzanie a également accueilli d’autres mouvements de libération sud-africains tels que le FRELIMO du Mozambique, le ZANU-PF du Zimbabwe, le MPLA de l’Angola et le SWAPO de Namibie.
Sur le plan politique et social, les deux pays entretiennent d’excellentes relations depuis le démantèlement du régime de l’apartheid en 1994. La coopération bilatérale a été renforcée par l’ouverture de missions diplomatiques dans les deux pays.
Sur le plan économique, les deux pays jouissent de bonnes relations de coopération. Les échanges commerciaux bilatéraux sont denses. Plus de 150 entreprises sud-africaines opèrent ainsi en Tanzanie, dans les secteurs miniers, bancaire, agricole et des télécommunications.
A l’occasion de la visite officielle effectuée par le Président Jakaya Mrisho Kikwete en Afrique du Sud du 19 au 23 juillet 2011, les chefs d’Etat des deux pays ont donné une nouvelle impulsion au renforcement des relations bilatérales. Ils ont signé plusieurs accords bilatéraux et mémorandums d’entente dans les domaines clés de la coopération, les échanges commerciaux, le secteur des mines, l’agriculture, les arts et la culture, le développement des infrastructures et la gestion des ressources hydriques, ainsi que dans les domaines scientifique et de la technologie.
Ces nouveaux accords visent à promouvoir les débouchés commerciaux, d’investissements et d’emplois dans les deux pays. Lors de sa visite officielle en Afrique du Sud, le Président Jakaya M. Kikwete était accompagné d’une délégation d’hommes d’affaires qui ont rencontré leurs homologues sud-africains pour échanger et explorer d’autres domaines en vue de mettre en valeur les opportunités d’investissement et de commerce.
Les deux dirigeants ont également discuté de questions pertinentes relatives à l’évolution des réformes du Conseil de sécurité de l’ONU, aux institutions financières internationales, mais aussi des questions ayant trait à l'Union africaine et à l’intégration régionale.
Concernant le conflit à Madagascar, la SADC a déployé d’inlassables efforts de médiation à travers le Comité dirigé par l’ancien Président mozambicain Joachim Chissano. Ceux-ci sont d’ailleurs toujours maintenus afin de réunir les parties prenantes autour de la table de discussion et de leur permettre de former un gouvernement d’unité nationale. Ils consistent à rassembler tous les anciens présidents de Madagascar afin qu’ils participent au processus qui mettra fin à l’impasse politique dans l'île.
Sous l’égide de la SADC, l’Afrique du Sud avait également joué un rôle crucial de médiation qui a abouti au partage des pouvoirs au Zimbabwe et à la formation d’un gouvernement.
L.L.D : Interlocuteur privilégié pour la résolution de plusieurs conflits dans la région des Grands lacs, notamment en République Démocratique du Congo (RDC) et au Burundi, la Tanzanie a également développé une politique d’ouverture à l’égard des victimes qu’ils ont causés. Quelle est votre perception des fragilités qui caractérisent encore la région ? A travers quels types de coopération votre pays contribue-t-il à les surmonter ?
S.E.Mme B.K.T.:
Depuis l'indépendance en 1961, la Tanzanie a maintenu sa politique de soutien aux pays confrontés à des problèmes sociaux ou politiques, y compris les guerres, la famine et les luttes pour la libération. Cette politique s’est traduite par l’accueil de plus d'un million de réfugiés du Rwanda, du Burundi, de Mozambique, de Somalie, de la RDC et d’autres encore.
En coopération avec la communauté internationale, notre pays a effectivement joué un rôle primordial dans les efforts de médiation au Burundi, en RDC, au Soudan (Darfour) et dans les conflits au Rwanda, qui ont culminé par la signature de différents accords favorisant la paix et la stabilité politique dans la région.
La région des Grands lacs continue cependant à faire face à de sérieux défis en dépit des progrès atteints dans certains domaines et de sa stabilité relative. La Tanzanie continuera à coopérer avec les institutions régionales et la communauté internationale pour garantir la paix, la sécurité et les institutions démocratiques pour le bien-être des peuples de la région.
L.L.D. : Au-delà des relations étroites mises en place avec les Etats-Unis, la visite du Président chinois Hu Jintao à Dar es-Salaam en février 2009 illustre la diversification des partenariats de la Tanzanie avec les pays émergents. Quels en sont les apports pour l’économie tanzanienne ?
S.E.Mme B.K.T. :
La Tanzanie entretient de bonnes relations avec de nombreux pays, notamment les Etats-Unis d’Amérique, la Chine et les Etats membres de l'Union européenne. Depuis son indépendance, notre pays applique le principe de « non-alignement », ce qui lui a permis de nouer des liens d’amitié, quels que soit les blocs, à l’Est comme à l'Ouest comme ce fut le cas pendant la Guerre froide.
En février 2009, le Président chinois Hu Jintao s’est, en effet, rendu en visite officielle en Tanzanie où il s’est entretenu avec le Président Tanzanien Jakaya M. Kikwete et d’autres hauts fonctionnaires. Ils ont échangé leurs points de vue sur les relations bilatérales et la mise en œuvre des mesures annoncées lors du Sommet de Pékin du Forum sur la Coopération Chine-Afrique (IOCAC) et la crise financière mondiale.
Les deux chefs d’Etat ont également discuté des moyens de consolider et de promouvoir l’amitié traditionnelle qui lie la Chine et la Tanzanie, ainsi que des moyens d’approfondir la coopération dans divers domaines économiques et sociaux qui a été établie par les pères fondateurs des nos deux pays, Mwalimu Julius Kambarage Nyerere et Mao Zedong.
A cette occasion, le Président Hu Jintao a signé un certain nombre d'accords notamment sur le développement et la coopération dans le secteur agricole. La Tanzanie a, pour sa part, invité davantage d’entreprises chinoises à investir dans la valorisation de ses ressources abondantes, afin de stimuler notamment la production agricole et les échanges commerciaux.
L.L.D. : Votre pays a été le premier du continent africain a signer un accord de partenariat provisoire avec l’Union européenne (UE). Quelles sont vos attentes à l’égard de l’approfondissement des liens de coopération avec l’UE ?
S.E.Mme B.K.T. :
L’Union européenne demeure le plus important partenaire commercial de la Tanzanie. Près de 25% des exportations tanzaniennes sont destinées à l’UE d’où proviennent 17,5% de nos importations qui comprennent des biens d’équipements pour les machines-outils, des équipements de transport, des produits pharmaceutiques, des produits chimiques et d’autres produits.
La Tanzanie a réalisé des progrès considérables pour renforcer l’efficacité de l’aide extérieure et l’harmoniser avec les programmes des donateurs. La Commission européenne soutient la stratégie de croissance et réduction de la pauvreté du gouvernement, appelée MKUKUTA, et participe avec d’autres donateurs à la Stratégie d’assistance conjointe pour la Tanzanie.
L’objectif du précédent programme de développement de l’UE était de venir en aide à la stratégie gouvernementale de réduction de la pauvreté, principalement par un appui financier dans les domaines de l’éducation primaire, des routes, de l’eau, de la réforme du système législatif et judiciaire, de la santé et de l’agriculture.
La Commission européenne soutient par ailleurs la Tanzanie dans ses efforts pour promouvoir l’intégration régionale, en particulier au sein de l’Union douanière de la Communauté est-africaine et de la Communauté de développement d’Afrique australe. Par ailleurs, l’UE négocie un nouvel accord de partenariat économique avec la Tanzanie, un accord commercial global qui inclut le commerce parallèlement à la coopération en faveur du développement.
L.L.D. : Témoignant de l’importance accordée à la France par votre pays, le Président Jakaya Kikwete a effectué à Paris, en mai 2006, son premier déplacement en Europe. Comment qualifieriez-vous l’évolution des relations bilatérales ? A l’image de la convention d’appui à l’apprentissage du français, autour de quels projets la coopération entre les deux pays pourrait-elle s’intensifier ?
S.E.Mme B.K.T. :
Les débuts de la coopération bilatérale entre la République Unie de Tanzanie et la République française peuvent être datés du XVIIIème siècle. Il convient de rappeler que la première mission diplomatique de la France en Afrique orientale, centrale et australe a été établie à Zanzibar en 1842 et que l’Ambassade de France en Tanzanie a été ouverte à Dar es Salaam le 9 décembre 1961, jour de l’indépendance de Tanganyika. Depuis, nos relations bilatérales sont restées bonnes.
Dans le domaine des échanges commerciaux, les exportations de biens et de services français vers la Tanzanie sont restées modestes. Selon les données disponibles, les exportations françaises représentaient en 2005 une valeur 58 millions d’euros, principalement composés de produits pharmaceutiques (48% du total). Les importations françaises s’élevaient, quant à elles, à 24 millions d’euros, dont 56% correspondait à des produits alimentaires. La balance commerciale est donc jusqu’à présent défavorable à la Tanzanie.
Les entreprises françaises qui ont investi en Tanzanie sont Total, Lafarge, Alcatel (communication mobile), Sodexo, CFAO, le Groupe Bolloré, SDV et AGS. L’opérateur pétrolier français Maurel et Prom est également présent dans l’exploration de gaz à Mkuranga, dans la région de Dar es Salaam.
Les relations politiques entre la France et la Tanzanie sont très bonnes et ont été illustrées et renforcées par plusieurs échanges de visites. Une nouvelle impulsion leur a ainsi été donnée avec la visite officielle du Président Jakaya Kikwete à Paris, du 15 au 16 mai 2006, puis avec la visite en Tanzanie de deux ministres français de la Coopération, du Développement et de la Francophonie (alors Mme Brigitte Girardin en novembre 2006 et M. Alain Joyandet en mai 2009).
Suite à la visite de Mme Girardin en 2006, nos deux pays ont signé un Document cadre de Partenariat (DCP) définissant les grandes orientations de la coopération du gouvernement français avec la Tanzanie pour une période de cinq ans (2006-2010). Grâce au DCP, la France a accordé à notre pays une aide destinée aux secteurs de l’eau et de l’assainissement, de l’éducation et du tourisme. Le document insiste sur la mise en œuvre d’un réseau d’alimentation en eau et d'assainissement dans neuf petites villes, ainsi que sur l’approvisionnement en eau en milieu urbain et sur divers autres projets d’assainissement. En 2010, la Tanzanie a en outre reçu grâce à l’Agence française de Développement (AFD) un prêt bonifié pour l’aider dans le cadre de différents projets. L’enseignement de la langue française dès l'école primaire jusqu’à l'université a été identifié comme un point central de la coopération en matière d'éducation.
Les relations culturelles entre la Tanzanie et la France s’appuient sur les institutions suivantes:
– L'Alliance française de Dar es Salaam et l'Alliance
franco-tanzanienne d’Arusha (ouverte depuis 2000) pour l’apprentissage de la langue française.
– L'Ecole française de Dar es Salaam pour l’enseignement de base (cycle maternel et primaire) et l’encadrement des élèves qui ont recours au Centre national d’enseignement à distance (CNED).
Depuis 2001, la population francophone de Dar es Salaam bénéficie de la diffusion de programmes en langue française par RFI sur une station de radio locale publique (Tanzania Broadcasting Corporation).
Compte tenu de la relation étroite que nous maintenons avec nos pays voisins francophones, le développement des échanges culturels et économiques interafricains ainsi que du tourisme international, la demande d’apprentissage de la langue française est en augmentation en Tanzanie. La France a ainsi décidé d’apporter un soutien aux écoles secondaires où le français est dispensé, au département de langues de l’Université de Dar es Salaam, au Laboratoire moderne de langues du Centre de relations internationales à Kurasini, à l’Université de Chang'ombe et à l’Université d’Etat de Zanzibar (SUZA).
Enfin pour répondre à votre deuxième question, je soulignerais que la France dispose d’un système de transports efficace, notamment en matière de transports en commun urbain et interurbain, ainsi que ferroviaire. Pour faciliter la circulation des personnes et des biens en Tanzanie, mais aussi les liaisons avec les pays de notre voisinage, nous invitons les entreprises françaises à investir dans ce secteur. La mise en œuvre d’un système de tramway, de métro et de bus pourrait en effet aider à résoudre le cauchemar des transports auquel la ville de Dar es Salaam doit fait face. Il est également envisagé de consolider, d’améliorer et d’électrifier le réseau de chemin de fer tanzanien, en mobilisant nos ressources gazières. Cette rénovation pourrait conduire à la mise en place d’un service ferroviaire.
La France dispose aussi de compétences reconnues dans le secteur de la construction et d’un savoir-faire technique en matière d’agriculture et d’élevage, mais aussi d’énergie. L’agriculture constitue l’épine dorsale de l’économie tanzanienne, mais ce secteur est encore très fragile. La Tanzanie est en outre le troisième pays d’Afrique pour son cheptel bovin (19,1 millions de tête). Pourtant la contribution économique de l’élevage reste modeste en raison de l’absence de certaines technologies et d’une expertise en la matière. Dans ce domaine et plus particulièrement dans l’agro-industrie, nous invitons donc également les entrepreneurs français à investir en Tanzanie.
L.L.D. : La Tanzanie et la France partagent un intérêt commun pour la sécurité dans l’Océan Indien. Comment s’articule la coopération militaire entre les deux pays ? Comment le dialogue bilatéral sur les questions stratégiques pourrait-il être renforcé ?
S.E.Mme B.K.T. :
La France et la Tanzanie partagent en effet la même préoccupation pour la paix et la sécurité sur le continent africain et dans l’Océan Indien. Fort de cette convergence de vues, notre pays a manifesté un grand intérêt pour le renforcement des relations entre son
armée et les forces armées françaises dans la zone sud de l'Océan Indien.
En juin 2000, les Forces de défense populaire de Tanzanie ont ainsi participé aux côtés d’autres armées africaines, à l’exercice militaire multinational « Géranium 2000 » conduit par la France sur l’Ile de La Réunion, de même qu’à l’exercice qui s’est déroulé en 2003 en Zambie. Par ailleurs, le 3ème exercice de maintien de la paix organisé dans le cadre du cycle français RECAMP (Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix) a eu lieu en Tanzanie en février 2002.
L’exercice « Tanzanite-Recamp-3 », organisé à Tanga, a réuni 30 pays et organisations internationales. Son impact économique a été considérable et a donné une nouvelle impulsion à notre coopération militaire. Des sessions de formation sont régulièrement organisées par la France, auxquelles les représentants des Forces de défense du peuple tanzanien sont invités. Par ailleurs, les navires de guerre français ont pour habitude d’effectuer une ou deux visites officielles de courtoisie par an à Dar es Salaam. En juin de chaque année, la France organise un Forum international sur le continent africain (FICA) sur la paix et la sécurité des fonctionnaires et des officiers militaires, auquel nous participons régulièrement.
Concernant les problèmes de sécurité liée à la piraterie et au crime organisé le long du littoral de l’Océan Indien et de la Somalie, la Tanzanie a modifié son code pénal pour permettre au pays d’arrêter et de traduire en justice les pirates présumés. Cependant, nous manquons de moyens dans les établissements pénitentiaires et dans le système judiciaire. Nous accueillons avec bienveillance les propositions de la France, et d’autres grands pays, en vue de consolider la coopération et de travailler sur cette question avec les pays riverains de l'Océan Indien ainsi que ceux qui sont également touchés par la menace de la piraterie.
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