OCCAR : Quels enseignements peut-on tirer des coopérations renforcées existantes ?
Par M. Patrick Bellouard
Directeur de l’Organisation conjointe
de coopération en matière d’armement (OCCAR)
Le 28 janvier 2001, l’OCCAR était dotée d’un statut juridique. Dix ans après, elle est devenue un acteur à part entière de la gestion des programmes d’armement en Europe. La conférence organisée le 1er juin 2011, à Bonn, où siège l’organisation, a été l’occasion de dresser un bilan de ses accomplissements.
L’OCCAR dans le cadre européen de la fourniture d’équipement de défense : des progrès certains
L’OCCAR, organisation internationale dont la mission principale est la gestion des programmes d’armements en coopération, a été créée par l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne et l’Italie, en anticipation sur le traité de Lisbonne, pour aider les Etats européens dans cet effort. La Belgique et l’Espagne ont rejoint l’organisation respectivement en 2003 et en 2005. Ses principes ont été définis en 1993 (déclaration franco-allemande de Baden-Baden) puis repris dans une Convention signée par les quatre pays en 1998 et mise en vigueur en janvier 2001. Les objectifs de l’OCCAR, inscrits dans la Convention, sont l’amélioration de l’efficacité dans le domaine de la gestion de programme et la réduction des coûts de coopération en matière d’armement.
L’OCCAR vise en particulier à développer de nouveaux outils de gestion de programme et des procédures plus efficaces pour l’octroi de contrats ; à encourager la création de maîtres d’œuvre industriels intégrés transnationaux, à coordonner les besoins d’armements sur le long terme et les programmes d’investissement de technologie, à favoriser l’amélioration de la compétitivité de la BITDE et finalement à contribuer à une identité européenne de sécurité et de défense.
A l’heure actuelle, l’OCCAR gère huit programmes en coopération avec un engagement financier total des Etats participants d’environ 40 milliards d’euros. Si l’on s’intéresse à ses performances générales, le rapport entre son budget administratif et son budget total est légèrement supérieur à 1%, cela signifie que l’OCCAR réussi à mettre en place une structure extrêmement légère.
Après dix ans de fonctionnement, de création et d’amélioration de ses méthodes et de ses outils de gestion, l’OCCAR est devenu une organisation mature qui est largement reconnue comme un centre d’excellence pour la gestion des programmes en coopération et comme le premier choix pour les Nations désireuses de lancer un nouveau programme d’armement en coopération ou une nouvelle phase d’un programme. L’extension des responsabilités de l’OCCAR aux phases de soutien des programmes en cours (COBRA, TIGRE, FSAF/PAAMs et bientôt A400M) ou à la gestion de nouveaux programmes (MUSIS, programmes de coopération entre France et Grande-Bretagne suite au traité récemment signé…) montre la confiance accordée par les nations à l’OCCAR.
La confiance se construit petit à petit, compte tenu des enjeux politiques, techniques et financiers et des difficultés ou des risques encourus sur les programmes. Il est évident que les nations pourraient encore accroître les bénéfices de la coopération au sein de l’OCCAR si elles acceptaient de renforcer encore les pouvoirs de l’organisation (délégations accrues) et de supprimer un certain nombre de duplications résiduelles entre nations et l’OCCAR.
Enfin, le modèle de coopération OCCAR sert actuellement de référence pour les réflexions en cours au sein de l’OTAN en vue de la restructuration de l’ensemble de ses agences d’acquisition et de soutien. Cette approche a été acceptée lors du dernier sommet OTAN tenu à Lisbonne. Il faut toutefois noter que, dans certains cas (programmes NH90 et Eurofighter notamment), il serait encore plus profitable pour les Nations concernées d’intégrer tout simplement ces programmes au sein de l’OCCAR.
La coopération en matière d’armements en Europe est la seule solution viable sur le long terme
Nous faisons toujours face à un déséquilibre énorme entre les efforts de défense de l’Union européenne et ceux des Etats-Unis en termes budgétaires. Bien que les Etats-Unis aient une population d’un tiers inférieure à la population européenne et des effectifs militaires 25% moins importants, son budget de défense correspond à presque 2,5 fois l’ensemble des budgets de défense des pays de l’UE, et quand nous nous intéressons au seul secteur de la recherche et technologies, le rapport est alors de 6 à 1 (75 milliards d’euros contre 12 milliards d’euros).
Avec la crise financière la situation va encore s’aggraver, les budgets de défense en Europe subissant des coupes sévères de 10 jusqu’à 50%. En conséquence, le déséquilibre en termes de capacités militaires continuera à augmenter, à moins que des décisions fondamentales soient prises en Europe. Le risque principal est le repli sur soi, chaque nation essayant de sauvegarder ses propres capacités et son propre outil industriel. Il me semble que ce n’est pas la bonne approche.
Si les gouvernements européens veulent dépenser mieux leurs budgets de défense de plus en plus limités, leur seule vraie option est de dépenser ensemble une plus large part. La coopération offre des avantages économiques et technologiques. Les programmes conjoints de recherche permettent l’acquisition de connaissances à un coût réduit grâce au partage de l’information. La coopération dans l’acquisition d’équipements de défense apporte des avantages économiques par le partage des coûts de développement et les économies d’échelle dans la production. En outre, si l’on prend en compte le cycle de vie global des équipements, la poursuite de la coopération, lors de la phase d’utilisation opérationnelle, accroit fortement les bénéfices économiques, par une partage des coûts de soutien, de mise à niveau et, en fin de vie, de retrait du service.
En termes militaires, l’acquisition coopérative constitue le moyen le plus efficace pour augmenter l’interopérabilité entre alliés. Les changements du contexte de sécurité globale après la guerre froide ont créé un besoin croissant d’harmonisation des capacités de mission entre les alliés pour des opérations conjointe et de coalition.
Du point de vue industriel, la coopération en matière d’équipement de défense permet de préserver les compétences technologiques et d’accompagner les restructurations industrielles en supprimant les duplications inutiles.
Des avantages sur le plan politique international, tels que le renforcement des relations de sécurité et l’amélioration de la politique commune de sécurité et de défense peuvent également résulter de la coopération en matière d’équipement de défense.
Du budget d’investissement de défense européen d’environ 41 milliards d’euros, seulement 8 milliards d’euros sont réellement investis dans des programmes de coopération en matière d’armement. Avec un budget opérationnel moyen annuel de 3 milliards d’euros, l’OCCAR représente presque 50% du budget européen d’investissement de défense engagé en coopération, mais moins que 10% du budget global. Il reste donc toujours un grand potentiel de croissance pour la coopération au sein du budget européen d’investissement de défense et donc aussi pour OCCAR.
L’OCCAR et l’AED : partenariat et complémentarité
Dans le domaine de la coopération de défense européenne, l’Agence européenne de Défense (AED) et l’OCCAR ne se voient pas comme concurrents, mais plutôt comme des partenaires naturels, où l’OCCAR est situé en aval de l’AED dans le processus de développement de capacités. Dans ce processus, l’AED a la tâche principale de stimuler la coopération entre ses Etats-membres, tandis que l’OCCAR est mieux placée pour gérer les programmes qui naissent de cette coopération.
Afin de formaliser la coopération entre l’AED et l’OCCAR, déjà existante en pratique, le Conseil des Affaires générales et des Relations extérieures de l’Union européenne a invité l’AED, dans sa déclaration du 10 novembre 2008, à établir un arrangement administratif entre ces deux organismes.
Dans la pratique quotidienne, cette coopération est déjà visible dans les deux programmes ad hoc catégorie B de l’AED pour lesquels la gestion a été confiée à l’OCCAR, à savoir le programme ESSOR et le programme « Multinational Space-based Imaging System » (MUSIS). Des possibilités de coopérations futures ont déjà été identifiées avec des programmes tels que le développement et l’amélioration d’équipements de protection contre les risques biologiques ou le système de formation et d’entrainement futur des pilotes de combat.
A côté des initiatives « top down » structurantes venant des institutions européennes, y compris de l’AED, visant à renforcer la base industrielle et le marché européen de défense, l’OCCAR contribue d’une manière pragmatique, « bottom up », au renforcement de la base industrielle et du marché européen de défense par des programmes que l’organisation gère pour le compte de ses clients dans le cadre de coopérations. On voit ici une bonne complémentarité entre ces initiatives « top down » et « bottom up ».
La coopération de défense européenne constitue donc la seule bonne réponse à la fragmentation et à la duplication des efforts en Europe. L’amélioration des capacités des Etats membres de l’Union européenne se développera exponentiellement s’ils font davantage ensemble.
L’OCCAR, organisation légère et flexible, constitue un bon exemple de coopération renforcée au sein de l’Europe, capable de répondre rapidement aux besoins des nations en matière de gestion de programme d’armement. Elle offre une gestion de programme de pointe tout au long de leur cycle de vie et des pratiques en matière de gouvernance qui assurent une utilisation optimale des moyens et des compétences.
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