Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

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Que faut-il penser du nouveau paradigme :« la guerre au milieu des populations » ?

Par M. Pierre Pascallon
Professeur agrégé de Sciences économiques à la Faculté de Clermond-Ferrand, spécialiste des questions de Défense

Que faut-il penser du nouveau paradigme : « la guerre au milieu des populations » ?
Toutes les disciplines qui se veulent scientifiques ont besoin de théories sinon de théorèmes, de paradigmes. La science militaire n’échappe pas à cette préoccupation.
Il semble bien que l’on doive au général d’armée britannique Sir Rupert Smith1, l’expression de « nouveau paradigme » avec « la guerre au milieu des populations ».
Ce nouveau paradigme doit être rapproché, distingué, opposé à l’ancien paradigme « traditionnel », la « guerre en milieu ouvert ».

Du paradigme « traditionnel » à «  la guerre au milieu des populations » ?
Les guerres conventionnelles étaient censées se jouer jusqu’à nos jours en espace ouvert, sur terre, sur mer ou dans les airs, en plaine le plus souvent. La ville n’était dans cette perspective que rarement pour ne pas dire jamais le théâtre d’affrontement.
A dire le vrai, ce paradigme ancien, « la guerre en milieu ouvert », est à replacer dans le modèle occidental, industriel, de la guerre : la « grande » guerre symétrique, puissance industrielle contre puissance industrielle, la guerre inter-étatique ; une guerre technique sinon technologique, de haute intensité, avec des « fronts » se déplaçant au gré des reculs ou avancées des unités d’infanterie, appuyées par les blindés, l’artillerie, la chasse aérienne.
Ce paradigme et ce modèle « traditionnels » ont vécu, remplacés aujourd'hui par le nouveau paradigme de « la guerre au milieu des populations ».
Le constat militaire n’est plus que rarement, voire jamais, un combat en espace ouvert. Il y a eu depuis les années 1990 – nous dit-on -, « urbanisation des conflits et les conflits actuels sont bien ainsi de plus en plus des conflits urbains.
Avec la disparition de la guerre conventionnelle, inter-étatique et son remplacement – on parle du « nouveau modèle de guerre post-occidental » – par de « nouvelles » guerres, qui sont des guerres « irrégulières », et de « low teck », des guerres asymétriques, des combats qui sont des combats de faible ou basse intensité avec des acteurs qui ne sont plus forcément des Etats, mais des insurgés guérilleros, des terroristes, en milieu urbain là où il est impossible de porter un coup fatal à l’adversaire en frappant ses points névralgiques parce qu’il n’en a pas.

Un cadre conceptuel nécessaire
Il convient tout d’abord de mettre en exergue les mérites du nouveau paradigme de « la guerre au milieu des populations » et de ce nouveau modèle post-occidental de la guerre. Il est sûr qu’ils permettent de mieux cerner l’évolution de la conflictualité pour nos dernières décennies, pour aujourd’hui et pour demain.
Depuis les années 1990, les nouvelles guerres sont de plus en plus urbaines. Depuis la fin de la guerre froide, les combats sont de plus en plus des combats urbains. On peut avancer en effet que les trois quarts des conflits qui se sont développés depuis ces années là ont été des conflits en zone urbaine.
Il suffirait – s’il fallait des preuves – de mettre en avant les conflits en Irak et en Afghanistan, les dernières opérations urbaines conduites par les Israéliens au Liban contre le Hamas… Et s’il fallait des noms synonymes de combats en zone urbaine, on pourrait citer bien sûr les batailles de Grosny, Mogadiscio, Sarajevo, Mitrovica, Bagdad, voire Abidjan.
Et il y a tout lieu de penser aussi que, demain, la guerre sera avant tout une guerre au cœur des populations. Il n’est pour s’en convaincre qu’à avoir en tête les perspectives démographiques qui assurent qu’en 2025, les deux tiers de la population mondiale vivront dans des zones urbanisées ; dans, en particulier, de très grandes mégapoles. Et par la même la guerre urbaine paraît appeler à devenir la norme des prochaines décennies. En effet, pour paraphraser le titre de l’ouvrage de M. Pierre Lellouche, actuel Secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, sur « l’avenir de la guerre », on peut parler du « bel avenir de la guerre en ville » !
Il appartient donc aux décideurs, aux responsables – on peut s’étonner que le nouveau livre blanc français : « défense et sécurité nationale » (2008) n’y fasse aucun écho – à orienter réflexion et actions militaires pour coller aux exigences de cette nouvelle conflictualité urbaine d’aujourd’hui et de demain. Même et surtout si ce thème de la conflictualité urbaine est un sujet complexe, difficile :
Un sujet complexe, difficile ? Car la ville, c’est plus compliqué que la rase campagne et que donc la guerre urbaine – dès lors qu’elle se refuse à raser la ville – est plus difficile que la guerre « conventionnelle » en milieu ouvert.
Il faudrait ici développer plus longuement la spécificité urbaine et, par la même, la spécificité de la guerre urbaine, du combat urbain.

La guerre urbaine : une réalité historique
Toutefois, il est nécessaire de marquer les limites de ce « nouveau » paradigme et de ce modèle post-occidental de guerre. Il ne sont pas, au vrai, aussi nouveaux que le laissent à croire ses défenseurs. En effet, « nos » guerres n’ont cessé d’être des guerres urbaines. L’Histoire, depuis les premiers conflits, montre bien la permanence de conflits, de combats, de guerres urbaines, tant il est vrai que la ville n’a cessé d’être au cœur de l’Histoire de la vie des hommes.
On pourrait pour en persuader refaire la longue histoire du combat urbain tant à l’époque de Jérusalem, tant lors de la croisade contre les Cathares qu'au cœur de la conquête espagnole de Mexico, capitale aztèque…
Qui plus est, avec la liaison, ou mieux encore l’équation qui s’établit avec la première révolution industrielle en Occident, sinon avant : « industrialisation = urbanisation », l’urbanisation ne va cesser de progresser et, par la même, « la guerre dans, à et contre la ville se généralise » comme l’assure à juste titre M. Laurent Henninger. Même lors des grandes guerres du XXème siècle – les guerres fondées sur la manœuvre en espace ouvert -, les villes furent plongées dans la tourmente : en 1941-42, les offensives allemandes en URSS viseront Moscou et Léningrad, puis Stalingrad, Le Caire et Alexandrie au Moyen-Orient…
Par ailleurs, ce « nouveau » paradigme de la guerre au milieu des populations et ce « nouveau » modèle de guerre post occidental ne sont pas aussi uniques que le laissent à penser leurs défenseurs.
On laisse à croire que demain il n’y aura rien d’autre que la guerre au milieu des populations dans le cadre d’un modèle post occidental : la conflictualité urbaine, la guerre urbaine est la vraie et la seule guerre ; elle est toute la guerre. Il n’y aura et ne pourra y avoir rien d’autre – et on l’a soutenu plus haut -, si demain on peut penser que les conflictualités et les guerres urbaines seront prédominantes dans le cadre de « petites guerres », il y aura aussi d’autres formes de guerres, d’autres formes de conflits. Les guerres et les conflits plus « classiques », plus « conventionnels » peuvent en effet revenir dès lors que nous entrons dans la période de déclin, relatif, de l’hyperpuissance américaine et, corrélativement, la montée en puissance de jeunes ou moins jeunes « grandes nations » dans le cadre d’une multipolarité instable et dangereuse : avec la résurgence dans ce contexte, de menaces majeures interétatiques, de conflits majeurs interétatiques, de la guerre « classique, de la « grande » guerre, de la « vraie » guerre.

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