Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

La lettre diplometque
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     Gabon
 
  S.E.Mme / H.E. Félicité Ongouori Ngoubili

De l’héritage de la stabilité au défi de l’émergence

Alors que le Gabon célèbre les cinquante ans de son accession à l’indépendance, S.E.Mme Félicité
Ongouori Ngoubili, Ambassadeur, Haut Représentant de la République Gabonaise en France, nous livre sa vision des mesures lancées par le Président Ali Bongo Ondimba, pour favoriser la montée en puissance de l’économie du pays. Un an après son élection et la disparition  du Président de la République El Hadj Omar Bongo Ondimba, considéré comme le père du Gabon moderne qui a succédé au Président Léon Mba, le père de la nation gabonaise, elle aborde également le renouveau du partenariat historique entretenu avec la France.

La Lettre Diplomatique : Madame l’Ambassadeur, près d’un an après la disparition de feu le Président El Hadj Omar Bongo Ondimba, le Gabon célèbrera le 17 août 2010 le 50ème anniversaire de son accession à l’indépendance. Comment décririez-vous son héritage dans la construction de l’Etat gabonais, la préservation de sa stabilité et son rayonnement sur la scène internationale ? Quels vœux souhaiteriez-vous formuler à l’approche de cet évènement ?

S.E.Mme Félicité Ongouori Ngoubili :
Je tiens avant tout à remercier la rédaction de « La Lettre Diplomatique » d’avoir réalisé ce numéro spécial sur le Gabon, à l’occasion de la commémoration des cinquante ans de son indépendance. J’y vois une preuve de l’intérêt renouvelé à l’égard de mon pays, qui n’aspire d’ailleurs qu’à être davantage connu.
L’œuvre que feu le Président El Hadj Omar Bongo Ondimba a accomplie pour le Gabon, de 1967 à 2009, est bien évidemment immense. Elle s’inscrit dans la continuité de celle entamée par le Président Léon Mba dés l’indépendance. La commémoration du cinquantenaire de notre indépendance est de ce fait l’occasion appropriée pour apprécier quelques aspects majeurs de cet héritage tant dans la construction de l’Etat, que dans la préservation de sa stabilité et son rayonnement sur la scène internationale qui sont, à mon sens, trois éléments intrinsèquement liés.
Dès son accession à la magistrature suprême, le Président El Hadj Omar Bongo Ondimba s’était en priorité attelé à bâtir l’unité de la nation autour des valeurs de paix et de solidarité. Poursuivant l’action du Président Léon Mba, il a vu dans l’unité et la stabilité du pays le préalable à toute perspective de développement. Une fois cette dynamique lancée, il a pu initier dans les années 1970 les premiers grands travaux qui permettront de construire « physiquement » le Gabon (infrastructures de communication, de transport, d’éducation, etc.).
Sur ce plan aussi, il faut souligner l’ampleur de la tâche, car il s’agissait alors de transformer les richesses « potentielles » dont regorgeait le pays en richesses « effectives ». Au bois, vont s’ajouter le pétrole, le manganèse, l’uranium, ainsi que de nombreuses autres ressources tirées des activités agro-pastorales et halieutiques. L’embellie économique et sociale qui a résulté s’est traduite par l’amélioration du niveau de vie des populations.
La construction du pays, c’est également la mise en place d’institutions modernes de gestion de l’Etat (institutions gouvernementales, législatives, judiciaires, etc.). Avec le temps et les circonstances, ce dispositif institutionnel, allié à la maturité politique du peuple gabonais résolument attaché à la préservation de l’unité nationale, a d’ailleurs permis que la période de transition que vient de vivre le Gabon, soit une épreuve réussie et unanimement saluée par la Communauté Internationale.
Sur le plan international, le rayonnement dont jouit le Gabon aujourd’hui est le fruit de l’intense engagement diplomatique du Président El Hadj Omar Bongo Ondimba, qui fut un homme d’ouverture et de dialogue. En s’investissant pleinement en faveur de la résolution des conflits dans les différents foyers d’instabilité en Afrique et au-delà, il a su partager avec les autres nations son fervent attachement en faveur de l’indivisibilité et à l’universalité de la paix. Il s’est de même consacré à la mise en place des institutions sous-régionales au service du développement de nos Etats.
A l’approche du 17 août 2010, date anniversaire des cinquante ans de l’indépendance du Gabon, je ne puis que formuler le souhait ardent que les Gabonaises et les Gabonais maintiennent intact ce lourd héritage légué par le Président El Hadj Omar Bongo Ondimba, et puisent dans les valeurs qu’il a farouchement défendues toute l’énergie nécessaire à la réalisation de l’ambition que porte aujourd’hui Son Excellence Ali Bongo Ondimba ; une ambition tournée vers la construction d’un Gabon émergent. Je souhaite qu’une prise de conscience collective se manifeste, car ce n’est qu’ensemble que nous pourrons mieux consolider les acquis enregistrés à ce jour et ainsi réussir ce pari de l’avenir.
A l’attention de la communauté gabonaise de France, j’en appelle, une fois encore, à une cohésion sociale plus renforcée, à un engagement collectif plus affirmé, afin qu’elle soit davantage une diaspora de conviction et de développement au service de notre pays.

L.L.D. : Elu le 30 août 2009, le Président Ali Bongo Ondimba a fait de l’entrée du Gabon au sein du groupe des pays émergents sa priorité. Comment définiriez-vous les grands axes de stratégie de modernisation du pays en vue d’estomper les disparités socio-économiques ? Quelle place entend-il faire dans ce cadre à la rationalisation de l’appareil administratif de l’Etat ?

S.E.Mme F.O.N. :
Le projet de société proposé aux Gabonais par le Président Ali Bongo Ondimba  consiste à construire ensemble, à l’horizon 2025, un Gabon émergent, autour des valeurs de paix, de développement et de partage, au sein duquel pourront s’épanouir des hommes et des femmes bien formés, bénéficiant de services sociaux de qualité et évoluant dans un environnement de paix. Pour mettre en œuvre ce projet qui va au-delà de la seule résorption des disparités socio-économiques, neuf (9) grands axes qui ont été retenus, à savoir :
– consolider l’Etat de droit ;
– faire de la décentralisation une réalité ;
– réussir la moralisation de la vie publique et assurer une meilleure gouvernance des affaires publiques ;
– préserver l’intégrité territoriale et consolider les rapports avec les pays voisins et amis ;
– diversifier les sources de croissance et de développement durable ;
– mettre en place les infrastructures de soutien au développement économique ;
– mieux gérer les finances publiques ;
– mieux responsabiliser les Gabonais et les pousser à être plus entreprenants ;
– lutter contre les inégalités, la pauvreté et l’exclusion.
Véritable profession de foi, l’engagement qu’a pris le chef de l’Etat en sollicitant les suffrages du peuple gabonais le 30 août 2009, représente de surcroît une invitation faite à chaque Gabonaise et à chaque Gabonais d’apporter sa contribution à l’édification d’une nation qui répondra davantage aux désirs collectifs de mieux-être.
D’ailleurs pour construire cette nation, économiquement émergente à l’horizon 2025, et conscient de la nécessité de trouver une alternative au déclin irréversible du secteur pétrolier qui génère actuellement plus des trois quarts des ressources de l’Etat, le Président de la République a identifié trois piliers sectoriels forts que sont le Gabon industriel, le Gabon vert et le Gabon des services à valeur ajoutée.
Dans sa composante industrielle, le Gabon vise la valorisation locale des matières premières et entend être un pôle régional pour les produits transformés (essences forestières, fer, manganèse, gaz, etc.).  Pour l’essentiel, l’objectif est de faire de l’industrie un des secteurs majeurs du développement du Gabon, à travers la création de richesses et d’emplois. 
Pour l’essentiel, l’objectif est de faire de l’industrie un des secteurs majeurs du développement du Gabon, à travers la création de richesses et d’emplois.
Le 2ème pilier, le Gabon vert vise une gestion durable des forêts ainsi qu’une plus grande valorisation du riche écosystème caractérisé par 22 millions d’hectares de forêts et de terres agricoles, 800 kms de littoral maritime, une exceptionnelle diversité de la faune et de la flore.
Résolument engagé dans la préservation de l’environnement, le Gabon entend ainsi concilier les exigences écologiques avec le souci de valoriser les produits et services issus de la forêt, promouvoir une politique environnementale ambitieuse permettant de concilier la nécessité de développement économique et social, avec les impératifs de protection de la couche d’ozone contre les agressions des gaz à effets de serre.
Pour sa part, le Gabon des services à valeur ajoutée repose sur la valorisation des ressources humaines aussi appelées « pétrole gris ». Dans cette perspective, le Gabon entend devenir une référence régionale dans des domaines aussi variés que les services financiers, les nouvelles technologies de l’information, les métiers liés à l’économie verte. Le pari qui est ainsi fait est celui de la formation, outil indispensable pour porter le projet de construction du Gabon émergent. Le Gabon des services c’est donc l’adaptation des objectifs de l’enseignement aux nouveaux métiers qu’imposent les nouvelles orientations de notre économie. La professionnalisation des filières, la redéfinition des offres de formation dans des structures plus autonomes, en relation avec les entreprises, vont permettre de reconfigurer totalement le système éducatif.
Voici brièvement résumés les grands axes de la stratégie adoptée par le Chef de l’Etat, pour moderniser le pays, réduire les disparités économiques, en somme faire du Gabon un pays émergent en 2025. Bien évidemment, la concrétisation de cette vision nécessite au préalable la mise en œuvre d’actions sur les plans structurel et institutionnel.
Sur le plan structurel, il est nécessaire de garantir le bon état des infrastructures. Aussi, est-ce dans cette optique que 42% du budget de l’Etat pour 2010 est consacré à l’investissement pour améliorer les infrastructures de transport, de fourniture d’eau et d’électricité, de santé, de logement, d’éducation, soit trois fois plus qu’en 2009. 
Sur le plan institutionnel, la rationalisation de l’appareil administratif de l’Etat, comme vous l’évoquez, passe par le lancement d’audits sur les effectifs de la fonction publique, sur la masse salariale et sur la dette intérieure et extérieure. Ces opérations ont déjà démarré et visent notamment cinq objectifs principaux, à savoir l’optimisation du fonctionnement de l’administration, l’amélioration de la productivité et du rendement de l’agent public, la réalisation des économies budgétaires, ainsi que l’efficience de l’administration.
En outre, le Président de la République a pris, au lendemain de son investiture, des décisions courageuses en faveur de la réduction du train de vie de l’Etat (réduction de l’équipe gouvernementale, suppression de certains postes de haute responsabilité, non cumul de mandat parlementaire avec des fonctions publiques, plafonnement des rémunérations et autres avantages pécuniaires versés aux dirigeants des sociétés d’Etat, des sociétés d’économie mixte et ceux d’établissements publics et parapublics, etc.). Les économies internes qui vont être dégagées de ces actions serviront entre autres au développement ou à la restructuration de certaines entreprises pourvoyeuses d’emplois et participeront ainsi à l’effort de relance de l’investissement, afin de mieux accompagner les projets de renforcement d’infrastructures de soutien à un développement économique bénéfique à toute la population.

L.L.D. : Le chef de l’Etat gabonais a identifié l’environnement, l’industrie et les services comme les piliers de l’émergence du Gabon à l’horizon 2025. Quelles principales actions ont-elles été menées en relation avec chacun de ces piliers ?

S.E.Mme F.O.N. :
Depuis son investiture, le 16 octobre 2009, le Président Ali Bongo Ondimba a pris de nombreuses décisions, surtout en relation avec ces trois piliers, pour donner progressivement forme à son projet de société. Sans être exhaustive, je n’en citerais que les principales.
Dans le pilier « Gabon vert », les actions qui sont menées visent essentiellement à concilier, comme je l’indiquai précédemment, la nécessité de développement économique et social, avec les impératifs de protection de la couche d’ozone contre les gaz à effet de serre. Ces actions concernent notamment :
– la poursuite de la politique d’aménagement et de gestion durable des forêts ;
– la poursuite des efforts en faveur de la conservation de la biodiversité, ainsi que l’extension et l’amélioration de la gestion du réseau d’aires protégées qui représente 11% du territoire, soit 3 millions d’hectares. L’engagement pris par le chef de l’Etat à Copenhague en décembre 2009 consiste d’ailleurs à porter cette superficie à 4 millions d’hectares en intégrant d’autres sites d’intérêt biologique d’une superficie cumulée de 427 114 hectares ;
– la rationalisation de la gestion des gaz pétroliers en arrêtant les opérations de torchage au profit des techniques nouvelles de récupération et de réinjection, afin d’améliorer la production pétrolière et de respecter les engagements internationaux du Gabon en matière de développement durable ;
– l’augmentation, à l’horizon 2015, de la capacité de séquestration du gaz carbonique par les 22 millions d’hectares de forêts gabonaises (cette capacité passera de 45 à 50 millions de tonnes, afin de mieux contribuer à la régulation du climat) ;
– l’élaboration d’un Code de l’environnement et du développement durable ;
– la mise en place d’un Conseil national sur le Changement climatique désigné « Conseil Climat » placé sous l’autorité du Président de la République, et dont la mission est l’élaboration d’un Plan Climat national qui participe de manière significative à la Lutte contre le changement climatique ;
– la création, en partenariat avec la France et le Brésil, d’une Agence d’Observation et d’Etudes spatiales,
– la construction d’ici 2011 d’une station d’acquisition d’images satellites devant permettre d’assurer le suivi de l’évolution du couvert forestier du Gabon et du Bassin du Congo, ainsi que l’évaluation périodique du stockage de carbone.
Par ailleurs, au niveau de la Commission des forêts d’Afrique centrale (COMIFAC), le Gabon soutient le plan de convergence qui est l’outil des Etats de la sous-région pour conserver et gérer de manière concertée les écosystèmes forestiers.
Dans le pilier « Gabon industriel », l’objectif étant de transformer localement les matières premières afin d’augmenter leur valeur ajoutée, nous pouvons citer :
– l’interdiction depuis 2010 d’exporter des grumes avant qu’elles n’aient été préalablement transformées au niveau local ; ceci dans le but d’augmenter leur valeur une fois commercialisées et d’accroître le nombre d’emplois dans ce secteur qui, il faut le relever, est le 2ème employeur après la fonction publique. Dans le cadre de ce processus qui vise également l’industrialisation de toute la filière bois, des mesures d’accompagnement ont toutefois été prévues, notamment la création d’un Fonds de soutien de 20 milliards de francs CFA, la mise en place d’avantages fiscaux pour les investissements réalisés au cours des trois prochaines années dans le domaine de la transformation du bois, la restructuration de la Société nationale des Bois du Gabon (SNBG) et son assignation d’acheter la production des petits producteurs gabonais réunis au sein du Projet des Petits Permis Forestiers Gabonais ;
– la construction d’un complexe métallurgique (à Moanda, sud-est du pays) pour la transformation locale du manganèse qui créera ainsi une forte valeur ajoutée en permettant l’exportation de produits semi-finis ; et cela dans le strict respect des normes et pratiques environnementales ;
– la restructuration de la Société gabonaise de Raffinage (SOGARA) et la création d’une société pétrolière nationale, Gabon Oil Company (GOC), pour impulser une autre dynamique dans le secteur pétrolier ;
– la promotion d’une grappe industrielle forte de ferromanganèse (dans l’ouest du pays, Zone franche de l’île Mandji) afin de valoriser le fer et le manganèse ;
– la création d’une zone franche industrielle (toujours sur l’île Mandji) ainsi que d’une Agence de promotion spécialisée qui s’attellera à promouvoir un meilleur cadre des affaires et d’incitations spécifiques permettant d’attirer des entreprises opérant dans les produits d’assemblage pour les maisons en bois et le mobilier de bois de valeur ;
– la construction de trois barrages hydroélectriques : le Grand Poubara (dans le sud) pour soutenir l’activité du bassin minier, l’Okano (dans le nord) et les chutes de l’impératrice Eugénie (dans le sud), en vue de concrétiser le plan ambitieux consistant à atteindre un taux d’électrification nationale de 100% susceptible de soutenir adéquatement le tissu économique et répondre aux besoins des populations.
Dans le pilier « Gabon des services », plusieurs actions ont également déjà été menées, parmi lesquelles :
– la décision de créer à Port Gentil, ville pétrolière, un Institut supérieur de formation aux métiers du pétrole et du gaz avec pour objectif de faire de cette cité un pôle d’excellence en matière de formation dans ce domaine et de renforcer ainsi les capacités des jeunes gabonais en vue de leur intégration dans les entreprises pétrolières et gazières ;
– la décision de créer une Agence nationale des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), chargée de promouvoir, de mettre en œuvre et de suivre l’action du Gouvernement dans ce secteur. Cette action fait suite à la proposition que le Président de la République a adressée à ses pairs de l’Union Africaine, lors de la 14ème Conférence à Addis Abeba, de mettre en place un cadre institutionnel harmonisé et suffisamment attractif en Afrique en vue de développer les TIC ;
– l’adoption d’un programme d’informatisation des écoles et des administrations, afin de réduire l’analphabétisme numérique. A cet effet, le premier Salon numérique « Gabon Numérique 2010 », qui a été organisé à Libreville du 17 au 19 février 2010, a drainé une foule importante qui a pu apprécier les bien-fondés de l’économie numérique en tant que vecteur du développement ;
– la décision de créer un Institut Supérieur de la Poste, des Technologies de l’Information et de la Communication qui participe à l’ambitieux programme d’arrimage du Gabon aux TIC.
Comme vous le constatez, ces nombreuses actions ont été menées dans un délai relativement court. Le chef de l’Etat a ouvert la voie et donné le rythme ; il appartient par conséquent aux Gabonais de se mobiliser autour de ce projet.


L.L.D. : Couvrant près de 85% de son territoire, le patrimoine forestier constitue le socle du « Gabon vert ». Considérant les efforts déployés en faveur de sa protection, quel compromis a-t-il été défini pour en assurer une gestion durable tout en valorisant ses atouts en termes économiques ? Quelle approche est-elle envisagée pour favoriser l’essor de l’éco-tourisme ?

S.E.Mme F.O.N. :
L’intérêt que le Gabon porte à son patrimoine forestier n’est pas nouveau. Historiquement, le bois a constitué, avant le pétrole, notre ressource économique de référence. Il a fallu attendre le premier boom pétrolier pour voir l’activité forestière décliner progressivement au profit de l’exploitation pétrolière.
Quoiqu’il en soit, depuis le sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992, le Gabon s’est résolument engagé dans le processus de gestion durable de ses forêts, notamment à travers la mise en place d’un Programme sectoriel Forêt Environnement (PSFE) dont l’objectif général est de promouvoir la conservation et l’utilisation durable des ressources forestières afin de répondre aux besoins actuels ou futurs, locaux, nationaux et même mondiaux.
Adopté en 2001, le Code forestier constitue d’ailleurs l’avancée la plus importante dans ce domaine. Afin d’accroître la contribution de ce secteur au développement économique, social, culturel et scientifique du Gabon, le Code forestier a apporté des changements notables dans la gestion des ressources forestières, notamment en délimitant deux zones distinctes au sein du domaine forestier :
– le Domaine forestier permanent de l’Etat (DPFE) d’une part, qui comprend les forêts de production (ou forêts domaniales productives enregistrées) et les aires protégées (appelées aussi forêts domaniales classées). L’exploitation des forêts de production est soumise à un plan d’aménagement forestier qui permet de concilier exigence de rentabilité et impératif de préservation des ressources (reboisement, exploitation rationnelle, etc.).
– le Domaine forestier rural (DFR) d’autre part, constitué des terres et forêts dont la jouissance est réservée aux communautés villageoises selon des modalités précises. 
Conformément aux dispositions pertinentes de ce code, toute forêt domaniale doit faire l’objet d’un plan d’aménagement qui garantit le maintien de la diversité biologique des ressources forestières, leur productivité, leur faculté de régénération, leur vitalité et leur capacité à satisfaire de manière pérenne des fonctions économique, écologique et sociale pertinentes, sans causer de préjudices à d’autres écosystèmes.
Dans le contexte de la construction du Gabon émergent, le pari que porte le pilier « Gabon vert » est de concilier deux impératifs : le premier est économique et concerne la valorisation de tous les produits et services issus de la forêt ; le second est écologique et porte sur la préservation de la forêt, de sa biodiversité et la lutte contre le réchauffement climatique.
Pour cela, le Gabon élabore actuellement un Code de l’environnement et du développement durable qui, avec le Code forestier en cours de révision globale, vont constituer l’essentiel du compromis trouvé pour valoriser et conserver les écosystèmes forestiers en vue de leur exploitation rationnelle et durable.
S’agissant du potentiel touristique du Gabon, il faut dire qu’il est particulièrement riche. Couvert à 85% de forets, le pays est partiellement inexploré et pourrait de ce fait constituer une des dernières grandes zones de vie sauvage au monde. Bien qu’encore embryonnaire, comparativement au tourisme d’affaires, balnéaire et de pêche sportive, l’éco-tourisme est prometteur. Cinq facteurs principaux en constituent les principales forces potentielles :
– l’originalité et la variété des produits touristiques envisageables ;
– la présence d’équipements de base ;
– un milieu humain potentiellement réceptif aux contraintes de l’activité touristique ;
– l’émergence de certains opérateurs avec des structures dédiées ;
– un potentiel économique capable de générer un tourisme captif d’affaires.
« Faire du Gabon la Mecque de la nature où les touristes accourront des quatre coins du globe », tel était l’objectif visé par feu le Président El Hadj Omar Bongo Ondimba en décidant de créer 13 parcs nationaux, couvrant 11% du territoire.
En plus de travailler au renforcement des infrastructures et à la formation des ressources humaines, le Gabon assoit sa stratégie sur un cadre législatif qui en l’état facilite déjà l’investissement. En effet, à titre d’illustration, pour des investissements supérieurs à 1,8 milliards de francs CFA, plusieurs avantages sont prévus, parmi lesquels :
– l’exonération totale, pour une durée de dix ans, des droits de douanes et taxes perçus à l’importation et sur les matériels et outillages, les biens d’équipement et moyens de transport touristique à l’état neuf destinés au développement de l’exploitation ;
– l’exemption de patente pendant les cinq premières années d’exploitation ;
– l’exemption d’impôt foncier pour les constructions nouvelles durant une période de dix ans après leur achèvement ;
– pendant la période de construction du projet et pendant les huit premières années d’exploitation de la fin de la période de construction, l’exonération de l’impôt sur les sociétés (personnes morales), l’exonération de l’impôt sur le revenu, les bénéfices industriels et commerciaux (entreprises individuelles) ; pendant les huit années suivantes, l’exonération de l’impôt sur les sociétés sur la moitié du bénéfice imposable (personnes morales) ;
– la possibilité d’imputer, sur les bénéfices réalisés lors des trois années suivant la période d’exonération, les pertes constatées pendant ladite période.
L’approche privilégiée pour favoriser le développement de l’éco-tourisme repose sur des principes directeurs qui entendent répondre à la problématique du développement d’un écotourisme de classe mondiale et garantir la mise ­­en place d’un système cohérent et efficient de valorisation des parcs nationaux. 
C’est un modèle d’implication des populations locales et une source de revenus substantiels pour l’Etat, dont les principes directeurs sont :
– la concertation : le développement et la gestion d’un écotourisme de classe mondiale sont l’affaire de tous, car il traduit la volonté gouvernementale de diversifier l’économie et de lutter contre la pauvreté en milieu rural ;
– l’intégration : les actions vont être menées en synergie avec les différents programmes nationaux ;
– la durabilité : la mise en place des mécanismes d’évaluation et la création d’organes de contrôle des activités liées à l’exploitation touristique des parcs nationaux vont garantir la mise en œuvre d’initiatives sur le long terme ;
– la responsabilisation : chaque acteur intervenant dans ce processus est responsabilisé.
De plus, la destination éco-touristique Gabon passe aussi par le renforcement des infrastructures et la formation des ressources humaines. C’est le défi que nous entendons relever et pour lequel un budget d’investissement plus important a été prévu.

L.L.D. : Considéré comme l’un des moteurs de l’intégration régionale, votre pays a apporté un soutien décisif à la réforme de la gouvernance de la CEMAC lors du sommet organisé à Bangui en janvier 2010. Tenant compte de l’instauration du Parlement communautaire le 15 avril 2010, comment percevez-vous les avancées réalisés dans l’architecture institutionnelle ?

S.E.Mme F.O.N. :
La Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) représente, comme vous le savez, la manifestation de la volonté des six pays d’Afrique centrale (Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée Equatoriale et Tchad) de communautariser leurs politiques économiques, financières et monétaires avec le pari qu’une plus grande convergence conduirait bien évidemment à de meilleurs rendements.
Aux côtés de ses pairs, feu le Président El Hadj Omar Bongo Ondimba avait œuvré pour que ce qui était au départ un rêve devienne peu à peu une réalité. De l’Union douanière équatoriale (UDE) à l’Union douanière et économique de l’Afrique centrale (UDEAC), puis à la CEMAC, dont le Traité d’institution a été signé à Ndjamena le 16 mars 1994, pour entrer en vigueur en juin 1999, c’est une aventure qui s’est faite, il faut le reconnaître, non sans entraîner plusieurs péripéties. Sans revenir sur le détail, nous pourrons rappeler qu’en plus du Parlement communautaire qui vient d’être inauguré, l’architecture de la CEMAC est composée de trois autres institutions autonomes que sont l’Union économique, l’Union monétaire et la Cour de justice communautaire.
Il faut par conséquent saluer la mise en place du Parlement communautaire comme une action de plus à mettre au crédit de la détermination du Gabon à se joindre aux autres pays d’Afrique Centrale pour réaliser l’intégration économique d’un territoire qui renferme environ 23 millions d’habitants répartis sur 3 millions de km2. Avec trente députés sous-régionaux (à raison de cinq par Etat), cette Assemblée législative à vocation de contrôle de l’exécutif et de participation au processus décisionnel de la CEMAC, devrait contribuer aux efforts d’intégration régionale dans les différents domaines couverts par ses textes organiques. C’est également la manifestation de la volonté de mettre en place un instrument d’intégration, de promotion de la démocratie, de l’Etat de droit, des libertés et des droits fondamentaux.
A l’occasion des trois sommets de la CEMAC qui se sont déjà tenus au cours de l’année 20010 (à Bangui, à Malabo et à Brazzaville), le Président Ali Bongo Ondimba a pu réaffirmer à ses pairs la détermination du Gabon à maintenir intact son engagement dans la poursuite de la construction et de la consolidation des institutions de l’organisation sous-régionale.

L.L.D. : A l’image du Centre international de Recherches médicales de Franceville (CIRMF), le Gabon et la France ont construit des liens de coopération denses et diversifiés. Quels éléments novateurs le Plan d’action pour un partenariat stratégique entre les deux pays est-il appelé à mettre en exergue ? A la faveur de la création d’un Conseil franco-gabonais des affaires, quels secteurs d’activités vous semblent-ils les plus porteurs pour le renforcement des échanges économiques entre les deux pays ?

S.E.Mme F.O.N. :
Vous faites bien de souligner que la France et le Gabon ont tissé des liens de coopération denses et diversifiés qui sont, j’ajouterais même, séculaires et soutenus par des piliers de dialogue, de respect mutuel et de confiance, même s’il existe de temps à autre de soubresauts qui sont très vite effacés. Cette relation est également riche pour des raisons qui tiennent aussi bien à l’histoire qu’aux enjeux d’ordre politique, économique, culturel et social.
Le cadre juridique de cette relation est particulièrement riche et fait régulièrement l’objet d’une actualisation pour tenir compte des contraintes multiformes de l’évolution des deux pays.
C’est d’ailleurs en raison de ces contraintes que les présidents Ali Bongo Ondimba et Nicolas Sarkozy ont décidé, en février 2009 à Libreville, de rénover ces relations en adoptant pour une durée de cinq ans (2010-2014) un Plan d’action pour la mise en œuvre d’un partenariat stratégique entre la France et le Gabon, qui réaffirme trois préoccupations : un partenariat plus dynamique, le respect mutuel et une quête plus affinée de l’intérêt des deux pays.
De ce fait, les éléments novateurs de ce plan d’action s’articulent autour de deux axes majeurs :
– premièrement, un partenariat politique qui se veut plus actif avec trois secteurs prédominants, à savoir le dialogue politique, la défense et la sécurité, ainsi que la gouvernance ;
– deuxièmement, un partenariat économique susceptible de soutenir la croissance nécessaire à la construction du Gabon émergent. Pour cela, des efforts supplémentaires seront déployés en vue d’une meilleure adaptation des financements publics français aux priorités de développement du Gabon, et d’un soutien plus affirmé dans l’éducation et la formation professionnelle.
S’agissant des secteurs susceptibles de renforcer les échanges économiques entre la France et le Gabon, il est indéniable qu’ils doivent correspondre aux priorités des deux pays. En ce qui concerne le Gabon, nous avons l’ambition de construire un pays émergent à l’horizon 2025 autour des trois piliers que je vous présentais précédemment : l’industrie, l’environnement et les services à valeur ajoutée.
Dans chacun de ces piliers, la présence des entreprises françaises est certes significative mais doit être renforcée. L’objectif de la création du Conseil franco-gabonais des affaires, que vous évoquez et qui a d’ailleurs tenu sa première réunion à Libreville le 10 mai 2010 sous la présidence du Premier Ministre, M. Paul Biyoghe Mba, est justement de favoriser l’accroissement des flux d’investissements français au Gabon, grâce à un examen conjoint (autorités gabonaises / entreprises françaises) des attentes et des difficultés rencontrées de part et d’autre, au nom d’un partenariat qui se veut résolument gagnant-gagnant.

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