« Un acteur économique majeur du XXIème siècle »
Premier pays africain organisateur de la Coupe du monde de football, l’Afrique du Sud a fait la preuve de l’unité de son peuple et des atouts de son économie florissante. Plus d’un an après l’élection du Président Jacob Zuma, S.E.Mme Dolana Msimang, Ambassadeur d’Afrique du Sud en France, décline les priorités de la nation arc-en-ciel pour venir à bout de la pauvreté, accélérer le processus d’intégration régionale au sein de l’UA et affirmer ses vues sur la refonte de la gouvernance politique et économique du monde.
La Lettre Diplomatique : L’Afrique du Sud a été l’hôte de la première Coupe du monde de football organisée sur le continent africain. Comment définiriez-vous la portée économique et symbolique de cet événement sur votre pays ?
S.E.Mme Dolana Msimang : En choisissant l’Afrique du Sud comme pays organisateur de la première Coupe du monde en Afrique, la Fifa a reconnu les atouts de notre pays : des transports, des communications, des infrastructures hôtelières et sportives de niveau international et une population réputée pour son hospitalité et sa passion pour le beau jeu. La Coupe du monde laissera en héritage un grand nombre de réalisations dont les Sud-Africains pourront bénéficier pour les années à venir. Elle aura également servi d’accélérateur à la rénovation de systèmes et d’infrastructures dans de nombreux domaines tels que la sécurité, la santé, les transports publics, les aéroports, l’industrie hôtelière et celle du loisir, ainsi que les réseaux routiers et ferroviaires. Le tourisme et l’hôtellerie sont les grands gagnants de cette Coupe du monde : près de 700 000 personnes se sont rendues en Afrique du Sud depuis le début du mois de juin.
L’impact symbolique de cet événement est sans précédent ; l’Afrique du Sud a beaucoup gagné en estime d’elle-même. Nombre des projets réalisés dans le cadre de cette Coupe du monde sont autant de manifestations concrètes de ce que la nouvelle Afrique du Sud est capable de faire. De nombreux jeunes Sud-Africains, témoins de cet événement, peuvent avoir confiance à l’égard de ce que nous pouvons encore réaliser à l’avenir. En terme de prise de conscience nationale, cette compétition a un effet majeur.
Le monde est témoin de l’émergence d’une Afrique du Sud, acteur économique majeur du XXIème siècle.
L.L.D. : Quatrième chef d’Etat élu à la tête de l’Afrique du Sud depuis la fin de l’Apartheid, le Président Jacob Zuma a fait de la lutte contre la pauvreté sa priorité. Un an après son élection, le 7 mai 2009, quel bilan faites-vous de son action en matière d’emploi, de services publics, d’éducation et de santé ? Quelle stratégie est-elle privilégiée pour lutter contre la criminalité ?
S.E.Mme D.M. : Le gouvernement sud-africain a montré, à travers ses politiques et son budget, sa détermination à adopter une approche holistique du développement, fondée sur l’idée que le véritable développement doit être à la fois économique et social. Cette volonté s’illustre par le programme d’action et les dépenses prioritaires définis par le gouvernement, fixant les objectifs suivants : améliorer la qualité de l’enseignement de base ; permettre aux Sud-Africains d’être en meilleure santé ; renforcer la sécurité des communautés ; stimuler le développement rural ; créer des emplois décents ; et investir dans les collectivités locales et les établissements sociaux.
Un certain nombre de mesures clefs ont été planifiées afin d’atteindre ces objectifs, l’éducation et le développement des compétences constituant les composantes centrales de la politique du gouvernement. Des progrès ont déjà pu être constatés dans les cinq domaines prioritaires mentionnés ci-dessus. Le Président s’était par exemple engagé à créer 500 000 emplois à temps partiel avant fin 2009 dans le cadre du Programme de Travaux Publics élargi. Or, en décembre 2009, plus de 480 000 opportunités d’emploi avaient été offertes. Ces postes, bien qu’ils ne soient pas tous permanents, permettent à des chômeurs de disposer d’un revenu, mais également de bénéficier d’une expérience professionnelle et d’acquérir des compétences qui augmenteront leurs chances de trouver un autre emploi.
Le gouvernement sud-africain met également en œuvre des politiques visant à créer un environnement propice à des méthodes de production à forte intensité de main d’œuvre, ainsi que des politiques de passation de marchés publics favorisant les emplois locaux et les partenariats public-privé. Le deuxième Plan d’action de Politique industrielle, lancé en février 2010, a été spécifiquement mis en place pour accroître considérablement les capacités industrielles sud-africaines. Son principal objectif est de stimuler la croissance du secteur industriel afin d’éviter les destructions de postes et de créer de nouveaux emplois décents. D’autres mesures en faveur de la création d’emplois ont été prises, telles que l’accélération de la mise en œuvre du Programme de Travaux Publics élargi, l’investissement dans le développement de l’éducation et des compétences, le soutien des petites sociétés et l’encouragement de l’esprit d’entreprise.
Sur le plan de l’éducation, le développement des compétences a été placé au centre des politiques du gouvernement sud-africain pour les cinq prochaines années. D’ailleurs, l’enseignement demeure le poste de dépenses le plus important du budget de l’Etat sud-africain, ce qui montre la volonté de ce dernier à en faire sa première priorité. La revitalisation du système éducatif du pays progresse également de manière satisfaisante. Le Ministère de l’Enseignement de base ainsi que le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Formation se sont concentrés sur l’amélioration des performances des établissements scolaires et de la formation des enseignants.
Comme vous le savez certainement, la lutte contre la criminalité est l’une des priorités principales de notre gouvernement. Nous allons continuer de travailler à une plus grande indépendance judiciaire, à la mise en place de systèmes internes de contrôle, et à un accès facilité à la justice pour tous. Dans ce cadre, des mesures ont été prises pour accroître l’efficacité des cours de justice et des procureurs, ainsi que pour améliorer les services d’investigation, d’expertise médico-légale et de renseignement. Le gouvernement s’efforce ainsi d’augmenter le nombre de procureurs, de renforcer le personnel de la Commission d’assistance juridique, et d’accroître les effectifs d’inspecteurs de police.
En matière de lutte contre la criminalité, le gouvernement s’est engagé à travailler à la réduction de la criminalité grave et violente de 7 à 10% par an. La piraterie routière et le vol (perpétré sur des particuliers ou des entreprises) sont les délits que le gouvernement a décidé de combattre en priorité. Une attention toute particulière sera portée à la lutte contre le crime organisé, ainsi que la criminalité à l’encontre des femmes et des enfants.
Le gouvernement veut en outre augmenter le nombre d’officiers de police (hommes et femmes) de 10% sur les trois prochaines années. Une Agence de gestion des frontières est par ailleurs en cours de création pour renforcer la lutte contre la cybercriminalité et l’usurpation d’identité. Enfin, le gouvernement souhaite améliorer notre système carcéral afin de réduire le nombre de récidives.
L.L.D. : La célébration de la fête nationale sud-africaine, le 27 avril 2010, a coïncidé avec le 20ème anniversaire de la libération de Nelson Mandela. L’assassinat du dirigeant du mouvement Afrikaner radical vous fait-il redouter le risque d’un retour de la question raciale ?
S.E.Mme D.M. : L’assassinat d’Eugène Terre’Blanche n’obéissait à aucun motif politique ou racial, et la majorité des Sud-Africains, quelle que soit leur origine sociale ou ethnique, a su réagir de façon appropriée : ils ont exprimé leur désapprobation à l’égard d’un acte criminel mais ont reconnu qu’il ne s’agissait pas d’un événement politique. C’est là un signe de maturité et de rationalité de notre peuple qui est de bon augure pour notre démocratie.
En réalité, l’assassinat de Chris Hani par un homme lié à l’extrême droite en Afrique du Sud, à l’époque instable des négociations, représentait un risque bien plus grand. Toutefois, même alors, les Sud-Africains avaient réagi avec beaucoup de retenue et avaient laissé la justice suivre son cours. Depuis lors, et je pense pouvoir l’affirmer avec certitude, les relations interraciales en Afrique du Sud se sont tellement améliorées que je peux dire qu’il existe aujourd’hui une « sud-africanitude » de notre peuple, malgré l’incroyable diversité de groupes ethniques, de cultures et de religions qui y cohabitent. Si vous avez regardé la Coupe du monde, cela vous a certainement frappé : vous avez pu voir des Sud-Africains, toutes couleurs et croyances confondues, célébrant cet événement vêtus des couleurs de notre équipe de football nationale et se réjouissant ensemble de l’organisation réussie de la Coupe du monde dans notre pays.
Vous avez pu constater cette unité, cette solidarité, ce sens d’un événement commun, d’une passion partagée et une manifestation évidente et continue d’émotions et de joie – une atmosphère d’ailleurs bien différente de celle de la libération de Nelson Mandela il y a 20 ans. Je trouve cela très prometteur pour l’avenir de notre nation et je suis absolument certaine que les Sud-Africains vont continuer ce chemin vers une réalité, une Afrique du Sud nouvelle et meilleure, une Afrique du Sud qui montre l’exemple d’un peuple d’une grande diversité d’origines capable de vivre et de prospérer ensemble.
L.L.D.: Première puissance économique du continent, votre pays est entré en récession en 2009 en raison d’une baisse de la demande en produits industriels. Tenant compte du plan d’investissement pour les infrastructures publiques, quelles sont les mesures prévues pour encourager l’activité économique ? Quels sont les atouts de l’économie sud-africaine en vue d’attirer les investissements étrangers ? Outre la Commission de Planification nationale, quels autres changements faudrait-il effectuer pour améliorer la gouvernance économique ?
S.E.Mme D.M. : Bien que l’économie sud-africaine soit réellement entrée en récession au début de 2009, la récession en elle-même n’a en fait que très peu duré. Elle a résulté en très grande partie de la baisse de la demande, à l’échelle mondiale, affectant les exportations sud-africaines. Toutefois, il s’agit là d’un phénomène en phase avec la nature cyclique des schémas de croissance économique des pays en développement comme l’Afrique du Sud. Cela signifie également que la demande de produits sud-africains augmentera au fur et à mesure que la croissance économique mondiale reprendra. Il est en outre important de noter que les projets d’infrastructure liés à la Coupe du monde ont aidé le pays à mieux lutter contre la récession.
En vertu de ce que je viens d’évoquer, le gouvernement sud-africain est pleinement conscient de la nécessité d’adapter perpétuellement la structure de l’économie sud-africaine au contexte international. A cette fin, il a mis en place une stratégie économique dénommée « Plan d’action de politique industrielle ». Ce dernier a été élaboré par le « Groupe économique » (Economic Cluster), qui rassemble tous les acteurs majeurs de ce domaine tels que le Ministère du Développement économique, le Ministère des Finances, le Ministère des Travaux publics, le Ministère du Commerce et de l’Industrie, ainsi que la Commission de Planification mise en place au sein du gouvernement.
Ce plan d’action est particulièrement important car il a pour objet d’intégrer toutes les stratégies économiques précédentes depuis l’avènement de la nouvelle Afrique du Sud. Les éléments de base inscrits dans ce nouveau plan d’action économique visent à :
– contribuer au développement des zones rurales par le biais de secteurs clairement identifiés, tels que l’agroalimentaire, les biocarburants, les forêts, l’industrie culturelle et le tourisme, etc. ;
– répondre aux besoins d’interventions clés dans le nucléaire, les matériaux avancés, l’aérospatial et les technologies de l’information et de la communication ;
– promouvoir la production de biens et services propres et à faible consommation d’énergie ;
– accroître la valorisation des minerais en aval ;
– renforcer les liens entre l’industrie culturelle et celle du tourisme ;
– encourager une plus grande intégration entre les stratégies sectorielles, les plans de développement des compétences et la commercialisation de l’innovation financée par des fonds publics ;
– mettre en place des mécanismes de stabilité macroéconomique par le biais d’améliorations de la balance commerciale, de baisse de l’inflation, de hausse du revenu net, par exemple, et de soutien à la diversification à long terme de l’économie sud-africaine ;
– contribuer de manière significative à la création d’emplois décents, directement ou indirectement.
A partir de ces différents éléments, il apparaît que l’économie sud-africaine a besoin de stimuler tous ses secteurs d’activité, mais surtout d’étendre ses compétences technologiques et de s’orienter vers une approche à plus forte intensité de main-d’œuvre et à plus forte valeur ajoutée en vue de réduire les niveaux actuels de chômage.
Dans cette optique, l’accent qui est constamment mis sur les divers sous-secteurs industriels (à la fois traditionnels et avancés), ainsi que sur les services liés aux nouvelles technologies, englobe les mesures destinées à favoriser une plus grande diversification de l’économie du pays, afin de mieux répondre aux changements perpétuels de la demande et des tendances à l’échelle mondiale. En outre, l’objectif est aussi de toujours trouver de nouveaux marchés pour l’exportation de produits sud-africains, afin d’élargir notre base traditionnelle d’exportations.
Les atouts qui rendent l’Afrique du Sud attractive pour les investisseurs étrangers comprennent notamment :
– sa richesse en ressources naturelles,
– une base de compétences solide et en expansion continue,
– un environnement macroéconomique stable,
– une infrastructure logistique et financière avancée,
– une politique industrielle qui reconnaît et récompense les investissements directs étrangers.
Les dépenses en infrastructures publiques ont été réalisées non seulement pour aider à stimuler la croissance économique, mais aussi pour se montrer davantage en phase avec un plan à plus long terme visant à mettre en place un environnement favorable à une participation accrue et effective du secteur privé.
Les questions de gouvernance économique sont également importantes, sans toutefois constituer un domaine exclusif de la Commission de Planification. Tous les ministères gouvernementaux faisant partie du Groupe économique prennent la question très au sérieux, et l’élimination de défauts réels est primordiale pour atteindre les objectifs de développement du pays. Il est surtout très important de souligner que les ministères font désormais l’objet de niveaux élevés de contrôle et d’évaluation qui renforcent plus encore la capacité des ministères à remplir leurs missions efficacement.
L.L.D.: A l’image du projet de télescope radio Ska, l’Afrique du Sud s’est dotée d’une politique spatiale ambitieuse. Quelles avancées ont été réalisées pour ce qui est de la création d’une Agence spatiale nationale ?
S.E.Mme D.M. : Historiquement, l’Afrique du Sud s’est toujours investie dans l’astronomie moderne. Le premier observatoire temporaire fut ainsi établi au Cap en 1685. Aujourd’hui, la politique de l’Agence spatiale sud-africaine (SANSA) est favorable à un usage pacifique de l’espace, au recours à des technologies spatiales pour stimuler notre développement et à la promotion des compétences scientifiques et du renforcement des capacités en matière de technologie.
L’Afrique du Sud dispose de diverses institutions jouant un rôle important dans la recherche, l’exploration et l’utilisation scientifiques de l’espace. Ces institutions, qu’elles soient des universités, des conseils scientifiques ou des industries, disposent de compétences dans le domaine des applications et de l’ingénierie satellitaire, ainsi que des sciences spatiales, notamment les technologies s’y rapportant.
L’infrastructure existante, ainsi que la main d’œuvre qualifiée travaillant dans ces structures ou dans les industries liées, permettent à l’Afrique du Sud de se positionner en tant que pôle régional des sciences et technologies spatiales. Ce cadre peut constituer une base pour la consolidation de nos relations avec les industries des nations déjà établies dans le domaine spatial, ainsi qu’avec des pays ayant récemment lancé des initiatives spatiales, plus particulièrement en Afrique.
L’Afrique du Sud a lancé son premier satellite, Sunsat, en 1999, et son second satellite, plus moderne, Sumbandilasat, en 2009.
Actuellement, notre pays et l’Australie sont en concurrence pour accueillir le Square Kilometre Array (SKA), le radiotélescope le plus grand et le plus sensible jamais construit. Le SKA sera constitué d’un réseau de milliers d’antennes radio paraboliques mesurant entre 10 et 15 mètres de diamètres. Des éléments de réception spécifiques appelés « tuiles », placées au cœur du réseau, formeront un « fish-eye » à grande résolution angulaire permettant une observation du ciel à basses fréquences.
Plusieurs observations indépendantes pourront ainsi être réalisées en même temps. La décision finale quant à la localisation de ce radiotélescope doit être prise en 2010, et sa construction doit démarrer en 2014. Si l’Afrique du Sud est choisie pour l’accueillir, le cœur du SKA se situera dans la région du Karoo, dans la Province du Cap Nord. Le réseau de stations extérieures au cœur s’étendra autour de celui-ci en spirale, avec des stations lointaines situées dans d’autres pays africains et sur des îles voisines.
L.L.D. : Lancée début 2009, la zone de libre-échange de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) fait face à des difficultés de mise en œuvre. Comment analysez-vous ces difficultés et les efforts des Etats membres de la SADC en vue de mettre en place une véritable politique économique commune ?
S.E.Mme D.M. : L’intégration régionale est de plus en plus reconnue comme un facteur important et complémentaire d’un processus de développement plus efficace et plus juste. C’est pourquoi nous devons prêter une attention toute particulière à l’intégration économique de notre région et de notre continent. Notre seule région est divisée en plus de 12 marchés différents présentant une multiplicité de réglementations en matière de commerce et d’investissement, mais également de grandes différences en matière de normes de fabrication, de conditions de travail, de taux de change et de cadres législatifs.
L’Afrique du Sud jouait déjà un rôle actif dans la promotion des relations économiques régionales lorsqu’elle a cofondé l’Union douanière d’Afrique australe (UDAA) qui fête d’ailleurs son centenaire cette année. Ce rôle historique explique la grande importance que notre pays attache au renforcement de ses liens avec ses pays voisins, notamment à travers l’établissement d’une zone de libre-échange, lancée en août 2008. Nous cherchons à éliminer progressivement toutes les barrières tarifaires et non-tarifaires, à adopter des règles d’origine communes, à harmoniser les réglementations et les procédures douanières, à libéraliser les échanges de services, à trouver des mesures sanitaires et phytosanitaires communes, et à mettre en place les normes internationales de qualité, d’agrément et de métrologie.
Parmi les défis les plus importants que doit relever la SADC pour réussir l’intégration régionale figurent les accords de partenariat économique (APE) intérimaires que plusieurs pays membres de la SADC ont dût signer sous pression. Ces APE empêchent l’harmonisation des droits de douane et entravent donc l’intégration régionale. Si ces APE venaient à entrer en vigueur sous leur forme actuelle, les conséquences seraient catastrophiques pour de nombreuses économies des pays de la SADC – et nous ne pouvons laisser une telle situation se produire. C’est pourquoi nous avons entamé un dialogue avec l’Union européenne afin d’examiner et de réviser ces APE.
L.L.D. : Figurant parmi les pays initiateurs de la « Renaissance africaine », l’Afrique du Sud aspire à accélérer l’intégration économique du continent et à renforcer les institutions de l’Union Africaine. Quelles seraient, selon vous, les étapes d’une transformation du Parlement africain en une institution législative ?
S.E.Mme D.M. : Nous sommes très fiers d’accueillir sur notre sol le Parlement panafricain (PAP) de l’Union Africaine : c’est une reconnaissance symbolique du long chemin parcouru par l’Afrique du Sud pour devenir une véritable démocratie efficace. Cela exige aussi de nous d’être les gardiens des valeurs et des principes démocratiques et de montrer l’exemple en donnant la priorité à l’Etat de droit, à la justice, à l’égalité et aux droits de l’homme. C’est une responsabilité immense que nous acceptons avec plaisir et honneur, mais aussi avec la plus grande détermination.
Le « Parlement africain », comme il est souvent désigné, constitue l’organe législatif de l’Union Africaine (UA) et a été inauguré en mars 2004 en Afrique du Sud, conformément à l’Article 7 de l’Acte constitutif de l’UA. Il représente un gigantesque pas en avant pour cette institution de concertation continentale, dont la vocation est de devenir, une fois pleinement opérationnelle, une plate-forme commune à tous les peuples d’Afrique et à leurs organisations, leur permettant de s’impliquer davantage dans les discussions et les prises de décision portant sur les problèmes et les défis auxquels l’Afrique se trouve confrontée.
Lors de son inauguration, le PAP a reçu un mandat de cinq ans pour servir d’organe de conseil, doté de pouvoirs uniquement consultatifs. Après cette période, il exercera un mandat plein, comme le stipule l’article 2(3) du Protocole d’établissement, qui indique que « L’objectif ultime du Parlement panafricain est de devenir, à terme, une institution dotée des pleins pouvoirs sur le plan législatif et dont les membres sont élus au suffrage universel direct ».
Actuellement, ses 230 représentants parlementaires sont élus par les assemblées législatives des Etats membres de l’UA et non pas au suffrage universel direct.
A l’approche de la fin de son mandat de cinq ans, le PAP a organisé une Conférence des Présidents des parlements nationaux à Midrand, en Afrique du Sud, les 8 et 9 octobre 2009, afin de discuter de la transformation du Parlement panafricain en un organe législatif. Ce processus et ses modalités sont en cours de discussion au niveau de l’UA par les ministres africains de la Justice. Une feuille de route indiquant les étapes suivantes pour transformer le PAP en un organe législatif sera ensuite rédigée.
L.L.D.: L’Afrique du Sud accueillera en 2011 le prochain sommet du Groupe IBSA (Inde, Brésil, Afrique du Sud). Dans le contexte de la crise financière internationale, quelle politique coordonnée pourrait être élaborée par les partenaires du Groupe IBSA en vue de relever les défis auxquels se trouvent aujourd’hui confrontées les institutions de Bretton Woods ?
S.E.Mme D.M. : Le 4ème sommet du Groupe IBSA s’est tenu au Brésil en avril 2010 et a permis de renforcer et d’élargir la coopération entre nos pays. L’Afrique du Sud organisera le 5ème sommet de l’IBSA en octobre 2011. A travers le partenariat IBSA, nous pouvons travailler plus efficacement à atteindre nos objectifs de développement communs, afin d’assurer une vie meilleure à tous nos citoyens.
Nous avons tiré les leçons de la récession mondiale dont nous sortons à peine. Il est évident qu’il est nécessaire de mettre en place des systèmes communs internationaux de contrôle et de contrepoids afin d’assurer un certain équilibre en matière de circulation de capitaux, de biens, de main-d’œuvre et de populations. Ces systèmes doivent également protéger les valeurs qui sont au cœur de la gouvernance mondiale que nous voulons nous donner. C’est pourquoi les membres de l’IBSA considèrent qu’il est indispensable de donner une impulsion supplémentaire à nos efforts de réforme des structures politiques et financières mondiales.
Lors du 4ème sommet de l’IBSA, qui s’est tenu récemment, les intervenants ont convenu qu’il est impossible de continuer à accepter une situation où la majorité des peuples du monde n’est pas représentée dans les organismes internationaux chargés de ces problèmes. Les pays du Groupe IBSA ont donc résolu de travailler ensemble et avec d’autres pays pour faire progresser la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU et d’autres institutions, notamment celles de Bretton Woods, afin de les rendre plus représentatives, plus démocratiques et plus à l’écoute des besoins des pays pauvres.
Lors du récent sommet Afrique-France, les chefs d’Etat et de gouvernement présents ont appelé à une intégration totale de l’Afrique et des petits Etats insulaires en développement dans l’économie mondiale. Ils ont par ailleurs salué la meilleure représentation de l’Afrique au sein de la Banque mondiale, notamment avec la création prochaine d’un siège d’administrateur supplémentaire pour l’Afrique au sein de son Conseil. Ils ont toutefois pressé la Banque mondiale de continuer à améliorer la représentation africaine dans le cadre de la réforme de sa gouvernance. La déclaration finale du sommet exprimait le souhait de voir le rôle de l’Afrique également renforcé au sein du FMI.
L.L.D.: Illustrant le renforcement du rôle de l’Afrique du Sud sur la scène internationale, le Président Zuma a participé à la Conférence sur le désarmement nucléaire à Washington en avril 2010. Comment définiriez-vous la position de votre pays à l’égard de la non-prolifération nucléaire et du dossier iranien ?
S.E.Mme D.M. : En plus de la Conférence sur le désarmement nucléaire à Washington, l’Afrique du Sud a participé activement à la Conférence d’examen du Traité de non-prolifération (TNP) en mai 2010. L’Afrique du Sud est l’un des pays signataires du TNP ainsi que du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE), deux traités centraux en matière de non-prolifération et de désarmement nucléaires au niveau international.
En outre, l’Afrique du Sud est le seul pays au monde ayant volontairement démantelé son arsenal nucléaire, et fut l’un des premiers signataires du Traité de Pelindaba en 1996, entré en vigueur récemment avec le dépôt du 28ème instrument de ratification.
Le désarmement et la non-prolifération nucléaires sont inexorablement liés et se renforcent mutuellement ; c’est pourquoi il est nécessaire d’avancer sur ces deux fronts pour parvenir à débarrasser progressivement le monde de la plaie que sont les armes nucléaires. L’élimination totale des armes nucléaires dans le monde, à travers un processus pragmatique, transparent, irréversible et contrôlable, d’une part, et l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire en tant que droit inaliénable, d’autre part, sont les deux piliers centraux d’un régime de non-prolifération et constituent la base de notre politique en la matière. L’usage pacifique de l’énergie nucléaire est une problématique particulièrement pertinente et importante pour les pays en développement, étant donné leur besoin d’une croissance économique forte et durable.
Concernant l’Iran, du point de vue de la non-prolifération nucléaire, nous notons que l’Iran, qui a signé le TNP, dispose du droit inaliénable d’utiliser l’énergie nucléaire à des fins pacifiques, comme tous les pays signataires du TNP. L’Agence internationale de l’Energie atomique (AIEA) demeure l’autorité internationale compétente pour la vérification de la conformité du programme nucléaire iranien aux règles internationales et l’évaluation de l’étendue de ce programme, actuellement en cours. L’Afrique du Sud continue d’encourager l’Iran à coopérer avec l’AIEA sur les quelques problèmes qui demeurent en suspens.
L.L.D.: Au-delà, comment s’articule le dialogue entre Pretoria et Washington sur la réforme de l’ONU et l’élargissement du Conseil de sécurité ?
S.E.Mme D.M. : L’Afrique du Sud a engagé un dialogue avec ses partenaires, notamment les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, dont les Etats-Unis font partie, sur l’importance d’un système multilatéral qui soit efficace et représentatif du monde actuel, fondé sur un renforcement et une réforme des Nations unies – y compris son Conseil de sécurité – et des institutions de Bretton Woods, qui doivent elles aussi devenir plus représentatives.
La nécessité de telles réformes est reconnue par tous et l’Afrique du Sud continue d’appeler les pays à faire preuve de la volonté politique indispensable pour faire avancer la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU. La position africaine commune est contenue dans le Consensus d’Ezulwini et dans la Déclaration de Syrte. Elle fera l’objet de nouvelles discussions lors de la 15ème session ordinaire du Sommet de l’Union Africaine à Kampala, en juillet 2010.
Comme vous le savez peut-être, l’Union Africaine appuie la candidature de l’Afrique du Sud à un siège non-permanent au Conseil de sécurité de l’ONU pour la période 2011-2012.
L.L.D. : Initié sous la présidence française de l’Union européenne, le sommet UE-Afrique du Sud devrait à nouveau se réunir en 2010. Comment décririez-vous les objectifs à atteindre dans le cadre de ce sommet afin d’approfondir les relations de partenariat entre Pretoria et Bruxelles ?
S.E.Mme D.M. : Lors du premier sommet Afrique du Sud-Union européenne (UE) à Bordeaux, le 25 juillet 2008, l’Afrique du Sud et l’UE avaient reconnu que depuis l’établissement d’un Partenariat stratégique entre l’Afrique du Sud et l’UE en mai 2007, les relations bilatérales s’étaient développées et transformées en un partenariat mutuellement bénéfique, fondé sur un dialogue politique renforcé ainsi que sur une coopération dans un grand nombre de domaines, notamment économiques.
De tels sommets auront donc lieu chaque année. Le Président Zuma a ensuite co-présidé le deuxième sommet Afrique du Sud-UE en septembre 2009 en Afrique du Sud. L’objectif premier de ces discussions conjointes est d’approfondir les relations entre l’Afrique du Sud et l’UE et de traiter de sujets d’intérêt et de préoccupation mutuels, notamment ceux faisant partie des priorités centrales fixées par le Président Zuma, soit la santé, l’éducation, le développement rural, la création d’emplois et la lutte contre la criminalité. Les autres thèmes de discussion et de débat sont les suivants :
– les négociations en cours sur les Accords de partenariat économique entre la SADC et l’UE,
– la crise financière mondiale,
– le changement climatique,
– la paix et la sécurité en Afrique,
– le Moyen-Orient.
L.L.D. : A la lumière de la visite d’Etat effectuée au Royaume-Uni par le Président Zuma, comment qualifieriez-vous les relations anglo-sud-africaines et les bénéfices de la réintégration de l’Afrique du Sud au sein du Commonwealth ?
S.E.Mme D.M. : L’Afrique du Sud et le Royaume-Uni partagent une relation historique qui remonte à la colonisation de l’Afrique du Sud par le Royaume-Uni. Au cours des années, ces relations se sont développées et, aujourd’hui, les relations bilatérales entre les deux pays sont solides et couvrent des domaines aussi larges que la défense, la libéralisation du commerce, le développement ou la lutte contre le sida. Le Royaume-Uni est l’un des principaux partenaires commerciaux de l’Afrique du Sud avec des échanges bilatéraux en biens et en services qui dépassent les 8 milliards de livres.
L’Afrique du Sud a rejoint le Commonwealth en 1994 et il était évident pour le gouvernement sud-africain que les questions à l’ordre du jour au sein du Commonwealth devaient refléter celles que la nouvelle Afrique du Sud voulait, et continue à vouloir, défendre :
– le respect des droits de l’Homme et l’égalité des sexes,
– l’accès à l’éducation pour tous,
– la promotion du développement durable et la lutte contre la pauvreté,
– la protection de l’environnement à travers le respect des principes du développement durable, y compris les changements climatiques,
– la lutte contre l’usage de la drogue et contre les maladies transmissibles,
– le soutien aux Nations unies et aux autres institutions internationales.
Par le truchement du Commonwealth, l’Afrique du Sud a accès à des ressources, des connaissances et d’autres formes d’appui qui permettent au pays de répondre à ces questions sur le plan national.
L.L.D. : Parallèlement à vos fonctions d’Ambassadeur d’Afrique du Sud en France, vous assumez également celles d’Ambassadeur, Délégué permanent de l’Afrique du Sud auprès de l’UNESCO. Quelles sont vos attentes à l’égard de la nouvelle équipe de direction nommée le 15 avril 2010, en ce qui concerne le programme d’action de l’UNESCO en Afrique ? Comment votre pays entend-il contribuer aux réflexions sur la réforme de l’Organisation ? Dans quels domaines spécifiques souhaiteriez-vous développer les activités de la Délégation permanente de l’Afrique du Sud ?
S.E.Mme D.M. : En tant que Déléguée permanente de l’Afrique du Sud auprès de l’UNESCO, je considère que notre participation à cette organisation va encore au-delà de nos objectifs nationaux. L’Afrique du Sud appartient au continent africain et est un membre actif du monde en développement. L’UNESCO étant un organisme multilatéral, nous y prenons part en tenant compte des sujets nationaux et internationaux actuellement débattus au niveau de l’Union Africaine (UA), des Nations unies, du G8, du G20, du G77 plus la Chine, du Mouvement des non-alignés et du Groupe des pays du Commonwealth.
Comme vous le savez certainement, en 2008 et 2009, l’Afrique du Sud a également assumé la vice-présidence du Groupe africain (Va) au Conseil exécutif de l’UNESCO. Tout au long de notre mandat, nous nous sommes battus pour soutenir nos priorités nationales, mais aussi nos priorités régionales, lesquelles sont issues des décisions prises dans le cadre du Sommet de l’UA. Nous l’avons fait en collaboration avec d’autres groupes au sein de l’organisation. Nous sommes même allés plus loin et avons établi un dialogue avec d’autres groupes régionaux tels que l’UE, l’ASPAC (Asie-Pacifique) et le GRULAC (Groupe de l'Amérique latine et des Caraïbes) afin de nous assurer que nous pouvions nous entendre sur certains points et trouver des compromis là où nous n’étions pas forcément d’accord.
L’UNESCO mène de nombreux programmes, excellents de par leur qualité, mais l’une des principales difficultés repose dans leur financement. En effet, les pays donateurs appellent aujourd’hui à une réduction des dépenses tandis que les pays en développement demandent davantage de soutien pour pouvoir mettre en œuvre les programmes décidés lors des conférences internationales. Nous avons toujours été partisans d’un dialogue le plus ouvert possible au sein de l’organisation.
Lorsque l’Afrique du Sud était Vice-Présidente du Conseil exécutif, elle a mis en place au sein de son Groupe deux Comités ad hoc chargés d’étudier les deux problématiques suivantes :
– la mise en œuvre effective de la « Priorité Afrique »
– la représentation de l’Afrique au sein du Secrétariat.
Grâce à ce travail et à la suite de la présentation d’un rapport au Conseil exécutif, l’UNESCO a amélioré le niveau de représentation de l’Afrique, ce qui, nous en sommes convaincus, a permis d’accroître la visibilité de l’Afrique au sein de l’organisation.
Quant à nos attentes de la part de la nouvelle équipe dirigeante, je dirais qu’il y a plusieurs domaines que nous souhaiterions voir devenir prioritaires, notamment :
– l’approfondissement du débat sur la Stratégie à mettre en œuvre pour la Priorité Afrique ;
– la tenue de discussions supplémentaires sur les stratégies à mettre en place pour atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) dans les domaines de l’éducation, de la culture, des sciences et des technologies de l’information et de la communication ;
– un soutien renforcé au Fonds de coopération Sud-Sud dans le domaine de l'éducation ;
– le rétablissement du déséquilibre évident que présente actuellement la liste du Patrimoine mondial : nous pensons que l’UNESCO doit faire davantage dans ce domaine ;
– la mise en œuvre de la Stratégie pour le Développement de la jeunesse proposée par l’Afrique
– la réalisation de l’étude de faisabilité sur la formation des ingénieurs et la mise en œuvre de la recommandation ;
– la réalisation d’une étude sur les moyens de minimiser les conséquences du changement climatique sans risquer de priver les pays en développement de leur accès à la croissance économique.
Je suis persuadée qu’il est essentiel que l’UNESCO et ses pays membres travaillent en étroite collaboration pour pouvoir atteindre les objectifs fixés par les programmes et obtenir les résultats attendus dans les années à venir.
L.L.D. : Lors de sa visite d’Etat en Afrique du Sud en février 2008, le Président Nicolas Sarkozy avait souligné les « relations exemplaires » entre la France et l’Afrique du Sud. Quelles nouvelles initiatives le Président Zuma compte-t-il impulser pour poursuivre la construction du partenariat entre les deux pays ?
S.E.Mme D.M. : Depuis l’entrée en fonction du Président Zuma en mai 2009, les chefs d’Etat français et sud-africain se sont rencontrés à plusieurs occasions, la plus récente étant le sommet Afrique-France à Nice en juin 2010. Ils se sont entendus sur plusieurs sujets importants pour la construction et le renforcement du partenariat franco-sud-africain. Ils ont notamment évoqué le soutien aux priorités nationales que l’Afrique du Sud s’est fixé, la coopération visant à faire entendre la voix de l’Afrique dans le monde, et la construction d’un partenariat avec la France pour réformer les institutions de la gouvernance mondiale et faire face à d’autres problèmes internationaux majeurs. L’Afrique du Sud accorde une très grande importance à ses relations avec la France dans le cadre de sa politique étrangère et considère qu’un partenariat avec la France est essentiel à tous les niveaux.
|