Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

La lettre diplometque
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     Portugal
 
  S.E.M. / H.E. Francisco Seixas DA COSTA

Un engagement sur tous les fronts

Avec les célébrations du Centenaire de la Première République mais aussi l’accueil du sommet de l’OTAN en novembre, 2010 marque une année charnière pour le Portugal. S.E.M. Francisco Seixas da Costa, Ambassadeur du Portugal en France, nous en explique les enjeux, tout en rappelant les initiatives du Premier Ministre José Socrates pour dynamiser la croissance économique et consolider le rayonnement de la diplomatie portugaise, tant dans sa contribution à la construction européenne que sur la scène internationale.


La Lettre Diplomatique : Monsieur l’Ambassadeur, le 5 octobre 2010 votre pays célèbrera le 100ème anniversaire de la fondation de la République portugaise. Quelles manifestations d’envergure sont prévues dans le cadre de cette commémoration ?
A l’aune des réformes sociétales accomplies par le gouvernement du Premier Ministre José Socrates, comment
définiriez-vous la vigueur de l’idéal républicain dans la société portugaise d’aujourd’hui ?


S.E.M. Francisco Seixas da Costa : Le concept de république dans l’imaginaire portugais reste un peu différent de celui qui prévaut en France. Tandis qu’au sein de la société française, l’idéal républicain est lié à une éthique de citoyenneté, au Portugal les valeurs républicaines semblent encore subordonnées à la confrontation république-monarchie subsistant dans notre mémoire collective.
La République portugaise a été instaurée en 1910, après un long déclin de la monarchie résultant d’une crise politique, économique et sociale qu’a traversée le pays tout au long du XIXème siècle. La République portugaise a ainsi été la deuxième à voir le jour en Europe après la République française, exception faite du cas très particulier de la Suisse.
L’instauration de la République tentait de correspondre à la révolution bourgeoise qui n’avait pas encore véritablement eu lieu au Portugal. Fondée sur un régime parlementaire, la Première République a été marquée par une certaine instabilité gouvernementale et sociale provoquée, en grande partie, par ses ennemis, mais également due à de graves erreurs de gestion politique. En 1926, un coup d’Etat militaire a mis fin à cette première expérience républicaine et ouvert le chemin à l’« Etat Nouveau », lourde dictature qui a isolé le Portugal du reste du monde et s’est maintenue jusqu’à la révolution de 1974, dite la Révolution des Œillets.
Tout au long d’une grande partie des presque quatre décennies de sa longévité, l’« Etat Nouveau » a nourri chez certains l’espoir de la restauration monarchique, en exprimant dans son discours politique une « diabolisation » de l’idée républicaine et une doctrine négative à son encontre qui l’associe aux aspects les plus improductifs de l’expérience historique vécue entre 1910 et 1926.
La rectification de cette doctrine est précisément ce à quoi prétendent les commémorations de 2010, en rappelant les grands principes qui ont été à l’origine de la Révolution de 1910 et, notamment, en soulignant des valeurs comme la démocratisation de l’éducation, la laïcité, l’égalité des chances, le développement de la culture, etc.
Dans le cadre de ces commémorations, le Portugal est en train de mettre au point un vaste programme de manifestations. L’Ambassade du Portugal à Paris organisera également deux évènements, l’un relatif à une analyse comparée des concepts de république entre les deux pays, et l’autre à la mémoire historique de la résistance républicaine qui s’est réfugiée à Paris après l’instauration de la dictature militaire au Portugal. D’autres institutions portugaises en France, telles que la Fondation Calouste Gulbenkian, ont aussi lancé des initiatives à l’occasion de la commémoration du Centenaire de la République.
Nous espérons que l’année 2010 pourra permettre de renforcer, dans l’imaginaire des Portugais, l’exemple de ces hommes et de ces femmes qui ont lutté pour imposer les valeurs de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, grâce à un régime généreux et solidaire. Un régime qui a su être à la hauteur de ses responsabilités historiques sur le plan mondial, quand, aux côtés des Alliés, il a envoyé ses troupes combattre pour la liberté en Europe, dans les tranchées de la Première guerre mondiale.

L.L.D. : Reconduit pour un second mandat à l’issue des élections législatives de septembre 2009, le Premier Ministre José Sócrates a plaidé en faveur d’un vaste plan d’investissement public pour soutenir la croissance et lutter contre le chômage. Face à un endettement atteignant 80% du PIB et à la pression des agences de notations, quelles orientations ont été privilégiées pour redresser les finances publiques portugaises ? Dans quelle mesure le retour d’ici 2014 au seuil de 3% de déficit public défini par le pacte de stabilité vous semble-t-il réalisable ?

S.E.M.F.S.C : Il est toujours très difficile d’élaborer des prévisions dans le contexte d’une grave crise internationale. Il est important de souligner que le Portugal ne souffre pas uniquement d’une crise interne. Notre pays « importe » la crise dont souffrent les marchés traditionnels de ses produits et n’a pas les moyens de compenser les facteurs qui en sont la cause dans le cadre de son propre marché intérieur, dont la taille est bien trop modeste. Nous sommes une économie ouverte, qui a concentré beaucoup de ses efforts de projection économique sur l’Union européenne et, tout particulièrement ces dernières années, sur l’Espagne, seul pays frontalier du Portugal.
En raison de cette configuration géographique, aggravée par le fait d’être un pays périphérique par rapport au centre de l’Europe et dont le tissu industriel est encore dans une phase de reconversion, le redressement économique et financier du Portugal va dépendre pour une grande part de la façon dont ses principaux partenaires se comporteront face à la crise. La croissance de l’Europe constituera notre propre croissance, encore que le Portugal s’efforce de diversifier ses marchés, en misant fortement sur l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Amérique du Sud.
Vous avez raison d’affirmer que le Portugal a choisi de privilégier une politique d’investissements publics en vue d’essayer de stimuler sa croissance. Ce choix entraîne un impact naturel sur le déficit budgétaire et, naturellement, aussi, sur la dette publique. Mais le gouvernement portugais n’a pas fait uniquement cela : il a mis en œuvre des réformes courageuses, comme celle de la sécurité sociale, et entrepris un « amaigrissement » de la fonction publique, car il est conscient que c’est aussi par la réduction des dépenses que l’on parvient à atténuer la pression du déficit. Il s’agit là d’un équilibre délicat dans la combinaison des choix économiques, à la base desquels nous trouvons aussi des considérations sociales, notamment celles liées à la lutte contre le chômage.
D’autres orientations auraient pu être privilégiées, comme, par exemple, de suspendre les grands investissements publics ou augmenter les impôts. Cela n’a pas été le choix du gouvernement qui a estimé que c’est dans la stimulation des secteurs de l’économie privée, qui bénéficieront des investissements publics, que peut se trouver la solution pour favoriser la sortie de la crise.
Comme je l’ai dit, quant à savoir si cet ensemble de politiques permettra, ou non, un retour au seuil des 3% de déficit exigé par les « critères de Maastricht » à la date prévue, je peux uniquement affirmer qu’il s’agit de notre objectif officiel, à la lumière des données actuelles.

L.L.D. : Visant à intégrer le Portugal dans le réseau à grande vitesse européen, le projet de ligne ferroviaire Lisbonne-Madrid devrait être lancé fin 2010 pour une mise en service prévue en 2013. Quels nouveaux atouts permettra-t-il de générer ? A l’instar du projet de nouvel aéroport international, quels autres projets sont envisagés dans le cadre de cette politique de grands travaux ? Quelles opportunités ouvrent-ils aux investisseurs étrangers et, plus particulièrement, aux entreprises françaises ?

S.E.M.F.S.C : L’économie portugaise offre d’importantes incitations en faveur des capitaux étrangers, tant en ce qui concerne des facilités fiscales pour les investissements dans des régions déterminées du pays, que la canalisation des ressources publiques, notamment des fonds européens, pour des projets considérés comme prioritaires.
En fait, le Portugal représente aujourd’hui, pour les investisseurs, un monde d’opportunités. Ce n’est pas par hasard si en ces temps de crise, les grands investisseurs internationaux ont décidé de maintenir les défis qu’ils se sont lancés au Portugal.
Nous sommes également un pays de « bons comptes », qui a toujours honoré ses engagements internationaux, faisant preuve d’une grande transparence dans les contrats publics, quel que soit le partenaire européen concerné. Le gouvernement portugais, par l’intermédiaire de l’AICEP (Agence pour l’Investissement et le Commerce extérieur du Portugal – qui est représenté auprès de l’Ambassade du Portugal à Paris), garantit un bon accueil et une grande attention à ceux qui sont désireux d’investir leurs capitaux dans le pays et, particulièrement, dans son tissu prometteur de petites et moyennes entreprises qui représente près de 80% de l’emploi de main d’œuvre. A cet égard, je suggère aux entreprises françaises de nous contacter ; nous pourrons donner des détails sur nombre de secteurs où les investissements sont stimulés et soutenus de façon très significative.
Mais vous avez raison de faire référence aux deux grands projets que le gouvernement a décidé de maintenir malgré la crise : le nouvel aéroport de Lisbonne et la ligne de chemin de fer à grande vitesse avec une liaison directe sur Madrid. Outre le fait qu’ils représentent un stimulus pour divers secteurs de l’économie pleinement ouverts à la concurrence européenne, ces deux grands projets ont pour objectif stratégique de pallier les effets négatifs découlant de la position périphérique qui caractérise la géographie de notre pays.

L.L.D. : A la pointe de la gouvernance électronique en Europe, votre pays se situe également à l’avant-garde en matière d’énergies renouvelables. Quels sont les apports pour l’économie portugaise de ce bond technologique, notamment en termes d’emplois et de redynamisation du tissu industriel portugais ? Au regard des déceptions soulevées lors du sommet de Copenhague en décembre 2009, le « modèle portugais » vous semble-t-il exportable ? Comment accueillez-vous l’idée d’une taxe carbone européenne ?


S.E.M.F.S.C : Le gouvernement portugais ne s’est pas encore prononcé sur l’idée d’une « taxe carbone » au niveau européen. Mais, comme vous l’avez souligné, le Portugal s’est volontairement positionné sur les devants de la scène en matière d’énergies renouvelables, tout en déployant de grands efforts dans d’autres domaines de sophistication électronique.
Nous disposons aujourd’hui de l’un des plus grands parcs d’énergie photovoltaïque du monde. Nous avons fortement investi en matière d’énergie éolienne et nous avons anticipé, avec plusieurs années d’avance, les objectifs européens en matière de substitution d’énergies traditionnelles par des énergies renouvelables, domaine dans lequel nous promouvons actuellement une recherche constante. Nous croyons, par exemple, que le secteur des biocombustibles est un terrain à explorer de façon plus intense et une des voies les plus efficaces pour limiter les émissions de CO2.
Le Portugal a également relancé un ambitieux programme de barrages hydroélectriques, car nous sommes convaincus qu’il s’agit là d’un secteur propice à l’épanouissement du pays, tout en tenant compte des préoccupations environnementales que partage l’ensemble de la société.
D’ailleurs, mon pays est aujourd’hui perçu à travers le monde comme étant à l’avant-garde des efforts de protection environnementale. Pour cette raison, nous observons avec tristesse le compromis médiocre esquissé à Copenhague, parce qu’il se situe bien en dessous de ce qui est souhaitable en termes de régulation environnementale à l’échelle mondiale. Ainsi, nous sommes prêts à aller plus loin et à accompagner les Etats qui, comme la France, ont une ambition comparable à la nôtre. C’est un combat face auquel nous ne sommes pas découragés. Notre conviction est qu’il s’agit là d’une bataille essentielle pour le monde moderne.

L.L.D. : Soutenu par le Portugal, notamment sous sa présidence de l’Union européenne (UE) en 2007, le traité de Lisbonne est entré en vigueur le 1er janvier 2010. Comment décririez-vous la contribution de votre pays à cet aboutissement ? Quelle est, à vos yeux, la modification fondamentale introduite par ce traité dans le fonctionnement de l’UE ? Rétrospectivement, quel regard portez-vous sur les difficultés rencontrées dans son processus de ratification et la relative indifférence qu’il soulève dans les opinions publiques européennes ?

S.E.M.F.S.C : Le Traité de Lisbonne correspond à l’unique modèle institutionnel autour duquel il a été possible de trouver un consensus au sein de l’Union européenne, après qu’elle ait accompli le plus grand élargissement de son histoire, mais aussi face aux nouvelles exigences de gouvernance globale. Bien que la tentative de créer un « Traité constitutionnel » ait échoué, les Etats européens ont, en effet, décidé qu’il n’était pas possible de relever les nouveaux défis dans le cadre du Traité de Nice.
Durant sa présidence de l’UE, en 2007, le Portugal a cherché à dépasser les dernières divergences subsistant entre certains Etats à l’égard du nouveau Traité. Notre effort a été couronné de succès et le Traité de Lisbonne en a été le résultat.
Il semblerait que ce traité, par les compromis délicats que son approbation a requis, constitue un document répondant aux conditions pour s’inscrire sur le long terme. En effet, il est aujourd’hui difficile d’imaginer qu’il soit possible de lui opposer un consensus institutionnel alternatif pouvant être soumis à une ratification au niveau de tous les Etats membres.
En tant qu’observateur attentif des affaires européennes et du fait des responsabilités gouvernementales que j’ai eu à assumer dans ce domaine pendant quelques années, j’ai l’impression qu’il sera très difficile d’avancer vers un plus grand approfondissement des politiques de l’Union européenne avant que ne soit créée une « opinion publique européenne ».
Pour le moment, celle-ci n’existe pas encore, chaque pays ayant tendance à conserver une opinion publique autonome et dépendante du calendrier de ses propres préoccupations, d’ailleurs parfois contradictoires entre elles. En ce sens, un certain « égoïsme » national prédomine, à raison, car les intérêts sont différents. Un sentiment collectif européen ne pourra se former qu’à partir du moment où ces intérêts respectifs se rapprocheront et que les décisions européennes auront un effet de nature identique dans tous les Etats.
Pendant de nombreuses années, on a parlé de la « théorie de la bicyclette », lancée par Jacques Delors, selon laquelle l’Union, tout comme ce moyen de transport, aurait sans cesse besoin d’avancer pour ne pas tomber. Aujourd’hui, certains pensent que nous avons atteint une phase qui justifie l’arrêt de la bicyclette, sans qu’elle ne tombe, car les pieds doivent désormais être fermement posés à terre.
Il est, en effet, devenu primordial de consolider et de stabiliser le considérable acquis politique dont nous disposons déjà et d’y familiariser tous les citoyens de cette Europe très élargie. Il serait peut-être nécessaire, de ce point de vue, que les citoyens européens se sentent majoritairement d’accord sur l’utilité et la valeur de cette architecture politique, avant d’être appelés à donner leur approbation à l’introduction de propositions plus ambitieuses. Serait-ce une idée judicieuse ? Je ne sais pas. En Europe, à l’heure actuelle, les questions sont plus nombreuses que les réponses.

L.L.D. : Le Premier Ministre José Sócrates a salué la volonté de la présidence espagnole de l’UE de faire de la gouvernance économique son fer de lance. Au vu des efforts concédés à cet égard par les Etats-membres pour surmonter la crise, comment la coordination des politiques économiques nationales pourrait-elle être institutionnalisée ? Avec la nomination d’un Président et d’une « Ministre des Affaires étrangères de l’UE », considérez-vous que l’Europe est désormais prête pour exprimer une position commune au sein du G20 ?

S.E.M.F.S.C : La récente crise a permis à certains de découvrir ce qui depuis longtemps semblait évident à plus d’un : il est impossible de gérer une monnaie unique sans une coordination plus étroite entre les politiques économiques et financières européennes. Cette idée circule en Europe depuis de nombreuses années, mais il existe beaucoup de résistance à sa mise en œuvre. Le « nationalisme économique » est une maladie endémique et certains ne semblent prêts à renoncer à cette attitude que si les décisions européennes coïncident avec leurs propres orientations.
Le Premier Ministre José Sócrates se trouve en première ligne de ceux qui soutiennent qu’il est impératif de s’acheminer vers un rapprochement des politiques économiques des Etats européens, et parmi ceux qui prônent un approfondissement dans certains secteurs collatéraux, rendu aujourd’hui nécessaire pour faire face à la crise.
Etrangement, ce même souci de coordination était prévu dans ce qui est devenu la « Stratégie de Lisbonne », lancée durant la Présidence portugaise de l’UE en 2000. A l’époque, en raison de la grande résistance opposée par nombre de partenaires, il n’a pas été possible d’avancer vers un ensemble de mesures à caractère contraignant. Nous avons ainsi fait le choix d’un modèle de « benchmarking » qui a eu des résultats limités. Mais, je le répète, la raison pour laquelle nous ne sommes pas allés plus loin est que d’autres partenaires ne l’ont pas voulu.
Nous saluons ainsi la volonté de la Présidence espagnole d’avancer dans ce débat ; volonté d’ailleurs partagée par le nouveau Président du Conseil européen, Herman Van Rompuy. Il est important que la voix de l’Europe puisse être entendue et il est décisif que l’Union européenne trouve des formules pour garantir que, dans des structures comme le G20, les intérêts des « différentes Europes » soient pris en compte.
Je ne vous cache pas que nous avons quelques préoccupations sur la façon dont les décisions sont prises au sein du G20. Il est de l’intérêt de tous que cette instance informelle, organisée par cooptation et dont le devoir de rendre des comptes reste relatif, ne s’érige en une sorte de « directoire ». Le G20 est, et peut continuer à être, très utile, mais son activité doit être compatible avec celle des structures de régulation multilatérale existantes, en particulier au sein de l’ONU. Espérons que l’Union européenne puisse l’aider dans cette tâche.
Un jour quelqu’un a dit que « les crises sont les accoucheuses de l’Histoire ». Qui sait si cette crise, avec tous ses aspects négatifs, ne finira pas par représenter une opportunité pour créer une nouvelle volonté européenne, et même internationale, en vue d’œuvrer ensemble de façon plus approfondie ?

L.L.D. : Au-delà de la présidence espagnole de l’UE, le chef du gouvernement a fait, dès son premier mandat, du resserrement des liens avec l’Espagne sa priorité en matière de politique étrangère. Quels progrès été accomplis sur ce plan et dans quels domaines sont-ils appelés à être approfondis ? Considérant les relations de partenariat établies par votre pays avec le Brésil et l’Angola, quelles sont vos attentes à l’égard de l’évolution future de l’Initiative Atlantique-Sud lancée conjointement par votre pays et l’Espagne ?

S.E.M.F.S.C :
La relation entre le Portugal et l’Espagne est, très probablement, la dimension bilatérale de notre diplomatie qui s’est le plus intensifiée avec notre entrée au sein des institutions européennes en 1986.
Malgré les différences en termes de taille et de structure économiques, le Portugal et l’Espagne ont su, à partir de cette date, esquisser un partenariat magnifique, qui s’est reflété dans la résolution de diverses questions – comme la régulation des fleuves communs, les problèmes liés à la pêche dans des zones riveraines ou les questions relatives au commandement de l’OTAN.
De la même manière, les deux pays collaborent aujourd’hui de façon transparente et engagée dans la résolution de questions communes qui affectent la péninsule ibérique, soit en matière économique à travers la coopération transfrontalière, soit en matière de terrorisme et de lutte contre la criminalité organisée.
Les deux pays partagent aujourd’hui des positions conjointes sur les grands sujets internationaux. Cette approche prévaut aussi face à un grand nombre de problèmes à l’intérieur de l’Union européenne, où leur collaboration est intense, fructueuse et régulière. Il convient particulièrement de mettre en exergue l’importance accordée par Lisbonne et Madrid aux processus de coopération méditerranéenne, ainsi que leur engagement dans les questions relatives à la paix au Moyen-Orient.
Dans un cadre géopolitique plus élargi, les deux pays portent également une grande attention aux questions africaines, et plus spécialement aux mécanismes de soutien au développement. Et, évidemment, il est essentiel de citer l’Amérique latine, continent auquel ils sont attachés par des liens humains et culturels très anciens, et qu’ils cherchent à accroître dans leur relation respective avec l’UE.
S’agissant de la question que vous soulevez sur un nouveau processus de dialogue englobant l’Atlantique-Sud, celui-ci est perçu par l’Espagne et le Portugal comme une contribution intéressante que les deux pays peuvent apporter au processus de stabilisation dans cette importante région du monde.

L.L.D. : S’appuyant sur les liens privilégiés qu’il a noués avec les pays du Maghreb, le Portugal s’est étroitement associé au projet d’Union pour la Méditerranée (UPM).
A la veille du sommet de l’UPM qui se tiendra le 7 juin 2010 à Barcelone, quelle approche préconisez-vous en vue d’amorcer une réelle dynamique de co-développement euro-méditerranéenne incluant les questions de la régulation des flux migratoires, de l’énergie et de la sécurité ? Comment l’UPM pourrait-elle, selon vous, contribuer à la relance du processus de paix au Proche-Orient ?


S.E.M.F.S.C : Comme je l’ai indiqué plus haut, si le Portugal n’est pas géographiquement parlant un pays méditerranéen, il est considéré par tous les Etats de cette région comme l’un des partenaires les plus enthousiastes et dynamiques en termes d’efforts de coopération entre les pays des deux rives de la Méditerranée. Du Processus de Barcelone à l’Union pour la Méditerranée, en passant par le Forum de la Méditerranée et le processus « 5+5 », le Portugal a tout fait pour conduire l’Union européenne à développer et à donner la priorité à cet aspect de son action extérieure.
D’un autre côté, en profitant de l’excellence de ses relations avec tous les pays du Maghreb, mon pays a cherché à stimuler l’articulation incontournable Sud-Sud qui doit s’opérer dans le cadre méditerranéen, notamment sur le plan économique.
La redynamisation de l’Union pour la Méditerranée trouvera avec le Portugal l’un des pays les plus engagés et l’un de ses partenaires les plus actifs. L’ensemble des domaines que vous avez mentionnés doit former l’axe de ce travail, lequel, de notre point de vue, devrait être mis en œuvre dans le respect de la contribution que les flux migratoires ont apportée au développement du continent européen. Un dialogue ouvert entre les deux rives de la Méditerranée, sans conditions et avec un esprit d’ouverture, sera une conclusion naturelle de la revitalisation de l’UPM. Et c’est aussi, cela vaut la peine de le souligner, une condition indispensable pour la survie de ce projet en termes d’efficacité.
Cette efficacité passe, bien entendu, par la découverte d’une solution juste au conflit israélo-palestinien. Paradoxalement, la coopération euro-méditerranéenne n’a que modestement contribué à ce processus ; mais elle a aussi elle-même souffert de quelques blocages résultant de cette conjoncture négative. Espérons qu’il nous sera bientôt possible de sortir de ce cercle vicieux.

L.L.D. : Allié traditionnel des Etats-Unis, votre pays plaide pour l’affirmation de l’Europe dans les relations transatlantiques et notamment de la PESD comme pilier européen de l’OTAN. Quelles orientations préconisez-vous en ce sens à l’heure où l’UE cherche à relancer sa politique de défense et de sécurité ? Plus d’un an après la prise de fonctions du Président Barack Obama, comment analysez-vous l’évolution du partenariat transatlantique face à un G2 Etats-Unis / Chine de plus en plus affirmé ?


S.E.M.F.S.C : Le Portugal est un pays qui, depuis la création de l’OTAN, considère qu’il est essentiel de maintenir cette organisation au centre de n’importe quelle stratégie de défense concernant son territoire. Pour ce même motif, et parce que l’OTAN n’est rien sans ses deux composantes atlantiques, nous croyons qu’une relation de coopération avec les Etats-Unis est toujours un facteur vital qu’il convient de préserver.
En reprenant sa place au sein de la structure militaire intégrée de l’OTAN, la France a également démontré que l’Organisation est bien vivante et qu’elle a un avenir au moins aussi pertinent que celui qui, par le passé, a attesté de son rôle fondamental dans la défense et la sécurité européennes.
Toutefois, l’OTAN doit aujourd’hui relever un éventail de défis stratégiques bien plus vaste et différent d’un point de vue qualitatif, tout comme est différente, et continuera à l’être, sa relation avec Moscou. C’est dans le cadre de ces nouvelles menaces, où le terrorisme joue un rôle fondamental avec des exigences d’interopérabilité dans des zones géographiques « out of area » [hors zone], que se déroule aujourd’hui le débat sur le nouveau concept stratégique de l’OTAN. Celui-ci devra être approuvé lors du Sommet de Lisbonne, en novembre 2010. Nous espérons pouvoir contribuer activement à ce débat.
Toutefois, notre engagement auprès de l’OTAN n’affecte nullement notre intérêt à continuer à rechercher l’approfondissement d’une dimension européenne de sécurité et de défense. A aucun moment nous ne considérons ces deux cadres comme étant contradictoires. Le Traité de Lisbonne garantit, sur ce point, un cadre institutionnel beaucoup plus opérationnel et nous procure de réelles conditions pour articuler, de manière progressive, les diverses orientations militaires que les Etats membres de l’UE s’apprêtent à adopter dans le cadre de ce projet commun.
Pour en revenir à la relation transatlantique, comme vous me le demandez, je dirais qu’il est prématuré de mesurer l’impact réel que l’administration Obama pourra avoir dans les relations entre les Etats-Unis et l’Europe. Washington traverse encore une phase complexe en termes de définition de ses priorités extérieures. Nous devons respecter cette « pause de réflexion », qui a lieu après une période très turbulente dans sa politique étrangère.
L’Europe et les Etats-Unis forment de vieux partenaires. Beaucoup de ce qui a été construit dans le monde en matière de compromis durables dans les domaines de la paix et de la stabilité résulte de cette relation. Elle se renouvelle au fil du temps, face aux nouveaux défis que nous devons affronter. Toutefois, parce qu’elle trouve son fondement dans le partage d’idées et de principes communs, il est toujours possible de trouver des sujets d’entente, malgré des divergences ponctuelles.

L.L.D. : Fort de son engagement au sein des Nations unies, le Portugal s’est porté candidat à un siège de membre non-permanent au Conseil de sécurité pour la période 2011-2012. Dans cette perspective, quels objectifs et quelle vision du maintien de la paix entend-il défendre dans cette enceinte ? Tenant compte de l’affirmation du G20 comme forum de concertation privilégiée, comment le Portugal perçoit-il la nécessité d’accélérer la réforme des Nations unies et, plus précisément, l’élargissement du Conseil de sécurité ?

S.E.M.F.S.C : Les raisons qui ont amené le Portugal à chercher à s’assurer, en 2011-2012, un siège de membre non-permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, sont les mêmes qui ont justifié sa présence antérieure, à deux reprises au sein de cet organe : apporter une contribution équilibrée à la paix et la sécurité internationales du point de vue d’un pays de dimension moyenne, ayant un cadre très élargi de relations extérieures.
Je ne veux pas transposer ici l’argumentation que nous utilisons dans la promotion de notre candidature. Mais j’aimerais dire que le Portugal se sent à l’aise en tant que pays « prévisible » dans son action extérieure : nos principes sont connus, nos pratiques également, tous connaissent notre capacité de dialogue et, en particulier, notre volonté de comprendre les problèmes des autres.
Sur le plan international, nous ne possédons pas un agenda d’intérêts économiques ou stratégiques qui nous conditionne, quoique tous savent sur quel pied nous dansons et quelles sont nos alliances et nos compromis. Nous sommes, par vocation historique, un pays « constructeur de ponts », une puissance modérée et modératrice.
En outre, nous sommes des défenseurs opiniâtres du multilatéralisme, de l’importance de préserver un lieu d’intervention pour les pays de petite et moyenne dimension contre la prééminence de « directoires » ou de regroupements de puissances. Nous avons partagé avec enthousiasme les grands agendas contemporains de la communauté internationale et, dans un effort reconnu par tous, nous avons contribué, avec pragmatisme, à renforcer les actions de maintien de la paix lors de divers moments de crise ; actions qui sont essentielles à la stabilité et à la paix dans certaines régions du monde.
Je crois que par le passé, les activités de notre diplomatie et le comportement de nos agents publics ont parlé pour nous. Pour toutes ces raisons, nous jugeons utile de proposer une nouvelle fois notre contribution au Conseil de sécurité.
Mais je ne voudrais pas éluder la question que vous me posez et qui se rapporte à la réforme de ce même Conseil. C’est vrai que son modèle actuel est inadéquat, non-représentatif et qu’il reflète une réalité dépassée, tributaire d’équilibres vieux de plusieurs décennies. Il est urgent de démocratiser le Conseil de sécurité, de l’ouvrir aux pays émergents, de garantir une plus grande représentativité aux décisions qui y sont prises. Le Portugal défend le maintien de la position des Nations unies au centre des processus de régulation de la société internationale et, pour cela, il est essentiel de préserver sa légitimité, ce qui nous pousse à recommander une urgente et profonde réforme du Conseil de sécurité.

L.L.D. : Succédant à votre pays, l’Angola prend en 2010 la présidence tournante de la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP). Dans quelle mesure la lusophonie peut-elle contribuer à une meilleure prise en compte des intérêts de l’Afrique dans la mondialisation ? Quel élan votre pays souhaiterait-il lui insuffler en vue d’intensifier les liens de coopération économique et de dialogue politique entre les pays-membres ? Plus largement, comment analysez-vous l’intérêt manifesté par un nombre croissant de pays à adhérer à la CPLP ?

S.E.M.F.S.C : La Communauté des Pays de Langue Portugaise (CPLP) est une institution qui, à mon sens, est en train d’accomplir un excellent parcours. En effet, nous constatons que cette structure prend de plus en plus d’importance, en s’élargissant à un nombre croissant de domaines, en se dotant d’un agenda intense en matière purement politique ou de coopération économique et technique. Mais, le plus important c’est que la CPLP se reconnaît comme le grand promoteur du projet qui unit tous les citoyens qui parlent le portugais et qui est, naturellement, la valorisation de sa langue sur la scène internationale, en particulier dans les instances multilatérales.
Vous avez raison de souligner la vocation politique de la CPLP. Elle a contribué, à son niveau et avec un grand sens de l’entraide, à trouver des solutions à des crises politiques en Guinée-Bissau ou à aider le Timor-Leste à dépasser quelques difficultés dans son processus de stabilisation.
En effet, la situation complexe de l’Afrique, avec les blocages propres au développement du continent et les crises qui le traversent, sont aussi au cœur des préoccupations des Etats-membres de la CPLP. Chacun d’entre eux, dans le cadre des institutions multilatérales dont ils font partie, cherche à conditionner les agendas de ces instances et à les amener à faire face à ces défis.
C’est le constat de l’importance croissante de la CPLP sur la scène internationale qui a conduit d’autres pays, hors du monde lusophone, à essayer d’adhérer à l’Organisation ou d’y acquérir le statut d’observateur. Ils sont la meilleure preuve que celle-ci constitue une communauté avec un grand avenir.

L.L.D. : S’inscrivant dans le cadre d’un partenariat privilégié, la visite du Premier Ministre José Socrates en France le 7 janvier 2010 a permis de définir l’énergie et l’innovation technologique comme thèmes centraux du prochain sommet France-Portugal organisé à Paris en mai 2010. Quelles initiatives franco-portugaises sont envisagées dans ces domaines ? Sept ans après l’instauration de ces consultations bilatérales de haut niveau, quel bilan faites-vous de leur apport au renforcement des relations entre les deux pays, notamment sur le plan économique et culturel ?


S.E.M.F.S.C :
L’agenda définitif de la rencontre de haut niveau qui réunira les premiers ministres du Portugal et de la France, le 7 mai 2010, n’est pas encore fixé. Notre objectif, plus que de créer des « évènements », est d’essayer de définir quelques propositions opérationnelles pouvant, au-delà du bilan de la relation commune, mettre en exergue des orientations pour lancer de nouveaux projets qui permettent d’unir davantage les économies des deux pays.
Les domaines des nouvelles énergies et des technologies plus avancées seront, de toute évidence, au centre d’un ensemble de thèmes qui sont importants pour les deux pays. Mais il est également de notre intérêt de profiter de cette opportunité pour réfléchir, ensemble, sur les grands thèmes qui sont cruciaux pour l’Europe, sur le débat en cours concernant l’avenir de l’Alliance atlantique et sur l’ensemble de l’agenda international qui intéresse les deux pays.
Il est certain que les « recettes » pour favoriser une sortie rapide de la crise vont également être au centre des discussions, d’autant plus que Paris et Lisbonne sont très proches dans l’interprétation qu’elles font de la nécessité d’une réponse intégrée pour assurer l’avenir de l’euro et trouver des modèles opérationnels de gouvernance européenne.
Occupant ce poste depuis un peu plus d’un an, j’ai naturellement peu d’expérience dans ce genre de rencontres franco-portugaises. Mais l’appréciation qui, des deux côtés, en est faite prouve son importance et la nécessité de réunions régulières. Ainsi l’exigent les excellentes relations entre les deux pays et la croissante interaction des deux économies, en complément d’une interaction humaine et culturelle qui fait déjà partie de notre histoire commune.

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