Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

La lettre diplometque
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     Cambodge
 
  S.E.M. / H.E. UCH Kiman

Les enjeux de la renaissance cambodgienne

Initié en février 2009, le procès du régime des Khmers rouges marque un tournant pour le Cambodge et, à terme, pour la réconciliation nationale,
sans laquelle aucun essor durable n’est envisageable. Au-delà du ralentissement de la croissance provoqué par la crise financière, S.E.M. Uch Kiman, Ambassadeur du Cambodge en France, analyse pour nous les ressorts de ce renouveau dont témoignent également une économie en pleine mutation et un ancrage affirmé au sein de l’ASEAN.

La Lettre Diplomatique : Monsieur l’Ambassadeur, quatre ans après son dernier séjour en France, le Premier Ministre Hun Sen a effectué une visite officielle à Paris du 10 au 14 juillet 2009. Quelles priorités ont été identifiées à cette occasion en vue d’intensifier les liens de coopération entre les deux pays ? A l’instar de l’appui au développement du Cambodge, dans quels domaines la concertation franco-cambodgienne pourrait-elle être approfondie ?

S.E.M. Uch Kiman : La visite officielle effectuée par le Premier Ministre Hun Sen à Paris, à l’invitation du Président Nicolas Sarkozy, a marqué un nouveau temps fort dans nos relations traditionnelles d’amitié et de coopération multiforme. Pour les Cambodgiens, en particulier pour moi-même en ma qualité d’ambassadeur et les diplomates en poste à Paris, la présence de Samdech Hun Sen et de son épouse à la tribune d’honneur au défilé du 14 juillet a été ressentie comme un honneur tout particulier.
Les rencontres bilatérales au sommet organisées à cette occasion n’ont fait que resserrer davantage les liens d’amitié tissés au cours du siècle dernier. « Le Cambodge peut toujours compter sur l’amitié de la France » : ces propos du Président de la République française nous sont allés droit au cœur.
Une nouvelle relance de nos relations a ainsi été impulsée, au-delà de l’aide traditionnelle, vers une nouvelle forme de coopération mutuellement avantageuse. La bonne gestion économique de ces dernières années soutenue par un environnement économique et politique assez favorable fait que le Cambodge d’aujourd’hui mérite d’être reconsidéré comme un partenaire non négligeable.
Force est de constater qu’il existe un potentiel de coopération économique et commerciale à approfondir dans plusieurs domaines, dont les plus importants sont l’énergie (avec l’exploration pétrolière), les télécommunications et l’agriculture industrielle. Les entreprises françaises déjà présentes dans les pays voisins peuvent également étendre leurs activités au Cambodge où il existe un environnement plus propice à leur développement grâce à l’importance particulière que nous attachons à la francophonie.
Il est également vrai qu’une coopération plus étroite est nécessaire dans des domaines où la France occupait et occupe toujours une place privilégiée telle que la formation professionnelle, au travers de programmes plus adaptés, plus élargis, ou les échanges techniques, scientifiques et culturels.

L.L.D. : Occupant une place historique dans le paysage culturel cambodgien, la langue française est de plus en plus fortement concurrencée par l’anglais. Ayant vous-même été professeur d’anglais, comment appréhendez-vous cette évolution ? Tout en tenant compte des réalités de la mondialisation, comment l’héritage francophone pourrait-il être davantage promu ? Au-delà, quels sont, selon vous, les atouts de l’appartenance du Cambodge à la Francophonie ?

S.E.M.U.K. : Sur le plan linguistique, il est évident que l’anglais gagne du terrain, pour la simple raison qu’il représente une nécessité de la vie quotidienne. Dès le début des années 1980, à la fin du régime sanguinaire des Khmers rouges, les jeunes Cambodgiens, avides de connaissance, se sont inscrits à des cours privés du matin ou du soir pour apprendre l’anglais. En fait, très peu ont alors appris le français pour diverses raisons pratiques, laissant à leurs aînés le quasi monopole de la langue de Molière.
Le phénomène s’est accentué avec l’arrivée des organisations humanitaires internationales anglophones, suivies de celles de l’ONU, en général anglophones elles aussi. Le retour timide et graduel de la diaspora et l’adhésion du Cambodge à l’ASEAN ont enfin affirmé la prédominance de la langue de Shakespeare.
Dans cet environnement, il est devenu plus difficile de trouver des enseignants de français qui s’accrochent par amour de la langue. Malgré cette tendance, le français reste encore un moyen de communication privilégié au sein de certains ministères dirigés par une petite élite de francophiles. En revanche, pour la jeune génération arrivant sur le marché du travail, le choix est évident.
Pour pallier à ce déséquilibre, et surtout pour ne pas perdre cet atout précieux pour les générations à venir, des classes bilingues ont été introduites. Mais là encore, on ne peut changer la loi du marché du travail : y accéder demeure la seule motivation pour la grande majorité. Ce qui fera la différence, ce seront donc les investissements des entreprises françaises sur le terrain avec des offres d’emploi, les écoles de formation professionnelle et les opportunités offertes pour accomplir des études supérieures en France, et non les déclarations politiques ou les belles résolutions des conférences internationales. Même la Maison du Cambodge à la Cité universitaire de Paris, qui est destinée à héberger des étudiants cambodgiens, est actuellement occupée à plus de 90% par des étudiants non cambodgiens.
Ce constat est alarmant, car la relève de l’élite francophone traditionnelle n’est plus là et qu’elle est peu à peu remplacée par une nouvelle génération polyglotte qui répond mieux aux besoins croissants et diversifiés du pays dans la nouvelle configuration de ses relations internationales. Quoiqu’il en soit, l’appartenance du Cambodge à la famille francophone constitue plutôt un atout que ne possèdent pas ses voisins. Il faut simplement se rappeler que le français, comme toute langue vivante étrangère, doit s’acquérir dès le plus jeune âge. On ne devient pas francophone après quelques mois de stage post-universitaire en France.

L.L.D. : La visite du chef du gouvernement cambodgien en France a été l’occasion d’annoncer l’attribution d’un bloc d’exploration au groupe pétrolier français Total. Cette décision peut-elle ouvrir la voie à une coopération plus étroite avec l’industrie française dans ce secteur stratégique pour l’économie cambodgienne ? Dans quels autres secteurs d’activités les échanges économiques entre les deux pays pourraient-ils être accrus ?

S.E.M.U.K. : Dans le domaine de l’énergie, le Cambodge apparaissait comme un pays à très faible potentiel et n’intéressait que très peu d’investisseurs. Dans les années 1970, durant la guerre civile, c’est la société Elf qui a effectué les premières explorations au large de l’île de Poulo Wai. Aujourd’hui, c’est le groupe Total qui s’est vu attribuer une concession d’exploration d’un bloc off shore et on shore.
Sans préjuger du potentiel de ce nouveau secteur d’activité, on est en droit d’espérer une coopération plus étroite avec d’autres entreprises françaises. Bien que la manne pétrolière à venir pourrait jouer un rôle moteur dans d’autres domaines de développement du pays, les seuls revenus du pétrole ne constitueront pas une solution miracle pour moderniser le pays, le faire sortir du sous-développement ou réduire la pauvreté de façon spectaculaire.
Le gouvernement compte bien sûr en profiter avec sagesse et clairvoyance en vue de favoriser un développement harmonieux, en l’associant à d’autres atouts économiques tels que le tourisme, l’agriculture industrielle et les industries de transformation. La France peut apporter son savoir-faire dans tous ces secteurs porteurs, notamment dans le cadre du nouvel environnement qui prévaut dans notre pays et dans la région. Celui-ci positionne en effet le Cambodge au cœur de l’ASEAN, au sein de laquelle il a pu évoluer et se développer rapidement, à la satisfaction générale, après une décennie de paix et de stabilité politique.

L.L.D. : A l’issue des élections législatives qui se sont tenues le 27 juillet 2008, le peuple cambodgien a reconduit dans ses fonctions le Premier Ministre Hun Sen pour un quatrième mandat. Quels facteurs expliquent, selon vous, sa longévité à la tête du gouvernement cambodgien ? Pourriez-vous décrire les principaux axes de son programme d’action ?


S.E.M.U.K. : La Constitution cambodgienne n’impose pas de limites de mandats au chef de gouvernement issu des élections générales. D’une élection à l’autre, le peuple cambodgien est en mesure d’apprécier les progrès accomplis, les nombreuses réalisations vraiment remarquables mises en œuvre, certes à différents degrés, ainsi que les transformations accomplies dans tous les domaines de la vie nationale ; et ce malgré d’énormes défis résultant des séquelles de trois décennies de guerre.
Le peuple jouit d’une réelle liberté d’entreprendre, des droits de circuler et de s’exprimer. La paix revenue, la stabilité politique assurée et la réconciliation nationale ont complètement transformé le pays en une destination touristique, mais aussi en un partenaire fiable pour les investissements étrangers. De plus, le Cambodge a généré avant la crise mondiale, une croissance économique à deux chiffres pendant quatre années consécutives.
Toutes ces performances sont naturellement attribuées à la bonne gestion du gouvernement dirigé par le Premier Ministre Hun Sen que le peuple cambodgien souverain, ayant atteint une plus grande maturité politique, a de nouveau plébiscité lors de la dernière élection. N’en déplaise à une opposition interne et externe très offensive et provocatrice, qui donne d’ailleurs une bonne idée de la vitalité et du progrès de la démocratie au Cambodge.
Néanmoins, la lutte contre la pauvreté figure encore parmi les défis les plus difficiles à relever Aussi a-t-elle été définie comme l’objectif prioritaire du gouvernement. Elle est au cœur d’une « stratégie rectangulaire » ayant pour socle la bonne gouvernance. Celle-ci est composée de quatre programmes de réformes fondamentales : la lutte contre la corruption, les réformes du système judiciaire, celles de l’administration publique, y compris la décentralisation et la déconcentration, et celle de l’armée.
Il est évident que ces réformes n’ont pu être menées à bien jusqu’à présent que grâce à la consolidation de la paix civile, de la stabilité politique, de la sécurité et de l’ordre publique. L’amélioration de tous ces facteurs font d’ailleurs aujourd’hui du Cambodge un partenaire pour le développement, doté d’un environnement macro-économique et financier favorable, assurant ainsi son intégration dans la région et dans le monde.
En 1979, qui marque l’année zéro pour notre pays, la pauvreté représentait un phénomène généralisé, résultant de plusieurs décennies de guerre et de génocide. Or, ce taux a été ramené de 100% à environ 30% de la population en 2008, vivant pour l’essentiel en zone rurale. Cet indice a cependant pu être faussé par les effets de la crise économique mondiale, d’autant que l’agriculture constitue, en fait, le seul secteur qu’elle n’a pas affecté. Au contraire, celui-ci se porte très bien et produit des surplus pour l’exportation, qui font le bonheur des agriculteurs.
D’une façon générale, la stratégie du gouvernement consiste essentiellement à reconstruire un pays en ruines, tout en donnant une priorité absolue à la survie, dans un premier temps, d’une population décimée et traumatisée, puis à l’amélioration de son bien-être. Elle a parallèlement cherché à favoriser l’essor d’une nouvelle génération de ressources humaines.
Des réalisations de grande ampleur en faveur du peuple ont été accomplies avec la création de nouvelles infrastructures, le développement de réseaux d’électricité, d’irrigation, ainsi que dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la libre entreprise, etc. Tous ces changements rappellent l’heureuse période de développement socio-économique qui a marqué le premier royaume du Roi-Père Norodom Sihanouk, dans les années 1950 et 1960. Ils sont la preuve que les nouvelles générations de Cambodgiens sont capables de se relever après avoir vécu l’enfer.

L.L.D. : Trente ans après la chute du Kampuchéa démocratique, le premier procès du régime des « Khmers rouges » s’est ouvert en février 2009. Comment définiriez-vous la portée de cette procédure tant pour la société cambodgienne que sur la plan de la coopération judiciaire internationale ? Dans quelle mesure peut-elle, selon vous, favoriser le processus de réconciliation nationale ?

S.E.M.U.K. : Les crimes de génocide commis par les « Khmers rouges » du Kampuchea démocratique entre 1975 et 1979, sont connus de tous et sont restés impunis jusqu’à une date récente. Après leur chute en 1979, pourquoi a-t-on laissé l’ambassadeur des Khmers rouges occuper le siège du Cambodge à l’ONU pendant 11 ans ? Pourquoi cette injustice a-t-elle été infligée au peuple ayant survécu au génocide ? Pourquoi attendre trente ans pour établir un tribunal international ? Cherche-t-on à obtenir justice ou une justification pour un tout autre objectif ?
Pour la société cambodgienne, ce procès qui se déroule sur le sol cambodgien, marque peut-être le début d’une reconnaissance internationale des responsabilités historiques de chaque partie dans le drame cambodgien. Ce n’est pas une justice pure et simple qu’elle réclame. La population cambodgienne est en droit de comprendre pourquoi on en est arrivés là. A-t-on laissé faire ? Sans esprit de vengeance, elle souhaite seulement connaître la vérité et tourner définitivement cette page sombre de son histoire, afin de pouvoir construire une nouvelle société tournée vers l’avenir.
Le fait que ce procès ait lieu sur le sol cambodgien représente un acquis positif pour le système judiciaire cambodgien qui est en cours de réforme. De plus, les Chambres extraordinaires au sein des Tribunaux cambodgiens (CETC) forment la première juridiction à admettre la constitution de parties civiles, permettant ainsi aux victimes de se faire entendre. Cette innovation d’un Tribunal pénal international constitue une avancée très importante en matière de justice internationale.
Malgré les délais et les difficultés rencontrées, le procès devra suivre son cours, tel qu’il a été clairement défini par l’accord conclu avec l’ONU. Il marquera une étape finale du processus de réconciliation nationale entamée dès la signature des accords de paix de Paris en 1991. Mais il faut se rappeler que les Khmers rouges ayant boycotté ces accords, et la mission de l’APRONUC (Autorité provisoire des Nations unies au Cambodge) ayant partiellement échoué, il a fallu attendre la soumission totale et complète des derniers résistants khmers rouges en 1998, pour que la paix et la réconciliation nationales soient entièrement acquises grâce à la stratégie « gagnant-gagnant » du Premier Ministre Hun Sen. En revanche, le « Tribunal des Khmers rouges » ne doit pas être utilisé pour poursuivre un autre agenda politique et fragiliser ces acquis historiques.

L.L.D. : Initiée en 2001, la politique de décentralisation a franchi une nouvelle étape avec l’organisation en mai 2009 d’élections aux différents échelons des collectivités locales. Pourriez-vous nous expliquer les mutations introduites par le redécoupage administratif adopté en mai 2008, ainsi que les enjeux de ce scrutin en terme de gouvernance ?

S.E.M.U.K. : On a constaté qu’en peu de temps la démocratie a accompli de grandes avancées au Cambodge et qu’elle commence à s’enraciner dans la culture politique nationale. La politique de déconcentration et de décentralisation introduite par le gouvernement en 2001 représente une initiative courageuse en faveur du renforcement de la démocratie participative. L’objectif est de déléguer et même de transférer une partie du pouvoir à des échelons sub-nationaux. En application de cette politique de décentralisation, un nouveau redécoupage administratif a été introduit pour mieux s’adapter aux nouvelles évolutions socio-économiques des villes.
Trois anciennes municipalités ont ainsi acquis le statut de province tandis que la capitale de Phnom Penh, autrefois municipalité, est désormais dotée d’un statut particulier de capitale, avec huit arrondissements. Une nouvelle étape a ainsi été franchie après la tenue d’élections au suffrage indirect pour désigner les conseillers de la capitale, des provinces, des municipalités, des districts et des arrondissements de l’ensemble du Royaume. Les autorités précédemment nommées par l’autorité centrale ont ainsi été graduellement remplacées par des représentants des collectivités locales lors des élections communales de 2002, puis de 2007. Plusieurs partis politiques disposent désormais de leurs représentants élus à tous les niveaux de l’administration territoriale.
Ces profondes mutations ont constitué, au début, un véritable défi tant en terme de ressources humaines, qu’en terme de partage des pouvoirs entre les nouveaux élus des différents partis politiques. Car ces nouveaux conseils sont désormais chargés de formuler et d’approuver des projets de développement de leur circonscription. Forts de ce pouvoir de décision, ils peuvent servir de contrepoids aux autorités locales (gouverneurs de province par exemple) qui sont les représentants du gouvernement et du pouvoir central. En terme de gouvernance, les résultats de ces réformes sont très satisfaisants. Les élections des conseils municipaux et provinciaux en mai 2009, sont la preuve du succès de cette politique de décentralisation.

L.L.D. : Après quatre années de forte croissance, le Cambodge doit faire face, comme les autres pays de la région, au ralentissement économique provoqué par la crise financière internationale. Quelle stratégie les autorités cambodgiennes ont-elles adopté pour en juguler les effets sur la stabilité sociale et financière du pays ? A l’image du projet de création d’une bourse des valeurs cambodgienne, quelles autres initiatives pourraient illustrer la volonté de moderniser l’économie du pays ?

S.E.M.U.K. : La crise économique mondiale n’a pas épargné l’économie cambodgienne qui, en raison de son niveau relativement modeste de développement, n’a pas été affectée de façon dramatique. Ses effets immédiats se traduisent par un ralentissement dans certains secteurs clés. En revanche, l’agriculture se porte mieux, tandis que le secteur bancaire, peu dépendant de l’extérieur, est très peu touché : aucune banque n’a fermé ses portes.
Les secteurs les plus concernés sont, en fait, ceux qui dépendent des investissements étrangers tels que l’industrie du textile, de la construction, et dans une certaine mesure le tourisme. Des mesures adaptées ont été prises pour juguler les effets de la crise sur l’emploi dans ces secteurs, sous forme d’aide à une formation professionnelle plus performante en cette période creuse, ou en vue d’encourager le retour à une agriculture familiale déficitaire en main d’œuvre.
Car si certaines usines de confection ferment leurs portes, d’autres par contre s’ouvrent, offrant encore des opportunités d’emploi non négligeables. Si le taux de pauvreté peut ne pas avoir diminué, une stabilité sociale et financière semble malgré tout se maintenir grâce aux stratégies préventives du gouvernement.
Bien que certains secteurs fonctionnent au ralenti, d’autres projets initiés depuis un certain temps ont vu le jour, comme par exemple la nouvelle compagnie nationale, Cambodia Angkor Air, ou prochainement l’inauguration d’un nouvel aéroport par le groupe français Vinci. Ces projets vont d’ailleurs contribuer à la relance du secteur touristique qui affiche toujours une assez bonne santé.
De plus, il existe des signes avant-coureurs qu’une reprise économique est proche. Avec l’ambition de moderniser son économie, désormais intégrée à l’échelle régionale et internationale, le gouvernement espère ainsi relancer plusieurs projets de développement des zones industrielles, des zones économiques spéciales et des zones de coopération fournissent un développement triangulaire avec ses voisins.

L.L.D. : A long terme, la sortie du Cambodge du groupe des PMA (pays les moins avancés) défini par l’ONU requiert la diversification des secteurs économiques porteurs de croissance et d’emplois. Quelles mesures sont envisagées pour renforcer le développement de l’industrie de transformation, en particulier dans le secteur agricole ? Comment s’articulent les efforts mis en œuvre pour améliorer l’environnement des affaires, notamment en ce qui concerne la lutte contre la corruption ?

S.E.M.U.K. : Pays essentiellement agricole, le Cambodge dispose dans ce secteur d’un atout majeur. Avec une population d’à peine 14 millions d’habitants, dont 80% vivent de l’agriculture plus ou moins traditionnelle, il possède encore une vaste superficie cultivable. Après plusieurs années de disette post-khmer rouge, il est devenu en une décennie un exportateur de denrées alimentaires, et essentiellement de riz.
Fort de sa production annuelle en constante augmentation et d’un excédent de plus de deux millions de tonnes destiné à l’export, le Premier Ministre Hun Sen a proposé la création d’une OPEP du riz dans le but de garantir un approvisionnement vital de cette denrée. Engagé depuis quelques années dans une politique de diversification et de modernisation de son agriculture, le gouvernement entend faire de son mieux pour répondre aux besoins de la demande mondiale et pour sortir le pays du sous-développement.
Cette politique s’inscrit également dans sa stratégie de réduction de la pauvreté en zone rurale. Dans cette perspective, l’émergence d’une industrie de transformation est à l’ordre du jour, dans le sillage du récent développement de grandes plantations agricoles qui s’ajoutent aux plantations familiales existantes. Compte tenu des risques que comportent les investissements dans ce secteur du fait des aléas du climat aussi bien que ceux du marché mondial, des mesures d’encouragement très libérales ont été adoptées. A côté des cultures traditionnelles (riz, maïs, poivre, tabac, hévéa, etc.) de nouvelles cultures propices à l’industrialisation ont ainsi été introduites et sont promises à un essor dans les prochaines années.

L.L.D. : Bénéficiant d’un moratoire de mise en œuvre jusqu’en 2018, votre pays a conclu en août 2009 l’accord sur les échanges des marchandises de l’ASEAN qui vise à créer d’ici 2015 un marché régional de libre-échange. Quelle est l’approche préconisée dans cette perspective pour renforcer la compétitivité économique du Cambodge ?

S.E.M.U.K : Les dix pays membres de l’ASEAN connaissent un niveau de développement différent. Dernier pays à l’avoir rejoint en 1999, le Cambodge appartient à un groupe composé des quatre pays membres les moins développés et bénéficie donc, à ce titre, d’un moratoire pour son intégration complète au marché régional de libre-échange ou AFTA (Asean Free Trade Agreement).
Cette échéance permet ou plutôt impose au Cambodge d’accomplir davantage d’efforts d’adaptation et d’intégration à un marché au sein duquel je dirai qu’il devra savoir nager, pour prendre une image évocatrice, au risque de se noyer.
Ces efforts ont commencé par un développement plus conséquent de ses ressources humaines, par une libéralisation plus rapide de son économie, parallèlement à l’application des nouvelles contraintes résultant de son appartenance à l’OMC. Le Cambodge est ainsi devenu un marché libre et plus compétitif grâce à sa législation très libérale en matière d’investissement et à une main d’œuvre relativement bon marché.
En quelques années, le partenariat entre les secteurs publics et privés est devenu une réalité. Il contribue maintenant à renforcer la compétitivité économique du pays sur plusieurs fronts, avec un secteur privé jouant le rôle de moteur de l’économie nationale. A titre d’exemple, les exportations cambodgiennes de produits de confection demeurent compétitives grâce à la stratégie gouvernementale de strict respect de la qualité de l’environnement du travail telle qu’elle est certifiée par l’Organisation internationale du Travail (OIT). Bien qu’il reste encore beaucoup de chemin à accomplir, le Cambodge ne cesse d’améliorer son environnement des affaires, notamment en promouvant la lutte contre la corruption qui constitue l’une des priorités du gouvernement.

L.L.D. : Phnom Penh doit accueillir le sommet de l’ASEAN en 2012. Comment qualifieriez-vous les opportunités qu’offre l’organisation de cet événement, tant sur le plan économique que sur le plan du rayonnement culturel de votre pays ? Au-delà, dix ans après son adhésion à l’ASEAN, quel bilan pouvez-vous dresser de l’intégration des économies d’Asie du Sud-Est et des atouts qu’elle a générés pour le Cambodge ?


S.E.M.U.K. : Depuis son adhésion à l’ASEAN en 1999, le Cambodge a déjà accueilli un premier sommet de l’association, en 2002, à l’occasion de sa huitième édition. En 2012, il sera de nouveau le pays hôte chargé d’organiser le 18ème Sommet de l’ASEAN.
Au-delà du simple rituel et des dépenses nécessaires à la tenue d’une telle rencontre, il est à espérer que le Cambodge saura en tirer profit sur tous les plans. Les conditions sine qua non du succès sont la paix et la stabilité politique. Plus ces deux notions s’inscrivent dans la durée, plus l’économie se développe à un rythme soutenu, comme cela a été le cas ces dernières années.
Le sommet que nous allons organiser se voudra à la fois le reflet et la preuve d’un environnement propice à des investissements de plus grande ampleur et plus compétitifs. Il va sans dire que la richesse culturelle du Cambodge, déjà bien connue des autres pays de la région, des partenaires du sommet et bien au-delà, apportera son lot de contributions à son propre rayonnement. C’est une aspiration très légitime que nourrit chaque pays hôte, comme l’organisation tout entière, à se faire reconnaitre, dans le contexte de la mondialisation, comme un partenaire incontournable des autres groupements régionaux.
Depuis son adhésion à l’ASEAN il y a exactement dix ans, personne ne peut maintenant contester l’évidence : le Cambodge qui était un véritable champ de bataille parsemé de mines et de fosses communes des Khmers rouges, avant d’être isolé pour avoir voulu se libérer de ce régime génocidaire, est aujourd’hui complètement intégré sur le plan économique à la grande région et même au-delà.
Mais l’ASEAN n’est pas seulement un forum de discussions. Elle a beaucoup évolué ces dernières années vers une communauté économique, sociale et sécuritaire de nations liées par une Charte tout en conservant l’identité et la souveraineté de chacun. Elle se pose comme un groupement régional incontournable, suivant le modèle d’intégration de l’Union européenne sans toutefois en être une copie exacte. Notre appartenance à l’ASEAN repose sur un intérêt évident. Le Cambodge n’aurait pas pu se développer aussi vite s’il avait continué à s’isoler, au nom d’une souveraineté et d’une indépendance absolues, ou s’il avait attendu de se développer davantage pour la rejoindre comme l’avaient suggéré certains hommes politiques amateurs.

L.L.D. : Tout en préservant le principe de non-ingérence, les pays membres de l’ASEAN ont approuvé le 21 juillet 2009 la création du premier organisme régional sur les droits de l’homme. Comment percevez-vous les progrès induits par cette démarche, mais également les limites qu’elle pose, notamment au regard de la situation de Mme Aung San Suu Kyi, figure de l’opposition à Myanmar ?

S.E.M.U.K. : Née en 1967 au milieu de la guerre froide, l’ASEAN a accompli un long chemin pour réaliser le rêve de ses fondateurs : celui de regrouper les dix pays de la région en une association initialement à vocation économique. L’objectif était d’en faire un groupement fort lié par des traités et des conventions, le tout institutionnalisé par une Charte de l’ASEAN. Par la suite une Communauté économique de l’ASEAN a été créée, ainsi que, plus récemment, un organisme chargé des droits de l’homme.
Après tant d’hésitations et de frictions, cette initiative constitue une victoire morale sur un tabou longtemps sacré, celui du principe de non-ingérence. Il s’agit d’une avancée vraiment très encourageante, si l’on considère que chaque pays membre est toujours farouchement attaché à ce principe ainsi qu’à celui de respect absolu de sa souveraineté nationale. Mais il faut se rendre à l’évidence que chaque pays membre est caractérisé par un niveau de développement différent et par un rythme d’adaptation ou d’acceptation qui varie selon chaque situation locale. Chaque pays aborde ainsi différemment les questions des droits de l’homme comme étant très subjectives, ne suivant pas une loi universelle et encore moins un modèle absolu de société.
La question maintenant est de savoir si chaque pays, avec toutes les avancées accomplies dans le cadre de l’ASEAN, et pas seulement en matière de droits de l’homme, est vraiment disposé à recourir à ce nouvel instrument pour faire face à certaines situations qui agacent ou qui fâchent. Rien n’est moins sûr. Les différends qui subsistent entre ses membres constituent à cet égard autant d’épreuves pour tester la fiabilité du principe de résolution pacifique des conflits au sein de la famille ASEAN.

L.L.D. : Le Cambodge et la Chine ont célébré le 50ème anniversaire de leurs relations diplomatiques en 2008. Au regard des liens étroits mis en place entre les deux pays, comment ce partenariat est-il appelé à s’intensifier ? Quels projets majeurs peuvent illustrer sa dimension stratégique ?

S.E.M.U.K. : Depuis la grande période d’Angkor, les relations de bon voisinage entretenues par la Chine et le Cambodge ont été consigné dans les écrits d’un diplomate chinois. Et pendant des siècles, ces deux grandes civilisations se sont côtoyées sans qu’aucune page d’histoire ne parle de conflit ni de rivalité entre elles. Ce n’est que plus tard, après avoir obtenu son indépendance en 1953, que le Cambodge a renoué avec la Chine des relations diplomatiques.
Ces liens se sont davantage resserrés lorsque le Roi-Père Norodom Sihanouk, alors chef de l’Etat, se lia d’amitié avec le Premier ministre chinois Chou En Lai en marge de la conférence afro-asiatique de Bandoung de 1955. Le coup d’Etat de Lon Nol en 1970 bouleversa ces relations, précipitant le pays dans la guerre du Vietnam et dans l’enfer des Khmers rouges.
Le peuple cambodgien a été pris en otage par ces conflits idéologiques et par les folies meurtrières des uns et des autres. Depuis la fin de ces conflits, le peuple cambodgien qui a survécu n’a pensé qu’à reconstruire une nation en ruines, avec ou sans le soutien de ces grandes puissances qui n’ont pas cherché à le sauver de l’extermination. Il n’accuse personne et a d’ailleurs renoué des relations amicales avec ceux qui lui ont tendu la main. Après les accords de paix de Paris en 1991, la Chine et le Cambodge ont ainsi normalisé leurs relations qui se sont tout de suite faites plus étroites, aidées en cela par la présence d’une large communauté chinoise et sino-cambodgienne, par ailleurs excellente dans le domaine des affaires.
Devenue une grande puissance régionale, considérée comme une menace pour certains, la Chine n’a pas perdu son temps après la signature des accords de paix en 1991, pour renforcer ses relations avec le Cambodge post-khmer rouge. Les deux pays ont vite compris qu’il fallait tourner la page et ont consolidé sans complexe leur partenariat et leur amitié traditionnelle. Ce rapprochement se reflète notamment par une plus grande coopération économique.
C’est également sans complexe que la Chine considère le Cambodge comme un partenaire global et lui apporte son soutien dans ses efforts en matière de développement économique et social, ainsi que pour reconstruire ses infrastructures, notamment dans les secteurs des transports et des télécommunications, dans le cadre de la coopération de la Région du Grand Mékong (GMS). Animés par cet esprit de partenariat nouveau et sans entrave, les deux pays se sont engagés à déployer leurs efforts pour multiplier leurs échanges commerciaux.

L.L.D. : Situé au cœur de l’Asie du Sud-Est, le bassin du Mékong joue un rôle pivot dans le processus d’intégration régionale. Comment décririez-vous l’engagement de votre pays en faveur de la coopération sous-régionale, notamment en matière de gestion durable des ressources naturelles ? Plus particulièrement, comment analysez-vous l’essor notable des synergies économiques entre le Cambodge et le Vietnam ? Quelles devront être, selon vous, les priorités de l’agenda du sommet qui réunira le Cambodge, le Laos, Myanmar et le Vietnam à Phnom Penh en 2010 ?

S.E.M.U.K. :
Le bassin du Mékong est porteur d’un potentiel économique énorme. Le Cambodge fait partie, avec les autres pays riverains, d’un grand projet très ambitieux connu sous le nom de la Région du Grand Mékong (GMS). Son ambition est de supprimer tous les obstacles frontaliers au développement socio-économique des pays membres. Notre pays entend y participer pleinement dans le cadre d’une coopération non seulement à l’échelle sous-régionale, mais également internationale, à long terme, qui apportera un développement substantiel et durable à toute la région.
Dans ce bassin, le Cambodge, qui est membre de la Commission du Mékong, occupe un espace un peu particulier en raison de sa position géographique et de ses richesses naturelles et biologiques qu’il est absolument vital de préserver de tout développement à outrance et non respectueux de l’environnement. Il s’agit justement d’un sujet de préoccupation international dès lors que des constructions de barrages en amont sont en train d’affecter les autres pays riverains. L’enjeu est de taille et la coopération régionale et internationale est mise à contribution.
Voies de navigation traditionnelles, le Mékong et ses affluents, dont le plus important est le Tonlé Sap, le plus grand lac d’eau douce d’Asie, forment la mère nourricière du peuple cambodgien. Le développement des pays en amont ne doit en aucun cas pénaliser les pays en aval comme le Cambodge et le Vietnam, situé sur le delta du Mékong. Ces deux pays, en rapide développement, reconnaissent la complémentarité et la compétitivité de leur économie respective et ont mis en œuvre ces dernières années un nouveau partenariat qui a tout de suite produit des effets très encourageants. Le Cambodge développe et diversifie ainsi son économie avec ses voisins immédiats dans le contexte d’une coopération Sud-Sud qui n’est plus un vain mot.

L.L.D. : L’inscription du temple de Preah Vihear en juillet 2008 sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO a relancé un différend territorial qui oppose votre pays à la Thaïlande. Alors que les tensions militaires se sont apaisées depuis la fin août 2009, quelles sont, de votre point de vue, les conditions préalables à la résolution de ce contentieux frontalier ? Plus largement, comment les deux gouvernements comptent-ils consolider leur dialogue sur les questions politiques et redynamiser leur coopération ?

S.E.M.U.K. : Depuis 1962, le Cambodge estime qu’il n’a plus de conflit sur sa frontière terrestre avec la Thaïlande, suite à la décision de la Cour internationale de Justice (CIJ) de La Haye sur le Temple de Preah Vihear. Par son arrêt du 15 juin 1962, elle a confirmé de nouveau et sans appel, la souveraineté du Cambodge sur le Temple et ses environs. La Thaïlande a effectivement reconnu ce verdict et retiré ses troupes d’occupation au-delà de la ligne de frontière consignée dans une carte annexée à cet arrêt.
Quarante ans après, alors que le Cambodge engageait des démarches pour présenter l’inscription du Temple au Comité du Patrimoine mondial, les autorités de Bangkok ont d’abord proposé une inscription transfrontalière, puis une inscription commune du Temple khmer qui ne lui appartient en aucun cas. Les membres du Comité ont alors eu connaissance d’une carte très récente, d’abord tenue secrète, avec laquelle les autorités de Bangkok ont tracé une nouvelle frontière de façon unilatérale et arbitraire, grignotant le territoire cambodgien dans les environs du Temple de Preah Vihear. L’objectif en était très clair : remettre en cause la décision de la CIJ de 1962.
Toutefois, malgré ces objections, le Temple de Preah Vihear a été inscrit à l’unanimité sur la liste du Patrimoine de l’humanité en juillet 2008 à Québec. Par cette inscription, l’UNESCO ne fait que reconnaître la valeur universelle du patrimoine à protéger, rejetant par la même occasion la contestation thaïlandaise à l’égard de la souveraineté cambodgienne sur le Temple et ses environs, telle qu’elle a été définie par la CIJ en 1962. Le Comité du Patrimoine est d’ailleurs bien placé pour ignorer les revendications territoriales contraires à la chose jugée et qui ne relèvent pas de ses compétences.
Ayant échoué dans toutes ses tentatives d’obstruction et pour manifester son mécontentement contre cette inscription, la Thaïlande a fait occuper par ses troupes les zones du temple qu’elle revendique par la force. Il s’agit d’un affront au droit international et surtout aux décisions de la CIJ et de l’UNESCO. C’est sans rougir qu’elle a demandé que le nom « khmer » universellement connu de Preah Vihear soit remplacé par le nom thaïlandais de Pra Viharn et qu’elle a ensuite accusé le Comité du Patrimoine d’avoir pris une décision unilatérale qui aurait relancé le conflit!
Mais il est très clair que ce n’est pas l’inscription du temple, mais bien son agression contre le Cambodge qui relance le conflit armé entre les deux pays. Son objectif va plus loin que la décision de l’UNESCO : il s’agit de remettre en cause les traités et conventions franco-siamois de 1904, 1907, 1908 sur les frontières terrestres sur lesquelles la CIJ s’est fondée pour rendre son fameux arrêt du 15 juin 1962 sur Preah Vihear.
Respectueux du droit international et se considérant comme victime d’une agression, le Cambodge se réserve le droit de défendre son intégrité territoriale dans les limites des frontières reconnues au plan international. Il a fait preuve de beaucoup de patience et de retenue afin de préserver la paix et le bon voisinage avec un pays limitrophe en proie à une lutte interne pour le pouvoir.
Notre pays est conscient qu’il peut s’appuyer sur le droit et que la communauté internationale n’est pas dupe et ne laissera pas la Thaïlande agresser son voisin pour satisfaire une ambition territoriale anachronique. Fort de ce constat, le Cambodge a pris l’initiative de retirer la moitié de ses troupes de la frontière et de continuer à maintenir le dialogue malgré les menaces et les provocations quotidiennes. Il ne souhaite que le retour au statu quo prévalant avant l’attaque thaïlandaise du 15 juillet 2008, c’est-à-dire le retrait total des troupes d’occupation étrangères de son territoire dont le tracé des frontières est consacré par les traités franco-siamois et par la CIJ de 1962. Il s’est ainsi efforcé d’organiser plusieurs séances de négociations bilatérales très médiatisées mais qui se sont heurtées par la suite, du côté thaïlandais, à une forme de blocage consistant à solliciter l’avis du Parlement de Bangkok. Il s’agit en réalité d’une tactique pour prolonger la confrontation et en fuir l’issue, qui donne à penser que l’occupation militaire du territoire khmer risque de durer et qu’elle n’est pas le fruit du hasard au regard des conflits internes qui se jouent à Bangkok.
Quoiqu’il en soit, le peuple cambodgien reste très solidaire de son gouvernement et ne désespère pas de convaincre son voisin de la nécessité de retirer sans délai ses troupes d’occupation afin de rétablir des relations de confiance réciproque, de respect mutuel et de bon voisinage entre les deux pays. Ces relations ont été très éprouvées par les déclarations récentes et les initiatives incompréhensibles de la classe politique de Bangkok. Si la lutte politique interne qui s’y livre ne nous regarde absolument pas, elle n’est pas sans effet sur une partie de l’économie cambodgienne, en particulier sur le secteur touristique qui a subi le blocage de l’aéroport de Bangkok, fin 2008.
Alors qu’il connaît une renaissance et qu’il a tout fait pour éviter une guerre inutile qui lui a été imposée, le Cambodge pense qu’il appartient aux autorités de Bangkok de faire preuve de leurs bonnes intentions et de prendre leurs responsabilités au regard du droit international. Celles-ci doivent être concrétisées par le retrait des troupes d’occupation thaïlandaises du territoire cambodgien, ce qui sera la preuve du retour à la normale.

L.L.D. : Marquant un tournant dans les relations entre le Cambodge et les Etats-Unis, la nouvelle administration américaine a retiré votre pays de la « liste noire » de ses partenaires commerciaux. Comment évaluez-vous la portée de cette décision ? Au-delà des aspects économiques, quelles marges de progression ouvre-t-elle en faveur du resserrement des liens entre les deux pays ?

S.E.M.U.K. : La normalisation des relations entre les Etats-Unis et le Cambodge a commencé dès la signature des accords de paix de Paris de 1991 et le retour du Cambodge au sein de la communauté internationale suite aux premières élections démocratiques organisées en 1993, sous contrôle de l’ONU. Nos relations bilatérales, ayant connu une histoire tumultueuse avec les hauts et les bas que l’on connait, se sont nettement réchauffées ces dernières années, reflétant une nouvelle appréciation de la réalité sur le terrain.
Le peuple cambodgien, victime des décisions politiques prises par des capitales lointaines, pris en otage puis massacré au cours de guerres idéologiques qui le dépassaient, ne peut que se réjouir de ce rapprochement tardif. Longtemps laissé pour compte, il peut enfin tourner la page et vivre normalement comme tout autre peuple membre de la communauté internationale.
Que l’existence de cette « liste noire » soit justifiée ou non, qu’elle soit certainement ignorée du peuple cambodgien, sa levée n’en est pas moins perçue comme la fin d’une injustice qui lui a été imposée et la reconnaissance de la situation prévalant désormais au Cambodge.
Après une décennie d’évolution stable et positive le Cambodge mérite maintenant, sans grande prétention, d’être considéré comme un partenaire non négligeable dans la région. L’amélioration constante de nos relations bilatérales, bien avant la levée de cette liste noire, nous a permis d’ouvrir le marché américain aux produits d’exportation cambodgiens. Cette décision de l’administration Obama, qui est certainement la bienvenue, renforcera une relation déjà fructueuse sur le plan politique, économique et sécuritaire, en apportant un plus grand soutien au gouvernement du Cambodge dans ses efforts de modernisation du pays.
Ce processus passe, bien entendu, par un développement politique, économique, mais surtout social plus profond et plus rapide, dans le respect des droits de l’homme et à travers la lutte contre le terrorisme. Des critiques stériles, partisanes et non constructives, même sans « la liste noire », nuisent à cette lutte qui ne peut réussir que dans le cadre d’une concertation et d’une coopération internationale.
Nous assistons dès lors à la multiplication des échanges de haut niveau à l’image des récentes rencontres entre les ministres des Affaires étrangères et les ministres de la Défense des deux pays et qui confirment la renaissance d’une relation fondée sur cette nouvelle perception d’une coopération mutuellement avantageuse. C’est ainsi que le Cambodge, pays émergent, s’est vu confier la charge d’organiser, pour la première fois, un exercice militaire multinational en 2010 avec la participation de 1 500 soldats américains.
S’appuyant sur ces nouvelles bases et sans préjugés, nos relations bilatérales sont maintenant appelées à se développer rapidement et à se resserrer davantage pour le bien de nos deux pays, ainsi que pour le bien de la paix et de la stabilité régionale. Espérons que le Cambodge ne sera plus une victime, ni un nouveau champ de bataille des conflits d’origine idéologique dans la région, qui semblent désormais faire partie de l’histoire.

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