Le CICR : 150 ans d’engagement dans l’action humanitaire
Par M. Laurent Corbaz, Chef de la Délégation du CICR en France
Soixante ans après l’adoption des Conventions de Genève, le mandat du CICR demeure au cœur de l’action humanitaire et doit faire face à de nouveaux défis. Malgré les efforts déployés, après deux guerres mondiales, pour que l’ensemble de la planète connaisse la paix, les conflits armés demeurent l’une des caractéristiques du paysage humain. Pour résoudre leurs différends, nations, peuples et groupes ethniques continuent à recourir aux armes, entraînant les populations dans la mort et la souffrance.
Le constat de cette triste réalité est à l’origine de la fondation, il y a près de 150 ans, du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui vise à préserver une certaine humanité au cœur des conflits. Un principe guide son action : même la guerre a des limites – des limites qui portent à la fois sur la conduite des hostilités et sur le comportement des combattants.
Les origines du CICR
L’histoire du CICR commence en 1859 sur le champ de la bataille de Solférino, où s’affrontent les armées autrichiennes et françaises. Stupéfait face au sort des blessés abandonnés à leur souffrance, un citoyen suisse, Henry Dunant, lancera dans un essai intitulé « Un souvenir de Solférino », deux appels solennels demandant la création, en temps de paix, de sociétés de secours dont le personnel infirmier serait prêt à soigner les blessés en temps de guerre ; et l’adoption d’un accord international pour que ces volontaires, chargés d’assister les services de santé des armées, soient reconnus et protégés.
La vision d’Henry Dunant prend corps en 1863, avec la création par une société de bienfaisance suisse du Comité international de secours aux blessés, prédécesseur du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Le 26 octobre 1863, une conférence internationale réunit à Genève seize Etats, dont la France, aux côtés de quatre institutions philanthropiques et dote la nouvelle organisation de son signe distinctif – une croix rouge sur fond blanc.
Dès 1864, la Croix-Rouge obtient une reconnaissance officielle. A l’initiative du gouvernement suisse, les représentants de douze gouvernements adoptent le premier instrument du droit humanitaire. Intitulé « Convention de Genève pour l’amélioration du sort des militaires blessés dans les armées en campagne », ce traité formalise la protection des services de santé sur le champ de bataille. Par la suite, plusieurs conférences étendent ce droit à d’autres catégories de victimes, comme les prisonniers de guerre.
L’initiative d’Henry Dunant a également donné naissance au Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, composé du CICR et de la Fédération des Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Au nombre de 176, celles-ci forment le plus grand réseau mondial employant des volontaires.
Le CICR est aujourd’hui expressément chargé par les 194 Etats parties aux Conventions de Genève de veiller à la protection et à l’assistance des victimes de guerre. Adoptées en 1949, les quatre Conventions de Genève, complétées par les Protocoles additionnels de 1977 et de 2005, réunissent les textes fondamentaux du droit international humanitaire. Présent dans plus de 80 pays, le CICR constitue, avec 1 500 expatriés et 12 000 employés nationaux sur le terrain, l'une des plus importantes organisations humanitaires privées au monde. Financé essentiellement par des contributions volontaires des Etats, son budget opérationnel annuel s'élève à 700 millions d'euros.
Néanmoins, et bien qu’il maintienne un dialogue constant avec les Etats, le CICR insiste sur son indépendance. Il doit, en effet, être libre d’agir afin de pouvoir servir les intérêts véritables des victimes de conflits, sans discrimination d’aucune sorte. Organisme privé à caractère non gouvernemental, il se démarque à la fois des agences intergouvernementales et des organisations non-gouvernementales (ONG). Son mandat et son statut unique lui permettent de bénéficier d'immunités et de privilèges diplomatiques voisins de ceux des agences des Nations unies. Compte tenu de ces spécificités, le CICR est également un acteur majeur de la diplomatie.
Les missions du CICR
L’objectif prioritaire de l’action humanitaire est de sauver la vie des personnes directement touchées par un conflit, telles que les blessés, les civils en danger, les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays qui fuient les zones de combat et les détenus exposés aux risques de mauvais traitements ou de disparition. Toute action destinée à répondre aux besoins vitaux immédiats de personnes en danger doit viser ce même objectif.
Lorsqu’un conflit éclate, la première démarche officielle du CICR consiste à rappeler aux autorités leurs responsabilités et leurs obligations au regard du droit international humanitaire vis-à-vis de la population civile et des combattants faits prisonniers en donnant priorité au respect de l’intégrité physique et de la dignité des personnes protégées. En même temps, le CICR intervient de sa propre initiative afin de répondre aux besoins les plus pressants, en assurant entre autres :
– la protection des victimes des conflits (par exemple, interventions auprès des belligérants, évacuations sanitaires, etc.) ;
– l’asssistance aux populations (distributions de nourriture, accès à l’eau, dons d’ustensiles de première nécessité, etc.) ;
– le rétablissement et le maintien des contacts entre les membres des familles dispersées et la recherche des personnes portées disparues ;
– la visite aux personnes détenues.
Les délégations du CICR sur le terrain déploient toute une gamme d’activités qui dépendent de la situation et des besoins du pays concerné. Le CICR maintient ainsi une présence dans la mesure du possible dans les zones où les civils sont particulièrement en danger. Ses délégués entretiennent un dialogue régulier avec tous les porteurs d’armes, qu’ils appartiennent aux forces armées ou qu’ils soient membres de mouvements insurrectionnels, de forces de police ou paramilitaires, ou de tout autre groupe prenant part aux combats.
En 2008, des interventions de cette nature ont été effectuées. Dans la même période, plus de 2 millions de personnes déplacées ont été assistées dans près de 40 pays. La situation extrêmement précaire dans laquelle se trouvent nombre de « déplacés internes » explique qu’ils constituent un pourcentage élevé des bénéficiaires des activités de l’institution. En 2008, le CICR a également visité plus de 500 000 détenus dans 83 pays et dans près de 2 400 lieux de détention tandis qu’il tentait toujours de localiser près de 48 000 personnes portées disparues.
Le CICR mène par ailleurs une action de prévention visant en particulier les personnes et les groupes qui influent sur le sort des victimes d’un conflit armé ou qui peuvent soit entraver, soit faciliter son action. Il encourage ainsi l’intégration systématique du droit et des principes humanitaires dans la doctrine, l’éducation et la formation militaires, et il soutient les Etats dans ce processus. En 2008, le CICR a ainsi développé des modules de promotion du droit humanitaire international auprès des forces armées de plus de 80 pays. Afin d’atteindre les responsables politiques et les guides d’opinion de demain, il cible également les grandes universités en les encourageant à inclure le droit humanitaire dans leurs programmes de cours.
La sécurité humaine et les formes de vulnérabilité au XXIème siècle
Le XXIème siècle a vu l’émergence de conflits armés et d’autres situations de violence qui tendent à être moins idéologiques que par le passé. De nos jours, les conflits sont de plus en plus de nature économique et liés essentiellement à la concurrence qui s’exerce pour l’accès aux ressources énergétiques vitales. Il arrive également qu’ils prennent une dimension tribale, ethnique ou religieuse et qu’ils se caractérisent par la cœxistence d’acteurs politiques et non politiques, en particulier des groupes armés dont la raison d’être tend à passer du banditisme à des revendications en matière de propriété foncière et de redistribution des richesses nationales.
Si les guerres opposant des Etats ont été peu nombreuses en 2008, le nombre de conflits armés non internationaux très complexes et faisant intervenir une multitude d’acteurs est, en revanche, resté élevé. Une des caractéristiques les plus frappantes des situations de violence et des conflits actuels est la coexistence de facteurs multiples et leur impact simultané sur les populations menacées. A titre d’exemple, un Etat faible, des infrastructures délabrées et des hostilités ouvertes entre divers groupes criminels et acteurs mus par des intérêts politiques, conjugués à la dégradation de l’environnement, à la sécheresse, à des inondations ou à des pandémies rendent l’ensemble de la population extrêmement vulnérable, et la définition d’une réponse appropriée sur le plan humanitaire en devient particulièrement difficile.
Ces tendances provoquent également des crises de déplacement tragiques, à mesure que les populations fuient la violence des combats, les menaces que d’autres communautés font peser sur elles, les violences liées à des élections ou à des gangs et d’autres dangers.
Il convient également de noter que, même si les populations rurales restent au centre de l’action humanitaire dans de nombreux contextes – du Darfour (Soudan) à l'est du Tchad, des Philippines et au Sri Lanka –, ailleurs, notamment à Bagdad, à Mogadiscio ou à Port-au-Prince, l’attention se concentre de plus en plus sur les besoins des populations touchées par des formes urbaines de conflit et de violence.
Les principaux défis actuels
Dans ce contexte, le principal défi que le CICR doit relever en permanence est d’obtenir l’accès aux personnes touchées par un conflit armé ou d’autres situations de violence. Quoique essentielle, la proximité avec ces personnes n’est jamais garantie. Les questions de sécurité jouent un rôle fondamental à cet égard. Assurer la portée des opérations implique souvent de s’exposer au quotidien à une multitude de risques dans un contexte mondial où les organisations et les travailleurs humanitaires sont de plus en plus pris pour cible. En 2008, le CICR a dû faire face à de graves incidents de sécurité au Tchad, au Pakistan et au Soudan. Le nombre de travailleurs humanitaires tués dans des zones de conflit, en particulier en Afghanistan, en Somalie et au Soudan, a été un des phénomènes les plus préoccupants récemment. Ces attaques sont si nombreuses qu’elles font planer le spectre d’une crise profonde sur l’action humanitaire en général. En conséquence, le CICR a décidé de poursuivre la décentralisation de sa gestion de la sécurité par le biais de son vaste réseau de collaborateurs nationaux et internationaux.
Le secteur humanitaire en général continue d’évoluer à différents égards, tant dans le contexte de la réforme des Nations unies qu’en raison de la consolidation dans plusieurs pays des approches dites « globales », qui font que l’action et les moyens humanitaires sont considérés comme étant profondément ancrés dans des stratégies militaires. L’engagement dont fait preuve le CICR pour démontrer la valeur ajoutée spécifique de son action humanitaire neutre et indépendante et la pertinence du droit international humanitaire restent par conséquent un facteur déterminant dans les situations de conflit actuelles. En coopération avec les Sociétés nationales partenaires, le CICR s’emploie à rester centré sur l’objectif qu’il s’est fixé d’avoir un réel impact sur les populations vivant dans des zones de conflit à travers le monde.
Plus généralement, la réflexion et l’action du CICR doivent désormais avoir une portée véritablement universelle. Il est essentiel que l’institution comprenne les situations locales en s’assurant un ancrage plus solide et plus authentique dans les différentes régions du monde afin d’être mieux à même de s’adapter aux réalités et aux besoins propres aux contextes dans lesquels il intervient. Mais il lui est aussi nécessaire d’appréhender à quel point les acteurs régionaux et mondiaux perçoivent les situations de crise et interprètent la dynamique humanitaire. Aussi, le CICR a-t-il développé ces cinq dernières années une approche visant à prendre en compte l’interaction entre les composantes locales, régionales et mondiales.
Le CICR continue également de s’employer à garantir un champ d’action très large et une capacité d'intervention multidisciplinaire, allant de l’intervention rapide à la gestion des effets des crises chroniques et au rétablissement des moyens de subsistance. De plus, le CICR a dû développer des nouvelles capacités dans les domaines de la protection, de la santé, de la contamination par les armes et de la médecine légale. Le large éventail de services que peut offrir le CICR aujourd’hui, soit seul, soit conjointement avec les Sociétés nationales, lui permet en principe une plus grande flexibilité dans la définition d’une action adaptée au contexte et aux vulnérabilités, ce qui représente un défi permanent en termes de gestion pour les cadres sur le terrain.
Le CICR a en outre intégré sa stratégie de coordination dans ses relations avec les autres acteurs humanitaires, réaffirmant l’importance d’une interaction durable et fiable, notamment avec les partenaires du Mouvement, les institutions des Nations unies et des ONG de premier plan dans le secteur humanitaire.
Une des spécificités essentielles de l’interaction entre le CICR et les Sociétés nationales actives dans leurs pays respectifs est qu’elle devient de plus en plus stratégique. Ces dernières cherchent à jouer un rôle plus dynamique dans les actions menées pour répondre aux besoins de leur population et aspirent a être davantage reconnues par le CICR. Ainsi, en 2009, le CICR a poursuivi ses partenariats prioritaires en particulier dans des contextes tels que l’Afghanistan, la Colombie, le Liban, le Népal, le Pakistan, la RDC, la Somalie et le Soudan, où la coopération est devenue une composante intrinsèque de la capacité globale à répondre efficacement aux besoins.
Et demain ?
En 2009, les dix opérations les plus importantes du CICR dans le monde sont menées au Soudan, en Irak, en Afghanistan, en Israël et dans les territoires occupés, en République démocratique du Congo, en Somalie, en Colombie, au Tchad, au Sri Lanka et au Pakistan. Mais quels seront les Solférinos de demain ?
Le rythme vertigineux des changements mondiaux et leurs effets multiples sur la sécurité, l’intégrité, la dignité et les moyens de subsistance des populations mettent constamment sous pression le CICR et ses collaborateurs. La capacité de l'institution à avoir un réel impact dépend de plusieurs facteurs : sa capacité à analyser et à anticiper les tendances, sa capacité d’adaptation aux changements au cours de l’année, les risques qu’elle est prête à prendre pour atteindre les populations, les compétences dont elle dispose, la créativité et la détermination de ses collaborateurs sur le terrain, ainsi que la mesure dans laquelle son action est acceptée et comprise par un grand nombre d’acteurs.
Il est également essentiel de pouvoir compter sur le soutien des donateurs, à savoir les gouvernements, les Sociétés nationales, la société civile et le secteur privé.
Le CICR est convaincu qu’il a le devoir d'améliorer le sort des personnes touchées par des conflits armés. Il ne permettra pas que les problèmes et contraintes multiples auxquels il se heurte minent sa ferme détermination à remplir son devoir.