En quête de nouvelles synergies de coopération
Puissance incontournable sur la scène diplomatique africaine et locomative d’une Afrique de l’Ouest essentiellement francophone, le Nigéria s’est affirmé en l’espace d’une décennie comme l’un des principaux interlocuteurs de la France en Afrique. Revenant sur la nouvelle dynamique qui prévaut depuis l’élection du Président Yar’Adua en 2007, S.E.M. Gordon H. Bristol, Ambassadeur du Nigéria en France, nous livre sa vision de l’intensification des relations franco-nigérianes consacrée par le partenariat stratégique conclu le 12 juin 2008.
La Lettre Diplomatique : Monsieur l’Ambassadeur, remportées par le Président Umar Musa Yar’Adua, les élections générales du printemps 2007 ont marqué la première alternance entre deux gouvernements civils depuis le retrait de l’armée du pouvoir au Nigéria en 1999. Quel regard portez-vous sur l’ancrage progressif de la démocratie dans la société nigériane ?
S.E.M. Gordon H. Bristol : Vous avez raison de souligner que les dernières élections ont marqué la première alternance d’un gouvernement civil à un autre au Nigéria. En effet, cette évolution est très importante et il n’y a nul doute qu’elle a contribué à la consolidation de la démocratie dans notre pays. Je pense que quand la chronique de l’histoire de l’évolution de la démocratie au Nigéria sera dressée, cette transition sera considérée comme une étape charnière de notre histoire.
L.L.D. : Affichant l’ambition de classer le Nigéria parmi les vingt premières économies mondiales d’ici 2020, le Président Umar Musa Yar’Adua a décliné son programme d’action autour de sept axes majeurs. Comment décririez-vous la philosophie générale animant son mode de gouvernance ? Fort de la candidature de votre pays à un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, quel nouveau dynamisme l’ouverture de négociations en 2009 en vue de son élargissement peut-il insuffler à la diplomatie nigériane ?
S.E.M.G.H.B. : La philosophie de l’administration du Président Yar’Adua comporte plusieurs aspects qui sont liés les uns aux autres. Le chef de l’Etat nigérian a adopté la philosophie de « Leadership-Serviteur », selon laquelle il se perçoit comme le Serviteur en chef du peuple nigérian qui l’a élu, et non comme son maître comme ce fut le cas avec les leaderships antérieurs au Nigéria, mais aussi dans d’autres pays d’Afrique.
Il s’est également engagé avec son gouvernement à respecter les concepts d’autorité de la loi dans les rouages du gouvernement, ainsi que les mécanismes et la constance qui en découlent. Ces aspects contrastent avec l’impunité et l’arbitraire caractérisant les gouvernements passés. Il s’agit d’un engagement à construire et à améliorer les capacités des institutions publiques à accomplir leurs fonctions statutaires et, dans cette mesure, à rendre conforme et à soutenir le processus de gouvernance en éliminant l’arbitraire associé au processus de construction autour d’un seul individu ; autrement dit, il constitue une tentative pour mettre fin au culte du héros.
En ce qui concerne l’élargissement du Conseil de sécurité des Nations unies, toute analyse objective tend à démontrer clairement qu’aucun autre pays du continent africain ne mérite mieux que le Nigéria d’y obtenir un siège permanent. Ce non seulement en raison des paramètres concernant sa superficie et ses atouts en matière de ressources qui en font le plus grand pays africain, mais plus encore en raison des bons résultats obtenus et reconnus dans notre engagement en faveur de la promotion de la paix et de la sécurité internationales qui constituent le mandat même du Conseil de Sécurité des Nations unies. Aucune nation africaine n’a autant payé le prix en pertes de vie et en mutilations en participant aux opérations de maintien et de reconstruction de la paix sur la plan international, régional et sous-régional que le Nigéria – et très peu de pays seulement dans le reste du monde en ont fait autant. J’espère que la diplomatie nigériane sera à la hauteur de la situation quand le temps de décider arrivera. Pourtant, nous ne devons jamais nous reposer sur nos lauriers ou nous complaire face aux manœuvres de nos concurrents. Il y a aussi des dimensions internes à la campagne qui ne devront pas être oubliées.
L.L.D. : Inscrits en tête de ses priorités, la respect de l’Etat de droit reflète la volonté du gouvernement de mettre fin au climat d’insécurité perceptible dans certaines régions. Tenant compte de leurs dimensions sociales, ethniques ou religieuses, comment analysez-vous les tensions latentes persistant au sein de la société nigériane ? Quelles solutions pourraient, selon vous, y être apportées notamment dans le cadre d’une réforme du système d’éducation et d’insertion professionnelle ?
S.E.M.G.H.B. : Le Nigéria étant une démocratie, les approches visant à traiter le problème de l’insécurité dans le pays ne peuvent que reposer sur l’autorité de la loi, et tout particulièrement parce que le Président et toute l’administration se sont engagés à l’observer et à la faire respecter. Notre pays est un grand pays où des milliers d’idées et de multiples croyances se confrontent dans une saine compétition. Les processus de médiation dans cette compétition devraient être appréhendés au travers et en fonction de la Constitution et des lois en vigueur. Le système d’éducation demeure la seule véritable méthode pour sensibiliser la population aux valeurs de la tolérance et de l’autorité de la loi.
L.L.D. : Principale zone de production pétrolière au sud du Nigéria, le Delta du Niger demeure en proie à une forte instabilité avec la récente annonce du principal groupe armé de la région, le MEND, de lancer une « guerre du pétrole ». A la lumière de l’échec de la convocation d’un sommet du Delta du Niger, comment expliquez-vous la détérioration de la situation ? Au-delà de la lutte contre la criminalité, quelle approche est-elle préconisée face à la problématique d’une meilleure redistribution des ressources générées par le pétrole ?
S.E.M.G.H.B. : Je ne pense pas que la situation dans le Delta du Niger se détériore. En tout état de cause, la situation est en train de changer puisque la recrudescence d’actes criminels comme les kidnappings pour obtenir des rançons et les tueries gratuites qui n’ont rien à voir avec la lutte en faveur du développement dans la région, ont pratiquement cessé. Comme aucun sommet du Delta du Niger n’a été tenu, on ne peut pas dire qu’il ait échoué. En fait, la structure de la réunion qui avait été proposée, a été modifiée. Au lieu de convoquer un sommet, un Comité technique a été mis en place réunissant les différentes parties prenantes et qui travaille depuis avec ardeur sur les modalités d’une résolution de la crise dans la région. Parallèlement, le gouvernement fédéral a pris la grande initiative de créer un ministère de la région du Delta du Niger. Considéré comme un ministère à part entière, il est chargé de superviser l’ensemble du processus de développement de la région, dans tous ses aspects, en s’appuyant pour commencer sur la mise en œuvre complète du plan directeur existant. La clé de la solution du Delta du Niger réside dans le lancement d’un développement massif de la région à travers l’allocation et le déploiement efficace de ressources supplémentaires, ainsi que le renforcement des moyens d’épanouissement des habitants de la région, en particulier des jeunes et des femmes. En fait, la question du Delta du Niger porte essentiellement sur deux problématiques que sont le développement et l’épanouissement des populations.
L.L.D. : Qualifiée par le chef de l’Etat de véritable fléau pour le développement du pays, la lutte contre la corruption a enregistré des progrès notables sous l’action de la Commission des crimes économiques et financiers (EFCC). Comment le gouvernement envisage-t-il d’accentuer ses efforts dans ce domaine et, plus généralement, pour renforcer davantage l’indépendance et l’efficacité du système judiciaire ?
S.E.M.G.H.B. : L’indépendance de l’organisation judiciaire nigériane est garantie par la Constitution et respectée tant dans la lettre que dans l’esprit par l’actuelle administration. Jusqu’à présent, aucun cas n’a pu être relevé établissant que le gouvernement fédéral ait enfreint des ordonnances émanant de tribunaux légitimes. Le Président s’engage à respecter la Constitution et l’autorité de la loi, en accord avec le serment qu’il a prêté pour prendre ses fonctions. Lui-même ainsi que l’ensemble du gouvernement se sont également engagés à lutter contre la corruption dans le cadre de l’autorité de la loi. A cet égard, la Commission des crimes économiques et financiers (EFCC) et d’autres agences créées à cette fin font figure de fer de lance dans notre croisade contre la corruption. La corruption est un fléau, une maladie pernicieuse qui a porté des préjudices incalculables au moral et au tissu économique de la société. Une organisation judiciaire indépendante est essentielle pour combattre cette maladie.
L.L.D. : Premier producteur de pétrole d’Afrique, le Nigéria cherche à surmonter les entraves à son essor économique. Quelles orientations sont-elles privilégiées pour accroître ses capacités de production d’électricité ? Comment le gouvernement nigérian compte-t-il poursuivre les consultations sur l’importation de la technologie électro-nucléaire entamées notamment avec la France et l’Iran ? Au regard du manque d’infrastructures, en particulier de transports, quelles nouvelles dispositions sont-elles prévues pour favoriser les partenariats public-privé ?
S.E.M.G.H.B. : Le Président a identifié sept domaines, réunis au sein de son fameux Seven-Point Agenda («Programme en sept points»), sur lesquels son administration concentrera ses efforts pour faire avancer le développement du Nigéria. L’une des sept priorités consiste à faire face à la question du déficit énergétique (d’électricité) du pays. Tous les efforts sont mis en œuvre dans cette perspective, y compris des mesures pour encourager nos partenaires de développement à investir et à mettre à disposition leur assistance technique en vue d’augmenter l’approvisionnement en électricité. En octobre 2008, un accord sur la coopération (protocole d’intention) dans le domaine de l’électricité a d’ailleurs été signé entre la France et le Nigéria au cours de la visite qu’a effectuée dans notre pays Mme Anne-Marie Idrac, Secrétaire d’Etat française chargée du Commerce extérieur. Cet accord s’inscrit dans le cadre du programme de partenariat conclu avec le Président Sarkozy, à l’occasion de la visite en France du Président Yar’Adua en juin dernier. Des coopérations identiques dans le secteur de l’énergie ont été conclues avec d’autres pays comme le Royaume-Uni et l’Allemagne.
En ce qui concerne la technologie électronucléaire, le Nigéria coopère également dans ce secteur avec la France, comme cela a été convenu lors de la visite en France du Président Yar’Adua. A cet égard, l’entreprise française Areva, un leader mondial dans cette technologie, a engagé une coopération avec notre ambassade et le Ministère nigérian de l’Energie. Le gouvernement fédéral du Nigéria a mis en place une Commission sur les concessions et la régulation des infrastructures (Infrastructure Concession and Regulatory Commission – ICRC) avec à sa tête un ancien chef de l’Etat, Chief Ernest Shonekan. C’est cette commission qui s’occupera de toutes les modalités concernant les concessions pour le développement des infrastructures, y compris celles de l’énergie et des transports, notamment des accords de partenariat bien connus comme les BOT (Build Operate and Transfer ou « Construire, opérer et transférer »), les BOO (Build Operate and Own ou « Construire, opérer et posséder »), etc. Les perspectives d’avenir n’ont jamais été aussi favorables au lancement d’immenses investissements pour le renforcement des infrastructures. Je tiens d’ailleurs à profiter de cette occasion pour encourager les investisseurs français et européens à tirer pleinement partie de ce champs d’opportunités que leur ouvre le Nigéria.
L.L.D. : Représentant 80% des revenus budgétaires, le secteur pétrolier doit être réformé d’ici 2009 afin de surmonter les problèmes de gestion de la compagnie nationale NNPC. Quelles sont les objectifs de cette réforme qui prévoit par ailleurs la création de cinq compagnies spécialisées ? Comment percevez-vous les craintes des compagnies étrangères concernant la « réinterprétation » des contrats d’exploitation de ses ressources en hydrocarbures ? Quelles perspectives d’expansion économique la valorisation du potentiel gazier nigérian ouvre-t-il ?
S.E.M.G.H.B. : L’importance de la contribution des secteurs du gaz et du pétrole aux revenus des gouvernements du Nigéria ne doit pas être exagérée. En tout état de cause, le défi du gouvernement fédéral doit consister à trouver comment réduire progressivement cette sur-dépendance à un seul secteur. Il ne s’agit pas de réduire la croissance de ce secteur mais d’augmenter massivement l’essor et l’expansion des secteurs non-pétroliers de l’économie nigériane, comme l’agriculture, la manufacture, les services, le tourisme, etc., pour faire en sorte qu’ils contribuent à une plus grande part du produit intérieur brut (PIB). Nous devons bien évidemment nous servir de ce que nous avons pour obtenir ce que nous voulons, afin que les secteurs du pétrole et du gaz puissent continuer à être dirigés de telle façon qu’ils continueront à attirer des investissements encore plus vastes, qu’ils soient étrangers ou locaux.
L’ensemble des secteurs d’activité devraient être progressivement diversifiés pour qu’ils s’affirment comme des secteurs moteurs de l’économie. La nécessité de traiter les problèmes concernant les contextes locaux, les transferts de technologie, la diversification, etc., explique le besoin de réformer la NNPC, l’organisme principal chargé de la mise en pratique de la politique dans les secteurs du pétrole et du gaz. Comparé aux réussites de compagnies pétrolières qui lui sont similaires comme, par exemple, celle du Brésil (Petrobras) ou de l’Indonésie (Pertamina), celles de la NNPC laissent à désirer depuis sa création.
Enfin, je tiens à souligner qu’il n’existe aucune crainte de « ré-interprétation » des contrats dans le domaine du pétrole au Nigéria. Notre pays est un membre responsable du concert des nations et ne peut donc renier les accords qui ont été dûment négociés et signés sauf si la loi le permet. En outre, si vous considérez que les perspectives d’avenir du Nigéria s’avèrent plus prometteuses en tant que producteur de gaz qu’en tant que producteur de pétrole, vous pouvez percevoir la véritable importance du secteur gazier dans notre expansion économique. A présent, nous nous tenons prêts à signer le protocole d’accord pour le septième train du Liquefied Gas Plant (« Usine de gaz liquéfié ») qui sera d’ailleurs construit, tout comme les six trains existants, dans ma ville natale, Bonny, dans l’Etat de Rivers au Nigéria. A la fin septembre 2008, nous avons d’ailleurs eu le privilège de recevoir les membres de la Commission du gaz naturel liquéfié du Nigéria (« Board of the Nigéria Liquefied Natural Gas » – NLNG) lors de leur réunion à Paris.
L.L.D. : Largement dominée par l’industrie pétrolière, l’économie nigériane connaît pourtant un réel dynamisme dans d’autres secteurs comme la construction, la téléphonie ou l’agriculture. Quelles incitations sont-elles envisagées pour favoriser la contribution des entreprises étrangères à la diversification de l’économie nigériane ? Quelles opportunités le processus de privatisation offre-t-il en ce sens ?
S.E.M.G.H.B. : Les motivations ou les principaux attraits de l’investissement au Nigéria résident dans les prodigieux retours de capitaux dont on peut bénéficier ou dans la rentabilité et la sécurité des investissements. La prospérité de l’économie nigériane qui a continué à progresser à un taux de 6 à 7% depuis 1999, est réelle et englobe pratiquement tous les secteurs. J’ai déjà évoqué la création de l’ICRC qui a reçu le mandat de gérer les concessions dans le secteur des infrastructures. Le programme de privatisation et de mises en concession offrent sans aucun doute des opportunités pour les investisseurs au Nigéria.
L.L.D. : Pesant pour près de 20% du PIB de l’Afrique de l’Ouest, le Nigéria se pose en locomotive de l’intégration régionale. Comment définiriez-vous la contribution à ce processus du groupement de coopération sous-régional lancé en février 2007, sous le nom de Zone d’alliance de la Co-prospérité (COPAZ) ? Considérant la récente libéralisation des échanges de produits entre votre pays et la Côte d’Ivoire, comment Abuja entend-elle donner un nouvel élan à la création d’un marché commun au sein de la CEDEAO ?
S.E.M.G.H.B. : La CEDEAO constitue déjà un marché commun, et certainement le plus réussi, même s’il demeure largement méconnu en Afrique. Elle comprend déjà la circulation libre et sans encombre des personnes, des biens et des services, y compris le droit à se domicilier n’importe où au sein de la sous-région. Des projets ont été élaborés en vue d’adopter une monnaie commune, alors qu’il existe déjà un chèque de voyage CEDEAO – la WAUA -, ainsi qu’une Cour et un Parlement de la CEDEAO, pour ne mentionner que quelques accords et institutions de la Communauté. Aucune autre région d’Afrique n’a réussi à atteindre un tel niveau d’intégration. COPAZ représente par ailleurs une tentative des Etats partageant une même opinion, pour mettre en œuvre une voie d’intégration encore plus rapide au sein de la CEDEAO, quelque peu analogue à ce qui est appelé « l’Europe à vitesses multiples » dans le cadre de laquelle, par exemple, des Etats de même sensibilité ont souscrit aux accords de Schengen au sein de l’Union européenne.
L.L.D. : Avec la Gambie, votre pays est pour l’instant le seul à remplir les critères de convergence pour l’introduction en 2009 de la future monnaie commune de cinq pays de la CEDEAO n’appartenant pas à la zone franc. Cette intégration monétaire vous paraît-elle réalisable à l’échéance prévue ? Quelles sont vos attentes à l’égard de ce projet ?
S.E.M.G.H.B. : La réalisation des critères de convergence soulève certainement des défis, surtout à cause des turbulences que traverse actuellement l’économie globale. Même en des temps bien meilleurs, beaucoup de pays membres de la CEDEAO n’ont pas trouvé aisé de remplir ces critères. Or, la crise financière rend encore plus difficile cette tâche. Je crois toutefois qu’il est possible de réaliser les critères de convergence avec la volonté politique nécessaire et une économie intérieure performante. Ce processus peut juste prendre plus de temps pour se réaliser.
L.L.D. : Résultant de l’arbitrage de la Cour de justice internationale, la rétrocession de la péninsule de Bakassi au Cameroun le 14 août 2008 met fin à un contentieux territorial vieux de quinze ans. Comment interprétez-vous les protestations exprimées au sein de la classe politique nigériane à l’égard de cette décision pourtant qualifiée d’historique ? Comment évaluez-vous les risques d’instabilité que pourraient provoquer ce transfert de souveraineté ?
S.E.M.G.H.B. : Le transfert de souveraineté sur la péninsule de Bakassi au Cameroun n’est pas susceptible de provoquer des risques d’instabilité. Les Nigérians forment un peuple responsable et notre pays est digne de confiance à l’échelle mondiale. Mais il vrai que cette décision aurait de toute façon été sûrement très pénible à accepter pour tout patriote, même durant les pires temps de notre histoire, et sans mentionner les difficultés qu’elle soulève dans un cadre démocratique. Nous avons accepté de recourir, avec le Cameroun, à l’arbitrage de la Cour internationale de Justice (CIJ) sur le conflit qui nous oppose sur nos frontières communes terrestre et maritime (pas uniquement sur la péninsule de Bakassi). La Cour a statué sur ce cas le 22 octobre 2002. Nous étant soumis à la décision contraignante de la CIJ, sans invoquer la clause optionnelle de la Cour, nous étions obligés d’exécuter sa décision, ce que le gouvernement nigérian a fait, comme il se devait de mon point de vue, bien que cela sembla pénible. Mais n’oublions pas également que le Nigéria a reçu une certaine superficie qui était jusqu’alors considérée comme camerounaise, située surtout autour de la région du lac Tchad. N’oublions pas non plus qu’historiquement parlant, le Cameroun a peut-être perdu un plus grand pourcentage de son territoire au profit du Nigéria (des régions dans les Etats d’Adamawa et de Taraba, etc., suite au référendum de 1961) plutôt que l’inverse. Alors qu’une grande majorité des habitants de la péninsule de Bakassi sont certainement des Nigérians qui, historiquement, faisaient allégeance à l’Obong de Calabar, la question de savoir si le territoire a lui-même toujours été nigérian, devrait en revanche faire l’objet de davantage de recherches historiques objectives.
L.L.D. : Les soldats nigérians constituent le plus important effectif engagé au sein de la Mission des Nations unies et de l’Union africaine au Darfour (MINUAS). Quelle est votre vision des difficultés d’intervention dans ce conflit ? Comment qualifieriez-vous la portée de cette mission pour l’avenir de la construction africaine sur le plan de la gestion des conflits ? Quelle voix le Nigéria compte-t-il faire entendre en ce qui concerne la définition des prérogatives d’un gouvernement de l’UA et la mise en œuvre du NEPAD ?
S.E.M.G.H.B. : Notre leadership et notre participation à l’initiative de paix au Darfour, avant même l’implication des Nations unies, constitue encore un autre exemple de l’engagement du Nigéria en faveur de la promotion de la paix et de la sécurité dans le monde, en accord avec les principes fondamentaux des Nations unies et de l’Union africaine. Comme vous le savez, un officier nigérian, le Général Martin Agwai, assume les fonctions de Commandant de la force hybride ONU-AU ; une force d’intervention qui, depuis sa création, a été sous-équipée, sous-armée et même sous-financée. Lorsqu’elle a, par exemple, requis qu’on l’a soutienne pour se doter de dix-neuf hélicoptères en vue de renforcer sa capacité d’intervention rapide, aucune initiative n’a été prise à la stupéfaction des esprits avisés. A cause de cette situation, la force a été exposée à un danger significatif, accusant des pertes humaines (surtout dans les troupes nigérianes) qui auraient pu être évité. Dans sa forme, sa structure et sa composition, la force hybride ONU-AU représente pourtant un autre mode d’intervention en faveur du maintien de la paix et de la construction de la paix dans le monde – les Nations unies ayant établi une collaboration avec une organisation régionale dans ce but. Néanmoins, les difficultés significatives posées par sa gestion, son équipement et son financement donnent un mauvais exemple, et nous espérons que la situation changera pour de bon, dans l’intérêt des peuples du Darfour et de la crédibilité des Nations unies.
L.L.D. : Pourvu de vastes ressources en hydrocarbures, le Golfe de Guinée en particulier, s’affirme de plus en plus comme une zone géostratégique majeure. Quels atouts l’intensification de la coopération avec la Chine et l’Inde peut-elle apporter au Nigéria ? Comment appréhendez-vous rétrospectivement la polémique suscitée au lendemain de la visite du Président Umar Musa Yar’Adua à Washington en décembre 2007 sur l’idée d’une collaboration avec le Commandement militaire américain pour l’Afrique (Africom) ?
S.E.M.G.H.B. : L’importance du Golfe de Guinée comme source alternative d’approvisionnement en hydrocarbures pour le monde est clairement démontré au regard de l’intérêt croissant que lui portent les grandes puissances. Il ne fait aucun doute que la région soit une source d’hydrocarbures meilleure et plus sûre. Mais cet intérêt pour notre région ne devrait pas permettre qu’une rivalité ou une compétition malsaine dégénère entre les pays qui bordent le Golfe de Guinée et ceux qui sont intéressés par les ressources qu’il offre. L’exploitation de ces ressources, et pas seulement celles d’hydrocarbures, devraient être mise en œuvre pour le bénéfice mutuel de leurs propriétaires et des investisseurs. Les questions relatives à l’énergie et à la sécurité maritime dans le Golfe devrait également être abordées par toutes les parties concernées selon une approche amicale. A cet égard, il est nécessaire que les pays membres de la Commission du Golfe de Guinée fassent preuve d’une plus grande coopération.
En outre, je ne pense pas que la visite du Président du Nigéria à Washington ait provoqué quelque controverse que ce soit concernant la collaboration avec l’Africom. Nous avons fait savoir que le Nigéria n’accueillera pas le siège de l’Africom. Mais nous avons également montré que nous sommes prêts à coopérer avec d’autres pays en faveur de la résolution des conflits, du maintien et de la construction de la paix en Afrique et même dans le monde. Nous n’avons jamais prétendu dicter leur politique à d’autres Etats, tant qu’ils n’empiètent pas sur nos intérêts vitaux, nationaux ou régionaux.
L.L.D. : A l’issue de la visite officielle qu’il a effectué en France du 11 au 13 juin 2008, le Président Umar Musa Yar’Adua a scellé un partenariat stratégique avec le Président Nicolas Sarkozy. Quels seront les principaux sujets du dialogue politique et de coopération entre les deux pays ? Dans quelle mesure la présidence française de l’Union européenne peut-t-elle offrir à votre pays une occasion d’approfondir ses liens avec l’Europe ?
S.E.M.G.H.B. : Je vous ai déjà indiqué que la visite officielle du Président Yar’Adua en France a porté des fruits que nous sommes déjà en train de récolter, et que nous continuerons à récolter dans un avenir lointain et prévisible. En fait, nous avons établi un partenariat stratégique avec la France aux termes duquel des consultations régulières seront organisées au niveaux officiel, ministériel ainsi qu’au plus haut niveau, sur un large panel de questions – économiques, politiques, socio-culturelles, etc. Nos deux pays sont désireux de faire avancer rapidement les aspects économiques de leur coopération, tout en accordant notre attention à d’autres aspects, notamment politiques. Rien n’est exclu et, tant que les relations et la coopération franco-nigérianes sont concernées, tout sujet devrait être pris en considération.
L.L.D. : Quatrième investisseur étranger au Nigéria, la France demeure essentiellement concentrée dans le secteur pétrolier. Dans quels autres secteurs cette présence pourrait-elle être diversifiée ? Comment ressentez-vous les efforts de vos partenaires français pour dépasser les anciennes « lignes de fracture » entre Afrique francophone et anglophone ? A l’aune du nouvel élan insufflé aux relations franco-nigérianes, dans quels domaines comptez-vous renforcer votre action, spécifiquement auprès des collectivités territoriales françaises ?
S.E.M.G.H.B. : Le défi qui se présente pour la France et le Nigéria en ce qui concerne leur coopération économique consiste à élargir et approfondir l’engagement français au sein de l’économie nigériane, au-delà des secteurs du pétrole et du gaz pour englober d’autres domaines. Le programme en Sept points (« Seven Point Agenda ») du Président Yar’Adua fournit à cet égard un plan pour atteindre cet objectif. Du secteur des transports à l’agriculture, de l’énergie au tourisme, etc., les opportunités de tirer profit de l’économie nigériane ne manquent pas aujourd’hui pour les entreprises et les industries françaises.
Les prétendues « lignes de fractures » entre l’Afrique francophone et l’Afrique anglophone ou même entre celle-ci et l’Afrique lusophone ont définitivement disparu. L’Afrique est un continent qui a souffert des ravages du colonialisme. En fin de compte, aucune expérience positive n’a résulté des différentes formes d’oppression coloniale, puisque celles-ci ont toutes cherché à diriger et à gérer les enclaves coloniales au profit de leur métropole. Nos efforts individuels et collectifs visant à améliorer les conditions de vie de nos peuples devraient être ainsi animés par cette prise de conscience historique.
Dans le monde compétitif dans lequel nous vivons, les investissements et les entreprises se dirigent vers les pays où ils ont l’assurance de bénéficier d’une plus grande sécurité et de retours de capitaux sûrs, et non en fonction de liens linguistiques s’appuyant sur des liens affectifs. Les investisseurs français ne connaissent que trop cela, puisqu’ils prennent part à ces processus depuis longtemps. Leur comportement est donc largement motivé par des intérêts économiques. En ces temps modernes, toute diplomatie vide de contenu économique se révèlera d’ailleurs, dans une large mesure, peu efficace, surtout au regard de pays en voie de développement comme le Nigéria. La diplomatie et la politique étrangère devraient aspirer à compléter et même à faire avancer à grands pas l’économie intérieure et le programme social dans l’intérêt de nos citoyens. Notre attitude à l’égard de toute communauté devrait prendre en compte ces facteurs, sans pour autant sous-estimer nos préoccupations traditionnelles sur la condition des Africains ou des Noirs dans la Diaspora.
Seule la version anglaise de cet entretien est officielle.
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