La Hongrie face à ses nouveaux défis
Après dix ans d’efforts pour accomplir les réformes économiques et politiques et pour intégrer la communauté transatlantique, S.E.M. André Erdos , Ambassadeur de Hongrie en France, nous expose les nouveaux enjeux qui s’ouvrent pour son pays à l’approche de son adhésion à l’Union européenne.
La Lettre Diplomatique : La conclusion des négociations d’adhésion à l’Union européenne lors du Sommet de Copenhague les 12 et 13 décembre 2002 marque en quelque sorte la fin de la période de transition engagée au lendemain de l’effondrement du régime communiste en Hongrie. Quel bilan pouvez-vous dresser de l’œuvre accomplie pour la mise en place d’un système démocratique tourné vers l’Occident et l’économie de marché ? Quelles sont les attentes de la Hongrie à l’égard de l’Union européenne dont elle deviendra membre à part entière dès le 1er mai 2004 ?
S.E.M. André Erdos : Depuis la chute du mur de Berlin, dont la première brêche – selon l’ex-chancelier Kohl – fut provoquée par les Hongrois qui ont permis à plusieurs dizaines de milliers d’Allemands de l’Est, qui s’étaient réfugiés en Hongrie, de quitter le pays et rejoindre l’Allemagne de l’Ouest, nous avons traversé une période de transition historique. Il a fallu faire d’une part, d’une économie centralisée et planifiée, une économie de marché, même si celle de la Hongrie était peu orthodoxe du point de vue soviétique, et d’autre part, du système de parti unique, une démocratie parlementaire. La complète transformation du pays ne fut pas aisée surtout dans un laps de temps aussi court, de moins de dix ans. Beaucoup de nos interlocuteurs occidentaux méconnaissent la complexité d’une telle transition. Les sociétés d’Europe centrale n’ont pas eu autant de temps à leur disposition pour atteindre le niveau de développement qu’ont aujourd’hui celles d’Europe occidentale. Elles étaient pressées par le temps et par des circonstances nationales et internationales très difficiles, avec pour défi de changer les mentalités. Songez, par exemple, à l’écroulement brutal du marché soviétique qui absorbait une grande partie de la production hongroise, mais aussi à la guerre dans l’ex-Yougoslavie le long de nos frontières et au poids du régime de sanctions de l’ONU contre ce pays qui interdisait la navigation commerciale sur le Danube, fleuve nous permettant d’écouler nos marchandises vers l’étranger. Je dois m’incliner devant la maturité et la sagesse de nos populations qui ont payé un prix très lourd, pour qu’au bout de dix ans, la Hongrie rejoigne l’Alliance atlantique et l’Union européenne.
L’appartenance à l’Union européenne est un objectif partagé par tous les partis représentés aujourd’hui au Parlement hongrois. Nous sommes tout à fait réalistes : l’adhésion ne se fera pas sans une période d’ajustement et d’adaptation. Mais, le plus dur se trouve déjà derrière nous. Avec la conclusion des négociations d’adhésion, 80 000 pages de législation qui s’étendent à tous les domaines de l’activité humaine sont introduites en Hongrie. L’adhésion à l’Union européenne constitue une garantie pour la solidité de notre système démocratique, contre les dérapages nationalistes et pour la sécurité du pays, au sens militaire mais aussi en termes d’investissements. Elle nous offrira des perspectives de prospérité économique comme cela fut le cas pour les autres pays qui s’y sont joints, comme par exemple l’Irlande ou le Portugal. En plus, il convient de mentionner un facteur supplémentaire d’ordre psychologique qui n’était probablement pas aussi présent à Dublin ou à Lisbonne que chez nous, en ce sens que l’adhésion représente pour nous des retrouvailles historiques avec le reste de l’Europe dont nous avons été séparés pendant près d’un demi-siècle. Nous allons maintenant bâtir ensemble cette maison qui s’appelle l’Europe, avec un poids supplémentaire de 75 millions de nouveaux consommateurs dans les pays nouvellement admis et des marchés nouveaux, ainsi qu’un taux de croissance supérieur à celui qui est actuellement présent dans l’Union européenne. L’élargissement apportera aussi à l’Union une plus grande possibilité de lutter contre des problèmes qui transcendent les frontières, comme le trafic de drogue, le crime organisé ou la dégradation de l’environnement. Il accroîtra enfin son poids sur la scène internationale.
L.L.D. : Bien que de nets progrès aient été réalisés pour réduire l’inflation et pour attirer les investissements étrangers, la Hongrie enregistre un certain « dérapage » budgétaire et une légère baisse de sa croissance. Comment son gouvernement compte-t-il limiter l’accroissement de son déficit courant et se maintenir dans les limites fixées par les critères de convergence ?
S.E.M.A.E. : Depuis la seconde moitié des années 90, la Hongrie a adopté une politique délibérée de lutte contre l’inflation, dont le résultat à la fin de l’année 2002 est, selon les estimations, un taux de 5,4%. Nous avons l’intention de maintenir celui-ci, en 2003, à 5%. Corollairement, nous voudrions que le pays reste attractif pour les investissements étrangers. Ceux-ci relèvent en effet d’une grande importance pour l’économie hongroise. Encore aujourd’hui, environ un quart des investissements étrangers en Europe centrale se concentrent en Hongrie. Ils constituent un atout majeur tant du point de vue économique, et notamment de l’emploi, que de l’apport technologique. En 2003, selon les intentions du gouvernement, le déficit budgétaire devrait être réduit à 4,5%. Lorsque le Ministre des Finances hongrois a rencontré récemment son homologue français, il a mis en exergue le fait que cette réduction pourrait se faire à condition que le budget pour l’année en cours soit bien programmé, étant donné que les dépenses spécifiques – comme, par exemple les garanties d’Etat pour la construction d’autoroutes qui alourdissaient les comptes de l’année dernière – n’y pèseront pas cette année. En entrant dans l’Union européenne, nous n’allons pas nous joindre immédiatement à l’Union monétaire, qui n’est prévu que pour 2007. Il faut qu’entre temps, nous nous adaptions aux critères de Maastricht, à savoir le seuil de 3% de déficit. Par ailleurs, le taux de croissance de la Hongrie s’élève actuellement à un peu plus du double du taux de croissance moyen dans l’Union européenne. Il est vrai cependant que l’économie hongroise aurait besoin d’une croissance encore plus forte pour rattraper son retard. Aussi, le gouvernement a l’intention d’accélérer la hausse du taux de croissance, en l’élevant en 2003 à 4% et en 2004, entre 4 et 5%, essentiellement par la dynamisation de nos exportations.
L.L.D. : L’héritage de la période soviétique laisse à la Hongrie les conséquences écologiques des excès de l’industrialisation et de l’usage intensif de l’agriculture collectiviste. Le Premier ministre hongrois, M. Peter Medgyessy a récemment souligné, lors d’une réunion de l’Initiative de Budapest, la nécessité de donner un sens au développement durable. Quels efforts ont-ils été réalisés et quels sont les projets envisagés dans ce domaine ?
S.E.M.A.E.: Dans le domaine du développement durable, nous sommes en consultation permanente avec les organismes de l’Union européenne. Un plan de développement durable est en cours d’élaboration en Hongrie. Celui-ci fait d’ailleurs partie des exigences de l’Union européenne. Il est vrai que, dans les années 50, nous avons eu une industrialisation un peu exagérée, mais bien avant le changement de régime, le slogan selon lequel la Hongrie devait devenir le pays du fer et de l’acier fut abandonné. La source des problèmes que nous rencontrons dans le domaine de l’environnement n’est pas tellement liée à la production industrielle ni à la production agricole, mais plutôt aux infrastructures du pays. Actuellement, de gros investissements sont réalisés pour y remédier, notamment en ce qui concerne le changement des structures de canalisation et des systèmes de chauffage. Des projets sont à l’étude dans les domaines des transports en commun et du traitement des déchets. Tous ces problèmes sont donc pris au sérieux.
Il faut également prendre en considération la position géographique de la Hongrie. Le bassin carpatique est en effet prédisposé à recevoir l’écoulement de l’eau provenant des pays voisins. 90% des eaux que nous recevons provient ainsi de l’étranger, avec toute la pollution que nous connaissons. Ce problème particulier est donc difficile à gérer par nos propres moyens, à moins qu’elle ne se place dans le cadre d’une coopération régionale qui est fondamentale. Ces dernières années, nous avons déjà été confrontés à ce genre de problèmes et on ne peut exclure que de telles contraintes resurgissent, en raison justement de notre position géographique.
L.L.D. : Quelles sont les grandes lignes de la politique de défense régionale hongroise et sur quels principes se fonde la coopération régionale qu’elle se propose de promouvoir ? Quelle contribution la Hongrie peut-elle apporter à la définition d’une politique étrangère et de sécurité commune européenne ?
S.E.M.A.E. : Lorsque l’on évoque l’activité de défense de la Hongrie, nous ne nous plaçons pas dans un contexte régional mais dans le contexte de l’OTAN. L’Alliance atlantique garantit, selon l’article 5 du traité de Washington, la sécurité de tous les Etats membres. C’est dans ce cadre-là que nous réfléchissons et que nous agissons. La Hongrie est entrée en 1999 à l’OTAN et fait partie de cette alliance de dix-neuf pays. Nous faisons de notre mieux, en fonction de nos responsabilités et de nos obligations. La coopération régionale ne concerne donc pas tellement le domaine militaire, mais plutôt les domaines économiques, environnementaux et sociaux, avec, entre autres, la coopération entre les pays du Groupe de Visegrad.
En tant que futur membre de l’Union européenne, nous voulons en outre prendre part à la mise en œuvre d’une politique étrangère commune et à la construction d’une défense européenne. Nous voulons que l’Union européenne devienne un acteur important dans le monde sur les plans diplomatique, économique, mais aussi de sécurité. Nous mesurons la complexité de ce travail, mais nous voulons y participer. Et je crois qu’avec la volonté politique des gouvernements de l’Union, nous parviendrons certainement à des résultats. J’espère que les événements qui entourent la guerre en Irak vont nous inspirer à rechercher avec encore plus d’efficacité les meilleurs moyens de faire progresser la construction européenne et ressouder la cohésion du monde transatlantique.
Les structures de l’OTAN et celles de l’Union européenne doivent se compléter. Je ne pense pas qu’il y ait une incompatibilité entre les deux. Des consultations et des décisions ont d’ailleurs eu comme objectif d’harmoniser, selon certaines modalités, leurs activités, compte tenu du fait que la plupart des pays concernés sont membres des deux structures.
Je pense par ailleurs que la question de la préférence communautaire revêt un caractère politique, mais aussi d’ordre purement technologique. Il faut voir dans quelle mesure les grandes entreprises engagées dans le secteur militaire, mais aussi dans d’autres secteurs, peuvent présenter des produits compétitifs, à la hauteur de la technologie moderne. Si une entreprise non-européenne offre des produits plus compétitifs que celle d’un pays européen, il faut faire un choix, et il se peut que celui-ci, du point de vue politique, ne corresponde pas à nos objectifs. C’est pourquoi je mets l’accent sur la qualité de la production des entreprises européennes. A compétitivité égale, il est préférable évidemment que nous choisissions des produits européens, pour toutes sortes de raisons sociales, économiques et politiques, ce qui n’est pas toujours le cas pour le moment.
L.L.D. : Membre effectif de l’OTAN depuis mars 1999, la Hongrie a fait montre de sa solidarité avec la communauté atlantique en participant au règlement de la crise yougoslave. Pensez-vous que la région des Balkans dispose aujourd’hui d’un cadre stable de développement ? Quel rôle la Hongrie compte-t-elle jouer pour maintenir la stabilité dans les Balkans ? Comment appréciez-vous l’œuvre du Pacte de Stabilité pour l’Europe du Sud-Est ?
S.E.M.A.E. : Le traitement des graves problèmes des Balkans dans la dernière décennie du XXème siècle va rester gravé dans la mémoire collective européenne comme une tâche de honte. Ce fut une débâcle tant politique que militaire qui nous a conduit, de 1991 à 1995, dans une aventure incroyable d’incompétence et de faux jugements de la part de ceux qui auraient pu faire la différence dès le début de cette crise. Je dois malheureusement dire que les démocraties ont failli dans leur devoir d’arrêter ce bain de sang qui, malgré le stationnement de dizaine de milliers de casques bleus européens, n’ont pas su endiguer cette vague de nationalisme à outrance qui a mis à feu et à sang l’ex-Yougoslavie. Alors représentant de la Hongrie au Conseil de sécurité, j’ai assisté à cette étonnante passivité de la part de la communauté internationale, qui a conduit à quelque 200.000 morts et des millions d’exilés.
On ne peut certes pas encore parler de stabilité dans les Balkans. Nous verrons comment évolueront la Serbie et le Monténégro en proie à des difficultés internes. En Bosnie, je crains que la présence des forces internationales soit indispensable pour qu’on ne risque de retomber dans des situations que l’on a déjà connues. La Macédoine et l’Albanie ont leurs propres problèmes politiques et économiques à résoudre. L’évolution de cette région confirme ce que l’on en disait au début du XXème siècle : qu’elle était le « ventre mou » de l’Europe. De ce point de vue, la Hongrie pourrait y jouer un rôle d’avant-garde de l’Union européenne en raison de sa proximité géographique, de ses liens historiques avec cette partie de l’Europe et parce qu’elle y a déployé ces dernières années, des activités pour promouvoir la démocratie aux plans local et national.
Au sujet du Pacte de Stabilité pour l’Europe du Sud-Est, la prolifération de structures internationales a parfois causé des problèmes et des confusions chez les dirigeants et dans les populations de ces pays. Devenues leur véritable boussole, les perspectives d’adhésion à l’Union européenne poussent ces pays à introduire des réformes, en vue de remplir les critères nécessaires à l’adhésion. Un des objectifs prioritaires de l’Union devrait être la facilitation du passage de ces pays au niveau requis pour l’entrée dans l’UE. Je me refuse à penser que cet objectif ne pourrait pas être atteint. Mais si les transformations politiques et économiques peuvent être accomplies, le plus grand défi reste de changer les mentalités. Dans certains pays, des démagogues de tous bords peuvent à tout moment prêcher une rhétorique attrayante et faire retomber le pays à l’ère des dinosaures. Les Balkans occidentaux n’étant pas encore à l’abri de ces dangers, il faut donc qu’une présence internationale, militaire s’il le faut, mais surtout politique, économique et sociale aide ces pays à ériger et faire fonctionner une administration qui soit à la hauteur des tâches qui les attendent. Dans cette entreprise difficile, le Pacte de stabilité pour l’Europe du Sud-Est peut jouer un rôle de premier plan.
L.L.D. : Les relations de la Hongrie avec les pays limitrophes à son territoire sont fortement marquées par le problème des minorités. La révision de la loi adoptée au Parlement en juin 2001 en vue de son entrée dans l’Union européenne marque-t-elle un changement de l’approche de la question des communautés magyares vivant à l’étranger et dont le soutien est garanti par la Constitution ? Comment le gouvernement envisage-t-il de continuer à assurer ce soutien ?
S.E.M.A.E. : La Constitution prévoit que tout gouvernement hongrois porte une responsabilité morale vis-à-vis des Hongrois vivant au delà des frontières nationales. Dans les territoires de nos voisins, ceux-ci représentent à peu près 3 millions de personnes. La loi de 2001 est actuellement en cours de révision. Elle doit répondre aux attentes légitimes de ces millions de Hongrois, mais elle doit également être acceptable pour les gouvernements des pays en question et conforme à la réglementation de l’Union européenne. Ces trois critères me paraissent indispensables pour que certaines dispositions découlant de la loi, notamment des avantages accordés sur le plan de l’éducation et de la culture, puissent être appliquées dans les pays voisins. Ceci dit, je mesure évidemment les complexités de cette question, car nous connaissons l’histoire mouvementée de l’Europe centrale, ainsi que les traumatismes que la fin de la première guerre a légué aux Hongrois. C’est dans ce contexte que nous sommes en train de consulter les pays voisins. Chez les uns nous avons déjà abouti à des résultats, chez les autres nous continuons les consultations. Il est clair qu’on ne peut rien imposer à qui que ce soit, car cela se retournerait précisément contre les Hongrois qui vivent dans ces pays. Nous sommes également en consultation permanente avec les associations et les partis qui représentent dans ces pays les intérêts des populations magyares. Le but de cette entreprise est de faciliter à ces minorités la préservation de leur langue maternelle, de leur identité nationale et des institutions d’enseignement secondaire et supérieur.
L.L.D. : La visite officielle en Hongrie de M. Adrian Nastase, Premier ministre roumain, le 1er décembre 2002, jour de la fête nationale roumaine, fut l’occasion d’une rencontre hautement symbolique avec le chef du gouvernement hongrois. Que peut-on espérer du développement de la coopération bilatérale, notamment sur les questions transfrontalières ?
S.E.M.A.E. : Depuis très longtemps déjà, la Hongrie était partisane de l’entrée de la Roumanie aussi bien à l’OTAN qu’à l’Union européenne, parce que nous croyons que l’élargissement de ces deux organisations étend la zone de stabilité en Europe. Nous avons tout intérêt à voir le long de nos frontières du Sud-Est, un pays stable et démocratique et à voir également les Hongrois de ce pays participer à cette grande entreprise. Nos relations bilatérales se développent bien. Récemment, les deux Premiers ministres roumain et hongrois ont participé ensemble aux travaux du congrès du parti hongrois de Roumanie, ce qui témoigne de la qualité des relations entre les deux pays. Fort heureusement, des deux côtés existe une volonté politique d’aller de l’avant : les Roumains ont déjà compris qu’ils avaient en la Hongrie un allié pour les rapprocher de l’Europe.
En ce qui concerne les relations économiques, les investissements hongrois sont présents en Roumanie et notamment en Transylvanie. Dans le cadre des grands projets européens, les deux Premiers ministres se sont mis d’accord pour construire – avec l’aide de l’Union européenne – une autoroute qui relierait Bucarest au reste de l’Europe par la Transylvanie.
Il est vrai que des deux côtés, nous voyons toujours des gens qui n’ont rien appris de l’Histoire et qui s’obstinent dans un obscurantisme nationaliste. Mais, ce n’est pas la philosophie de Bucarest et de Budapest, et je souhaite que cela reste ainsi pour les années à venir.
L.L.D. : La Hongrie occupe aujourd’hui une place importante au sein du Groupe de Visegrad et une position favorable pour devenir la première place financière d’Europe centrale. Quels sont les résultats acquis dans le cadre du CEFTA pour le développement de la coopération régionale ? Quel rôle pensez-vous que la Hongrie puisse jouer à l’avenir dans l’essor de l’Europe centrale ?
S.E.M.A.E. : La Hongrie a, dès avant le changement du régime politique, commencé un développement économique assez particulier par rapport aux autres pays du Groupe de Visegrad, ce qui a certainement facilité à préparer le terrain pour sa transformation économique. En 1987, la Hongrie fut, par exemple, le premier pays du Comecon à introduire un système bancaire à deux niveaux. Certaines fonctions de la Banque nationale hongroise ont été reprises par des banques commerciales nouvellement créées. D’importants agents de la vie financière sont apparus sur le marché hongrois, comme BNP-Paribas, Crédit Lyonnais, City Bank ou Dresdner Bank. Nous avons connu une prolifération de banques, si bien qu’aujourd’hui, la plupart des capitaux des banques hongroises sont de propriété étrangère. Nous avons maintenant un système d’institutions monétaires assez stables et nous jouissons également du titre de pionnier dans la création du Groupe de Visegrad et de la CEFTA. Cette communauté économique a apporté des avantages et a prouvé sa viabilité pour les pays qui la composent. Je ne vois pas d’incompatibilité entre l’existence du Groupe de Visegrad et celle de l’Union européenne. Une telle structure pourrait facilement être maintenue et poursuivie, car elle est d’un intérêt régional.
Pour ce qui est du futur rôle de la Hongrie comme centre financier, je présume que d’autres ont le même objectif. Si vous regardez la carte, nous sommes effectivement au carrefour de la région des Balkans, de l’Ukraine et de la Russie. Nous pouvons donc être « une courroie de transmission » entre l’Union européenne et les grands marchés qui se situent plus à l’Est : l’Ukraine, mais aussi la Russie qui, sur le plan économique représente un intérêt particulier pour l’Union européenne. Nous, qui avons fait du commerce avec l’URSS, qui avons connu l’URSS, nous pouvons certainement être un outil de poids pour que l’Union européenne puisse faire des avancées vers ces grands marchés qui, en fait, s’étendent jusqu’au Japon.
L.L.D. : Favorable à un élargissement plus à l’Est de la zone de sécurité couverte par l’OTAN, les intérêts géopolitiques de la Hongrie ont-ils changé ? Plus globalement, de quelle nature les relations russo-hongroises relèvent-elles aujourd’hui ?
S.E.M.A.E. : Tout d’abord, on ne peut pas construire de sécurité véritable en Europe sans la Russie. Les Russes doivent absolument participer à la construction d’une zone de stabilité et de démocratie sur toute l’étendue du continent européen, sans pour autant qu’ils fassent partie intégrante de l’Union européenne. Il importe donc de construire un partenariat privilégié avec la Russie. Cela servirait les intérêts économiques et de sécurité de toute l’Europe. Compte tenu de la position géographique de la Russie et de la Hongrie, je crois que nous pouvons contribuer à la réalisation de ce projet. Cela concerne aussi bien les questions économiques que de sécurité, les questions politiques et celles qui ont trait à la culture.
Il est vrai que pendant la période mouvementée que nous avons laissée derrière nous, il y eut des hauts et des bas, et même des refroidissements dans les relations bilatérales russo-hongroises. Mais, maintenant que l’Union européenne s’est élargie et que la Hongrie est membre de l’OTAN, je suis convaincu que la Russie est consciente que ce sont les frontières de la stabilité politique, économique et sécuritaire qui s’approchent d’elle et non pas celles d’un bloc hostile. Je crois donc que nous avons maintenant toutes les conditions réunies et toutes les possibilités pour construire, sans complexe, des relations dynamiques et avantageuses tant avec la Russie qu’avec l’Ukraine.
L.L.D. : Les liens franco-hongrois n’ont cessé de se raffermir ces dix dernières années entraînant une intensification des relations diplomatiques et des échanges culturels. A quoi, d’après vous, peut-on attribuer cet engouement réciproque entre les deux pays ? Bien que la communauté francophone ne compte qu’un faible nombre de représentants, comment envisagez-vous d’accroître votre participation à l’espace francophone ?
S.E.M.A.E. : Durant les bouleversements du XXème siècle, les classes politiques en France et en Hongrie ont eu des orientations différentes. De ce point de vue, je ne peux que saluer le chemin que nous avons parcouru ces dernières treize années, comme hautement significatif de ce qui peut être fait dans une Europe nouvelle. Nous avons dépassé les moments sombres de notre histoire commune et nous voyons parfois avec émerveillement l’intérêt que porte la France à l’égard de la Hongrie. Les relations franco-hongroises ont connu un processus identique, toutes proportions gardées, à celui qui s’est opéré entre la France et l’Allemagne. Pour nous, c’est un modèle dans la mesure où, ayant eu des relations houleuses, Paris et Berlin ont établi des relations qui représentent un espoir pour tous ceux qui veulent croire en une Europe nouvelle. La France a finalement cessé de nous considérer comme une « chasse gardée » et comme un « allié irrécupérable » des Allemands. Elle perçoit maintenant la Hongrie comme un partenaire stratégique de choix en Europe centrale.
Dans le domaine économique, la France est notre troisième investisseur et notre quatrième partenaire commercial. Il y a eu en 2002 un accroissement de 25% des touristes français en Hongrie. L’Institut français à Budapest est le plus imposant de toute l’Europe centrale, ce qui est un témoignage du changement des temps et des mentalités de part et d’autre. Je me félicite de cette dynamique dans les relations bilatérales. Si l’on est au courant des relations officielles entre les deux Etats, il est vraiment difficile de suivre toutes les activités entre Français et Hongrois au niveau de la société civile. Cet intérêt particulier vis-à-vis de l’Europe centrale et de la Hongrie se situe évidemment dans le cadre de l’élargissement de l’Union européenne.
En ce qui concerne la francophonie, nous sommes en train de déposer une demande formelle d’adhésion à l’Organisation internationale de la Francophonie, en tant que pays observateur. Cela démontre notre intérêt vis-vis de la francophonie qui, pour nous, ne se résume pas seulement en l’enseignement d’une très belle langue et d’une très riche culture, mais elle représente aussi une instance pour surveiller la situation des droits de l’homme dans tous les pays membres, et elle incarne l’attachement à la diversité culturelle et linguistique dans le monde. L’adhésion de la Hongrie à cette organisation est prévue pour le prochain sommet de la Francophonie qui se tiendra à Ouagadougou en 2004.
L.L.D. : Troisième investisseur étranger, la France a vu sa présence en Hongrie s’accroître particulièrement ces dernières années, même si celle-ci reste encore limitée à de grands groupes, laissant encore peu de place aux petites et moyennes entreprises et se concentrant uniquement sur quelques secteurs. Quelles perspectives la Hongrie peut-elle offrir pour mieux faire connaître les entreprises françaises et pour dynamiser les échanges commerciaux entre les deux pays ?
S.E.M.A.E. : Les géants français sont présents en Hongrie, mais il est vrai que les petites et moyennes entreprises (PME) y sont faiblement représentées, ce qui est reconnu de part et d’autre. Avec la visite en Hongrie du Ministre français du Commerce extérieur, accompagné d’un bon nombre de chefs de PME, un pas significatif pour les attirer en Hongrie a été franchi. Avec le développement de la Hongrie et les perspectives d’adhésion à l’Union européenne, les avantages qui existaient notamment sur le plan du coût de la main-d’œuvre risquent de diminuer sensiblement. Récemment, PSA Citroën a, par exemple, décidé, parmi quatre pays convoités, de s’implanter en Slovaquie. Ce choix a été fait selon des calculs très objectifs, la main d’œuvre slovaque offrant de meilleurs avantages. Evidemment, nous regrettons beaucoup la décision prise par PSA, mais nous savons qu’il y a toujours des gagnants et des perdants. Au milieu des années 90, l’implantation en Hongrie de plus de la moitié des investissements étrangers en Europe centrale et orientale, fut un grand moment du mouvement des capitaux dans cette région. Aujourd’hui, ces capitaux sont moins importants, mais nous restons quand même parmi les premiers dans ce domaine. Je crois que l’adhésion à l’Union européenne nous apportera de nouvelles expériences. Nous sommes persuadés d’ailleurs que la Hongrie peut offrir d’autres avantages que la main d’œuvre à bas coût, notamment de la matière grise et d’autres conditions favorables pour accueillir, par exemple, des centres de recherches. Nous pensons donc avoir encore notre mot à dire pour attirer d’importants investissements étrangers et nous espérons pouvoir maintenir l’intérêt des entreprises françaises à l’égard de la Hongrie. Quant aux avantages octroyés aux implantations étrangères, qui n’étaient pas conformes aux réglementations européennes, nous avons réussi à négocier à cet effet une période transitoire pour les facilités déjà accordées au cours des années précédentes. Parallèlement, nous avons élaboré un nouveau système pour promouvoir les investissements directs étrangers, qui porte le nom de « Smart Hungary », et qui répond entièrement aux critères de l’Union européenne. J’espère que les relations franco-hongroises continueront à se développer malgré les nouveaux défis et la diversification du paysage économique.
|