Codéveloppement et immigration choisie : repenser les relations Nord-Sud
Par M. Brice Hortefeux, Ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement
L’essor des phénomènes migratoires
constitue l’un des traits dominants de cette première décennie du
XXIème siècle. Songeons que si le monde comptait 100 millions de
migrants en 1980, il en comprend aujourd’hui le double. Cette
augmentation fulgurante des flux migratoires est la conséquence d’une
mondialisation indissociable de la révolution des transports, de
l’industrialisation des pays du Sud et de la globalisation des élites.
Pour reprendre l’expression du Secrétaire général de l’ONU, M. Ban
Ki-Moon, nous entrons dans le « deuxième âge de la mondialisation » :
après celui de la libération des flux de capitaux et de biens, vient
maintenant celui de la mobilité des personnes.
Cette mobilité naît de la rencontre de l’ancien et du nouveau mondes.
En effet, l’industrialisation déstabilise profondément des populations
jusque là attachées à une vie rurale. Ces transformations économiques,
et tout particulièrement les réformes agraires qui les accompagnent,
déclenchent un exode des campagnes vers les pôles urbains, tandis que
la révolution des transports facilite, voire encourage, l’émigration
vers les pays développés.
Dans cet esprit, l’Europe fait figure, pour les 300 millions
d’Africains vivant avec moins d'un dollar par jour, de nouvel Eldorado.
Quand on sait que la moitié de la population du continent a moins de 17
ans et que le taux de natalité en Afrique est, en moyenne, de 5,2
enfants, contre 1,5 en Europe, on mesure combien le potentiel
d’immigration clandestine est considérable. Ce phénomène est lourd
d’inconvénients. Pour les pays de départ d’abord, qui se vident de
leurs forces vives. Je pense notamment aux professions médicales et
paramédicales qui font aujourd'hui si cruellement défaut à beaucoup de
pays comme, par exemple, le Bénin. L’immigration clandestine nuit
également aux pays d’accueil qui subissent un afflux de migrants qu’ils
n’ont pas les moyens de recevoir. En France, la capacité d’accueil est
ainsi limitée par la pénurie de logements. Mais les premiers à souffrir
de l’immigration clandestine sont sans conteste les migrants eux-mêmes.
Très rapidement, le rêve de l’exil tourne au cauchemar à cause des
passeurs qui les escroquent, des marchands de sommeil qui les
rançonnent et des employeurs qui les exploitent. Et comme si cela ne
suffisait pas, la tragédie met souvent fin au périlleux voyage. En
effet, chaque année, des milliers de migrants périssent au large de la
Méditerranée et des côtes africaines de l’Atlantique. J’ai pu le
constater en personne le 3 juin dernier, un mois seulement après ma
prise de fonctions, lorsque je me suis incliné, dans le port de Toulon,
devant la dépouille de 18 malheureux noyés au large de Malte.
Pleinement consciente de ces enjeux, la France entend convaincre la
jeunesse d’Afrique qu’il existe un avenir en dehors de l’émigration.
Question d'envergure planétaire, l'immigration est également un sujet
crucial pour notre nation. A la différence de l’Espagne, l’Italie ou le
Portugal qui étaient il y a peu des terres d’émigration, la France a
longtemps été une terre d’immigration massive. Dans les années 1960 et
1970, elle accueillait jusqu’à 400 000 étrangers par an.
Malgré quelques brillantes réussites individuelles, notre système
d’intégration a globalement échoué. J’en veux pour preuve l’extrême
concentration de la population d’origine étrangère dans trois régions
françaises sur vingt-deux : l’Île-de-France, Rhône-Alpes ou
Provence-Alpes-Côte d’Azur, parfois même dans de véritables ghettos
urbains. Deuxième signe qui ne trompe pas : le taux de chômage moyen
des étrangers, supérieur à 20%, soit deux fois et demi la moyenne
nationale. Dans certaines banlieues, ce taux atteint 40% et même 42%
pour les 16-24 ans. Plus révélateur encore : pour les personnes
d'origine étrangère qui ont réussi à obtenir un diplôme de
l'enseignement supérieur, le taux de chômage est de 24% alors qu'il
n'est que de 6% pour l'ensemble des jeunes diplômés. Pour mettre fin à
cette spirale de l’échec, nous avons décidé de faire de la maîtrise de
l’immigration la première étape d’une intégration réussie.
Conformément aux engagements du Président de la République et du
Premier ministre, mon objectif est de mettre en œuvre la nouvelle
politique d’immigration de la France, soucieux tout à la fois de nos
intérêts et de ceux des pays de départ. Cette politique d’immigration
choisie et concertée s’oppose à l’immigration zéro, qui n’est ni
possible ni souhaitable, mais aussi et surtout à l’immigration subie
qui pénalise les immigrés légaux en les exposant à des amalgames
intolérables et les immigrés clandestins en les abandonnant aux
filières criminelles.
Notre nouvelle politique d’immigration repose sur trois principes
fondateurs. Tout d’abord, la France a le droit de choisir – comme tout
pays, ni plus ni moins – qui elle veut et qui elle peut accueillir sur
son territoire. Concrètement, cela signifie que nous souhaitons à terme
équilibrer les parts économique et familiale
de l’immigration quand le rapport est aujourd’hui de 1 pour 5. Deuxième
principe : l’étranger en situation légale a pour l’essentiel les mêmes
droits économiques et sociaux que les Français. Enfin, parce que la
France est un Etat de droit, tout étranger en situation irrégulière a
vocation à être reconduit – sauf situations particulières – dans son
pays d'origine, de manière contrainte s’il le faut, mais autant que
possible de manière volontaire.
Pour appliquer ces principes, il nous a fallu innover et créer, pour la
première fois dans l’histoire de la Vème République, un ministère
régalien spécifiquement chargé de conduire l’intégralité de la
politique d’immigration : depuis l’accueil au consulat jusqu’à
l’intégration dans notre pays et, éventuellement, à la naturalisation,
ou le retour dans le pays d’origine. J’observe que tous les pays
d'Europe se dotent progressivement de ministères analogues, tandis que
les pays africains en créent pour l’émigration. Je pense aux ministères
des Maliens de l'extérieur, des Béninois de l'extérieur, ou encore des
Congolais de l’extérieur. Pour créer le ministère de l'immigration, de
l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement, il nous a
fallu faire travailler ensemble – quitte à bousculer quelques habitudes
– les diverses administrations jusque là responsables des volets de la
politique d’entrée et de séjour des étrangers en France.
Nos trois priorités sont le développement d’une immigration
professionnelle qualifiée, la promotion du codéveloppement et
l’adoption d’un Pacte européen de l’immigration. Pour attirer les
étrangers diplômés ou hautement qualifiés dont le projet est
susceptible de contribuer aussi bien à notre développement économique
qu’à celui de leur pays d’origine, nous avons mis en œuvre la carte «
compétences et talents » avec un objectif de 2 000 attributions en
2008. Les premières ont été délivrées à un Coréen directeur d’une
société de vente par internet, un Tunisien cadre dans une entreprise
informatique, un Australien post-doctorant en physique et un Ivoirien,
chercheur-biologiste qui travaille sur le gène du paludisme. Pour
contribuer au rayonnement économique de la France, nous avons créé la «
carte salarié en mission » qui facilite les démarches administratives
des groupes internationaux.
Les accords que nous signons comportent aussi un important volet «
codéveloppement ». Cela signifie que nous finançons des projets de
migrants dans des secteurs stratégiques pour la maîtrise des flux
migratoires. Je pense à la modernisation des états civils, mais aussi à
la santé. Dans ce domaine, l’accord que nous avons signé avec le Bénin
prévoit un investissement à hauteur de 2,5 millions d’euros de projets.
En 2008, nous allons négocier des accords de cette nature avec le Mali,
la Tunisie et le Maroc et ouvrir des négociations avec le Brésil, le
Cameroun, l’Égypte, Haïti et la Mauritanie.
Parallèlement, nous avons développé des actions en faveur de l’épargne
des migrants. Aujourd’hui, 80% des transferts de fonds des immigrés
vers leur pays d’origine – 8 milliards d’euros au total – sont
consacrés à la consommation courante alors qu’ils pourraient constituer
un levier essentiel du développement s’ils finançaient des
investissements productifs. Pour favoriser une telle utilisation, nous
avons mis en place deux produits financiers : le « compte épargne
codéveloppement » et le « livret épargne codéveloppement ». En 2008,
nous créerons un fonds fiduciaire auprès d’une institution
multilatérale comme la Banque mondiale ou la Banque africaine de
développement pour favoriser l’accès au système bancaire et amplifier
les transferts de fonds vers les pays d’origine. Enfin, nous donnerons
un nouvel élan à la réinstallation économique dans les pays d’origine
en finançant 700 projets individuels à plus de 7 000 euros.
A partir du 1er juillet 2008, et pour un semestre entier, la France
aura la chance et l’honneur de présider l’Union européenne. Ce sera
l’occasion de rappeler qu’en vertu du principe de libre circulation,
les décisions migratoires prises par un Etat membre ont mécaniquement
des répercussions chez ses voisins. Pour harmoniser les pratiques, la
France propose l’adoption d’un Pacte européen de l’immigration. J’ai
multiplié ces derniers mois les rencontres au plus haut niveau pour
sensibiliser mes homologues à cette idée. L’idée d’un Pacte européen de
l’immigration repose sur une quintuple ambition. Premièrement,
construire une véritable police européenne aux frontières.
Deuxièmement, instaurer une discipline collective entre Etats membres
qui comprendraient le renoncement aux régularisations massives de
clandestins, la promotion d’une immigration choisie et concertée à
caractère professionnel et l’intégration par l’insertion
professionnelle. Troisièmement, organiser davantage de rapatriements
communs, volontaires ou forcés, d’étrangers en situation irrégulière,
tout en concluant des accords de réadmission des clandestins avec les
pays d’origine et en intensifiant la lutte contre les employeurs, les
logeurs de clandestins et les passeurs. Quatrièmement, bâtir une Europe
de l’asile en créant une agence européenne de l’asile et en instaurant
un statut de réfugié uniforme. Enfin, promouvoir le codéveloppement à
l’échelle européenne.
La nouvelle politique d’immigration de la France façonne le visage
qu’aura notre pays dans vingt ou trente ans. Elle refonde nos relations
avec les pays du Sud. Elle participe à la construction d’une Europe
proche des préoccupations concrètes de nos concitoyens. En bonne
intelligence avec le Ministère des Affaires étrangères et européennes,
et à la place qui est la mienne, j’entends m’appuyer sur notre réseau
diplomatique pour qu’ensemble, nous faisions en sorte que les
migrations soient enfin vécues comme une chance aussi bien pour les
pays de départ que pour les pays d’accueil.