Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

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  M. Brice Hortefeux

Codéveloppement et immigration choisie : repenser les relations Nord-Sud

Par M. Brice Hortefeux, Ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement


L’essor des phénomènes migratoires constitue l’un des traits dominants de cette première décennie du XXIème siècle. Songeons que si le monde comptait 100 millions de migrants en 1980, il en comprend aujourd’hui le double. Cette augmentation fulgurante des flux migratoires est la conséquence d’une mondialisation indissociable de la révolution des transports, de l’industrialisation des pays du Sud et de la globalisation des élites. Pour reprendre l’expression du Secrétaire général de l’ONU, M. Ban Ki-Moon, nous entrons dans le « deuxième âge de la mondialisation » : après celui de la libération des flux de capitaux et de biens, vient maintenant celui de la mobilité des personnes.
Cette mobilité naît de la rencontre de l’ancien et du nouveau mondes. En effet, l’industrialisation déstabilise profondément des populations jusque là attachées à une vie rurale. Ces transformations économiques, et tout particulièrement les réformes agraires qui les accompagnent, déclenchent un exode des campagnes vers les pôles urbains, tandis que la révolution des transports facilite, voire encourage, l’émigration vers les pays développés.
Dans cet esprit, l’Europe fait figure, pour les 300 millions d’Africains vivant avec moins d'un dollar par jour, de nouvel Eldorado. Quand on sait que la moitié de la population du continent a moins de 17 ans et que le taux de natalité en Afrique est, en moyenne, de 5,2 enfants, contre 1,5 en Europe, on mesure combien le potentiel d’immigration clandestine est considérable. Ce phénomène est lourd d’inconvénients. Pour les pays de départ d’abord, qui se vident de leurs forces vives. Je pense notamment aux professions médicales et paramédicales qui font aujourd'hui si cruellement défaut à beaucoup de pays comme, par exemple, le Bénin. L’immigration clandestine nuit également aux pays d’accueil qui subissent un afflux de migrants qu’ils n’ont pas les moyens de recevoir. En France, la capacité d’accueil est ainsi limitée par la pénurie de logements. Mais les premiers à souffrir de l’immigration clandestine sont sans conteste les migrants eux-mêmes. Très rapidement, le rêve de l’exil tourne au cauchemar à cause des passeurs qui les escroquent, des marchands de sommeil qui les rançonnent et des employeurs qui les exploitent. Et comme si cela ne suffisait pas, la tragédie met souvent fin au périlleux voyage. En effet, chaque année, des milliers de migrants périssent au large de la Méditerranée et des côtes africaines de l’Atlantique. J’ai pu le constater en personne le 3 juin dernier, un mois seulement après ma prise de fonctions, lorsque je me suis incliné, dans le port de Toulon, devant la dépouille de 18 malheureux noyés au large de Malte. Pleinement consciente de ces enjeux, la France entend convaincre la jeunesse d’Afrique qu’il existe un avenir en dehors de l’émigration.
Question d'envergure planétaire, l'immigration est également un sujet crucial pour notre nation. A la différence de l’Espagne, l’Italie ou le Portugal qui étaient il y a peu des terres d’émigration, la France a longtemps été une terre d’immigration massive. Dans les années 1960 et 1970, elle accueillait jusqu’à 400 000 étrangers par an.
Malgré quelques brillantes réussites individuelles, notre système d’intégration a globalement échoué. J’en veux pour preuve l’extrême concentration de la population d’origine étrangère dans trois régions françaises sur vingt-deux : l’Île-de-France, Rhône-Alpes ou Provence-Alpes-Côte d’Azur, parfois même dans de véritables ghettos urbains. Deuxième signe qui ne trompe pas : le taux de chômage moyen des étrangers, supérieur à 20%, soit deux fois et demi la moyenne nationale. Dans certaines banlieues, ce taux atteint 40% et même 42% pour les 16-24 ans. Plus révélateur encore : pour les personnes d'origine étrangère qui ont réussi à obtenir un diplôme de l'enseignement supérieur, le taux de chômage est de 24% alors qu'il n'est que de 6% pour l'ensemble des jeunes diplômés. Pour mettre fin à cette spirale de l’échec, nous avons décidé de faire de la maîtrise de l’immigration la première étape d’une intégration réussie.
Conformément aux engagements du Président de la République et du Premier ministre, mon objectif est de mettre en œuvre la nouvelle politique d’immigration de la France, soucieux tout à la fois de nos intérêts et de ceux des pays de départ. Cette politique d’immigration choisie et concertée s’oppose à l’immigration zéro, qui n’est ni possible ni souhaitable, mais aussi et surtout à l’immigration subie qui pénalise les immigrés légaux en les exposant à des amalgames intolérables et les immigrés clandestins en les abandonnant aux filières criminelles.
Notre nouvelle politique d’immigration repose sur trois principes fondateurs. Tout d’abord, la France a le droit de choisir – comme tout pays, ni plus ni moins – qui elle veut et qui elle peut accueillir sur son territoire. Concrètement, cela signifie que nous souhaitons à terme équilibrer les parts économique et familiale
de l’immigration quand le rapport est aujourd’hui de 1 pour 5. Deuxième principe : l’étranger en situation légale a pour l’essentiel les mêmes droits économiques et sociaux que les Français. Enfin, parce que la France est un Etat de droit, tout étranger en situation irrégulière a vocation à être reconduit – sauf situations particulières – dans son pays d'origine, de manière contrainte s’il le faut, mais autant que possible de manière volontaire.
Pour appliquer ces principes, il nous a fallu innover et créer, pour la première fois dans l’histoire de la Vème République, un ministère régalien spécifiquement chargé de conduire l’intégralité de la politique d’immigration : depuis l’accueil au consulat jusqu’à l’intégration dans notre pays et, éventuellement, à la naturalisation, ou le retour dans le pays d’origine. J’observe que tous les pays d'Europe se dotent progressivement de ministères analogues, tandis que les pays africains en créent pour l’émigration. Je pense aux ministères des Maliens de l'extérieur, des Béninois de l'extérieur, ou encore des Congolais de l’extérieur. Pour créer le ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement, il nous a fallu faire travailler ensemble – quitte à bousculer quelques habitudes – les diverses administrations jusque là responsables des volets de la politique d’entrée et de séjour des étrangers en France.
Nos trois priorités sont le développement d’une immigration professionnelle qualifiée, la promotion du codéveloppement et l’adoption d’un Pacte européen de l’immigration. Pour attirer les étrangers diplômés ou hautement qualifiés dont le projet est susceptible de contribuer aussi bien à notre développement économique qu’à celui de leur pays d’origine, nous avons mis en œuvre la carte « compétences et talents » avec un objectif de 2 000 attributions en 2008. Les premières ont été délivrées à un Coréen directeur d’une société de vente par internet, un Tunisien cadre dans une entreprise informatique, un Australien post-doctorant en physique et un Ivoirien, chercheur-biologiste qui travaille sur le gène du paludisme. Pour contribuer au rayonnement économique de la France, nous avons créé la « carte salarié en mission » qui facilite les démarches administratives des groupes internationaux.
Les accords que nous signons comportent aussi un important volet « codéveloppement ». Cela signifie que nous finançons des projets de migrants dans des secteurs stratégiques pour la maîtrise des flux migratoires. Je pense à la modernisation des états civils, mais aussi à la santé. Dans ce domaine, l’accord que nous avons signé avec le Bénin prévoit un investissement à hauteur de 2,5 millions d’euros de projets. En 2008, nous allons négocier des accords de cette nature avec le Mali, la Tunisie et le Maroc et ouvrir des négociations avec le Brésil, le Cameroun, l’Égypte, Haïti et la Mauritanie.
Parallèlement, nous avons développé des actions en faveur de l’épargne des migrants. Aujourd’hui, 80% des transferts de fonds des immigrés vers leur pays d’origine – 8 milliards d’euros au total – sont consacrés à la consommation courante alors qu’ils pourraient constituer un levier essentiel du développement s’ils finançaient des investissements productifs. Pour favoriser une telle utilisation, nous avons mis en place deux produits financiers : le « compte épargne codéveloppement » et le « livret épargne codéveloppement ». En 2008, nous créerons un fonds fiduciaire auprès d’une institution multilatérale comme la Banque mondiale ou la Banque africaine de développement pour favoriser l’accès au système bancaire et amplifier les transferts de fonds vers les pays d’origine. Enfin, nous donnerons un nouvel élan à la réinstallation économique dans les pays d’origine en finançant 700 projets individuels à plus de 7 000 euros.
A partir du 1er juillet 2008, et pour un semestre entier, la France aura la chance et l’honneur de présider l’Union européenne. Ce sera l’occasion de rappeler qu’en vertu du principe de libre circulation, les décisions migratoires prises par un Etat membre ont mécaniquement des répercussions chez ses voisins. Pour harmoniser les pratiques, la France propose l’adoption d’un Pacte européen de l’immigration. J’ai multiplié ces derniers mois les rencontres au plus haut niveau pour sensibiliser mes homologues à cette idée. L’idée d’un Pacte européen de l’immigration repose sur une quintuple ambition. Premièrement, construire une véritable police européenne aux frontières. Deuxièmement, instaurer une discipline collective entre Etats membres qui comprendraient le renoncement aux régularisations massives de clandestins, la promotion d’une immigration choisie et concertée à caractère professionnel et l’intégration par l’insertion professionnelle. Troisièmement, organiser davantage de rapatriements communs, volontaires ou forcés, d’étrangers en situation irrégulière, tout en concluant des accords de réadmission des clandestins avec les pays d’origine et en intensifiant la lutte contre les employeurs, les logeurs de clandestins et les passeurs. Quatrièmement, bâtir une Europe de l’asile en créant une agence européenne de l’asile et en instaurant un statut de réfugié uniforme. Enfin, promouvoir le codéveloppement à l’échelle européenne.
La nouvelle politique d’immigration de la France façonne le visage qu’aura notre pays dans vingt ou trente ans. Elle refonde nos relations avec les pays du Sud. Elle participe à la construction d’une Europe proche des préoccupations concrètes de nos concitoyens. En bonne intelligence avec le Ministère des Affaires étrangères et européennes, et à la place qui est la mienne, j’entends m’appuyer sur notre réseau diplomatique pour qu’ensemble, nous faisions en sorte que les migrations soient enfin vécues comme une chance aussi bien pour les pays de départ que pour les pays d’accueil.
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