Andorre : A la jonction de l’histoire et de la modernité
Etat souverain depuis une décennie, l’Andorre continue d’affirmer ses spécificités et son rôle de trait d’union entre les cultures ibériques et francophones. S.E.Mme Imma Tor, Ambassadeur de la principauté d’Andorre en France, analyse pour nous les caractéristiques d’un pays riche de plus de sept cents ans d’histoire qui poursuit son évolution aux côtés de l’Union européenne.
La Lettre Diplomatique : Madame l’Ambassadeur, la principauté d’Andorre a célébré en 2003 le dixième anniversaire de sa Constitution. Quel bilan tirez-vous du passage de votre pays à la souveraineté ? Comment les relations avec la France et l’Espagne ont-elles évolué depuis 1993 ?
S.E.Mme Imma Tor : En 1993, le peuple andorran approuvait par référendum la première Constitution écrite de son Histoire instituant un régime de « coprincipauté parlementaire », héritier de six-cents ans de vie parlementaire depuis la création du Conseil de la Terre en 1419. Avec ce texte qui assure la protection des droits et des libertés, l’Andorre, pays indépendant depuis le Moyen Âge, devenait à la fin du XXème siècle un Etat souverain dans l’ordre international. Le bilan de ces dix premières années est positif à tous égards : l’Andorre a développé un important ensemble législatif, rationalisé son administration, modernisé son système judiciaire. Elle a trouvé sa place dans le concert des nations en devenant membre de l’ONU, du Conseil de l’Europe, de l’OSCE… Et, surtout, elle a développé et approfondi ses relations avec les deux Etats voisins, la France et l’Espagne. Les trois Etats sont liés depuis la Constitution par un Traité d’amitié et de bon voisinage. Nous avons par la suite conclu des conventions trilatérales sur la circulation des personnes qui réglementent et, dans une certaine mesure, libéralisent les mouvements des ressortissants des trois Etats. L’Andorre a également passé avec la France et l’Espagne des conventions de coopération entre les trois régimes d’assurance maladie. En vertu de conventions dans le domaine de l’enseignement, la France et l’Espagne assurent en outre le fonctionnement d’une partie du système éducatif andorran dans le respect de l’identité andorrane. L’Andorre est liée à ses voisins par des conventions dans des domaines d’intérêts vitaux : les relations entre ces trois Etats sont d’une grande richesse et diversité.
L.L.D. : Pays enclavé dans la partie orientale des Pyrénées, Andorre a su profiter des avantages du milieu montagnard. Avec l’essor du « tourisme blanc », pouvez-vous nous décrire les modalités d’adaptation à ce contexte géographique difficile ? Avec un PIB constitué à 80% par le tourisme, comment l’Andorre envisage-t-elle de diversifier son économie et, en particulier, de promouvoir le développement des secteurs de pointe et des industries spécialisées ?
S.E.Mme.I.T. : Les difficultés d’accès dues au relief ont été à la fois la faiblesse et l’atout de l’Andorre. La faiblesse, parce que pendant des siècles les Andorrans ont dû se contenter de cultures de subsistance péniblement gagnées sur la montagne et émigrer lorsque ces ressources n’étaient pas suffisantes. Un atout, parce que la pauvreté des ressources naturelles explique que le pays n’ait jamais suscité de véritables convoitises et soit demeuré indépendant au fil des siècles. Au XXème siècle, la montagne, longtemps milieu hostile, est devenue complice du développement économique. L’Andorre possède de nos jours les plus vastes domaines skiables des Pyrénées et ses stations sont comparables à des stations alpines. S’y ajoutent des alternatives à la neige comme le « shopping » de qualité à des prix très compétitifs, le thermalisme, le patrimoine roman constitué par tout un essaim de chapelles … L’Andorre envisage cependant la diversification de son économie. Le gouvernement réfléchit à la possibilité de proposer des facilités d’implantation pour des industries de haute technologie peu encombrantes et respectueuses de l’environnement.
L.L.D. : Avec une population d’environ 67 000 habitants en 2002, l’Andorre fait figure de micro-Etat. Comment expliquez-vous la forte progression démographique enregistrée depuis les années 1960 ? Comment analysez-vous la très forte proportion d’immigrés dans la population andorrane et quel est le degré d’intégration de cette population étrangère ? Pays multilingue, quelle action l’Andorre mène-t-elle pour promouvoir la diversité culturelle ?
S.E.Mme.I.T. : L’Andorre est un pays de petite dimension territoriale (468 km2 ) dont la population atteint 70 000 habitants alors qu’elle était d’à peine 6 000 habitants au début des années 50. Cette explosion démographique s’explique par un fort afflux de main-d’œuvre étrangère, surtout espagnole, et, dans une moindre mesure, française. De tous temps, l’Andorre avait été une terre d’agriculture et d’élevage. Après la guerre civile espagnole et la deuxième guerre mondiale, c’est l’âge d’or du commerce andorran : l’Andorre connaît un progrès économique sans précédent. Elle devient tout naturellement une plaque tournante commerciale entre le Nord et le Sud où tous les partenaires intéressés trouvent leur avantage. Les Espagnols venaient acquérir en Andorre des produits essentiellement fabriqués en France introuvables dans leur pays, à l’époque où l’Espagne de Franco vivait repliée sur elle-même : on a appelé les années 50-60 « années Duralex », par référence à ce verre réputé incassable qui remplissait les vitrines des « bazars » andorrans ou « années Nylon », comme cette matière synthétique utilisée pour les collants féminins. Ce commerce dit de « bazar » a évolué au fil des années vers un commerce de qualité, voire de luxe : bijoux, parfums, cosmétiques, vêtements et accessoires de grandes marques… peuvent être acquis en Andorre à des prix avantageux grâce à une faible fiscalité. Le commerce, mais aussi la nature et le patrimoine, attirent en Andorre un très grand nombre de touristes (12 millions en 2002). La main-d’œuvre étrangère continue à être nécessaire. La notion de diversité culturelle trouve en Andorre un champ d’application concrète. Un des garants de cette diversité est la variété des systèmes éducatifs, autre heureux héritage de l’histoire andorrane. Le système français, le système espagnol (dans sa version laïque et sa version religieuse), coexistent avec le système andorran, de création plus récente. Les trois systèmes sont publics et gratuits.
En Andorre, trois langues européennes (le catalan, la langue officielle, l’espagnol, le français) sont parlées couramment et enseignées, tout comme une quatrième, le portugais, qui est celle d’une importante communauté immigrée. L’anglais est également appris à l’école. L’Andorre a toujours été très respectueuse du multilinguisme mais se fait un devoir de promouvoir le catalan : la pratique de cette langue est exigée dans l’administration et dans les entreprises au contact avec le public et des cours sont dispensés gratuitement aux nouveaux venus.
L.L.D. : En 2003, votre pays était encore classé dans la liste des « paradis fiscaux non-coopératifs » dressée par l’OCDE. Comment votre pays met-il en adéquation son système fiscal et réglementaire avec les exigences internationales en matière de transparence financière ?
S.E.Mme.I.T. : Le système fiscal andorran n'a pas été mis en place dans le but de devenir préférentiel par rapport à ceux des Etats voisins. Il est le résultat de l'Histoire. Le cadre général du système fiscal se caractérise par un poids relativement important des impôts indirects (impôts sur les marchandises, sur les services…) L'Andorre n'a pas de régime préférentiel pour permettre aux non-résidents d’échapper à leurs obligations fiscales. Nous pensons que notre inclusion dans la liste de l’OCDE est le fruit d’une analyse inexacte de la situation andorrane. Notre pays s’est doté de différents instruments juridiques favorisant la coopération internationale en matière financière, en particulier la Loi sur la coopération pénale internationale et sur la lutte contre le blanchiment de l’argent et des valeurs produits de la délinquance internationale de décembre 2000. Cette Loi prévoit l'exécution des jugements étrangers en ordonnant des confiscations, la mise en place de saisies conservatoires de manière très large ainsi que la création d'une Unité de prévention du blanchiment du capital (UPB) qui a établi des accords avec ses homologues, en particulier, le TRACFIN français. Ces mesures ont été saluées par MONEYVAL, le Comité d’experts du Conseil de l’Europe chargé du suivi de la Convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime à laquelle l’Andorre a adhéré en 1999. Les experts du MONEYVAL et du GAFI ont analysé de près le système financier andorran et n’ont jamais inclus l’Andorre dans leur liste noire. Les banques andorranes se sont dotées d'un code déontologique (1990) pour lutter contre le blanchiment d'argent. Celui-ci s’inspire des 40 recommandations du Comité de Bâle qui établissent, parmi d'autres règles, des critères restrictifs pour l'ouverture de comptes bancaires aux non-résidents. Seules les personnes physiques résidentes et les sociétés de droit andorran peuvent ouvrir un compte en Andorre. La loi andorrane impose l'obligation d'identification du titulaire d'un compte bancaire et établit l'obligation générale de déclaration de transactions suspectes à toute personne et institution, bancaire ou non bancaire.
L.L.D. : En mai 2004, dix nouveaux Etats européens doivent intégrer l’Union européenne. Comment votre pays perçoit-il ce processus d’élargissement ? Comment voyez-vous le rôle des Etats de petite dimension territoriale en Europe ?
S.E.Mme.I.T. : L’Andorre, dont le territoire est géographiquement inséré dans celui de l’Union européenne, observe avec intérêt le processus d’élargissement et en particulier, la mise en place de mécanismes de décision qui permettront aux petits Etats de faire entendre leur voix particulière. Notre pays souhaiterait que le texte du futur Traité constitutionnel mentionne les Etats de petite dimension territoriale qui entretiennent des relations particulières de proximité avec les Etats membres de l’Union ou, si cela n’était pas possible, qu’une déclaration politique en annexe se fasse l’écho de ce souhait des petits Etats.
L.L.D. : Le Ministre des Affaires étrangère andorran, M. Juli Minoves Triquell et le Commissaire européen du Commerce, M. Pascal Lamy, ont passé en revue, le 20 novembre 2003, l’évolution des négociations en cours avec l’Union européenne sur la coopération, la fiscalité de l’épargne, l’euro et la libre circulation des personnes. Quels ont été les progrès accomplis pour finaliser ces quatre accords ? Fort de son projet de convention sur l’Euro, quelles sont les perspectives générales de rapprochement entre l’Andorre et l’UE ?
S.E.Mme.I.T. : L’Andorre a un accord d’Union douanière avec la Communauté européenne qui date de 1990. Nous souhaitons maintenant établir un rapprochement qui comporte quatre volets indissociables. Le premier est celui de la coopération éducative, culturelle, environnementale… Un accord cadre de coopération est sur le point d’être conclu. Le deuxième est celui de la fiscalité de l’épargne, domaine dans lequel l’objectif de la principauté est d’arriver à un accord selon le modèle suisse. Troisièmement, l’Andorre, qui utilise l’Euro comme elle avait utilisé le Franc et la Peseta, souhaite que cette monnaie devienne officielle. Enfin, notre pays a demandé que ses ressortissants puissent être assimilés aux communautaires aux frontières extérieures à l’Union. Les discussions autour de ces quatre accords sont en cours et nous espérons que leur aboutissement sera proche. Le degré de rapprochement opéré par ces quatre accords est considéré comme satisfaisant.
L.L.D. : L’Andorre s’efforce par ailleurs d’élargir le champ de ses relations extérieures comme l’illustre le récent établissement de relations diplomatiques avec l’Arménie. Plus largement, quels sont les principaux objectifs visés par la diplomatie andorrane ?
S.E.Mme.I.T. : L’Andorre n’a commencé à établir des relations diplomatiques qu’en 1993. Depuis cette date, elle en a établi avec 81 Etats dont une grande partie ont accrédité un ambassadeur. Il existe trois ambassades résidentes en Andorre, celles de France, d’Espagne et du Portugal. Le reste des ambassadeurs est accrédité depuis Madrid ou depuis Paris. Le premier objectif de la diplomatie andorrane est d’entretenir les excellentes relations qui la lient avec les pays voisins et avec l’entourage européen. L’Andorre accorde également beaucoup d’importance à l’aide au développement et aux programmes en faveur de la paix, riche de ses sept cents ans sans guerre.
L.L.D. : Bien qu’entretenant des liens étroits avec la France, la langue française reste peu pratiquée dans votre pays. En marge de l’accord sur l’éducation avec la France, comment la place de la francophonie peut-elle être accrue en Andorre ? Dans quels domaines la coopération régionale, notamment culturelle mais aussi économique, est-elle promue ?
S.E.Mme.I.T. : La Convention franco-andorrane dans le domaine de l’enseignement dont une nouvelle version vient d’être signée garantit la permanence des écoles du Coprince français en Andorre. Cet important système qui comprend plusieurs écoles primaires, un collège, un lycée et un lycée technique est le pilier de la francophonie en Andorre. Le gouvernement s’inquiète de la perte de vitesse du français en Andorre et favorise toutes les initiatives tendant à redonner à cette langue et à cette culture la place qu’elles méritent et qu’elles avaient occupé par le passé. La création récente d’une Alliance française a été amplement saluée. Pour promouvoir la coopération économique, plusieurs rencontres entre la Chambre de Commerce et d’Industrie d’Andorre et ses homologues les plus proches ont eu lieu. D’autre part, la coopération régionale ne peut être promue que par une amélioration des voies d’accès : des travaux récents en Andorre (tunnel d’Envalira) et en France (tunnel de Foix, autoroute) ont rapproché l’Andorre de Toulouse. Des efforts restent à faire, en particulier pour le transit ferroviaire. Par ailleurs, le Ministre des Affaires étrangères d’Andorre a récemment exprimé le souhait du gouvernement de présenter la candidature de la principauté à l’adhésion à l’Organisation Internationale de la Francophonie.
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