L’Inde : Une puissance en mouvement
Ancien leader du Mouvement des Non-Alignés, l’Inde affirme de plus en plus son rôle dans le concert des nations. Revendiquant les vertus de « la plus grande démocratie du monde » et les valeurs du multilatéralisme, S.E.Mme Savitri Kunadi, Ambassadeur de l’Inde en France, nous livre ici ses réflexions sur les enjeux majeurs auxquels se trouve confronté son pays.
La Lettre Diplomatique : Madame l’Ambassadeur, en l’espace d’une décennie, l’Inde a acquis la dimension d’un acteur de poids sur la scène internationale. A la veille des deux grands rendez-vous électoraux de 2004, quelle analyse faites-vous de la situation intérieure de l’Inde ?
S.E.Mme Savitri Kunadi : L’Inde est une démocratie parlementaire multipartite tournée entièrement vers le bien-être de ses citoyens. Politiquement et économiquement, l’Inde est stable et a enregistré des taux de croissance constants au cours des deux dernières décennies. Il est souvent fait référence à l’Inde, c’est bien connu, comme un sous-continent. Cette appellation donne l’idée de la dimension, de la diversité et de la force numérique de l’Inde et de sa population. Ses institutions démocratiques fournissent à tous, l’occasion de s’exprimer librement mais de manière non-violente et d’exposer ses doléances. Un des fondements importants de la démocratie indienne est le système électoral supervisé par la « Election Commission » indienne. Un électorat de plus de 600 millions de personnes exerçant librement son droit de vote pendant des élections qui se déroulent dans de bonnes conditions est l’expression du concept même de la démocratie et de la liberté. Les institutions politiques, démocratiquement élues, constituent le paysage politique de l’Inde au niveau national comme au niveau de base. Ceci est le fondement même de la stabilité de l’Inde. Ainsi, la situation interne de l’Inde était et continue à être stable. Nos élections parlementaires en 2004 auront lieu dans ces conditions. Les élections qui se déroulent dans de bonnes conditions au niveau national et au niveau régional continueront à assurer la continuité et la transition des gouvernements dans le respect de l’ordre.
L.L.D. : Fruit d’une politique d’ouverture et de libéralisation engagée dès 1991, l’Inde est un des pays émergents au potentiel le plus prometteur. Conservant cependant de forts aspects protectionnistes, comment votre pays envisage-t-il d’accélérer la levée des barrières aux investissements étrangers ? Représentant un handicap pour le dynamisme de l’économie indienne, quelles sont les mesures envisagées pour enrayer la dérive des finances publiques ? Autour de quelles disposition le programme de lutte contre la pauvreté ainsi que de promotion de l’éducation et de la santé s’articule-t-il ?
S.E.Mme.S.K. : Le programme de la réforme économique en Inde progresse constamment depuis son introduction en 1991. Aujourd’hui, l’Inde est considérée comme un des marchés émergents les plus prometteurs. Une étude récente menée par Goldman Sachs prévoit que d’ici 2050 l’Inde deviendra la troisième plus grande économie mondiale en termes absolus. Comme exemple de mesure de libéralisation économique en cours d’application, il faut citer la baisse progressive des tarifs douaniers, le plus haut niveau étant aujourd’hui de 20% seulement. Les réformes transforment l’Inde en un pays propice aux investissements. Le gouvernement prend également des mesures pour faire face aux déficits fiscaux grâce, à la fois, aux rationalisations des dépenses et aux augmentations des revenus. Afin de créer de l’emploi, des biens productifs et d’accroître le niveau de revenu des pauvres, les programmes de lutte contre la pauvreté ont été renforcés. Une priorité importante est accordée au domaine de l’éducation pour lequel les dépenses gouvernementales ont augmenté rapidement au fil des années. L’éducation et la santé sont considérés comme des éléments cruciaux pour l’investissement en capital humain et le bien-être social. L’objectif majeur des programmes de santé publique est d’améliorer l’accès aux soins et l’utilisation des services de santé avec une attention particulière pour les couches les moins privilégiées de la population.
L.L.D. : « Démocratie la plus grande du monde », selon la formule consacrée, quelle politique le gouvernement indien a-t-il mis en œuvre en matière de respect des droits de l’homme et, plus précisément, de ceux de l’enfant que les autorités indiennes semblent vouloir mettre au cœur de leur programme ? Malgré la présence de longue date de femmes dans les rouages de l’Etat, quels progrès restent-ils encore à accomplir pour améliorer la condition féminine dans la société indienne ?
S.E.Mme.S.K. : L’Inde a participé activement à l’élaboration de l’avant-projet de la déclaration universelle des droits de l’homme. L’Inde est un signataire des six conventions principales sur les droits de l’homme et s’est entièrement engagée à promouvoir et protéger les droits proclamés dans la déclaration universelle. L’Inde a préconisé une approche holistique et intégrée qui confère à tous les droits de l’homme, qu’ils soient civils ou politiques, économiques, sociaux ou culturels, une égale importance en fonction de leurs interdépendances, des liens qui existent entre eux, de leur indivisibilité et de leur universalité, et qui renforce les liens entre la démocratie, les droits de l’homme et le droit au développement. Les droits de l’homme fondamentaux sont contenus dans notre Constitution et garantis à tous les citoyens.
L’Inde a signé et ratifié la Convention des Nations unies sur l’élimination et la discrimination contre les Femmes (CEDAW) et la Convention des Nations unies sur les droits de l’enfant (CRC). Elle a depuis longtemps reconnu que les politiques et les programmes pour le progrès et le développement des femmes doivent être ciblés et orientés vers l’action. Un tiers des sièges au sein des conseils élus des villages sont réservés aux femmes. De nombreuses institutions et mécanismes, visant à rendre des services sociaux aux femmes de tout âge ainsi qu’aux enfants, sont désormais en place. Plus récemment, nous avons promulgué des lois destinées à lutter contre le harcèlement sexuel dans les lieux de travail. Le dispositif national des droits de l’homme se charge, entre autres, de la question de l’égalité des sexes. Le but est d’aider les femmes à surmonter leurs désavantages et de leur donner le pouvoir de jouer un rôle efficace et équitable dans la société.
En Inde, les droits de l’enfant sont promus en conformité aux dispositions de la CRC (Convention sur les droits de l’enfant). Nous sommes persuadés que les droits de l’enfant doivent être pris en compte dans un contexte intergénérationnel. Il est vitale de les prendre en compte dès les prémices de la vie de façon à nourrir une croissance et un développement complet de l’enfant, et permettant à l’adulte d’atteindre tout son potentiel. Les enfants sont notre première préoccupation. Il est reconnu que l’alphabétisation, surtout dès l’enfance, est la clef de la mise en œuvre de cette approche « intergénérationnelle ». En dépit du manque de ressources, la promulgation d’une loi est à l’étude pour rendre l’éducation primaire obligatoire et gratuite. Nous avons également commencé à travailler pour la mise en place d’une Commission nationale pour l’enfant avec pour but de permettre un développement complet de l’enfant. L’Inde demeure entièrement engagée dans l’éradication totale de toutes les formes du travail des enfants, là où il existe, et à commencer par ses formes basées sur l’exploitation et celles plus aléatoires, de manière à les éliminer progressivement et efficacement. Notre Commission nationale des droits de l’homme et notre système judiciaire travaillent activement sur cette question. Nous participons également au Programme international pour l’élimination du travail des enfants (IPEC) de l’Organisation internationale du travail (OIT).
L.L.D. : En tête des pays du « Groupe des 21 », avec la Chine et le Brésil, l’Inde s’est fermement opposée aux thèses défendues par les pays industrialisés lors des négociations de Cancun en septembre 2003. Pouvez-vous nous rappeler les positions de votre pays à l’égard du cycle de Doha qui comprend, entre autres, la question de la libéralisation des marchés agricoles mais aussi celle des services (AGCS) ? Quelles sont les orientations privilégiées pour résoudre le problème de la dette ? Ayant refusé d’apporter son soutien à l’organisation du Forum social mondial (FSM) qui s’est déplacé en Inde début 2004, pouvez-vous clarifier la vision indienne à l’égard de l’OMC ?
S.E.Mme.S.K. : Selon l’Inde, l’élément le plus important de la Déclaration ministérielle de Doha est que celle-ci a affirmé l’importance du commerce en tant qu’instrument de développement économique, particulièrement dans les pays en voie de développement. Malheureusement, depuis Doha, le progrès est limité et presque aucun effort véritable n’a été fait pour résoudre les problèmes des pays en voie de développement. La Conférence de Cancun s’est interrompue brusquement à la suite des réactions au texte en date du 13 septembre 2003 et revu par son président, dans lequel les préoccupations des pays en voie de développement sur la question de l’agriculture ainsi que les questions de Singapour n’ont pas été prises en compte. La position indienne sur l’agriculture est cohérente et soutient l’idée que les pays en voie de développement pourraient être amenés à ouvrir en retour leurs marchés des produits agricoles en tenant compte de leur situation économique et sociale, de leurs besoins en matière de développement, de leur sécurité alimentaire et de leurs moyens d’existence ainsi que leurs nécessités en matière de développement rural ; ce, seulement s’ils reçoivent des pays développés des concessions et des engagements adéquats. L’Inde doit s’assurer que les résultats des négociations n’affectent pas le gagne-pain et la survie de ses 650 millions d’agriculteurs. Similairement dans le secteur des services, l’Inde demande une flexibilité plus grande envers les pays en voie de développement et les pays les moins développés. L’Inde a soumis une demande à ses partenaires travaillant dans le domaine des services liés aux secteurs de l’informatique, de la santé, du tourisme entre autres. Elle soutient également la suppression des barrières et des obstacles procéduriers liés aux accords de visas et de permis de travail, ainsi qu’à la non-reconnaissance des diplômes. L’Inde a activement participé aux négociations sur divers sujets inclus dans le programme de travail de Doha. Elle a, d’une manière constante, adopté la position selon laquelle les dimensions concernant le développement de ce programme de travail ne doivent à aucun prix être diluées. L’Inde demeure optimiste malgré l’échec de la Conférence ministérielle de Cancun et pense qu’il est possible d’avancer de manière constructive et flexible pour que les besoins et les préoccupations des pays en voie de développement ne soient pas ignorés. L’Inde est persuadée qu’un système multilatéral de commerce équitable et conforme aux lois, est absolument nécessaire pour assurer un développement global à tous niveaux.
L.L.D. : Puissance nucléaire et acteur régional majeur, l’Inde est récemment entrée à la suite de la Chine et du Japon, dans le processus d’intégration de l’Asean. Promise à devenir, avec ces deux dernières, un des leaders de la future zone de libre-échange, quelle configuration les rapports de force prendront-ils au sein de cet ensemble émergent ? Dans ce contexte, les accords de coopération conclus entre Pékin et New Delhi en juin 2003, annoncent-ils l’avènement d’un partenariat économique sino-indien propice à l’atténuation de leur rivalité traditionnelle ?
S.E.Mme.S.K. : L’Inde a récemment signé un accord-cadre sur la coopération économique complète (Framework Agreement on Comprehensive Economic Cooperation) avec l’ASEAN (Association des Nations de l’Asie du Sud-Est) qui doit entrer en vigueur le 1er Juillet 2004. Les objectifs principaux du processus d’intégration de l’ASEAN, pour renforcer et augmenter les liens économiques et commerciaux ainsi que les investissements, pourraient être atteints grâce à une approche coopératrice parmi les pays membres. Le Premier ministre indien s’est rendu en Chine au mois de juin. Au cours de cette visite, l’accent a été mis sur les relations économiques bilatérales. Les deux parties sont conscientes du potentiel de celles-ci. A la suite de cette visite, les deux pays se sont mis d’accord pour s’engager dans des relations diversifiées et mutuellement bénéfiques, tout en essayant de résoudre les différends par le biais de dialogues amicaux. Lors de cette visite, pour la première fois dans les relations entre l’Inde et la Chine, une déclaration conjointe a été signée par les deux Premiers ministres qui, entre autres, confirme l’engagement des deux pays à travailler plus étroitement ensemble au niveau international pour renforcer la tendance multipolaire sur les questions de l’OMC et les autres sujets de préoccupation des pays en voie de développement.
L.L.D. : Initiée par le Premier ministre indien Atal Behari Vajpayee, la reprise des contacts diplomatiques entre l’Inde et le Pakistan s’est engagée un an après l’escalade de la violence de l’été 2002. Pouvez-vous nous expliquer les motivations de cette initiative ? Quelles opportunités ouvre-t-elle pour un règlement pacifique du conflit indo-pakistanais et, plus particulièrement, du contentieux du Cachemire ? Avec les débuts d’une reprise des relations économiques, quelles synergies positives votre pays et le Pakistan peuvent-ils, à long terme, mettre à la disposition du développement régional ?
S.E.Mme.S.K. : L’Inde s’est engagée à établir des relations pacifiques et amicales avec le Pakistan. C’est cet engagement qui a encouragé le Premier ministre indien Vajpayee à prendre des initiatives pour améliorer les relations malgré le soutien et le parrainage constants du terrorisme par le Pakistan. Grâce à ces initiatives, les postes des deux Hauts Commissaires ont été rétablis. Des mesures ont également été prises pour promouvoir le commerce, les échanges culturels et les contacts entre nos deux peuples. Des échanges de délégations commerciales ont eu lieu aussi bien que des échanges au niveau non-gouvernemental et non-politique accompagnés d’interactions au niveau technique. Les douze mesures proposées par le Premier ministre indien Vajpayee, l’année dernière, pour rétablir la confiance comprennent le rétablissement des liaisons aériennes, maritimes et ferroviaires, la reprise des rencontres sportives, l’augmentation des effectifs des missions diplomatiques, des visas de séjour, du service médical gratuit pour les enfants pakistanais, des liens officiels entre les gendarmeries maritimes etc. Afin d’amorcer un processus de dialogue et d’aborder toutes les questions bilatérales, y compris celles de Jammu & Kashmir, nous espérons que le Pakistan mette fin au terrorisme transfrontalier et accepte de dialoguer avec l’Inde dans l’esprit de Simla et de la Déclaration de Lahore. Nous avons toujours recherché les possibilités d’une coopération régionale dans le cadre de la SAARC. La dernière visite du Premier ministre Vajpayee à Islamabad, pour le sommet de la SAARC, marque un développement important dans les relations indo-pakistanaises. Suite à ses discussions avec le Président Musharraf, en marge du sommet, les deux parties ont mutuellement accepté d’entamer le processus d’un dialogue composite en février 2004.
L.L.D. : Compte tenu des incertitudes de la situation politique pakistanaise, de la persistance de la guerre civile au Sri Lanka et de l’aggravation du conflit interne au Népal, l’Asie du Sud reste une région fortement instable. De quelles ressources les autorités indiennes disposent-elles pour y promouvoir la paix et favoriser un processus d’intégration économique ? La SARC est-elle aujourd’hui encore en mesure de fournir un cadre favorable à l’accomplissement de ces objectifs ?
S.E.Mme.S.K. : L’Inde est un pays qui aime la paix et souhaite avoir des relations pacifiques et amicales avec tous ses voisins et les pays de la région. Conformément à ce souhait, elle entretient de bonnes relations avec tous ses voisins et a pris des mesures importantes pour améliorer les relations avec le Pakistan. Les relations politiques, économiques et culturelles de l’Inde avec la plupart des ses voisins sont fortes et s’améliorent encore. Grâce à ces liens d’amitié et de coopération, elle souhaite créer avec ses voisins une région prospère et pacifique. Elle aimerait également entretenir des relations amicales avec le Pakistan. Ceci sera possible une fois que le Pakistan cessera de soutenir le terrorisme en Inde.
L’Inde a conclu de nombreux accords bilatéraux et a mis en place d’autres arrangements avec ses voisins pour promouvoir la coopération dans divers domaines. En outre, la SAARC, association régionale de pays, a été créée en 1985 pour promouvoir la coopération économique parmi les pays de la région. La SAARC est très attachée à la mise en œuvre de l’accord de commerce préférentiel de l’Asie du Sud (South Asia Preferrential Trade Arrangement, SAPTA) et plus tard d’une zone de libre-échange de l’Asie du Sud (South Asia Free Trade Area, SAFTA). L’accord pour le SAPTA a été finalisé en 1993 et est entré officiellement en vigueur en décembre 1995. Dans le cadre de cet accord, les pays membres ont eu plusieurs séries de négociations commerciales et se sont mis d’accord sur les concessions de tarifs préférentiels concernant une gamme de produits des uns et des autres. C’est un processus qui se poursuit. L’accord sur le SAFTA a été finalisé lors du récent sommet de la SAARC ayant eu lieu à Islamabad. Le moyen à même de garantir le plus sûrement la paix et la prospérité dans la région est une coopération économique régionale rapide dans le cadre de la SAARC, qui aura comme résultat une prospérité accrue des pays membres. L’Inde considère l’avenir de la SAARC avec espoir et confiance.
L.L.D. : Confrontée au problème du terrorisme depuis près de deux décennie, l’Inde se place en première ligne de la lutte anti-terroriste internationale. De votre point de vue, quels impacts la guerre d’Afghanistan puis celle d’Irak auront-elles à l’échelle de votre environnement régional, composé d’une importante population musulmane ? La participation de votre pays aux opérations internationales dans le cadre de la lutte anti-terroriste ouvre-t-elle la voie à la mise en œuvre d’un partenariat stratégique avec Washington qui semblait peiner à prendre forme depuis 2000 ?
S.E.Mme.S.K. : Traditionnellement, l’Inde entretenait des relations excellentes avec l’Irak et l’Afghanistan. L’arrivée au pouvoir du régime Taliban, qui abritait l’Al Qaida et d’autres groupes terroristes, a rompu ces relations avec l’Afghanistan. Ces organisations terroristes utilisaient ce pays comme base pour perpétrer des activités terroristes en Inde et ailleurs dans le monde. Beaucoup de ces groupes terroristes entretenaient des liens étroits avec les agences de renseignement pakistanaises et travaillaient avec les organisations terroristes cachemiri basées au Pakistan pour commettre des actions terroristes au Jammu et Cachemire et dans d’autres parties de l’Inde. Avec la chute du régime Taliban, l’Inde a établi d’excellentes relations avec le gouvernement actuel en Afghanistan et collabore avec la communauté internationale pour sa reconstruction. Il est également important pour la communauté internationale de soutenir entièrement et faire durer le gouvernement du Président Karzaï en Afghanistan afin de faire de ce pays une démocratie pacifique.
Avec l’Irak, l’Inde a aussi entretenu des liens historiques. L’Irak se trouve dans une région pétrolière stratégiquement importante et à proximité de notre voisinage. La guerre en Irak et les événements actuels ont eu des répercussions partout dans le monde. Les priorités immédiates en Irak sont d’assurer la sécurité et la stabilité, de rétablir les installations ou équipements de base et les infrastructures, ainsi que d’instaurer une feuille de route pour le lancement d’un processus politique visant la mise en place d’un gouvernement irakien représentatif.
Le discours du Premier ministre indien, M. Vajpayee, devant l’association américaine basée à New York, Asia Society, au mois de septembre cette année, résume bien notre position :
« L’Irak et l’Afghanistan constituent les deux épreuves immédiates de nos efforts en vue d’établir un ordre mondial basé sur la coopération et le partenariat. Dans les deux cas, la manière dont nous faisons face à ces défis aura des implications importantes pour notre avenir commun.
En Irak, nous devons développer un consensus international qui accélèrera la transformation politique, économique et sécuritaire dans ce pays. En Afghanistan, nous devons terminer le travail commencé par le processus de Bonn, aider son gouvernement à éradiquer entièrement ce qu’il y subsiste des Talibans, à prendre en main le contrôle du pays entier et d’avancer comme prévu vers des élections nationales.
L’avenir de l’Irak et de l’Afghanistan est vital pour leurs citoyens, mais aura également des implications importantes pour la région et le monde ».
L’Inde est bien consciente que les populations des pays musulmans de son voisinage reconnaissent quasi universellement les dangers du terrorisme international perpétré au nom de l’Islam, et n’ont aucune sympathie pour de telles organisations terroristes. L’Inde compte elle-même la deuxième plus grande population musulmane du monde, et sa communauté musulmane indigène est bien intégrée dans la société et le régime politique indien ; elle soutient entièrement le gouvernement dans ses efforts destinés à protéger le pays contre le fléau du terrorisme. L’Inde ne considère pas le terrorisme international comme un phénomène religieux, mais essentiellement comme des actions perturbatrices et peu judicieuses, parrainées et soutenues par certaines nations et certains individus irresponsables, afin de faire progresser leurs propres intérêts stratégiques.
Enfin, l’Inde et les Etats-Unis jouissent de relations amicales. En tant que démocraties, les deux adhérent aux principes de liberté politique et économique, de libre-échange et de lutte contre le terrorisme international, afin de créer un monde stable. Il y existe également un potentiel immense de coopération bilatérale dans plusieurs domaines-clés d’intérêt commun. Un partenariat stratégique entre les deux pays a été établi après la Guerre-Froide et celui-ci devient de plus en plus fructueux.
L.L.D. : A l’occasion de la première visite d’un chef d’Etat israélien, votre pays et Israël ont récemment renforcé leur coopération militaire et de sécurité. Ces accords annoncent-ils réellement la constitution d’« un axe central Etats-Unis, Israël, Inde pour combattre en commun le terrorisme » ? Comment votre pays entend-il à, cet égard, maintenir l’équilibre de ses relations avec Israël d’une part et ses partenaires énergétiques du monde arabo-musulman d’autre part ? A la lumière des accords signés en décembre 2002 à l’occasion de la visite à New Delhi du Président russe Vladimir Poutine, comment définiriez-vous les relations russo-indiennes ?
S.E.Mme.S.K. : Le Premier ministre d’Israël, M. Ariel Sharon, accompagné d’une délégation de haut niveau, a visité l’Inde du 8 au 10 septembre 2003. Ses relations avec les hauts dirigeants indiens, les divers accords et les programmes d’échanges signés à l’occasion de sa visite, ont couvert toute la gamme des domaines de la coopération bilatérale, et une Déclaration de Delhi sur l’amitié et la coopération a été prononcée à cette occasion. Ainsi, l’accent de la visite a porté sur la promotion de la coopération bilatérale dans tous les domaines et ne s’est pas limitée à un simple ordre du jour, ni dirigé contre un pays ou une région en particulier.
Le fléau du terrorisme est devenu un phénomène mondial, l’Inde et Israël partagent certains points de vue sur le terrorisme et les méthodes pour combattre cette menace. La Déclaration de Delhi stipule clairement que « le terrorisme sape la fondation même de la liberté et de la démocratie, met en danger l’existence continue des sociétés libres et démocratiques, et représente une menace globale ; ainsi, il ne saurait y avoir un quelconque compromis en ce qui concerne la guerre contre le terrorisme. Ensemble avec la communauté internationale et en tant que victimes du terrorisme, l’Inde et Israël font partie du combat contre ce fléau ». On peut dire la même chose pour ce qui est de la coopération de l’Inde avec les Etats-Unis dans le combat contre le terrorisme. Cependant, la lutte contre le terrorisme ne peut pas être menée seule par un pays ou un axe de pays. Toute la communauté internationale étant menacée par ce fléau, il convient donc de s’unir pour protéger la civilisation contre la bigoterie et l’intégrisme. Dans tous les pays responsables on est conscient des dangers que représente le terrorisme international et de la nécessité de lutter ensemble pour la sécurité des générations à venir.
Les relations de l’Inde avec Israël n’ont en aucune manière nuit à ses relations avec le monde arabe. L’Inde continue de soutenir la cause palestinienne et considère le Président Yasser Arafat comme le leader légitime palestinien. L’Inde entretient des relations politiques excellentes avec le monde arabe. Un grand nombre d’Indiens vit dans les pays arabes de la région du Golfe Persique et cette région continue d’être la source principale du pétrole. L’Inde a d’importants échanges avec les pays arabes. Ainsi, l’Inde considère Israël et les pays du monde arabe comme ses partenaires sur la voie du progrès.
Malgré les changements majeurs survenus dans l’environnement international, les relations entre l’Inde et la Russie sont restées marquées par la stabilité et la cohérence, grâce à l’appréciation réciproque des intérêts nationaux de l’un comme de l’autre, une approche commune des problèmes internationaux, un engagement à la coopération mutuellement bénéfique et, surtout, grâce à une confiance mutuelle. L’Inde et la Russie ont créé une structure de coopération durable et globale grâce à un dialogue politique intense, à des échanges commerciaux croissants, des échanges dans les domaines de la science et de la technologie et grâce à la coopération dans le domaine de la culture et de l’éducation. Des interactions régulières de haut niveau et plusieurs accords bilatéraux donnent un élan aux relations entre les deux pays. Le dialogue politique entre l’Inde et la Russie met l’accent sur les questions importantes telles que le désarmement, la sécurité, la globalisation, un ordre économique international équitable, un environnement propre et un développement durable, la santé publique et le terrorisme international et transfrontalier. L’Inde et la Russie ont des points de vue communs et une approche similaire à l’égard de ces questions importantes. Les deux pays ont souligné que le terrorisme est un danger pour la communauté internationale tout entière en raison de ses liens étroits avec l’extrémisme religieux, le crime international, le trafic de stupéfiants et le transfert illicite des armes. Il s’agit donc d’une menace globale qui nécessite une réponse globale. L’Inde et la Russie ont travaillé ensemble au sein des Nations unies et dans le combat contre le terrorisme international. La Russie a exprimé son soutien entier à l’égard de la question de l’adhésion de l’Inde en tant que membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations unies.
L.L.D. : Partisan d’un monde multipolaire et aspirant à jouer un rôle plus actif au sein de l’ONU, quelles mesures l’Inde préconise-t-elle pour rendre celle-ci plus représentative des réalités et des enjeux actuels ? Leader du Mouvement des Non-Alignés et réputée pour mener une « politique étrangère d’éthique », quelle est la vision de votre pays à l’égard du nouvel ordre international qui se dessine depuis la fin de la Guerre froide ?
S.E.Mme.S.K. : Reformes et développement font partie intrinsèque de toutes les organisations qui ont à répondre aux exigences de l’environnement en constante transformation. Les Nations unies n’y font pas exception. L’Inde est favorable à des Nations unies renforcées et revitalisées avec ses divers organismes travaillant efficacement selon les mandats stipulés dans la Charte des Nations unies. L’Inde préconise un rôle accru des Nations unies dans le dialogue sur le développement et sur la coopération en matière de développement. Elle est fermement convaincue que le développement devrait être le point central de l’ordre du jour des Nations unies et qu’il devrait être suivi comme il se doit. C’est une condition préalable indispensable au maintien de la paix et de la sécurité internationale. L’Inde a activement participé à tous les exercices de réforme et de restructuration sensés accroître la compétence des Nations unies et la réalisation de ses tâches fondamentales.
En tant qu’organisation primordiale ayant la responsabilité de maintenir la paix et la sécurité internationale, le Conseil de Sécurité doit s’adapter aux réalités actuelles. Au fil des décennies, le nombre des membres de l’Organisation des Nations unies a énormément augmenté. L’étendue des activités des Nations unies s’est beaucoup accrue, avec de nouvelles agences spécialisées et de nouveaux programmes. Mais en ce qui concerne les dimensions politique et sécuritaire de ses activités, les Nations unies n’ont pas suivi le rythme des changements dans le monde. Pour que le Conseil de Sécurité représente un véritable multilatéralisme dans ses décisions et ses actions, il faut que ses membres reflètent les réalités mondiales actuelles. Aujourd’hui la majorité des membres des Nations unies doivent reconnaître la nécessité d’un Conseil de Sécurité élargi et restructuré, avec un plus grand nombre de pays en voie de développement comme membres permanents et non-permanents. Sur la base de n’importe quel critère pour l’élargissement du Conseil de Sécurité, l’Inde émergerait comme un candidat principal à un siège permanent, et la candidature de l’Inde a, d’ailleurs, été soutenue par plusieurs pays.
Le nouvel ordre mondial qui a émergé après la guerre froide présente quelques caractéristiques importantes. Le phénomène de la globalisation a un impact important sur l’ordre mondial qui évolue. Les effets de celui-ci dépassent les frontières nationales. De façon similaire, les modes de migration, le mouvement des ressources et le changement du climat posent des défis à travers les frontières nationales. Le terrorisme, le flux des stupéfiants illicites, des armes et de l’argent, la propagation des maladies sont quelques-uns des autres phénomènes qui ne connaissent pas de frontières nationales. Il est alors clair que dans un monde d’interdépendance globale, la coopération est le mot-clef. Le nouvel ordre international doit être basé sur les concepts de la pluralité, du consensus et des décisions collectives, donnant ainsi l’importance qu’il convient aux intérêts légitimes et aux préoccupations de tous les pays, grands et petits.
L.L.D. : Premier partenaire de l’Inde, l’Union européenne est également un partenaire politique majeur de votre pays. Quelles voies le Sommet UE-Inde qui s’est tenu à Copenhague en octobre 2002 a-t-il ouvert pour le renforcement de la coopération indo-européenne ? A l’heure où l’UE cherche à se doter d’une Constitution, pensez-vous que le système institutionnel indien puisse servir de base de réflexion ou même de modèle pour les Européens ?
S.E.Mme.S.K. : Le troisième sommet entre l’Inde et l’Union européenne qui a eu lieu à Copenhague en octobre 2002 a réaffirmé l’attachement de l’Inde et de l’Union européenne aux valeurs partagées de la démocratie et du pluralisme. Sur les questions commerciales et économiques, les deux parties se sont mises d’accord pour intensifier le dialogue économique de haut niveau et renforcer le régime de commerce multilatéral de l’OMC. Les autres questions importantes, également évoquées pendant ce sommet étaient la coopération accrue pour promouvoir la reconstruction de l’Afghanistan, la coopération pour lutter contre le terrorisme et l’engagement de négociations pour parvenir à un accord sur la coopération douanière.
Nous avons suivi avec attention l’important exercice d’élaboration d’une constitution européenne. L’Inde possède un régime fédéral et ses institutions sont façonnées sur le principe de la décentralisation et de l’unité dans la diversité. Bien que les conditions soient différentes, notre expérience unique peut servir de modèle à tous ceux qui s’intéressent à préserver les identités et les droits des individus et des groupes, tout en préservant la liberté pour le bien-être de l’ensemble de l’entité, à savoir une société ou un pays ou une fédération de pays.
L.L.D. : Relancées après la visite de Jacques Chirac en Inde en 1998, les relations franco-indiennes se sont étoffées ces dernières années de nouveaux cadres de concertation comme le Forum d’initiative franco-indien qui s’est réuni les 13 et 14 octobre 2003. Quels apports novateurs celui-ci a-t-il permis de dégager en faveur du renforcement des relations bilatérales ? Sur quels projets d’envergure la coopération industrielle, scientifique et technologique entre les deux pays repose-t-elle désormais ? Comment le soin particulier réservé au caractère souhaité « équilibré » de la politique de coopération militaire conduite par la France tant à l’égard de votre pays que du Pakistan est-il perçu ? A l’image du succès de la « Saison de la France en Inde » organisée en 2003, quelles sont les possibilités d’approfondissement des relations culturelles entre les deux pays ?
S.E.Mme.S.K. : Les relations franco-indiennes sont traditionnellement étroites. Elles englobent une vaste gamme de domaines qui ne cesse de s’accroître. Au cours des dernières années, plusieurs mécanismes institutionnels ont été mis en place afin de fournir un cadre à la coopération franco-indienne dans divers domaines. Le Forum d’Initiatives franco-indien et plusieurs Groupes de Travail sont quelques-uns de ces mécanismes. Le Forum d’Initiatives franco-indien a été conçu par le Président Chirac à l’occasion de sa visite en Inde en 1998. Les membres du Forum sont d’éminentes personnalités françaises et indiennes qui ne font pas partie des deux gouvernements. Grâce à leurs délibérations, ces personnalités présentent des idées pour augmenter la coopération dans divers domaines. Elles identifient également des projets spécifiques pour la collaboration. La dernière réunion du Forum en octobre 2003 a ainsi évalué les programmes en cours et a également identifié de nouveaux domaines de coopération.
Une grande coopération industrielle, scientifique et technologique existe par ailleurs entre l’Inde et la France. La coopération entre l’Agence spatiale indienne et Ariane, le projet « Mégatropique » pour les prévisions des moussons, la collaboration dans le domaine de la technologie laser, de la médecine notamment en ce qui concerne le SIDA et la tuberculose, la coopération dans le domaine de la recherche agricole, la coopération croissante entre sociétés du domaine de la technologie informatique sont quelques-uns des domaines de la coopération en cours.
La France reconnaît que l’Inde est un acteur mondial émergent et un allié stratégique. L’Inde et la France entretiennent une coopération active et mutuellement bénéfique dans plusieurs domaines y compris celui de la défense. En tant qu’importantes démocraties, partageant une même vision du monde, nos relations sont basées sur une confiance mutuelle.
Dernièrement, l’Inde et la France ont défini un nouveau Programme d’échange culturel, ce qui donnera une nouvelle impulsion aux relations culturelles multidimensionnelles et dynamiques entre les deux pays.
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