Quinze ans après la création du Conseil franco-russe sur les questions économiques, financières et commerciales (CEFIC), le partenariat économique franco-russe est-il entré dans une nouvelle dynamique ? Jusqu’à présent modestes, les échanges entre les deux pays ont connu une forte hausse en 2006. Portées par un savoir-faire de plus en plus reconnu, les entreprises françaises diversifient leur présence dans l’économie russe. Trop concentrées à Moscou, elles se trounent désormais vers les régions de l’immense Russie où de nombreuses marges de progression restent à conquérir.
La Russie change à vive allure. Avec un rythme de croissance de 6 à 7%, elle est devenue l’une des économies les plus dynamiques du monde. Longtemps frileux, les entrepreneurs français se montrent désormais de plus en plus sensibles aux sirènes du marché russe.
La donne semble en effet avoir changé. En 2006, les exportations françaises vers la Russie ont augmenté de plus de 40%. Les investissements français ont eux bondi de 136%, passant de 428 millions d’euros en 2005 à 1 012 millions en 2006. Mais au regard des statistiques, la France occupe toujours une place modeste. Selon le Service fédéral de statistiques (Rosstat), elle figurait en 2006 au 6ème rang, derrière Chypre, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, le Luxembourg et l’Allemagne. Elle oscille en réalité entre la quatrième et la neuvième place selon les années. En terme de stock d’investissement, elle occupe le 8ème rang avec 3 699 millions de dollars, soit 2,6% du stock total d’investissements étrangers en Russie. Conscients des considérables marges de progression qu’offre le marché russe, le gouvernement français et les collectivités locales redoublent d’efforts pour favoriser la connaissance et l’accès d’un des marchés émergents les plus dynamiques, surtout auprès des PME-PMI.
Une présence affirmée dans le paysage russe
A Moscou, l’avenue de Prospekt Mira offre un aperçu des transformations que vit la Russie et les opportunités qu’elle ouvre aux entrepreneurs audacieux. Les chantiers s’activent dans le quartier de cette grande artère qui mène au centre de la capitale, où les magasins de plus en plus spécialisés se multiplient. Les enseignes françaises y fleurissent comme Décathlon et Leroy Merlin.
Ces deux groupes de distribution ont été entraînés dans l’aventure russe à la suite d’Auchan qui a ouvert son premier hypermarché en 2002. Cinq ans plus tard, le fleuron du groupe détenu par la famille Mulliez, possède au total 14 magasins en Russie. Les trois hypermarchés qu’elle a ouvert à Moscou affichent désormais un chiffres d’affaires record, qui surclasserait même celui de Vélizy-Villecoublay. Mais c’est non loin de l’avenue de Prospekt Mira, à l’entrée de la vieille ville, que s’achève le chantier de son nouvel hypermarché, un des rares qui ait une position aussi centrale dans la capitale. Tout un symbole dans ce secteur en pleine croissance.
Une décennie après la crise financière qui avait secoué la Russie, la classe moyenne russe goûte sans complexe à la société de consommation, dopant la demande intérieure qui continue de progresser avec une hausse de 11,8% en 2006. Si le revenu par habitant demeure en moyenne relativement faible, les revenus réels progressent de plus de 10%. Le paiement à crédit connaît aussi un véritable engouement, le crédit à la consommation lancé en 2005 (en hausse de 44,5% entre janvier et août 2006), devenant l’une des activités phare des banques commerciales. La Société Générale a d’ailleurs bien pris conscience du potentiel de ce marché émergent : après avoir acquis 10% du capital de Rosbank en juin 2006, elle a renforcé sa part de 10% supplémentaire et a pris une option d’achat sur une nouvelle tranche de 30%. Au total, elle investirait 2,33 milliards de dollars qui pourrait lui permettre en 2008 de prendre le contrôle de l’une des dix plus grosses banques russes et numéro deux dans le détail sur le marché domestique. Déjà bien implanté dans les activités de financement et d’investisserment, BNP Paribas s’est également lancé dans le crédit à la consommation, par le biais de sa filiale Cetelem qui a démarré la commercialisation de ses produits en août 2007 dans cinq grandes villes, dans l’objectif de parvenir à une couverture globale du pays.
Le dynamisme de la consommation des ménages entraîne également les marchés des biens de consommation, des biens d’équipement des ménages, l’automobile, la construction ou les services. Autant de secteurs où les entreprises françaises commencent à affirmer leur savoir-faire et leur place en Russie. Certaines d’entre elles ont même réussi à se positionner en leader dans leur secteur, comme le groupe pharmaceutique Servier qui se maintient, avec un chiffre d’affaires de 191 millions d’euros en 2006, en tête du marché de prescription en Russie, devenue son implantation la plus importante dans le monde.
Dans les rues de la capitale, la Logan fait un tabac deux ans après son lancement. Avec 56 000 voitures vendues depuis juillet 2005, elle s’est imposée comme la deuxième voiture étrangère le plus vendue en Russie. Le véhicule économique a propulsé Renault en tête des constructeurs européens avec 7,7% de parts du marché des marques étrangères. Mais pour continuer à satisfaire la demande, la marque au losange a décidé d’augmenter les capacités de production de son usine d’assemblage d’Avtoframos. Dans le cadre de son partenariat avec la mairie de Moscou, elle devrait investir 150 millions de dollars pour porter la production à 160 000 unités par an à partir de la mi-2009. Elle a également prévu d’étendre sa production à de nouveaux modèles du programme Logan. Les opportunités du secteur automobile russe ne laissent pas non plus insensible l’autre constructeur français, PSA. Le cabinet d’audit et d’expertise PriceWaterHouseCooper évalue la croissance du secteur à 27% depuis trois ans. Plus encore, il estime que celle de la production locale de marques étrangères pourrait connaître une augmentation pouvant aller jusqu’à 375% au cours des sept prochaines années.* Ce qui fait de la Russie l’une des zones les plus attractives pour le secteur automobile. Cet été, Christian Streiff, Président-Directeur général de PSA et Guerman Gref, ancien Ministre russe du Développement économique et du commerce, ont conclu un accord « portant sur la production en série de Peugeot et de Citroën en Russie », en marge du 11ème Forum économique international de Saint-Pétersbourg. Une production de 50 000 à 100 000 véhicules est évoquée, pour propulser les ventes de PSA qui occupe une part de marché de 1,5% avec 27 200 unités vendues en 2006.
Sortir de Moscou et de Saint-Pétersbourg
Les échanges commerciaux de l’Hexagone avec la Russie demeurent en majorité orientés vers la région de Moscou. Dans une moindre mesure, Saint-Pétersbourg capte tout de même 10% des exportations françaises. Pourtant, c’est aussi loin de la capitale que commence à prendre forme le visage de la « nouvelle Russie ».
Pour réellement saisir les transformations, il est utile d’aller au cœur de la Fédération. A 1 700 km de la capitale, dans l’oblast de Svevlodorsk, Ekaterinbourg compte tripler son potentiel économique d’ici 2015. Pour y parvenir, la troisième ville industrielle de Russie mène au pas de charge un vaste plan de modernisation avec la construction d’un quartier des affaires, Ekaterinbourg City, dont le coût est estimé à 1 milliard d’euros, et le quartier écologique d’habitation d’Akadémitcheski. C’est d’ailleurs une agence d’architectes français, Valode & Pistre, qui a remporté l’appel d’offre pour la conception architecturale de ces deux projets. Dans cette ville hérissée de grues, le groupe français Bouygues Construction qui a déjà livré l’Hôtel Hyatt, envisage également de s’engager dans ces nouveaux programmes d’aménagement. La chaîne hôtelière française Accor a, quant à elle, annoncé qu’elle s’implanterait d’ici 2009 dans l’agglomération.
En dix ans, les échanges de la France avec l’oblast de Svevlodorsk ont été multipliés par huit, la plaçant au deuxième rang de ses partenaires commerciaux. La région d’Ekaterinbourg a aussi drainé d’importants groupes industriels français. En juin dernier, Areva a conclu un accord avec UC Rusal, numéro un mondial de l’aluminium, pour fonder une co-entreprise qui produira des équipements électriques pour les usines du groupe russe. Connu pour être le leader mondial de l’énergie nucléaire, Areva avait déjà installé en 2006, un système pour le site d’UC Rusal à Sayanogorsk, en Sibérie, permettant d’importantes économies, compte tenu des volumes d’électricité qu’absorbe la production d’aluminium. Plus au sud, dans la région d’Orenbourg, Schneider Electric, spécialisé dans la distribution électrique et l’automatisation industrielle, continue à développer ses activités à partir de l’usine Uralelektrokontaktor, où sont fabriqués des commutateurs haute tension destinés au secteur énergétique russe, aux centrales électriques ou aux constructions urbaines.
L’intérêt des entrepreneurs français s’aiguise également dans le Caucase russe. Les échanges avec Rostov ont plus que doublé entre 2005 et 2006, atteignant près de 30 millions de dollars. L’intérêt pour cet autre centre industriel russe s’est particulièrement renforcé après la visite en septembre 2006 de Christine Lagarde, alors ministre française du Commerce extérieur, devenue ministre de l’Economie et des Finances. Bien implanté à Saint-Pétersbourg, le groupe Lafarge a d’ailleurs conclu un accord cadre portant sur la construction d'une cimenterie dans la région de Rostov, qui complète la présence du cimentier français au sud de la Russie. Il a acquis la majorité du capital du cimentier Uraltsement, à Korkino dans l’oblast de Tcheliabinsk, la « locomotive russe » comme aime à la désigner le Président Vladimir Poutine. Dans le secteur agro-alimentaire, Bonduelle a réussi a s’implanter sur les « terres noires » de Krasnodar. Non sans peine d’ailleurs puisque l’entreprise lilloise à dû batailler pendant sept ans pour faire démarrer son usine et louer les terres d’un ancien kolkhoze pour l’approvisionner. Mais au final le pari s’avère payant, puisque la marque s’est imposée dans les foyers russes et surtout comme le leader du marché de la conserve dans le pays.
Pourtant, la présence des petites et moyennes entreprises reste encore trop modeste dans les régions russes au regard des percées qu’y ont réalisées leurs concurrentes allemandes et italiennes. Lors des 2ème Rencontres technologiques franco-russes organisées par la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris le 25 septembre dernier, l’Ambassadeur de Russie en France, S.E.M. Alexandre Avdeev, est même allé jusqu’à déplorer le peu de visites effectuées par les représentants des régions françaises en Russie en comparaison de celles de leurs homologues russes en France. M. Ivan Gorelovsky, Vice-Président de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Russie, a pourtant rappelé les opportunités qu’offre cette autre dimension du marché russe : en dehors de Moscou et de Saint-Pétersbourg, 11 villes de plus de onze millions d’habitants qui comptent bien tirer profit de la formidable croissance de l’économique russe. Auxquelles il faut ajouter les zones économiques spéciales, centrées sur les activités industrielles et haute technologie comme celles de Zelenograd, Tomsk, ou Lipetsk.
De grands partenariats industriels
Situé sous la Mer de Barents, le gisement de gaz naturel de Chtokman passe pour être l’un des plus importants du monde. Contre toute attente, le géant gazier Gazprom a choisi le groupe Total comme principal partenaire pour lancer l’exploitation de ce gisement, au terme d’une âpre concurrence entre les plus grands groupes pétroliers. Après avoir essuyé de nombreuses déconvenues sur un marché où l’exploitation du pétrole et du gaz est considéré comme une priorité hautement stratégique pour l’Etat, cet accord constitue une réelle victoire pour le groupe pétrolier français. Il s’inscrit surtout dans la continuité d’une coopération énergétique et industrielle primoridiale pour le partenariat stratégique franco-russe.
Gaz de France est ainsi approvisionné depuis 1975 par Gazprom qui lui a vendu 13,1 milliards de mètres cubes en 2005. Le 19 décembre 2006, Alexeï Borissovitch Miller, Président du Directoire de Gazprom, et Jean-François Cirelli, Président Directeur Général de Gaz de France, ont signé un accord prolongeant leurs contrats d'approvisionnement en gaz naturel jusqu’en 2030. A partir de la fin 2010, Gaz de France recevra en outre des volumes additionnels de 2,5 milliards de m3 de gaz naturel par an qui transiteront par le Nord Stream. Leur coopération s’est en outre diversifiée depuis 2003 dans les domaines de l’économie d’énergie, la formation et la protection de l’environnement, mais aussi pour développer des projets de production de gaz liquéfié. Dans la perspective de la libéralisation du marché de l’électricité, EDF pourrait de son côté, devenir l’un des futurs actionnaires minoritaires de la compagnie nationale d’importation et d’exportation d’énergie Inter RAO, dont l’ouverture du capital est prévue avec le démantèlement du monopole public RAO-EES à la mi-2008.
Mais, c’est dans le secteur de la production d’énergie nucléaire que de nouvelles évolutions pourraient voir le jour. Alstom devrait ainsi annoncer prochainement la création d’une société mixte pour la construction de turbines pour équiper les centrales nucléaires. Areva pourrait quant elle chercher à s’assurer une position confortable sur ce secteur au travers de sa coopération avec UC Rusal.
Au-delà des coopérations industrielles nouées avec EADS pour la construction d’appareils Airbus, le secteur aéronautique a fait encore récemment la preuve du dynamisme des synergies franco-russes dans les technologies de pointe. Présenté pour la première fois le 26 septembre 2007 à Komsomolsk-sur-Amour, situé dans l’Extrême Orient russe, l’avion régional russe, le Superjet 100, constitue l’aboutissement du premier programme aéronautique civil mené par un avionneur russe depuis la chute de l’Union soviétique. Pour sa réalisation, Sukhoi Civil Aircraft a confié en février 2006 au groupe Thales la conception de simulateurs de vol et d’équipements d’entraînement. Dans la foulée, les deux partenaires ont inauguré un centre de conception de logiciels pour ce nouvel appareil dont le moteur SAM146 est par ailleurs conçu par la société commune de Snecma Moteurs et NPO Saturn.
Ces grandes réalisations ne doivent pourtant pas occulter la principale faiblesse de l’Hexagone sur le marché russe. Avec 400 à 500 entreprises implantées, d’importants efforts doivent encore être engagés. Pourtant, M. Jean-François Collin, Chef de la Mission économique française à Moscou, ne voit rien d’inéluctable à la modeste présence économique de la France en Russie. Le nombre d’entreprises exportant vers la Russie a en effet doublé entre 2000 et 2006. Sur 6 000 en 2005, les deux tiers étaient des PME de moins de 250 salariés tandis que 14% étaient des grands groupes français et 19% de groupes étrangers exportant depuis la France. De plus, M. Hervé Novelli, Secrétaire d’Etat aux Entreprises et au Commerce extérieur, devrait annoncer une amélioration du soutien de la Coface aux entreprises exportatrices ou qui souhaitent s’établir en Russie, avec un élargissement de l’assurance-prospection. Figurant parmi les cinq pays cible de la stratégie d’action commerciale de la France, Cap Export, la Russie bénéfice d’une prise en charge des frais de prospection, et de marketing particulièrement attractive, à hauteur de 85%. Ces mesures sont destinées à améliorer l’accès au marché russe, dont les difficultés d’ordre administratif ou liés à la corruption peuvent s’avérer difficile à supporter surtout pour les PME. Reste à accroître la connaissance du marché russe et à y rendre plus visible le savoir-faire français dans les domaines technique et de haute technologie. Car la meilleure voie pour une implantation durable dans le pays demeure la recherche de partenariats avec des entreprises russes.
* PriceWaterHouseCooper, « Global Automotive Financial Review », 2006.