A quelques mois de l’expiration de l’Accord de coopération et de partenariat de 1994, la Russie et l’Union européenne sont à la recherche d’un cadre rénové. Ce non seulement pour dynamiser une coopération certes déjà dense mais qu’il faut adapter à la nouvelle donne géopolitique que pose le double élargissement de l’UE et de l’OTAN aux pays d’Europe de l’Est. Les questions du Kosovo, du traité FCE, du bouclier anti-missile américain ou de l’Iran peuvent aujourd’hui compliquer ce défi. Autant d’enjeux qu’il faut également considérer à la lumière du retour de l’influence russe en Asie centrale et en Extrême-Orient.
L’Union européenne et la Russie ne sont pas encore parvenues totalement à définir un cadre moderne et équilibré au sein duquel elles pourraient traiter de toutes les questions d’intérêt commun dans une vision stratégique et à long terme. Certes, leur coopération repose sur l’Accord de partenariat et de coopération (APC), signé en juin 1994, qui demeure à ce jour, l’acte fondateur de leurs relations mutuelles. Cet accord adopté à Corfou n’est entré en vigueur que le 1er décembre 1997, du fait des délais de ratification par les Etats membres. La notion de « partenariat » constituait alors une novation dans la typologie des accords externes européens, car elle se situait non seulement en deçà des accords d’association signés avec les pays d’Europe centrale et orientale mais également en deçà de ceux d’association partenariale » conclus avec les pays méditerranéens. Dans l’accord UE-Russie, en effet, les exigences et surtout les engagements financiers y étaient bien moindres. Il s’agissait principalement d’un texte technique visant à encadrer les échanges économiques et commerciaux entre les deux parties.
L’APC qui affirmait d’abord un socle de valeurs communes reposant sur la démocratie et le respect des droits de l’homme offre essentiellement un cadre institutionnel au sein duquel le dialogue politique se déroule à plusieurs niveaux :
– les sommets bi-annuels entre le Président russe et les présidents du Conseil européen et de la Commission qui fixent les orientations stratégiques ;
– le Conseil permanent de partenariat qui réunit une fois par an les ministres compétents ;
– les hauts fonctionnaires qui se réunissent en tant que de besoin ;
– une commission parlementaire mixte associe enfin, les représentants de la Douma et du Parlement européen.
Il s’agit en fait d’un système de consultation très complet, le plus complet que l’UE ait instauré avec n’importe quel autre partenaire de l’Union, car la Russie est la seul pays avec lequel il y a deux consultations annuelles.
Au plan économique, cet Accord de partenariat était censé mettre en place les conditions de création à terme d’une zone de libre échange, objectif qui ne put guère être réalisé compte tenu des divergences opposant les deux parties. L’APC posait bien le principe d’un démantèlement immédiat et intégral des restrictions quantitatives aux échanges, mais il maintenait des dérogations pour certains secteurs, comme le textile, la sidérurgie et les produits agricoles. De son côté, la Russie s’engageait à harmoniser sa législation avec celle de l’UE en matière de normes et de droit, en particulier dans les domaines de la concurrence, de la fiscalité, des services financiers et de la protection de la propriété intellectuelle. Une telle liste d’objectifs en montre le caractère très ambitieux. Les progrès réalisés se sont heurtés au poids des intérêts et des réalités, surtout dans le contexte d’une restructuration de l’économie russe. La coopération devait particulièrement être renforcée dans des secteurs privilégiés : transports, énergie, télécommunications, environnement et culture.
On voit aisément que ce texte, qui date de plus de treize ans, est devenu obsolète. Au surplus, il ne tient pas compte de l’évolution du contexte géopolitique qui a considérablement changé la donne. La Russie a retrouvé sa stabilité politique dans le cadre d’un « Etat démocratique souverain », sa croissance s’est considérablement accélérée et elle a emprunté la voie de la consolidation d’un secteur étatique, fort éloigné du credo du libéralisme pur professé à Bruxelles. L’UE, de son côté, s’est élargie de trois membres en 1995, puis de dix, dont huit d’Europe centrale et orientale en 2004, sans que ces mutations aient été correctement gérées au sein du partenariat euro-russe. Surtout l’Accord de partenariat n’abordait pas du tout le volet de la politique et de sécurité, domaine laissé à l’OTAN, dans le cadre du Partenariat pour la Paix ou strictement bilatéral. Or, on le sait, les problèmes purement géopolitiques n’ont fait que croître et ont pesé sur les progrès de la coopération entre la Russie et l’UE. L’UE a certes accordé à la Russie le statut d’économie de marché le 29 mai 2002.
Depuis 2003 l’élaboration de « quatre espaces communs » a démontré implicitement les limites de l’APC. Depuis sa signature, cet acte de base a été complété en 1999 par deux textes. En juin 1999, lors du Sommet européen de Cologne l’UE a en effet adopté une Stratégie commune pour la Russie mais qui en est resté au stade des généralités : consolidation de l’Etat de droit, intégration de la Russie dans l’espace économique et social commun, coopération accrue notamment dans les domaines de l’énergie, de l’environnement et de la lutte contre le crime organisé. En octobre de la même année, la Russie adoptait une Stratégie à moyen terme pour le développement des relations entre la Fédération de Russie et l’UE (2000-2010). Lors du Sommet de Saint-Petersbourg, en mai 2003, la Russie et l’UE ont précisé leurs pensées sur les quatre espaces communs :
– un espace économique qui vise a assurer l’intégration progressive de la Russie dans le marché intérieur européen par la convergence réglementaire, l’interconnexion des grands réseaux et le dialogue énergétique. Pour assurer la sécurité des centrales nucléaires russes, l’UE dépense à titre d’exemple 100 millions d’euros par an.
– un espace de sécurité, de liberté et de justice, qui vise essentiellement à assurer la mobilité des personnes en harmonisant le système des visas, le rapatriement des migrants illégaux, ainsi que la coopération policière et judiciaire, autant d’éléments qui revêtent des aspects importants du fait de l’entrée des pays baltes dans l’Union.
– un espace de sécurité extérieure qui porte sur la sécurité civile et la gestion des crises. Ce volet apparaît le plus difficile à mettre en œuvre, principalement vis-à-vis des zones de crises que sont la Transnistrie, l’Abkhazie ou l’Ossétie pour lesquelles l’UE ne saurait rester indifférente.
– un espace de recherche et d’éducation qui a donné lieu à la signature d’un vaste accord cadre de coopération scientifique et technique, dont le potentiel doit être pleinement exploité.
Les feuilles de route de ces quatre espaces ont été adoptées lors du Sommet de Moscou du 10 mai 2005. Dotées d’engagements concrets, elles apportent une dimension politique plus substantielle aux bases juridiques jetées par l’APC. Mais là encore ces documents ne prennent pas en compte la dimension géopolitique des relations Europe-Russie. Ces quatre espaces sont en effet censés s’articuler avec la politique européenne de voisinage (PEV) qui englobe les voisins de la Russie, notamment l’Ukraine, le Belarus, la Moldavie et le Sud Caucase.
Depuis le début 2006, les progrès dans les relations entre l’UE et la Russie ont été freinés par un certain nombre d’obstacles qui n’ont pas rendu possible le renouvellement de l’Accord de partenariat. En novembre 2005, alors que les relations entre la Pologne et la Russie se détérioraient principalement du fait de l’intervention de Varsovie dans les affaires de l’Ukraine, la Russie ; arguant d’une absence de contrôles suffisants et de falsifications répétées des services vétérinaires polonais, a gelé ses importations de viande en provenance de la Pologne. Appuyé par la Commission et les Etats membres, la Pologne s’est alors opposé, par veto au renouvellement de l’accord de partenariat de 1997. Puis l’affaire du bouclier antimissiles, est venue détériorer davantage les relations entre la Russie, qui s’oppose à l’installation de systèmes de lanceurs en Pologne et d’une base de radar en République tchéque. De fortes tensions ont opposé d’autre part l’Estonie et la Russie, après la décision des autorités de Tallinn de déménager la statue d’un soldat soviétique commémorant la victoire de 1945. De même, la Lituanie, privée de pétrole russe depuis juillet 2006 s’est jointe au camp des pays favorables à une attitude plus critique vis-à-vis de la Russie. Alors qu’officiellement les autorités russes parlent d’une fuite sur la partie russe de l’oléoduc, les Lituaniens font valoir que la cessation des livraisons a coïncidé avec le rachat par une entreprise polonaise de la raffinerie de Mazizkiu Nafta, jadis propriété de Ioukos. Ces développements ont entravé les progrès du « dialogue énergétique » (pétrole, gaz, et électricité) lancé lors du sommet de Paris du 30 octobre 2000. Malgré tout les échanges entre les deux partenaires ont continué à progresser. La Russie dirige vers l’Europe 58% de ses exportations de pétrole et 65% de ses exportations de gaz et elle pourrait même encore considérablement augmenter d’ici 2020 sa part de gaz importé par les pays européens. Le potentiel de coopération et d’échanges entre les deux partenaires est entier et paraît prometteur.
Le sommet Union européenne-Russie de Samara, des 17 et 18 mai fait le constat de ces désaccords qu’il convient de replacer dans un contexte plus large marqué par un durcissement dans les relations russo-américaines, ainsi que le débat électoral qui s’est ouvert en Russie. Mais l’UE et la Russie ne s’en tiennent pas là et ont montré leur volonté de progresser dans bien des domaines où leurs dépendances mutuelles sont les plus fortes, comme en matière énergétique, commerciale, politique de voisinage et non prolifération des armes de destruction massive, sans compter d’autres dossiers comme le Proche-Orient. En vérité la relation Russie-Union européenne apparaît for dense, même si elle n’a pas encore atteint son vrai potentiel.
Nul doute qu’un nouveau réalisme et le sens des responsabilités à long terme ne tardera pas à porter ses fruits. Comme l’écrit Mark Entin, professeur et directeur de l’Institut européen de Moscou : « Nous avons besoin d’une volonté politique, d’une vision stratégique de l’avenir, d’une compréhension des liens entre la Russie et l’Union européenne. Nous devons comprendre dans quelle mesure ces deux entités sont inséparables et ont des intérêts réciproques… Les relations actuelles sont fondées sur un partenariat stratégique, et seule la perspective lointaine de relations d’alliés entre Moscou et Bruxelles est capable d’assurer la sécurité, la stabilité, la prospérité et la compétitivité sur le continent ». De son côté Timofeï Bordatachev, rédacteur en chef adjoint de la revue Russia in Global Affairs estime que « Dans le cadre des relations complexes entretenues par l’UE et la Russie, le rôle des acteurs non gouvernementaux peut favoriser la stabilisation des relations bilatérales, contribuer à renforcer la confiance mutuelle nécessaire au dialogue ainsi qu’à l’européanisation de l’Etat et de la société russe, grâce au rapprochement entre la réglementation et les comportements sociaux de ce pays européen et ceux de la vielle Europe ». P. B.
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