Brésil : Une puissance émergente
Dixième puissance industrielle du monde, le Brésil a vu renaître de nouveaux espoirs pour la réduction des inégalités et le retour du dynamisme économique avec l’accession au pouvoir du Président Lula. Situé sur l’avant-scène d’une Amérique latine en pleine mutation et porte-voix des revendications pour plus d’équité commerciale entre le Nord et le Sud, le Brésil du Président Lula est porteur d’un projet ambitieux dont S.E.M. Sergio Silva do Amaral, Ambassadeur du Brésil en France, nous décline les grandes lignes.
La Lettre Diplomatique : Monsieur l’Ambassadeur, fin octobre 2002, le Brésil a tourné une importante page de sa transition démocratique avec l’accession au pouvoir du Président Luiz Inacio da Silva, dit Lula. Quels changements fondamentaux ce tournant implique-t-il pour votre pays ? Comment qualifieriez-vous le chemin parcouru par le Brésil depuis la fin de la dictature militaire en 1984 ?
S.E.M. Sergio Silva do Amaral : Depuis la fin du régime militaire en 1984, nous avons eu une grande stabilité démocratique parce que tous les présidents ont été normalement élus et les différentes passations de pouvoir se sont déroulées sans aucun problème. Nous avons même eu recours à une mesure d’impeachment à l’encontre d’un président, selon des normes rigoureusement constitutionnelles. Mais, vous avez sans doute raison sur le fait que, peut-être, pour la première fois dans l’histoire du Brésil, nous avons connu une passation du pouvoir qui s’accompagne d’un changement considérable du point de vue politique. C’est la première fois, en effet, qu’un parti politique vraiment populaire, mais sans être populiste, un parti qui a des origines au sein des syndicats et des organisations populaires, arrive au pouvoir d’une façon tout à fait démocratique sans le moindre incident, que ce soit sur le plan du processus électoral ou sur le plan de la passation du pouvoir. S’il existe bien des gouvernements populaires de gauche partout dans le monde, au Brésil, il s’agit d’un mouvement de gauche populaire qui ne se veut pas populiste. Cela constitue un grand changement, d’autant plus que ce gouvernement a non seulement fait preuve de sagesse politique mais aussi de prudence économique, parce qu’il mène une politique équilibrée dans le respect du maintien des grands équilibres macro-économiques.
L.L.D. : Elu sur un important programme social, le Président Lula a néanmoins fait de la poursuite d’une politique de rigueur économique le gage de son accomplissement. Après avoir écarté la menace d’une envolée de l’inflation en 2003, quelles mesures sont-elles préconisées pour amorcer un décollage durable de la croissance économique brésilienne ? Quelles sont les lignes conductrices de la politique de réformes structurelles du gouvernement brésilien en ce qui concerne notamment le système des retraites et la fiscalité ? Comment entend-il gérer les contraintes de la dette publique ? Quelle politique votre pays pratique-t-il en matière d’attraction des IDE ?
S.M.S.S.D.A. : La première préoccupation du gouvernement a été de restaurer la confiance des marchés. Ceux-ci croyaient, à tort ou à raison – les résultats ont montré qu’ils avaient tort -, que ce nouveau gouvernement allait bouleverser l’économie brésilienne en introduisant des mesures populistes, en faisant baisser les taux d’intérêts sans respecter la nécessité de lutter contre l’inflation et sans tenir compte de l’équilibre fiscal. Il a toutefois conduit une politique d’austérité fiscale et il a réussi à faire tomber l’inflation à un taux assez raisonnable, de l’ordre de 8 % en 2003 et qui devrait être de 6% en 2004. Il a dégagé un excédent primaire de plus de 4% du PIB. Le taux de change est désormais stabilisé, la balance commerciale a présenté un excédant de 24 milliards de dollars. Nous avons donc aujourd’hui rétabli tous les fondamentaux macro-économiques. Le pays est prêt faire décoller sa croissance, et nous aurons cette année, selon l’évaluation unanime du gouvernement et de différents observateurs économiques, un taux de croissance d’environ 3,5 à 4%, ce qui est important et qui permet déjà d’envisager une croissance à des taux plus élevés dans les années à venir.
Le gouvernement brésilien s’est par ailleurs engagé dans un programme de réformes, défi auquel, d’ailleurs, tous les gouvernements dans le monde font face aujourd’hui, parce que nous vivons tous dans un espace économique globalisé dans lequel tous les pays se trouvent en situation de concurrence. Ce nouveau siècle montre en effet que la plupart des pays se fixent un ordre du jour de plus en plus semblable, avec pour objectif la restructuration de leur économie en vue d’accroître leur compétitivité et la réforme de leur système de sécurité sociale pour faire face à la contrainte de la démographie.
Nous avons donc poursuivi la réforme de la fiscalité qui a pour but de réduire l’imposition du secteur productif. Nous avons également réformé les contributions sociales (PIS et COFINS), de façon à réduire leur portée sur les secteurs à plus haute valeur ajoutée. La possibilité d’accroître la part disponible de notre budget, qui est gelée à 90%, a été fondamentale pour rendre plus efficace la gestion de nos dépenses publiques. Nous avons également poursuivi la réforme de la sécurité sociale en allongeant la durée minimum d’activité avant la retraite et en augmentant les contributions sociales, pour enrayer la détérioration du déficit fiscal et favoriser la reprise soutenue de l’économie. Le gouvernement a toutefois conduit cette politique économique d’austérité et de réforme avec souplesse, en préservant les projets sociaux les plus importants.
La dette brésilienne n’est pas aussi importante que ce que l’on dit. Elle représente aujourd’hui 57% du PIB. Je crois que ce taux est moins élevé que celui de la France. Mais, là encore la crédibilité et la confiance jouent un rôle. La dette extérieure du Brésil est de l’ordre de 200 milliards de dollars pour un PIB qui atteint 600 milliards de dollars, soit 30% de celui-ci. La dette intérieure qui s’élève à environ 40% du PIB est en revanche plus grande que celle de la France. Ce qui caractérise certains pays en développement est l’importance des flux de capitaux à court terme qui sortent dès la première crise venue avec, par exemple, la hausse des taux d’intérêts aux Etats-Unis ou les répercussions des problèmes financiers d’autres régions comme la crise russe en 1998/99. C’est pour cela que nous nous efforçons de réduire aujourd’hui la partie de la dette interne qui est indexée au dollar, de l’échelonner à moyen ou à long terme et de pratiquer une politique tout azimut d’augmentation des exportations, autrement dit de l’excédent de la balance commerciale, et de réduire le déficit en compte courant. Ce dernier est arrivé à 5% de la balance des paiements, ce qui est d’ailleurs aussi le cas des Etats-Unis. Mais, si le Etats-Unis peuvent s’appuyer sur les marchés du monde asiatique pour financer leur balance des paiements, pour le Brésil cette politique est un risque. Fort de l’augmentation de l’excédent commercial réalisé en 2003, nous avons réduit le déficit en comptes courants à zéro et nous comptons poursuivre cette politique en 2004 afin de réduire notre dépendance aux capitaux étrangers à titre de précaution.
Cependant, il faut bien admettre qu’aucun pays ne peut aujourd’hui se priver de l’apport d’investissements étrangers. C’est la réalité d’une économie de plus en plus intégrée à l’échelle mondiale. Les pays comme la Chine, qui ont un taux de croissance plus important que le nôtre, sont d’ailleurs ceux qui reçoivent le plus d’investissements étrangers. La France par exemple, de 1996 à 2000-2001, a plus que doublé le montant de ses investissements à l’étranger. Durant cette période, le Brésil a notamment reçu près de 2 milliards de dollars par an d’investissements français, soit l’équivalent de 10 milliards de dollars en cinq ans. Parmi les 40 premières entreprises françaises qui constituent le CAC40, 36 sont présentes au Brésil et au total, quelque 500 entreprises françaises y ont des investissements. C’est évidemment un facteur qui rapproche beaucoup les deux pays, en créant un réseau d’intérêts concrets entre les deux économies. Les investissements français ont ainsi tendance à augmenter la part des exportations françaises au Brésil. Si beaucoup de ces entreprises sont présentes dans le secteur des services, à très faible valeur d’exportation, il y en a aussi beaucoup dans le secteur productif, contribuant à l’incroyable expansion que connaît le Brésil depuis deux ans et qui se traduit par une augmentation de 15 à 20% par an de ses exportations.
Lorsque j’explique que le Brésil est un pays assez ouvert aux investissements étrangers, cela étonne parfois mes interlocuteurs. Mais cette caractéristique est inscrite dans la Constitution brésilienne qui ne fait pas de distinction entre les entreprises brésiliennes et les entreprises étrangères. Elles sont traitées sur le même pied d’égalité par les lois, par le gouvernement et par les banques officielles de développement. Je dirais même que dans certains domaines, les entreprises étrangères bénéficient d’avantages particuliers que leur accordent les accords bilatéraux. Les compagnies d’aviation étrangères, par exemple, ne payaient pas jusqu’il y a 2-3 ans, l’impôt sur le carburant, contrairement aux compagnies brésiliennes, ce qui était d’ailleurs absurde. Mais cette différence de traitement a, depuis, été supprimée. En ce qui concerne le fonctionnement des banques officielles de développement, les entreprises étrangères bénéficient également du même accueil que les entreprises nationales. Nous avons de ce point de vue au Brésil, une banque de développement qui est d’ailleurs très peu connue à l’étranger, la Banque nationale de développement économique et social (BNDES) dont le montant des prêts annuels atteint presque le double de celui de la Banque interaméricaine (BID) pour toute l’Amérique latine ou presque autant que celui de la Banque mondiale pour tous les pays en voie de développement. Il s’agit donc d’un acteur très important. Nous développons également une politique très active pour attirer les investissements étrangers. En janvier dernier, le Président Lula et ses ministres ont ainsi organisé à Genève une grande rencontre entre chefs d’entreprises brésiliens et européens pour justement leur présenter les projets majeurs d’investissement au Brésil. Nous cherchons donc activement à exposer les opportunités qu’offre notre économie et les projets auxquels des capitaux étrangers ont tout intérêt à s’associer.
L.L.D. : Thème phare du gouvernement brésilien, l’objectif de « Faim zéro » illustre ses aspirations à construire une société plus juste et plus égalitaire. Pays comptant près de 50 millions de pauvres sur une population de 178 millions d’habitants, quelles ressources entend-t-il mobiliser pour réduire efficacement la pauvreté et corollairement favoriser la création d’emplois ? Plus précisément, quels efforts entend-il mettre en œuvre pour réduire le décalage de développement entre le Nordeste et le Sudeste ? Alors que 2% des propriétaires fonciers possèdent encore 50% des terres, de quelles marges de manœuvre dispose-t-il pour engager une réforme agraire ? Quelles dispositions sont prises pour résoudre les problèmes liés à la violence, notamment par le biais des municipalités et de la décentralisation ?
S.M.S.S.D.A. : Le gouvernement a mis en œuvre deux types de mesures. L’une à caractère conjoncturel, avec la distribution de nourriture aux populations les plus pauvres, notamment par le biais de repas dans les écoles. Chacun des quelque 34 millions d’élèves, âgés de 7 à 14 ans, inscrits dans les écoles publiques, reçoivent ainsi trois repas par jour. Comme nous sommes parvenus à scolariser 96 à 97% des enfants, toute une génération d’élèves brésiliens aura à présent une bonne alimentation. Mais, cette approche ne résout pas le problème de fond. Le combat contre la faim et la pauvreté passe surtout par l’accès à l’assistance en matière de santé, d’éducation, de formation professionnelle et par la création d’emplois. Le gouvernement a donc pris des mesures d’ordre plus structurel avec une politique de distribution de revenu minimum destiné aux groupes les plus défavorisés et qui vise à les associer aux programmes sociaux du gouvernement. La Bourse Ecole a, par exemple, pour but d’inciter les parents à maintenir leurs enfants à l’école. Un salaire minimum est distribué y compris aux gens qui ne contribuent pas à la sécurité sociale. En fait, le gouvernement a réuni toutes les prestations qui visent à réduire les inégalités sociales pour en faire un seul mécanisme de distribution de revenus aux couches les plus défavorisées et qui est la base de notre combat contre la faim. Plus concrètement, l’ensemble de ces prestations sont regroupées au sein d’une carte familiale, comparable à une carte de crédit, dans laquelle chaque service est associé à une réserve de revenus. La création d’emplois passe, quant à elle, par l’intermédiaire de l’appui à l’agriculture familiale, le soutien des PME par la banque du développement, et surtout par un effort prioritaire en faveur de la reprise de la croissance.
Le décalage de développement entre le Nordeste et le Sudeste du Brésil représentait, il y a quelques décennies encore, un problème très aigu, alors qu’aujourd’hui les états du Nordeste ont un taux de croissance supérieur à la moyenne nationale. Malgré son rattrapage économique, cette région continue de bénéficier de fonds de développement. Ceux-ci se traduisent par le financement de projets à des taux d’intérêts favorables et par l’appui aux PME, surtout dans l’agriculture qui est le principal secteur d’activité dans le Nordeste brésilien. Une action prioritaire est également déployée par le Ministère de l’Éducation et le Ministère de la Santé dans les Etats les moins favorisés dont ceux du Nordeste où les indices sociaux indiquent un progrès plus lent.
Le gouvernement propose un compromis assez large pour la réforme agraire parce que le Parti des Travailleurs (PT) a toujours été très lié au Mouvement des Sans Terres, à travers toute une interpénétration des associations respectives des deux organisations. Mais, évidemment, cela ne peut suffire car le Mouvement des Sans Terres demeure très autonome. Or, le gouvernement manifeste un engagement très fort à l’égard de cette question. Il s’agit d’un problème particulièrement compliqué. Nous vivons aujourd’hui, au début du XXIème siècle, l’exode rural qu’a connu l’Europe à la fin du XIXème siècle, à l’époque de la Révolution industrielle. Ce problème n’a en quelque sorte été résolu que par l’intermédiaire de l’immigration et de deux guerres mondiales. Le Brésil a connu, durant les 50 dernières années, une migration d’environ 50% de la population rurale vers les villes. Aucun pays ne peut assurer, dans une aussi courte période de temps, la mise en place d’équipements sociaux et publics nécessaire pour une si grande masse de population. Nos problèmes sociaux sont dès lors localisés dans la périphérie des grandes villes plus que dans les campagnes ou même dans le Nordeste. A ce phénomène, il faut ajouter celui de la désintégration de la famille qui découle des difficultés que cause l’exode rural. C’est évidemment un grand défi, mais je crois qu’on commence, progressivement, à y apporter une réponse appropriée.
Les problèmes d’insécurité peuvent paraître plus visibles au Brésil parce que le changement y a été plus rapide et parce que les besoins y sont plus grands. Aussi, seuls des programmes sociaux, la croissance économique et surtout la création d’emplois et de revenus, notamment pour les adolescents, sont en mesure d’y apporter des solutions. Là encore, nous sommes en présence d’un phénomène qui est devenu mondial, lié au sous-emploi et au chômage, et qui se manifeste à la périphérie des grandes villes. Mais, à part Rio et Sao Paulo, où l’intensité de la violence et la criminalité sont plus importantes, la situation est tout à fait normale dans les autres régions du Brésil, voire relativement la même que dans d’autres régions du monde. Si ce problème auquel sont confrontées des sociétés aussi différentes que la société française et la société brésilienne, au Brésil la réponse est toutefois différente car notre Etat repose déjà sur une structure assez décentralisée. De ce point de vue, la police n’est pas du ressort du gouvernement, mais de chacun de nos 27 Etats fédéraux qui sont pourvus de larges compétences politique et économique. Il existe évidemment des problèmes de financement, mais je n’irais pas jusqu’à dire que la lutte contre l’insécurité en dépende principalement. Le partenariat avec la société civile, les ONG ainsi que les associations de parents d’élèves a en revanche beaucoup joué dans l’amélioration de la capacité de la police à faire face à ces défis. S’assurer, par exemple, que les enfants aillent bien à l’école et ne restent pas dans la rue aide grandement le combat contre le trafic de drogue. Une association comme « Les enfants du Morumbi » que je connais bien, – le Morumbi étant un des plus grands stades de Sao Paulo, entouré par un bidonville – a ainsi cherché à attirer les enfants pour former un orchestre de samba. 3 000 enfants y apprennent désormais la musique. Cela dit, ils ne peuvent participer à ces programmes que s’ils sont présents à l’école. Tout commence donc au Brésil par l’assurance que les enfants aillent et restent à l’école, ce qui constitue déjà un grand défi. C’est comme cela que l’on est parvenu à scolariser 96 à 97% des enfants âgés de 13 et 14 ans. C’est donc à travers ce partenariat public-privé, non dans un sens économique mais dans le sens de la citoyenneté, que l’on peut trouver des solutions au niveau local, au niveau des quartiers.
L.L.D. : Sur le plan diplomatique, le Président Lula s’est fixé pour priorité la réactivation du processus d’intégration du Mercosul. Comment percevez-vous son essor comme un véritable pôle de croissance sud-américain ? Dans quelle mesure la proposition du Président Lula de créer une monnaie et un parlement communs entre les pays du Mercosul est-elle réalisable ? Quel rôle le « couple brésilo-argentin » est-il appelé à jouer dans le processus d’intégration régionale ?
S.M.S.S.D.A. : La priorité du gouvernement en matière de politique étrangère est vraiment le progrès du Mercosul. A l’heure de la globalisation, l’intégration au niveau mondial va de pair avec la régionalisation. L’Union européenne constitue à cet égard l’exemple de processus d’intégration qui a le mieux réussi. Dans notre région, c’est le Mercosul et plus largement l’Amérique du Sud qui tendent à cet objectif. Le Mercosul a d’abord traversé une période difficile avec les difficultés économiques du Brésil puis celles de l’Argentine. Pour la première fois, les deux pays sont de pleines et entières démocraties et mènent une politique économique qui contribue à la croissance. La reprise économique de l’Argentine a ainsi aidé à revitaliser le Mercosul. Mais on ne s’est pas arrêté là : en fin d’année 2003, nous avons conclu un accord de libre-échange avec les autres pays d’Amérique du Sud, ce qui est très important parce qu’il va dynamiser le commerce entre les pays sud-américains, mais aussi les investissements étrangers. Une entreprise française qui s’établit, par exemple, à Sao Paulo ou à Lima, a devant elle un marché presque continental, ce qui n’est pas négligeable. Ce processus est donc important pour augmenter le commerce, attirer les investissements et pour construire une base économique qui puisse constituer le fondement d’une action politique plus convergente entre les pays sud-américains. Je crois donc qu’il y a de très bons arguments pour que la région soit la priorité de notre politique étrangère.
Je crois par ailleurs qu’en politique, et pas seulement en ce qui concerne les affaires internationales, il faut qu’il y ait une part de rêve et de réalité. Il y a des faits concrets, la revitalisation du Mercosul, l’accord de libre-échange avec les pays andins. Mais il faut aussi avoir un horizon et au-delà une vision. Cette vision c’est un parlement latino-américain, ou tout au moins sud-américain. D’ailleurs, les différentes assemblées nationales s’accordent avec cette perspective. Disons aussi que le Mercosul est une initiative politique avant d’être économique. Il ne résulte pas de l’action des hommes d’affaires qui ont suivi et donné consistance à ce projet politique, comme cela a été le cas pour l’intégration européenne. L’idée d’une monnaie unique s’inscrit dans cette même vision. Compte tenu de l’instabilité des taux de change aujourd’hui dans tous les pays, je crois que toutes les régions évoluent dans cette direction, et l’euro en constitue un bon exemple. Même si ce grand projet n’est pas pour demain, il faut commencer à y réfléchir et à s’y préparer dès maintenant.
Il existe certainement une épine dorsale à ce processus d’intégration. Elle est évidemment, constituée par les deux grandes économies de l’Amérique du Sud : l’Argentine et le Brésil. Il y a une très grande complémentarité entre les deux et surtout je dirais que les deux ont toujours eu un engagement très ferme en faveur de la construction du Mercosul. De même, cet engagement est aussi très ferme de la part de nos partenaires, le Paraguay, l’Uruguay, le Chili, la Bolivie. J’ajouterais que la France, qui a toujours été un partenaire politique et économique, voit le renforcement du Mercosul comme quelque chose de très positif.
L.L.D. : Réunie à Miami en novembre 2003, la Conférence des Ministres américains du Commerce a réaffirmé l’échéance de janvier 2005 pour la création de la zone de libre-échange des Amériques (ZLEA). Compte tenu des divergences commerciales entre le Brésil et les Etats-Unis, quel est le sens du compromis accepté à cette occasion par les deux pays ? Quelle est la place du processus d’intégration sud-américain face au projet de ZLEA ?
S.M.S.S.D.A. : Le marché américain est important pour nous : il représente 25% de nos exportations, soit l’équivalent de ce que représente l’Europe. Les Etats-Unis et les pays d’Amérique latine constituent au total 50% de nos exportations. La difficulté dans nos négociations est la suivante : nous avons une moyenne tarifaire qui est plus élevée que celle des Etats-Unis. Le taux moyen des droits de douane aux Etats-Unis est de 4%. Pour le Brésil, il est de 12 à 13%. Mais pour nous, les secteurs dans lesquels nous sommes les plus compétitifs représentent 10% de l’échange et c’est, justement sur ces 10%, que les droits de douane américains s’élèvent à 40-50%, auxquels il faut également ajouter des mesures de protection commerciale, d’anti-dumping ou d’interdictions d’ordre sanitaire. Alors, un accord de commerce qui n’inclut pas ce groupe de produits où nous avons la plus grande compétitivité, n’est pas, pour nous, un accord équilibré. Or, si nous abaissons la moyenne de nos droits de douane d’un taux moyen de 12% à 6%, cela constitue déjà pour les exportations américaines au Brésil un pas important, considérant qu’ils exportent une gamme de produits beaucoup plus étendue que la nôtre. Si nous comprenons que les Etats-Unis n’aient pas l’intention de mettre sur la table des négociations de la ZLEA, des questions telles que celles des subventions agricoles ou des mesures anti-dumping, mais qu’ils veuillent les négocier dans le contexte de l’OMC, il nous sera en revanche très difficile de conclure un accord qui ne traite ce genre de sujets. C’est la raison pour laquelle nous avons proposé, comme c’est le cas de la position américaine, que les produits les plus sensibles soient négociés soit en parallèle, soit dans le contexte de l’OMC. Ce qui est important c’est qui il y ait un équilibre dans le résultat des négociations de la ZLEA. Dès lors que les Etats-Unis seront prêts à négocier toutes les questions, et à ne pas exclure les points qui sont à nos yeux les plus importants, rien ne nous empêchera d’avancer.
En outre, je crois que le Mercosul est un but très important en lui-même avec ou sans la ZLEA. A court et à moyen terme, je crois que l’intégration sud-américaine peut se réaliser à un degré plus profond parce qu’elle ne concerne pas seulement les droits de douanes, mais aussi les investissements des entreprises brésiliennes et celles des pays voisins.
L.L.D. : Marquée par une décennie de crises financières, l’Amérique du Sud a vu sa situation d’autant plus fragilisée par l’accroissement des conflits liés aux trafics de drogues et d’armes. Comment le Brésil compte-il conforter sa participation à la stabilisation régionale ? Avec l’accroissement de l’exploitation des ressources économiques de l’Amazonie, quelle politique environnementale votre pays peut-il mettre en place pour en assurer sa protection ?
S.M.S.S.D.A. : Un aspect peu connu est que le Brésil a des frontières communes avec tous les pays de l’Amérique du Sud, sauf le Chili et l’Equateur. Nous avons onze pays voisins dont la France, et n’avons eu aucun conflit avec eux au cours des 150 dernières années. S’il existe en Amérique du Sud une certaine instabilité politique et économique, ce n’est pas pour autant une zone de conflit. C’est même une zone de paix car la seule question qui a failli dégénérer en conflit, entre le Pérou et l’Équateur, a été résolue sans problème par la voie du dialogue, et le Brésil est très fier d’y avoir contribué. Elle n’est pas non plus une zone de terrorisme. En revanche, nous avons à faire en Amérique du Sud aux problèmes du trafic de drogue et du crime organisé qui y est associé. Le Brésil n’est pas un pays de production de drogue, mais il y a un certain passage et un niveau relatif de consommation. Aussi, pour éviter que le Brésil ne devienne une plaque tournante du trafic de drogue, nous avons mis en œuvre une coopération régionale avec nos voisins, ce qui implique une surveillance de l’Amazonie et de son espace aérien, où s’effectuerait ce trafic. Cette action requiert des moyens très importants et c’est pour cela que nous sommes en train d’installer un système de surveillance de l’espace aérien très sophistiqué auquel a d’ailleurs participé la France. Il s’agit d’un système de surveillance radar, appuyé par la présence d’une police locale et par des avions spécialement affectés à cette tâche. Grâce à ces moyens, nous sommes déjà en mesure de repérer les avions clandestins qui traversent l’espace aérien brésilien et qui le faisaient jusque-là sans être repérés. Mais, nous avons encore des problèmes au regard de la loi brésilienne qui ne permet pas de les abattre. Les avions militaires les obligent à se poser et la police fédérale procède ensuite à des inspections et éventuellement à des arrestations. Ce dispositif réduit le transit par le territoire brésilien du trafic de drogue qui prend d’autres itinéraires. Mais il faut également tenir compte d’autres problèmes liés au trafic de drogue, comme l’achat d’armements lourds que l’on rencontre surtout dans les grandes villes. Le film « La cité de Dieu » offre, à cet égard, une très bonne illustration de la nature de ce problème mais qui est heureusement assez localisé, à Rio de Janeiro et à Sao Paulo.
L’Amazonie constitue par ailleurs un grand patrimoine que la nature a accordé au Brésil, dont les nouvelles générations brésiliennes ont compris qu’elles avaient la responsabilité de préserver. La conscience écologique au Brésil est très forte et elle est devenue un élément permanent de discussion et même de pression sur le gouvernement. Je dirais même qu’aujourd’hui notre engagement dans le domaine de l’environnement est plus grand que d’autres pays qui ont des difficultés à mettre en œuvre les conventions comme celle de Kyoto que nous avons signé. Nous avons, par exemple, mis en place, ces dernières années, une importante démarcation de réserves de protection de la forêt amazonienne. Il y a même des excès dans certains Etats de l’Amazonie : deux tiers de l’état de Roraima sont ainsi constitués de réserves soit de protection des Indiens, soit de la forêt. Mais si les gouvernements fédéraux soutiennent la politique environnementale, il doivent également assurer un niveau d’activité économique minimum pour la population. On ignore souvent que plus de 17 millions de Brésiliens vivent en Amazonie. La ville de Manaus qui compte environ 1,5 million d’habitants, possède une zone industrielle qui génère pour plus de 10 milliards de dollars par an. Là, notre grand défi et notre préoccupation majeure est de concilier l’engagement en faveur de la protection de l’environnement et une politique économique compatible parce que l’on a besoin des deux. Pour la préservation de la forêt amazonienne, nous avons, en outre, un programme qui est tout à fait à la pointe de la technologie. Il repose sur la surveillance par satellite qui permet d’identifier les départs d’incendies parfois importants. Nous cherchons également à identifier les activités économiques qui ne sont pas compatibles avec la préservation de l’environnement. Mais ce que je pense être le plus important, en tant qu’ancien vice-ministre de l’environnement, c’est que les gens se rendent compte de la valeur de ce patrimoine écologique et notamment de sa valeur économique. Autrement dit, la préservation de la forêt peut permettre de développer l’économie du tourisme ou d’explorer la biodiversité. Il y a aujourd’hui beaucoup d’exemples de cette prise de conscience, au niveau des gouverneurs par exemple, qui prennent en compte tout le potentiel à exploiter de la biodiversité et des biotechnologies. Mais, elle touche aussi bien les enfants que les adultes en âge de voter. Je crois que nous avons donc dépassé une période où il y avait un sentiment d’indifférence qui fait place à présent à un engagement de la part de l’opinion publique. Je citerai en exemple la coopération franco-brésilienne qui s’est mise en place autour du projet de construction d’un pont sur le fleuve d’Oyapock qui sépare le Brésil et la Guyane, et qui ne doit pas être, à mon avis, isolé mais qui doit s’étendre à tout un programme de création d’emplois et de coopération, notamment en matière d’environnement. Tandis que le Brésil a créé un grand parc forestier du côté de sa frontière, le Tumucumaque, Brésiliens et Français cherchent à montrer, côté guyanais, l’intérêt de cette initiative, notamment d’un point de vue économique.
L.L.D. : A l’origine de la création du groupe des pays émergents du G20 lors du Sommet de l’OMC à Cancun en 2003, le Brésil du Président Lula aspire à équilibrer la structure des échanges économiques internationaux au profit de l’hémisphère Sud. A la lumière des importants accords de coopération conclus avec l’Afrique du Sud en novembre 2003 et l’Inde en janvier 2004, comment analysez-vous l’émergence d’un bloc commercial des pays du Sud ?
S.M.S.S.D.A. : Le G20 est quelque chose qui mérite d’être étudié. Ceux qui connaissent les négociations commerciales, surtout au sein de l’ancien GATT et de l’OMC, connaissent bien la célèbre maxime des chefs de délégation : « lorsque les Etats-Unis et l’Europe ne s’entendent pas, on a des soucis ; lorsqu’ils s’entendent, on est effrayé ». Les Etats-Unis et l’Europe étant les deux grandes puissances commerciales, elles ont toujours constitué l’axe principal des accords commerciaux. C’est pour cette raison et, parce que les pays en développement n’ont pas été satisfaits des résultats du cycle d’Uruguay, que les négociations qui ont été décidées à Doha ont été appelées le « cycle du développement », pour que les aspirations des pays en développement soient effectivement prises en compte. Or l’accord qui avait été passé entre les Etats-Unis et l’Europe avant Cancun ne donnait pas l’impression que ces aspirations allaient être soutenues. A mon avis, et c’est celui du gouvernement brésilien, le G20 a été un instrument des pays en développement pour exprimer leur volonté que soient discutées les véritables questions, pour que ce cycle soit effectivement appelé celui du Développement. Je crois que c’est un signe assez fort qui a été donné et que le G20 peut effectivement beaucoup contribuer à ce que le cycle de Doha ait des résultats équilibrés.
Il faut avoir à l’esprit qu’il existe un dénominateur commun minimum entre ces pays : la nécessité que l’agriculture soit un élément à part entière des négociations est due au fait que les pays en développement et nous-mêmes exportons en grande partie des produits agricoles. Il faut également que les prescriptions en matière de propriété intellectuelle n’interdisent pas de produire des médicaments qui sont nécessaires à la santé publique comme, par exemple, ceux destinés à la lutte contre le Sida. De nouvelles règles ne doivent pas nous empêcher de faire tout ce que les pays industrialisés ont déjà fait dans leur processus de développement pour appuyer certains secteurs importants pour la création d’emplois et comme moteur de croissance. A partir de cette plate-forme de revendications communes, les intérêts commencent à se différencier et pourront se manifester dans la dynamique de la négociation. Mais le fait est qu’il existe une base commune qui a permis à ce groupe de continuer à exister même après la fin de Cancun et ce qui permettra aussi, je l’espère, d’avoir un rôle actif aussitôt que les négociations commerciales reprendront.
Parallèlement au G20, il existe tout un effort et un intérêt du Brésil à établir effectivement avec de grands pays semblables au nôtre, un réseau de liens économiques, commerciaux et d’investissements qui est très important. Nous avons ainsi conclu un accord commercial avec le Mexique, auquel j’ai participé, et qui nous a permis de plus que doubler nos exportations d’automobiles. Nos échanges commerciaux avec la Chine augmentent à grande vitesse. nous avons de multiples possibilités de coopération avec l’Inde dans nombre de domaines comme la pharmacie, l’alcool, etc. Il y a entre ces pays des intérêts réels et une convergence politique dans les négociations commerciales ou même dans l’engagement pour le multilatéral. Je suis allé moi-même en Chine avec une délégation de 120 hommes d’affaires. Pour ce qui concerne l’Inde, près de 80 chefs d’entreprises ont pu se rendre compte qu’il y avait là des possibilités concrètes qui s’offraient à eux. Ce n’est pas l’idéologie mais le pragmatisme qui guide ces rapprochements ; c’est d’ailleurs pour cette même raison que les pays européens cherchent à nouer des liens avec la Chine en ce moment, parce qu’il y a des affaires à faire.
L.L.D. : Au terme d’une tournée effectuée en novembre 2003, le Président Lula a scellé un rapprochement inédit entre le Brésil et les pays de l’Afrique lusophone. Quelle est la portée de cette initiative ? Quelle est la place de la promotion de la lusophonie dans la politique étrangère du Brésil ? A l’aune de la nouvelle implication du Brésil dans le continent africain, quelle est votre appréciation des difficultés que rencontrent les pays africains à sortir de l’impasse de la pauvreté et de l’instabilité politique ?
S.M.S.S.D.A. : Nous faisons partie d’un monde lusophone qui a les mêmes origines, la même histoire et la même langue. Le Portugais est la 3ème langue européenne parlée dans le monde. A ma grande surprise, il y a même plus de gens qui parlent le Portugais que le Français. C’est un lien que nous avons toujours cultivé. Nous avons toujours été présents en Angola dès les débuts de son indépendance ainsi qu’au Mozambique. Nous avons également des liens commerciaux et des investissements avec ces pays, qui sont loin d’être négligeables, notamment en Angola, où nous avons aussi établi une coopération technique. Ailleurs dans le monde, le Brésil a aussi soutenu l’indépendance du Timor.
Aux côtés de la communauté francophone et de la communauté anglophone, la communauté lusophone commence à manifester un certain engagement et un intérêt pour son développement, même si elle n’a pas les mêmes moyens financiers. Pour ma part, j’ai pu rencontrer en France, l’ambassadeur du Portugal et l’on se réunit régulièrement avec les autres ambassadeurs lusophones, pour étudier les moyens de promouvoir notre langue mais également les pays de culture lusophone. A l’occasion de l’année culturelle du Brésil en France qui aura lieu en 2005, je souhaiterais que la communauté française de langue portugaise soit informée de ce que l’on prépare. Il est important que l’on garde le contact avec cette communauté, travail qu’effectue, d’ailleurs depuis longtemps, le Portugal. En outre, je tiens à souligner que l’Amérique du Sud s’intéresse de plus en plus au Portugais et cherche à mieux connaître le Brésil. Tout cela constitue une réalité politique et culturelle.
En ce qui concerne les problèmes de développement des pays africains, il faut tout d’abord se rendre compte de ce grand changement qui est intervenu dans les institutions financières dont la vision naïve des années 80 préconisait : « ouvrez vos économies et le marché fera le reste ». On se rend compte aujourd’hui que le développement a besoin d’institutions et de l’Etat ; non d’un Etat omniprésent qui embauche tout le monde, mais d’un Etat qui a une certaine capacité d’intervention dans l’économie et des institutions en mesure de réserver un accueil positif aux investisseurs. Certes, cela ne se crée pas du jour au lendemain. La plupart des Etats africains ont acquis leur indépendance il y a une cinquantaine d’années. Ils ne sont aucunement condamnés à la stagnation, mais il faut un effort créateur d’institutions plus solides et je suis très satisfait de voir qu’aujourd’hui, la Banque Mondiale se rend compte de cette réalité et travaille avec d’autres Etats comme la France, qui joue un rôle très important en Afrique, pour soutenir ces pays dans cet effort et pour que leur économie se développe plus rapidement.
Lorsque j’étais président de l’Organisation des pays producteurs de café à Londres, je me souviens d’un fait très étonnant : un petit producteur de café en Ethiopie avait comme revenu par semaine, l’équivalent du prix d’une tasse de café à Londres. L’Ethiopie produit beaucoup de café. Certains pays tirent jusqu’à 60% de leurs revenus d’exportation d’une seule et unique matière première. Pour mettre fin au commerce administré, on a proposé de libéraliser les marchés, ce qui a été fait. Le résultat c’est que dans le cas du café, il ne revient en réalité au pays producteur que 10% du prix final, aux quatre grands traders 25 à 30%, à ceux qui font la torréfaction 20% et à ceux qui en assurent la distribution 15%. Les pays qui génèrent ce commerce ne gagnent donc que 10% de la valeur finale du produit. De plus, ils doivent aussi se diversifier afin de pallier à leurs difficultés d’exporter. Ceux qui optent, par exemple, pour la production de coton, font face aux fortes subventions du marché américain. Dès lors, comment peut-on attirer les investissements si, d’une part votre marché intérieur n’est pas assez développé et si, d’autre part votre production n’a pas d’accès aux marchés les plus importants. On a alors proposé les objectifs du Millénaire, qui sont très importants, mais à mon avis il n’y a aucun objectif qui soit plus important que la libéralisation des marchés agricoles. Le grand défi est donc de permettre aux producteurs des pays les plus pauvres de vendre aux consommateurs des pays les plus riches dans l’optique du développement durable.
L.L.D. : Aspirant à jouer un rôle accru sur la scène internationale, le Président Lula a dynamisé la diplomatie brésilienne, prônant une démocratisation des instances multilatérales. Quelles motivations inspirent la candidature brésilienne au Conseil de sécurité ? Quel rôle votre pays est-il en mesure de jouer dans le nouvel ordre international émergeant depuis la fin de la guerre froide ?
S.M.S.S.D.A. : Les Nations unies ont été créées dans l’après-guerre pour répondre aux menaces contre la paix et surtout dans le contexte d’un monde partagé entre deux grands blocs. Ce monde est aujourd’hui révolu. Et, je crois que l’expérience de l’Irak, durant laquelle le Brésil et la France ont été aux cotés l’un de l’autre, a montré d’une façon très claire l’importance des Nations unies et le rôle nouveau qu’elles sont appelées à assumer aujourd’hui en Irak, en Côte d’Ivoire et en Haïti.
Si l’on veut renforcer la capacité d’action des Nations unies, si l’on veut leur donner de nouvelles attributions qui vont au-delà d’une coopération entre Etats et qui peut concerner parfois même l’intervention dans un Etat membre, il faut alors qu’elle soit vraiment représentative. Vous ne pouvez pas demander aux différents Etats de leur donner un chèque en blanc. Mais d’autre part, il faut que l’ ONU soit plus représentative. Les Nations unies font un travail considérable de réflexion sur les nouvelles menaces qui pèsent sur la paix ou sur les nouveaux conflits, le terrorisme, le crime organisé, etc. Un groupe a ainsi été créé – avec notamment M. Robert Badinter et un représentant brésilien, l’Ambassadeur Baena Soares, qui aborde ces questions et qui étudie les réponses adéquates, et les ajustements ou les transformations nécessaires à la réforme des Nations unies. Or, une réforme des Nations unies doit inclure une plus grande représentativité. Si l’on veut que l’ONU ait un rôle plus important, il faut, en effet, qu’il y ait une plus large représentativité au Conseil de sécurité. L’évolution des faits et des nouvelles réalités internationales va imposer un rôle élargi aux Nations unies.
L.L.D. : Fort des relations diplomatiques particulièrement denses qu’ils entretiennent, votre pays et la France jouent un rôle clé dans le rapprochement Mercosur / UE. Partisans d’un monde multilatéral, quelles sont les grandes lignes de convergences entre les deux pays ? Quelles sont vos attentes à l’égard de la « Saison du Brésil en France » prévue en 2005, en termes de rayonnement culturel et d’approfondissement de la connaissance française de la culture brésilienne ?
S.M.S.S.D.A. : Aussi loin que je me souvienne dans l’histoire de nos relations bilatérales, jamais une période n’a été marquée par tant de domaines de convergences et tant d’affinités, caractérisées par l’excellence de la qualité des relations personnelles qu’entretiennent les deux chefs d’Etat. Convergence dans notre façon de percevoir le monde, à l’égard du multilatéralisme et de la multipolarité, du renforcement et de la réforme des Nations unies. Convergence même, sur le plan du combat contre la faim qui tient à cœur au Président Lula. La France se présente comme un interlocuteur privilégié du Brésil sur plusieurs sujets qui sont à l’ordre du jour international.
Nous avons, par ailleurs, des liens économiques assez importants aussi bien sur le plan des échanges commerciaux, qui pourraient d’ailleurs être plus importants, que sur le plan des investissements français au Brésil, où là aussi des opportunités restent à saisir. Nous avons, certes, une différence d’appréciation en ce qui concerne l’agriculture, mais je crois qu’il existe un processus de dialogue qui ouvre beaucoup de perspectives au-delà de cette apparente difficulté, puisque des entreprises françaises s’installent au Brésil dans le secteur de l’agriculture et que des entreprises brésiliennes peuvent également s’installer en France. Nos agricultures sont, en fait, complémentaires : la France produit une agriculture de haute valeur ajoutée, tandis que nous sommes un grand pays exportateur de matières premières. Il y a donc dans ce domaine des mariages à faire.
Nous avons en outre beaucoup d’affinités culturelles parce que notre itinéraire culturel a toujours été celui d’une interaction avec la France. Les premières missions culturelles qui sont allées au Brésil sont françaises, celles de Saint-Hilaire, de Debret et de bien d’autres artistes et intellectuels français. La mission Gamelin a participé à la structuration de l’armée brésilienne. La proclamation de notre république a été faite sous le signe du positivisme. Nous sommes, en fait, les derniers positivistes au monde. La Maison Auguste Comte de Paris est ainsi entretenue par la Maison positiviste brésilienne. Une mission culturelle française est à l’origine de la fondation de l’Université de Sao Paulo, avec la participation de Lévi-Strauss, Roger Bastide, Pierre Monbeig. Des intellectuels français ont également vécu au Brésil, tel est le cas de Bernanos. De notre côté, nos plus importants artistes sont venus étudier à Paris, comme Heitor Villa Lobos, Oscar Niemeyer, le grand peintre Cícero Dias ou le célèbre photographe Sebastiao Salgado qui vit à Paris.
Cette interaction culturelle et intellectuelle constitue donc une toile de fond propice à l’année culturelle brésilienne qui doit avoir lieu à Paris en 2005. Plus qu’une vitrine d’expositions sur notre pays, cet événement sera la grande célébration de cette interaction culturelle, de nos affinités et de la convergence qui a toujours existé entre nos deux pays. « La Saison du Brésil en France » s’organise autour d’un énorme programme de manifestations culturelles, dans les musées de différentes régions françaises ainsi qu’à Paris où nous serons présents dans les rues mêmes, à travers des manifestations populaires qui font partie de notre folklore, de nos traditions religieuses, comme, par exemple, le lavage des parvis des églises, tradition d’origine afro-brésilienne qui se pratique à Salvador de Bahia. D’ailleurs nous allons également faire une grande exposition sur le syncrétisme religieux du Brésil, où les différentes communautés cohabitent. Les Brésiliens ne savent même pas d’ailleurs qu’ils représentent différentes religions parce qu’ils croient aussi bien au Candomblé qu’à la religion catholique. C’est aussi un des sujet que nous partageons ; la diversité culturelle, chez nous, est aussi une diversité religieuse.
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