Israël en quête de nouvelles perspectives
Face à l’impasse du processus de paix israélo-palestinien depuis le déclenchement de la seconde Intifada, l’édification d’une « clôture de sécurité » et le retrait de la bande de Gaza sont présentés comme les mesures phares du gouvernement d’Ariel Sharon pour enrayer le cycle d’attentats/représailles. Figurant parmi les principaux acteurs des accords d’Oslo, S.E.M. Nissim Zvili, Ambassadeur de l’Etat d’Israël en France, nous livre son analyse de ces mesures mais aussi des défis auxquels est confrontée la société israélienne.
La Lettre Diplomatique : Monsieur l’Ambassadeur, reconduit à la tête du gouvernement israélien lors des élections de janvier 2003, le Premier ministre Ariel Sharon est de nouveau confronté à d’importantes divisions au sein de la coalition qu’il dirige. Tandis que l’on évoque un éventuel retour à la formule d’un gouvernement d’union nationale, à quoi peut-on attribuer cette évolution ? Dans ce contexte, quel bilan faites-vous de l’action du gouvernement ?
S.E.M. Nissim Zvili : Je crois tout d’abord qu’un pays et un peuple en état de crise permanente comme l’Etat d’Israël, a besoin d’un maximum d’union interne pour faire face à des problèmes parfois très profonds et pour trouver des solutions souvent difficiles à mettre en œuvre. Le Premier ministre israélien comprend qu’il a désormais besoin d’élargir sa coalition gouvernementale pour pouvoir appliquer, selon les règles démocratiques, une approche qu’il a person-nellement adoptée depuis peu. Il faut bien comprendre le changement idéologique et la prise de conscience de M. Ariel Sharon et de l’aile la plus modérée de la droite israélienne, pour se rapprocher d’une ligne centrale qui préconise : premièrement, la nécessité de mettre fin au conflit israélo-palestinien par une solution politique ; deuxièmement, des concessions très profondes dans le cadre de cette solution politique ; et, troisièmement, la création d’un Etat palestinien aux cotés de l’Etat d’Israël, ce qui constitue l’élément le plus difficile à accepter pour la droite israélienne.
Ce changement d’analyse pose problème au Premier ministre parce qu’il n’est pas majoritaire dans son propre parti, le Likoud, ce qui l’oblige à élargir ses soutiens vers le centre et vers la gauche, et à en exclure l’extrême droite. Nous nous trouvons en effet dans une situation d’instabilité politique parce que le Likoud n’a pas encore complètement intégré ce changement idéologique. Or, le peuple d’Israël ressent aujourd’hui la nécessité de créer un gouvernement d’union nationale qui permette de poursuivre le processus politique lancé par M. Ariel Sharon. Bien que je ne sois pas certain que son parti soit capable de former le socle d’une majorité, je pense toutefois que nul n’a intérêt à anticiper des élections qui ne vont pas fondamentalement changer l’équilibre des grandes formations politiques. Le Premier ministre essaye donc de conserver le soutien des forces minoritaires à la Knesset, en s’assurant, d’un côté, le soutien de la gauche sur le plan de désengagement de Gaza et, de l’autre, celui du parti ultra-orthodoxe concernant son projet économique et social. Pour moi, cette formule ne pourra pas fonctionner indéfiniment et de nouveaux changements devraient intervenir d’ici à la fin de l’année 2005.
Malgré l’attentat qui s’est produit à Bersheva le 31 août dernier, après cinq mois de calme relatif, on peut dresser un bilan positif de l’action du gouvernement de M. Ariel Sharon, et en tout premier lieu, dans le domaine de la sécurité. L’Etat d’Israël est, en effet, le premier pays au monde à avoir prouvé que l’on peut lutter efficacement contre le terrorisme. En 2004, les répercussions du terrorisme ont ainsi été réduites de 75%, ce qui constitue une réussite très impor-tante. Cette efficacité explique également que nous ayons eu autant de difficultés à comprendre les critiques de la communauté internationale et les décisions de la Cour internationale de Justice contre la barrière de sécurité. Nous avons, grâce cette mesure, sauvé la vie de centaines de personnes, et pas seulement d’Israéliens mais aussi de Palestiniens, en rompant le cycle d’attentats/représailles. On dénombre ainsi globalement moins de victimes des deux côtés en 2004. Les critiques sur le tracé de la barrière de sécurité peuvent éventuellement être discutées, mais celle-ci constitue un des éléments majeurs de notre réussite en matière de lutte anti-terroriste, dont le gouvernement et les forces de sécurité israéliennes peuvent se féliciter, même si cette réussite demeure toute relative.
L.L.D : Après deux années consécutives de récession, l’économie israélienne a renoué avec la croissance depuis 2003. Avec un budget pour l’année 2004 marqué par la rigueur, comment le gouvernement israélien entend-il répondre aux besoins de sa population tant en matière d’emplois que de services sociaux ? Compte tenu de l’insuffisance de l’investissement domestique, quels atouts votre pays peut-il offrir à l’investissement étranger ?
S.E.M.N.Z. : Après la lutte contre le terrorisme, le second élément de la réussite du gouvernement d’Ariel Sharon a été sa capacité à surmonter la crise économique. C’est en effet la première fois depuis le début de l’intifada que l’économie israélienne a repris un niveau de croissance satisfaisant, s’élevant à 4% en 2004 et, qui je l’espère, se maintiendra en 2005. Autrement dit, le pire moment de la crise économique est ,maintenant, derrière nous.
En revanche, c’est sur le plan de la politique sociale que le bilan du gouvernement israélien est moins favorable. Nous n’avons pas réussi, jusqu’à présent, à faire face aux problèmes sociaux. Aujourd’hui, le problème auquel sont confrontés la plupart des pays développés est de trouver un équilibre entre leur capacité économique et leurs nécessités sociales. Après l’avoir maintenu durant une longue période, cet équilibre s’est rompu en Israël avec la crise économique. Nous tentons donc de donner un nouvel élan à l’économie israélienne en diminuant certains budgets. Cette politique a donné des résultats, mais au détriment des couches les plus défavorisées de la société, qui payent également le prix de l’instabilité sécuritaire et des problèmes économiques. Nous atteignons aujourd’hui un niveau de chômage assez dangereux de près de 10% de la population active et qui affecte, plus particulièrement, 16% de la jeune génération israélienne. Même si ce problème est commun à tous les pays industrialisés, il est d’autant plus inquiétant en Israël, parce que ces jeunes ont servi dans l’armée pendant trois ans. Plus largement, un pays comme le nôtre ne pourra pas accepter durablement qu’un pourcentage aussi élevé de la population, près de 20%, vive à la limite du seuil de pauvreté. Pour autant, je ne pense pas que des changements majeurs interviennent avant 2005. Aussi, malgré les moyens investis par le gouvernement et la très grande contribution du peuple juif du monde entier, ces efforts demeurent insuffisants.
Il convient en outre de souligner les faibles résultats de notre politique de retour à l’emploi. Nous avons voulu inciter les catégories inactives de la population, à réintégrer le marché du travail en diminuant les allocations chômage et les allocations familiales. 80% des individus vivant autour du seuil de pauvreté appartiennent, en effet, à deux communautés bien distinctes en Israël : les ultra-orthodoxes et les minorités arabes. Cette année nous avons réussi à créer près de 70 000 nouveaux emplois. Or, 80 à 90 000 emplois supplémentaires sont nécessaires pour permettre à ces catégories sociales de la population de s’intégrer. Un début de changement commence néanmoins à se profiler notamment chez certains jeunes ultra-orthodoxes, ce qui est très important. Mais la solution au problème du chômage ne se trouve pas seulement dans la politique sociale du gouvernement. Si elle est nécessaire pour certains, elle n’a aucun sens pour ceux qui ne veulent pas travailler.
Enfin, les meilleurs atouts de l’attractivité de l’économie israélienne restent sa capacité d’innovation et ses infrastructures. Le niveau de développement économique de l’Etat d’Israël est, en effet, équivalent à celui de l’Europe. Avec un niveau de salaire minimum de 850 dollars par mois, comparable à celui des pays occidentaux, nous ne pouvons certes pas rivaliser avec la capacité d’attraction de pays comme l’Inde ou la Pologne. Mais, notre niveau d’investissement dans la Recherche & Développement, qui est d’environ 1 000 dollars per capita, atteint un niveau inégalé ailleurs dans le monde. La capacité humaine à faire face aux nouvelles technologies est un autre élément qui peut intéresser les investisseurs étrangers. L’Etat d’Israël n’offre peut-être pas des avantages économiques aussi importants que d’autres pays, mais il possède des centres de Recherche & Développement et les meilleurs techniciens du monde. C’est sur ces atouts que nous articulons notre volonté de coopérer avec les grandes multinationales qui désirent s’orienter vers les technologies d’avenir et des approches innovantes.
L.L.D. : La politique du gouvernement israélien d’appel à l’immigration des Juifs du monde entier, a récemment été réaffirmée par le Premier ministre Ariel Sharon. Pouvez-vous nous en expliquer le sens ? Est-elle liée aux nécessités de développement économique d’Israël ? Au-delà comment votre pays entend-il faire face à long terme au défi que pose l’accroissement démographique de la population palestinienne ?
S.E.M.N.Z. : L’immigration des Juifs de l’étranger en Israël ne constitue pas une nécessité pour notre économie. Je tiens à souligner qu’aujourd’hui, aucune communauté juive dans le monde n’est en danger. Autrement dit, tout mouvement d’immigration de Juifs vers Israël n’est pas provoqué par la contrainte comme cela a été le cas des vagues d’immigration en provenance des pays d’Afrique du Nord dans les années 50, de l’Ethiopie ou, plus récemment de l’ex-URSS. Ces nouveaux immigrants ont une approche complètement différente, mue par une volonté personnelle. L’Etat d’Israël a ainsi intégré, en moins de dix ans, près d’un million d’immigrants en prove-nance de l’ex-URSS. Bien qu’un tiers d’entre eux étaient des retraités, cette vague d’immigration a beaucoup aidé l’économie israélienne à se développer par la création de nouveaux emplois. Leur capacité personnelle à s’intégrer au service militaire, à leur ville puis au marché du travail, tout en sauvegardant leur culture, a été très impressionnante. Par ses apports, chaque vague d’immigration insuffle un dynamisme nouveau à notre économie. Nous devons donc utiliser la capacité de la société israélienne à intégrer de nouvelles populations. Nous devons également créer des conditions attractives adéquates. Si l’Etat d’Israël devient un pays suffisamment attractif, pouvant renforcer d’une part le sentiment d’appartenance à la patrie du peuple juif, mais aussi offrir des possibilités de développement économique et d’intégration sociale, dès lors de plus en plus de Juifs du monde ressentiront la volonté d’y construire leur avenir. La crise économique n’étant pas encore tout à fait surmontée, les règles d’immigration ont été assouplies, ouvrant aux nouveaux immigrants la possibilité de s’intégrer de manières plus progressive.
Par ailleurs, il est clair que nous pouvons avoir, à long terme, intérêt à accroître la population juive de notre pays. Pour assurer l’avenir d’Israël en tant qu’Etat juif, il faut en effet consolider sa centralité pour le peuple juif du monde entier ainsi que tous les domaines qui définissent les relations qu’entretient l’Etat d’Israël avec les pays où ils vivent. La communauté juive internationale a beaucoup contribué à la création de l’Etat d’Israël, même indirectement. Celle-ci a constitué un défi que les Juifs vivant en Israël ne pouvaient seuls relever. La centralité de l’Etat d’Israël pour les Juifs de l’étranger est souvent un concept que les non-juifs ne comprennent pas. Les Juifs de France, par exemple, sont solidaires de l’Etat d’Israël tout comme il me paraît normal que les Arabes de France soient solidaires des Palestiniens. Il convient toutefois d’empêcher que cette solidarité se transforme en actes de violence.
En ce qui concerne le problème démographique, sa solution réside dans la stabilisation des frontières permanentes internationales de l’Etat d’Israël. Aujourd’hui, 10 millions d’habitants vivent entre la Mer Méditerranée et le Jourdain, dont 5,5 millions de Juifs et 4,5 millions de Palestiniens. 3,8 millions d’entre eux vivent dans les territoires disputés, tandis que 1,2 million sont citoyens israéliens. Cela signifie clairement que le problème démographique se situe en dehors de nos frontières. C’est aussi pour cela que la prise de conscience de la nécessité de créer un Etat palestinien est d’une importance capitale, même si cela implique une déchirure pour ceux qui croient encore au « Grand Israël ». De la même façon, accepter la création d’un Etat bi-national, tel que le proposent certains éléments de l’extrême gauche israélienne, revient de fait à condamner l’existence de l’Etat d’Israël. Cette idée implique la disparition, en l’espace d’une génération, de l’Etat d’Israël en tant qu’Etat juif et en tant que patrie du peuple juif. En nous séparant d’environ 3,5 millions de Palestiniens, la reconnaissance des frontières permanentes internationales de l’Etat d’Israël est la première étape à franchir pour résoudre notre problème démographique. Après la création d’un Etat palestinien, nous continuerons à garantir les droits des 1,2 millions d’Arabes de nationalité israélienne, comme nous le faisons depuis toujours. Ceux-ci sont représentés à l’échelle nationale par 12 députés au Parlement, mais aussi à l’échelle locale par 85 maires élus. Je tiens également à souligner que l’immense majorité d’entre eux est pacifiste. Il faut en outre distinguer au sein de cette communauté les Druzes, plus de 160 000 Arabes chrétiens et quelque 800 000 Arabes musulmans qui s’identifient au peuple palestinien et qui vivent une période très difficile depuis le début de l’intifida. Ils ont d’ailleurs tous une approche complètement différente du conflit. De plus, si l’on demande à ces personnes si elles veulent devenir des citoyens palestiniens, elles vous répondront très clairement qu’elles désirent conserver leur nationalité israélienne.
L.L.D. : Prévoyant le démantèlement de toutes les colonies de la bande de Gaza, la mise en œuvre du plan de désengagement unilatéral du Premier ministre Ariel Sharon a été avancé au début de l’année 2005. Alors que la Feuille de route est pour l’heure restée lettre morte, quel est l’objectif stratégique de cette mesure ? Qu’en est-il de la Cisjordanie où ce plan ne prévoit que l’évacuation de quatre colonies ?
S.E.M.N.Z. : Il est vraiment très intéressant de comprendre comment le gouvernement israélien et la majorité de la société israélienne sont arrivés à la conclusion que l’Etat d’Israël doit se séparer de la bande de Gaza. La prise de conscience de l’opinion publique israélienne que la situation politique ne pouvait pas perdurer, a eu lieu il y a quatre ou cinq ans. Les 2/3 de celle-ci a compris qu’elle devait abandonner ses illusions sur un « Grand Israël » et faire des concessions très profondes, à savoir admettre la nécessité de partager le territoire et de mettre fin à ce conflit dans le cadre d’un accord politique. Mais en arrivant à ces conclusions, elle s’est également rendue compte, avec le déclenchement de la nouvelle intifada, qu’elle n’avait pas de vrai partenaire. C’est aujourd’hui le grand paradoxe dans lequel vit la société israélienne.
La Feuille de route est un document très intelligent, très bien conçu et très pragmatique parce qu’il pose les deux questions de fond : celle du terrorisme palestinien, d’une part, et celle des implantations israéliennes, d’autre part. Si l’on parvient à les résoudre, la confiance pourra être restaurée et nous pourrons dès lors avancer sur la voie d’un accord. Mais, de notre point de vue, les autorités palestiniennes n’ont pas la volonté de lutter contre le terrorisme. Tout le monde peut constater que les résolutions de la feuille de route n’ont pas été respectées. On peut également affirmer que le gouvernement israélien n’a pas suffisamment agi pour geler les implantations illégales. Notre gouvernement a cependant défini comme priorité la lutte antiterroriste. Fort de ce constat, nous avons redéfini nos intérêts stratégiques. Nous ne nous sommes pas contentés de nous enfermer derrière notre barrière de sécurité et de protéger nos implantations, en attendant une ou deux générations qu’une solution soit trouvée. Le Premier ministre Ariel Sharon a, au contraire, pris la décision du désengagement israélien de la bande de Gaza. Le grand avantage de cette initiative est de libérer de la présence de l’armée israélienne, 40% du territoire palestinien, à Gaza, où vivent 1,4 million de Palestiniens et dans le nord de la Cisjordanie où vivent 12 à 13 000 Palestiniens. Dans ces régions, l’armée et les implantations israéliennes seront complètement évacuées.
Ce plan pouvait être appliqué dans trois contextes différents : soit dans le cadre d’un accord avec les Palestiniens, soit dans celui d’un accord international, soit dans celui d’une décision unilatérale. Je dirais qu’aujourd’hui nous sommes entre le deuxième et le troisième cas puisque le plan de désengagement de M. Ariel Sharon a reçu le soutien des Américains et celui des Européens, bien que ces derniers aient émis comme réserve qu’il soit appliqué dans le cadre de la Feuille de route. De ce point de vue, la grande réussite de M. Ariel Sharon a été de convaincre l’administration du Président américain George Bush, que cette étape était nécessaire pour rebâtir une certaine confiance et pour pouvoir discuter de l’avenir de la Cisjordanie. La détermination du Premier ministre israélien et de son gouvernement à appliquer ce plan est aujourd’hui la seule possibilité de sortir de l’impasse dans laquelle se trouve le Proche-Orient. J’ajouterai que ce plan existe au sein de la gauche israélienne depuis dix ans, mais qu’elle n’a jamais été capable de l’appliquer. C’est à présent un gouvernement de droite qui va le mettre en œuvre avec le soutien de la gauche. Elle représente la première étape de l’application d’un plan beaucoup plus large qui doit mettre fin à ce conflit.
Il faut aussi comprendre que ce sera une étape très pénible parce qu’un certain nombre d’Israéliens vivent dans ces territoires. Ils y ont été amenés par des décisions du gouvernement israélien. Ils y ont bâti leurs maisons, leurs écoles ; des milliers d’enfants y sont déjà nés ; ces territoires représentent toute leur vie. 8 000 personnes sont concernées, autrement dit des familles entières qui se demandent ce qui leur arrive. Le plan de désengagement de la bande de Gaza va donc impliquer une profonde déchirure dans la société israélienne, mais nous comprenons aussi que la présence des Israéliens dans ce territoire n’a pas d’avenir.
L’évacuation de la bande de Gaza constitue par ailleurs un vrai test pour tenter d’évaluer la volonté et la capacité des Palestiniens à gérer ce territoire, à devenir un voisin pacifique de l’Etat d’Israël. C’est un autre élément de la stratégie dont participe ce plan. Cette région a, aujourd’hui, l’opportunité de se transformer en une région plus prospère. Si les attentats terroristes se poursuivaient après l’évacuation, quelles excuses auraient-ils ? Dans ce cas, les Palestiniens devraient oublier la prochaine étape, parce que la majorité de l’opinion publique, y compris la gauche israélienne, soutiendra alors le gouvernement. C’est pour cela aussi que nous sommes intéressés par une certaine association de la Jordanie et de l’Egypte à ce projet.
En revanche, ce n’est pas automatiquement la même solution qui sera adoptée pour la Cisjordanie. Cette autre étape, on peut déjà s’en rendre compte, sera beaucoup plus difficile à appliquer. D’où l’importance de la première étape, qui posera le principe de l’évacuation d’implantations israéliennes présentes dans les territoires disputés. Nous pourrons par la suite discuter de la frontière permanente. Dans l’accord d’Oslo, signé en 1993 par la gauche israélienne, il est mentionné que la question des colonies israéliennes sera posée dans le cadre d’un accord permanent. Depuis lors, pas une seule colonie ou implantation israélienne n’a été déplacée. Je me souviens d’avoir soumis à Itzak Rabin et à Shimon Perez, le plan d’évacuation de la bande de Gaza dès 1995. Alors que j’étais responsable de ces implantations, je trouvais personnellement inconcevable cette situation. Mais Itzak Rabin m’a affirmé que ces colonies représentaient un atout qu’Israël utiliserait pour conclure un accord permanent. Il faut donc bien comprendre que la décision d’évacuer les colonies israéliennes implantées en Cisjordanie ne découlera que de la conclusion de l’accord permanent qui mettra fin à ce conflit.
L.L.D. : Comment expliquez-vous la mise à l’écart du plan de Genève ?
S.E.M.N.Z. : Le principal problème du plan de Genève est qu’il est complètement déconnecté de la réalité. Il est certes très intéressant parce qu’il a été préparé de manière très professionnelle. D’ailleurs, si l’on parvient à trouver une solution au conflit, il est probable que ses paramètres soient très proches de ceux du plan de Genève. Mais leurs auteurs ne représentent qu’une minorité dans leur pays ou dans leur société. Ils ne peuvent compter sur le soutien et la confiance nécessaire de leur peuple respectif. Le problème ne réside pas dans les idées. Dès lors, on n’a pas compris en Israël quelle était l’importance de parler du dernier centimètre carré de Jérusalem alors que l’on n’est pas encore capable de traiter des questions plus importantes comme celle du terrorisme. Ce qui prévaut dans la présentation d’un plan de paix, est en effet le calendrier qu’il propose, l’atmosphère qu’il créé. Ce plan est donc inapplicable.
L.L.D. : La décision du gouvernement israélien d’ériger une « clôture de sécurité » pour se séparer de la Cisjordanie a soulevé de nombreuses critiques au sein de la communauté internationale, notamment parce qu’elle outrepasse les limites de la « ligne verte » de 1967. Ne craignez-vous pas que cette initiative, présentée comme une mesure défensive, ne soit perçue comme l’établissement prématuré des futures frontières de l’Etat palestinien ?
S.E.M.N.Z. : Vous devez comprendre qu’arriver à la conclusion que la seule solution possible entre nous et les Palestiniens est d’édifier une barrière de séparation, après 56 ans d’existence et 37 ans après la guerre des Six Jours, constitue un constat d’échec. Mais nous sommes également arrivés à la conclusion que c’est un moyen indispensable dont nous pouvons voir aujourd’hui les résultats positifs. Cette mesure est l’aboutissement d’une réflexion qui a commencé après le déclenchement de la nouvelle Intifada, il y a trois ou quatre ans. La gauche israélienne a elle-même abandonné ses illusions. Elle s’est rendue compte que des éléments destructifs dans la société palestinienne n’avait aucun intérêt à mettre fin à ce conflit.
La barrière de sécurité a réuni un consensus dans la société israélienne, à l’exclusion de l’extrême droite et de l’extrême gauche, fondé sur la nécessité de trouver un moyen de lutter plus efficacement contre le terrorisme. Ce que l’opinion publique internationale doit également comprendre c’est que pour parvenir à édifier cette barrière, le Premier ministre Ariel Sharon devait trouver un soutien au sein du Parlement et de son gouvernement. Or, s’il avait proposé comme tracé la ligne verte, cette proposition n’aurait pas recueilli de soutien majoritaire. Il y avait donc un choix à faire : soit abandonner l’idée de la barrière, soit trouver un compromis entre l’extrême droite, la droite traditionnelle et les autres formations du gouvernement. Dans notre analyse politique, l’option de construire la barrière sur le tracé de la ligne verte n’existait donc pas. Au contraire, celle-ci aurait impliqué la création de facto d’une frontière que la droite n’aurait jamais accepté. Seules les décisions de la Cour suprême israélienne peuvent changer le tracé de la barrière. De plus, quand celles-ci seront mises en œuvre, la barrière n’entamera que 5 à 7% du territoire qui n’était pas israélien avant la guerre des Six Jours. Toutes les condamnations qui ont été portées devant la Cour internationale de Justice ne seront dès lors plus fondées. Enfin, toute la partie sud de la barrière de sécurité qui va de Jérusalem à la Mer morte, suivra à peu près le tracé de la ligne verte, avec quelques écarts liés à la topographie et aux coûts de construction.
Le vrai problème demeure les contours de Jérusalem. Je comprends moi-même toutes les difficultés que pose le passage du mur au centre de localités israélo-palestiniennes et la réaction des Palestiniens, mais nous n’avons pas d’autre solution. Cette barrière est nécessaire comme le démontrent les attentats de Bersheva, car tout le long des 220 km sur lesquels court la barrière de sécurité au nord d’Israël, pas un seul attentat n’a été perpétré. Elle a en outre permis d’alléger la vie des Palestiniens en mettant fin aux bouclages des villes, en réduisant le nombre de barrages, et donc en facilitant la circulation des personnes dans cette zone, notamment des Palestiniens qui peuvent travailler en Israël.
L.L.D. : Dès lors que le Premier ministre Ariel Sharon a opté pour une stratégie d’isolement du Président de l’Autorité palestinienne Yasser Arafat, comment envisagez-vous le rétablissement d’un processus de négociations ? Plus précisément, sa mise à l’écart ne pose-t-elle pas directement la question de sa succession ? Comment percevez-vous la crise politique que traverse l’Autorité palestinienne ? Au-delà, celle-ci dispose-t-elle encore, à vos yeux, des ressources nécessaires pour éradiquer l’influence des organisations terroristes dans la société palestinienne ?
S.E.M.N.Z. : Les autorités palestiniennes sont les seules à être capables d’anéantir les racines du terrorisme dans la société palestinienne. Elles ont une capacité avérée à lutter contre ce fléau, parce qu’elles l’ont déjà fait avec beaucoup plus de succès que l’armée israélienne. Seulement, cette décision dépend d’une prise de conscience de la population palestinienne et de ses leaders politiques. Si l’on prend l’exemple de Jéricho, où les soldats israéliens ne sont pas présents, ce sont les Palestiniens qui ont décidé d’y éradiquer les éléments terroristes. Le tourisme s’est même redéveloppé dans cette région. De même, je peux affirmer que le leadership palestinien de la bande de Gaza est en mesure de gérer la situation et d’assumer ses responsabilités.
L’évolution la plus encourageante chez de plus en plus de Palestiniens est la prise de conscience, d’une part, de l’incapacité ou du manque de volonté de l’Autorité palestinienne à assumer ses responsabilités et, d’autre part, de la corruption qui la gangrène. Les critiques contre l’Autorité palestinienne ne sont donc plus le seul apanage des Israéliens qui s’interrogent depuis cinq ou six ans sur l’utilisation des 5 ou 6 milliards de dollars prêtés par les pays donateurs pour soutenir le développement économique de la région qu’elle a géré de 1994 à 2000. Il est toujours un peu facile de faire porter la responsabi-lité sur les Israéliens, mais aucun résultat n’est visible en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza sur le plan des écoles, de la création d’infrastructures ou de nouveaux emplois. Alors que nous avions déjà conscience de cette situation, comme aux Etats-Unis d’ailleurs, c’est maintenant au tour de l’Europe et de la société palestinienne elle-même d’ouvrir les yeux. Je crois pouvoir affirmer que Yasser Arafat n’est pas lui-même un homme corrompu, mais qu’il a bâti autour de lui un régime qui l’est. L’Autorité palestinienne dispose d’un budget annuel de 1 milliard de dollars dont 10%, soit 100 millions de dollars, sont personnellement gérés par Yasser Arafat et ses proches, sans aucun contrôle. Cette situation est inacceptable que se soit en Israël ou en France. De ce point de vue, un autre grand changement au sein de l’Autorité palestinienne au cours de l’année passée, a été la nomination de Salam Fayyad comme Ministre des Finances.
Nous sommes, en outre, convaincus que Yasser Arafat joue un rôle destructif dans le processus qui doit conduire au règlement du conflit. C’est également la conviction des Américains, mais aussi de plus en plus de pays en Europe. Le Ministre français des Affaires étrangères a d’ailleurs raison lorsqu’il affirme que bientôt la France sera le seul pays en Europe à le soutenir. Le grand problème aujourd’hui est le rôle de Yasser Arafat en tant que leader politique de l’Autorité palestinienne. Il reste sans aucun doute le symbole du peuple palestinien, parce qu’il lui a permis de redéfinir son existence. Personne ne peut lui enlever ce qu’il a fait pour son peuple. En revanche, en tant que leader politique, il n’est plus capable de franchir certaines barrières psychologiques qui, pourtant, permettraient de mettre fin à ce conflit.
Il existe toutefois une autre génération d’hommes politiques palestiniens qui n’ont pas les mêmes engagements, ni le même langage et qui sont beaucoup plus pragmatiques, comme Abu Mazen ou Abu Ala. S’ils avaient eu l’opportunité de mettre en œuvre leurs convictions, je pense que la situation serait complètement différente. Ils comprennent que le terrorisme est une catastrophe, en tout premier lieu pour le peuple palestinien, ce qu’ils disent d’ailleurs ouvertement. Mais ils ne peuvent agir, non parce que les moyens n’existent pas sur le terrain, mais parce qu’on ne les leurs donne pas. Dans la bande de Gaza, près de 27 000 hommes armés (pour 1,2 million d’habitants) reçoivent chaque mois un salaire de 200 dollars pour sécuriser le territoire, soit des effectifs, proportionnellement, quatre fois plus élevés que ceux de la police française. Certains d’entre eux ont même rejoint les mouvements islamistes et ont perpétré des attentats, ce qui est inacceptable. Quand Mohamed Dahlan a décidé d’assumer sa responsabilité de Ministre de la Sécurité et de lutter contre les forces terroristes dans la bande de Gaza, Yasser Arafat l’en a empêché. Cette nouvelle génération d’hommes politiques palestiniens a compris qu’ils ne pouvaient plus réaliser le rêve de revenir sur des terres qu’on leur a pris, tout comme on doit dire aux Juifs d’extrême droite ou religieux que leur rêve de revenir aux racines du judaïsme n’est plus possible. Rabin avait d’ailleurs dit au peuple israélien que nous irions visiter Hébron en touristes. Yasser Arafat doit, quant à lui, comprendre sa responsabilité et l’assumer, comprendre que la politique qu’il a menée ces dernières années a provoqué la souffrance et la misère de son peuple. En tout état de cause, Yasser Arafat n’est plus aujourd’hui un partenaire pour l’Etat d’Israël, non seulement aux yeux d’Ariel Sharon, mais aussi de la grande majorité de l’opinion publique israélienne.
L.D.D. : Réuni à Tunis en mai 2004, le Sommet de la Ligue arabe a adopté un document sans précédent prévoyant la mise en place de réformes libérales dans les pays arabes. Quelles nouvelles perspectives ouvre-t-il au développement du dialogue entre Israël et le monde arabe ? Quelle dimension, par exemple, la diplomatie israélienne entend-elle donner au « nouveau départ » des relations israélo-égyptiennes, selon les mots employés par le Ministre des Affaires étrangères Silvan Shalom au terme de sa récente visite au Caire ? Dans quelle mesure pensez-vous que le Partenariat pour un Grand Moyen-Orient adopté au G8 de Sea Island soit réalisable ?
S.E.M.N.Z. : Je voudrais en premier lieu clarifier un point : il n’existe pas de monde arabe en tant qu’identité politique internationale au même titre que les Etats-Unis ou l’Europe par exemple. Il existe en revanche des pays arabes. Toutes les organisations comme la Ligue arabe sont complètement artificielles compte tenu des profonds conflits d’intérêt qui séparent les pays arabes. Je ne saurais dire si cet état de fait est négatif ou positif. Chacun de ces pays a défini ses intérêts et a décidé de la manière dont il serait dirigé. Il n’y a pas d’intérêt commun automatique entre la Tunisie et l’Egypte ou entre le Koweït et l’Irak par exemple. L’opposition à Israël est peut-être le seul élément sur lequel les pays arabes sont d’accord, et encore, pas tout à fait, parce que sur ce point aussi, il existe des différences entre leurs positions. Celle de certains pays comme la Libye ont même évolué en l’espace de trois ans. Tous condamnent certes l’occupation israélienne, mais les solutions qu’ils proposent sont différentes.
Le plan de démocratisation des pays arabes, à l’origine américain et auquel se sont associés les Européens, peut être intéressant à long terme. Mais à court terme, il présente des aspects très dangereux. En effet, si l’on prend les exemples des pays arabes qui ont été démocratisés du jour au lendemain, les résultats ont toujours été catastrophiques. Comme dans le cas du Maroc, les mouvements islamiques sont les seules forces politiques organisées au sein des sociétés arabes, en dehors des forces représentant les gouvernements. En Algérie, c’est la France qui a fait annuler les élections en 1991. Si l’Egypte était complètement démocratisée aujourd’hui, ce seraient les Frères musulmans qui prendraient le pouvoir. Si le monde libre et démocratique est prêt à faire face à ce phénomène, alors prenons ce risque. Mais on sait aussi qu’il faudra sacrifier une génération avant qu’une véritable démocratie ne s’installe dans ces pays. Il s’agit là d’un choix politique. Regardez la situation que traverse à présent l’Irak. Sur ce sujet, je suis donc plus proche de la vision française que de la vision américaine, qui préconise au moins d’avancer étape par étape et de prendre en considération la situation inhérente à chaque pays. Cette approche a beaucoup plus de chances de succès. Par ailleurs, si l’on veut lier la résolution de la crise au Proche-Orient à la démocratisation des pays arabes, ce processus risque d’être très long. Or, ni les Palestiniens ni les Israéliens ne disposent de ce temps. Mais j’insiste sur ce point : la montée de l’islamisme extrémiste est bien plus inquiétante que ne le laisse penser l’analyse qu’en font les Européens.
L.L.D. : Tandis que le transfert de souveraineté aux Irakiens par les forces américaines s’est effectué le 28 juin dernier, l’Irak connaît toujours une situation fortement instable. Quelle est votre analyse de la situation ?
S.E.M.N.Z. : A mon sens, il faut encore être patient pour analyser les résultats de l’intervention américaine en Irak. Dans cette opération, les Etats-Unis ont certes fait des erreurs. La plus grave est celle de n’être pas parvenu à réunir un consensus international et à convaincre l’opinion publique des pays libres et démocratiques de son bien fondé. Cet échec constitue même une catastrophe pour les Etats-Unis, qui les a beaucoup affaiblis au sein de la communauté internationale. Je crois cependant qu’en fin de compte, les résultats de cette intervention militaire pourront être plus positifs que je ne le craignais. Si la situation demeure très difficile à l’heure actuelle, celle-ci peut s’apaiser, bien qu’elle risque d’évoluer très lentement. Ce n’est toutefois pas un exemple que j’appliquerais dans d’autres pays arabes pour instaurer la démocratie, parce que cette méthode ne fonctionne pas.
L.L.D. : Peu avant la visite du Directeur général de l’Agence internationale de l’Energie atomique (AIEA) Mohammed El Baradeï en Israël en juillet dernier, le Premier ministre Ariel Sharon a réaffirmé la poursuite de la politique « d’ambiguïté » concernant l’armement nucléaire israélien. Alors que la poursuite du pro-gramme nucléaire militaire iranien semble confirmé, comment votre pays envisage-t-il de gérer la question iranienne dans le nouveau contexte régional ? Comment évaluez-vous la menace qu’elle peut induire et le risque d’une relance de la course aux armements au Moyen-Orient ?
S.E.M.N.Z. : Je crois que la menace iranienne est très importante et qu’il faut la prendre au sérieux. Elle ne concerne d’ailleurs pas seulement l’Etat d’Israël. De mon point de vue, le peuple iranien et ses dirigeants ont pris une décision stratégique selon laquelle, la seule possibilité pour l’Iran de s’affirmer comme une puissance internationale et reconnue à l’échelle régionale, consiste à se doter de l’arme nucléaire. Tout le reste n’est que tactique et manipulations. Autrement dit, il n’y a eu aucune évolution durant l’année écoulée, malgré les efforts de la France, de l’Allemagne et de l’Angleterre pour essayer de convaincre l’Iran qu’il n’est pas dans son intérêt de continuer à développer des armes de destruction massive, contre les recommandations de la communauté internationale. Je crois que les Européens ont fait à cet égard du très bon travail et qu’il était nécessaire de passer par cette étape. Mais les Iraniens ne semblent pas avoir été convaincus par la pression internationale. Leur stratégie n’a pas changé. On peut cependant s’interroger sur le rôle futur de l’Iran dans la région : va-t-il être un facteur de stabilisation ou le contraire ? Comme vous le savez, le régime du Chah a disparu en un mois et demi ; qui sait ce qui peut arriver ? On évoque en Iran des projets de réforme et de changement ; le peuple iranien est une grande nation avec des capacités qui lui sont propres dans tous les domaines et que l’on ne peut ignorer. De ce fait, il pourra utiliser sa présence internationale pour stabiliser la région mais aussi pour la transformer en enfer. Si l’Iran est jugé par la communauté internationale comme un pays voyou, il faut alors tout faire pour lui interdire l’accès à l’arme nucléaire. En revanche, si elle le considère comme un pays responsable, il s’agit d’une toute autre approche. Je pense néanmoins qu’aujourd’hui sa conduite est dangereuse, à la limite de l’irresponsabilité internationale. Pour ce qui est de l’Etat d’Israël, je ne crois pas que l’on puisse jouer un rôle très important. Nous soutenons l’initiative des pays européens pour essayer d’empêcher l’Iran de développer des armes de destruction massive par des moyens diplomatiques et nous espérons qu’ils y parviendront.
L.L.D. : Fort de l’important partenariat économique israélo-européen, le Premier ministre Silvio Berlusconi, alors Président de l’Union européenne (UE), avait relancé l’idée de l’adhésion de votre pays aux structures européennes. Comment les relations entre Israël et l’UE sont-elles appelées à évoluer ?
S.E.M.N.Z. : La participation de l’Etat d’Israël à l’Union européenne n’est encore pas un sujet qui a fait l’objet d’une étude approfondie dans notre pays. Les relations qu’entretiennent l’Etat d’Israël et l’UE sur le plan politique ou de la coopération économique et de Recherche & Développement par exemple, atteignent un niveau qui permet à Israël de se considérer comme membre du deuxième cercle des pays partenaires de l’UE. Mais, je ne suis pas sûr que ce soit dans l’intérêt de l’Etat d’Israël de s’y intégrer complètement. Nous bénéficions des avantages de ne pas encore appartenir complètement à l’UE et qui nous permettent de développer des relations avec d’autres puissances dans le monde comme les Etats-Unis, l’Inde ou la Chine. C’est une liberté à laquelle nous sommes très attachés.
En outre, je ne suis pas certain que l’Europe ait également intérêt à intégrer Israël dans l’immédiat parce que je ne crois pas que ce processus soit pos-sible sans commencer par l’intégration d’autres pays. Même si Israéliens et Européens sont unis par les mêmes valeurs démocratiques, je ne pense donc pas qu’il faille pour le moment approfondire ce sujet. Pour le moment, l’Etat d’Israël considère donc comme satisfaisant le niveau de relation qu’il entretient avec l’UE dans tous les domaines de la coopération, en dehors des positions que celle-ci a adoptée à l’égard du conflit israélo-palestinien. Si toutefois l’UE venait à adresser à l’Etat d’Israël une proposition de rejoindre ses structures, je suis certain que cela occasionnera un débat très intéressant entre les Israéliens.
L.L.D. : Inscrite dans l’élan impulsé depuis deux ans pour la relance des relations franco-israéliennes, la visite d’Etat du Président Moshé Katsav en février dernier est le premier déplacement effectué en France par un président israélien depuis plus de quinze ans. Quels progrès les rapports entre les deux pays ont-ils enregistré depuis la création du Groupe de Haut niveau franco-israélien, en ce qui concerne la compréhension mutuelle des deux pays ? A l’image du lancement de la refondation de l’Institut français de Tel Aviv, quel rôle la francophonie peut-elle jouer en ce sens ?
S.E.M.N.Z. : Il y a deux ans et quelques mois, une décision stratégique a été prise en France et en Israël, de faire la distinction entre les questions qui animent les relations bilatérales et celles relatives au conflit israélo-palestinien. Au début, j’ai cru que cette approche était assez naïve et qu’elle ne pourrait pas fonctionner. Mais, je peux vous affirmer aujourd’hui que c’est tout le contraire. Malgré des divergences très profondes, qui ont à nouveau été discutées lors de la dernière rencontre entre Michel Barnier et Sylvan Shalom, les deux gouvernements ont décidé de poursuivre un dialogue libre et très ouvert. Il n’y a plus aucune barrière politique à la possibilité de développer une coopération dans de nombreux domaines, notamment économique et scientifique, même les plus délicats.
Toutefois, lorsque l’on parle des opinions publiques française et israélienne, je ressens une déception très profonde dans les deux sociétés. Pour la génération de Français qui a accompagné sa création, l’Etat d’Israël était un pays fondé sur des idéaux, un pays de pionniers et de survivants. Des années 50 jusqu’à la guerre des Six Jours, il y a eu en France une idéalisation de l’Etat d’Israël et même une identification très profonde de la société française avec notre pays. Mais, après 1967, avec la poursuite de l’occupation des territoires palestiniens, la déception de la société française s’est accrue. Nous n’avons pas réussi à convaincre que ce qui se passe aujourd’hui en Israël fait encore partie de notre lutte pour notre existence et notre indépendance. De plus, l’image d’Israël a été complètement déformée ces dernières années ; l’Israël idéologique ou idéaliste a été oublié pour parler surtout de son armée. Or, l’Etat d’Israël ne se limite pas au conflit qui l’oppose aux Palestiniens. Du côté israélien, il s’agit du même sentiment car la France nous a beaucoup encouragé et soutenu dans les périodes les plus difficiles de la création de notre Etat. Aujourd’hui, elle est perçue comme le pays le plus anti-israélien en Europe. Son image parvient d’autant plus déformée aux Israéliens avec la montée de l’antisémitisme en France, où il a pris une très grande ampleur. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas d’Israéliens qui aiment la France ou qui choisissent Paris comme leur première destination touristique. Je dois dire que la France a fait preuve de la plus grande détermination pour lutter contre l’antisémitisme, plus que tout autre pays européen, la France étant le seul pays où des changements ont été faits dans la législation, où des décisions politiques ont été prises, avec la création d’une commission interministérielle sur ce problème. Malgré ces initiatives, cette prise de conscience est perçue différemment en Israël, ce qui reflète donc un malaise beaucoup plus profond.
Ce fossé affectif, cette crise de confiance, est très difficile à surmonter. Les opinions publiques n’ont pas ressenti les efforts que nous avons déployés pour améliorer nos relations bilatérales et isoler les positions de la France à l’égard du conflit israélo-palestinien. Celles-ci ne s’intéressent pas aux projets scientifiques ; ce sont les images que leur renvoient les médias et les grandes décisions qui les intéressent. Je peux donc témoigner, en tant qu’ambassadeur, de la très nette amélioration des relations franco-israéliennes, du dialogue que nous entretenons avec les institutions françaises, mais, hélas, aussi, de la permanence de la désaffection que ressentent l’une pour l’autre les opinions publiques israélienne et française. J’essaye, pour ma part, de faire le maximum pour améliorer cet aspect de nos relations.
L’impact le plus important du Groupe de haut niveau a été de créer une atmosphère qui permette à toutes les composantes de l’Etat, je ne parle pas du secteur privé, d’identifier les possibilités de coopération avec Israël. Des rencontres entre intellectuels ont déjà eu lieu sous son égide. Un Conseil de haut niveau scientifique a également été mis en place sous la tutelle du Ministère de la Recherche côté français. Au chapitre des projets de coopération culturelle, on peut citer la création d’un centre culturel israélien à Paris, de nouveaux projets de jumelages concernant une quinzaine de villes qui viennent s’ajouter aux 56 villes israéliennes et françaises déjà jumelées. Des jumelages entre universités, hôpitaux et centres scientifiques des deux pays existent également.
Enfin, les hautes autorités françaises se sont engagées à assurer l’intégration de l’Etat d’Israël à l’Organisation de la Francophonie dès que ce sera possible. Compte tenu de la situation que je qualifierais de délicate, Israël ne fera pas officiellement acte de candidature tant qu’il n’est pas sûr d’être accepté. Ce doit être parfaitement clair. Je ne crois pas en effet que toutes les conditions soient réunies, sachant que parmi les 86 pays-membres de la Francophonie, au moins l’un d’entre eux utilisera son droit de veto. C’est pour cela que nous continuons à discuter de ce sujet avec les autorités françaises. Nous ne trouvons pas normal qu’un pays comme le nôtre dont 20% de la population est d’origine francophone, n’en soit pas encore membre. Nous avons néanmoins décidé de commencer à participer à certaines activités de la Francophonie, que ce soit dans le domaine professionnel, universitaire, et d’autres encore.
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