La modernité de l'Organisation internationale du Travail
Par M. Jean-Daniel Leroy, Directeur du bureau de l'OIT en France
Cette année 2004 marque le 85ème anniversaire de la création de l’Organisation internationale du Travail (OIT) et de son secrétariat général, le Bureau international du Travail (BIT), nés, circonstance exceptionnelle, du Traité de Versailles qui mit fin, en 1919, à la première guerre mondiale.
2004 marque aussi le 60ème anniversaire de la Déclaration de Philadelphie par laquelle, le 10 mai 1944, la communauté internationale « réaffirma les buts et objectifs de l’organisation ainsi que les principes dont devrait s’inspirer la politique de ses membres ».
Après l’Union postale universelle, créée en 1874, l’OIT est donc la plus ancienne organisation internationale et elle fut la première à rejoindre le « Système » (des Nations unies), en 1946.
A l’article I de cette Déclaration, la communauté mondiale fonde l’OIT sur 4 principes :
a) le travail n’est pas une marchandise ;
b) la liberté d’expression et d’association est une condition indispensable d’un progrès soutenu ;
c) la pauvreté, où qu’elle existe, constitue un danger pour la prospérité de tous ;
d) la lutte contre le besoin doit être menée avec une inlassable énergie au sein de chaque nation et par un effort international continu et concerté dans lequel les représentants des travailleurs et des employeurs, coopérant sur un pied d’égalité avec ceux des gouvernements, participent à de libres discussions et à des décisions de caractère démocratique en vue de promouvoir le bien commun.
Tous les enjeux, où tant de progrès sont encore à accomplir aujourd’hui, sont définis : la nature humaine du travail, le lien entre démocratie politique, démocratie sociale et progrès, l’impératif de l’éradication de la pauvreté, le tripartisme et la participation de la « société civile » ; et il en résulte que l’OIT est peut-être aussi la plus moderne des organisations, celle dont la mission et la structure répondent le plus évidemment aux exigences du XXIème siècle.
La remarquable longévité de l’OIT découle peut-être, en effet, de ce qu’elle n’est pas une organisation intergouvernementale où, par nature, la raison d’Etat prime sans partage, mais qu’elle est animée de manière tripartite par les Gouvernements, les Syndicats et les Patronats, mobilisant des intérêts légitimes et divergents, devant, nécessairement, sur des enjeux concrets, aboutir, par le dialogue sincère, à des consensus effectifs dans l’exercice des trois « métiers » de l’organisation.
Tout d’abord, sa responsabilité normative, cœur de métier de l’organisation : d’une part, élaborer, par des conventions et des recommandations, le droit international de l’activité productive dans toutes ses formes (industrie, marine marchande et pêche, agriculture, services et jusqu’à l’économie dite informelle) et dans toutes ses données (formation et réadaptation professionnelle, politique de l’emploi, administration du travail, droit du travail et relations professionnelles, conditions de travail, gestion, coopératives, sécurité sociale), promouvoir leur ratification, instruire et censurer les manquements aux obligations souscrites (il y a 186 conventions et trente recommandations recueillant plus de 6 000 ratifications) ; d’autre part, promouvoir et veiller au respect des droits et principes fondamentaux du travail établis par la Déclaration de 1998 (interdiction du travail illégal des enfants, interdiction du travail forcé, interdiction des discriminations dans l’accès et l’exercice de l’emploi, promotion effective de la liberté d’association, liberté syndicale des travailleurs et liberté d’organisation des employeurs, et de la négociation collective).
Ensuite, sa capacité de recherche/action : analyser, notamment sous l’angle statistique, les grandes données et évolutions des réalités micro-économiques et macro-économiques du monde du travail.
Enfin, sa mission de coopération technique : aider les pays qui le souhaitent à satisfaire aux obligations normatives et à promouvoir la justice sociale et la performance économique.
En ce 60ème anniversaire, la tentation est grande, pour marquer la modernité de l’OIT, de citer entièrement les cinq articles de cette déclaration. Qu’il soit permis, seulement, de rappeler l’affirmation de l’article II que « tous les êtres humains, quel que soit leur race, leur croyance ou leur sexe, ont le droit de poursuivre leur progrès matériel et leur développement spirituel dans la liberté et la dignité, dans la sécurité économique et avec des chances égales » ; que « la réalisation des conditions permettant d’aboutir à ce résultat doit constituer le but central de toute politique nationale et internationale » ; que « tous les programmes d’action et mesures prises sur le plan national et international, notamment dans le domaine économique et financier, doivent être appréciés de ce point de vue et acceptés seulement dans la mesure où ils apparaissent de nature à favoriser et non à entraver l’accomplissement de cet objectif fondamental » ; d’où il résulte qu’ « il incombe à l’OIT d’examiner et de considérer à la lumière de cet objectif fondamental, dans le domaine international, tous les programmes d’action et mesures d’ordre économique et financier » et qu’ « en s’acquittant des tâches qui lui sont confiées, l’OIT, après avoir tenu compte de tous les facteurs économiques et financiers pertinents, a qualité pour inclure dans ses décisions et recommandations toutes dispositions qu’elle juge appropriées ».
Cet ambitieux mandat social et, en particulier, sa primauté par rapport aux dimensions tant économiques que financières des politiques nationales et internationales (et, notamment, l’article IV le précise, celles « tendant à promouvoir l’expansion de la production et de la consommation, à éviter des fluctuations économiques graves, à réaliser l’avancement économique et social (…), à assurer une plus grande stabilité des prix mondiaux (…), et à promouvoir un commerce international de volume élevé et constant ») est encore à satisfaire.
Les débats qui ont accompagné la naissance, tant attendue depuis la création des Nations unies, de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) et qui scandent ses réunions depuis Singapour jusqu’à Genève en passant par Seattle, Doha et Cancun ainsi que ceux de l’OIT depuis sa « Déclaration relative aux droits et principes fondamentaux au travail » de juillet 1998 jusqu’au « Rapport de la Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation » de mai 2004, à la fois témoignent de la pertinence, intacte après 60 ans, de ce mandat, pour tous qu’il s’agisse des Etats quel que soit leur niveau de développement ou des organisations internationales quel que soit leur domaine de responsabilité et soulignent l’urgence de mesures rétablissant la primauté de l’emploi et du travail décent, assurant la cohérence et la légitimité démocratique des attitudes politiques, préalables à « une mondialisation juste, créant des opportunités pour tous ».
Dans cette actualité de l’OIT et du débat sur la dimension sociale de la mondialisation, l’organisation sait que la France est, à ses côtés, au premier rang.
La France, qui, avec le Royaume-Uni, inspirât et fondât, en effet, l’OIT, qui lui donna deux des neuf Directeurs généraux qui s’y succédèrent, le premier, Albert Thomas de 1919 à 1932, le second, Francis Blanchard de 1974 à 1989, témoins, l’un de l’apparition et de l’essor de l’empire soviétique, l’autre de son déclin et de sa disparition, où le représentant du Gouvernement vit s’illustrer, jusqu’à la Présidence du Conseil d’adminis-tration, les noms d’Arthur Fontaine, de Justin Godart, d’Adrien Tixier, d’Alexandre Parodi, de Gabriel Ventejol, d’Yvon Chotard et, aujourd’hui de Philippe Seguin, où, après Robert Pinot, Alfred Lambert-Ribot, Pierre Waline et Jean-Jacques Oechslin (qui fut, simultanément, Président de l’Organisation internationale des Employeurs (OIE) où lui succède, aujourd’hui, un autre français, François Perigot) c’est, à présent, Bernard Boisson qui représente les Employeurs français, où enfin, la voix des travailleurs fut celle de Léon Jouhaux, de Roger Louet, de René Salanne et, depuis 1981, de Marc Blondel, la France, à l’évidence, est un des piliers de l’OIT.
Aux jours de la mondialisation, le soutien politique primordial de la Présidence de la République, de la Présidence et des Commissions concernées des deux assemblées, de la Présidence et de l’assemblée du Conseil économique et social et du Gouvernement français s’illustre dans les fréquents entretiens, à Paris, avec le Directeur général, Juan Somavia et dans l’expression des convergences d’analyse et de proposition qui en résultent non seulement dans le cadre des instances – Conférence annuelle de Juin ou Conseil d’administration – de l’OIT, mais aussi dans d’autres enceintes des Nations unies et du « Système », des organisations de Bretton Woods, de l’OMC, du G8, de l’OCDE, de la Francophonie, des instances européennes, et jusque dans certaines relations bilatérales.
Par ailleurs, la France, en ayant, par deux accords globaux et triennaux successifs de coopération avec le BIT, plus que triplé son engagement financier, se situe, désormais, au sixième rang des donateurs volontaires de l’organisation.
Aussi était-il, naturellement, très agréable au Directeur du Bureau de l’OIT en France, le premier bureau établi à Paris, en janvier 1920, de rendre ici compte de la « modernité » de cette organisation et des signes effectifs du concours français aux débats et aux initiatives engagés dans ce cadre par l’OIT.
|