Afrique du Sud : de la réconciliation nationale à l’émergence d’une puissance économique
Alors que l’Afrique du Sud célébrait le 14 avril 2004 le dixième anniversaire de la chute pacifique du régime de l’apartheid, le Président Thabo Mbeki était réélu pour un second mandat. S.E.Mme Nomasonto Maria Sibanda-Thusi, Ambassadeur d’Afrique du Sud en France, dresse ici un bilan des réussites de la transition démocratique sud-africaine, mais aussi des défis que doit relever son pays pour s’affirmer comme une puissance économique.
La Lettre Diplomatique : Madame l’Ambassadeur, la large victoire du Congrès National Africain (ANC) aux élections du 14 avril 2004 et l’investiture pour un second mandat du Président Thabo Mbeki ont coïncidé avec les célébrations du 10ème anniversaire de l’établissement d’une démocratie non raciale en Afrique du Sud. Comment avez-vous vécu la décennie de transition pacifique qu’a connue votre pays ? Quelle analyse faites-vous de la position prépondérante qu’occupe désormais l’ANC sur la scène politique sud-africaine ?
S.E.Mme Nomasonto Maria Sibanda-Thusi : Lorsque je regarde la manière dont l’Afrique du Sud a vécu la transition vers un état pleinement démocratique, je suis remplie de joie et d’émerveillement. De joie devant tout ce que nous avons accompli en seulement dix ans, parce que nous sommes parvenus à échapper à la terrible menace de violence qui existait et aussi parce qu’il est impossible aujourd’hui d’imaginer une Afrique du Sud qui ne soit pas libre et démocratique. Et d’émerveillement devant la capacité qu’ont eue les Sud-Africains à laisser de côté des différences et des hostilités vieilles de plusieurs siècles pour bâtir un avenir commun. Je suis pleinement convaincue que, ce faisant, nous avons jeté les bases pour devenir une grande nation, une nation qui gagne.
L’analyse que je fais de la position prépondérante de l’ANC en tant que parti au pouvoir est simple. En effet, cette position est le résultat naturel de la volonté du peuple librement et démocratiquement exprimée. Elle renforce la capacité du gouvernement à relever les grands défis qui sont les nôtres, et plus particulièrement dans les domaines social et économique. Cependant, les droits et libertés chèrement acquis par tous les Sud-Africains restent sacro-saints, non pas tellement parce que l’ANC a montré, par sa lutte pour la libération et au cours de sa première décennie au pouvoir, son engagement envers la démocratie et les droits de l’Homme, mais parce que nous avons mis en place de solides institutions garantissant les droits et libertés de tous. Je pense ici tout particulièrement à la Cour constitutionnelle.
L.L.D. : Créée en 1996 pour mettre à jour les violations des droits de l’Homme sous le régime de l’apartheid, la Commission Vérité et Réconciliation a achevé ses travaux en 2002. Pensez-vous que toutes les plaies de l’apartheid soient à présent refermées ? Comment définiriez-vous aujourd’hui les fondements de l’identité nationale sud-africaine ? A cet égard, quelle place occupe la culture afrikaner dans la société sud-africaine ?
S.E.Mme N.M.S-T : Il ne fait nul doute que la Commission Vérité et Réconcili-ation a grandement contribué à l’effort national visant à refermer les plaies causées par l’apartheid. A cet égard, nous sommes fiers de ce que nous avons réalisé en tant que Sud-Africains. De plus, un certain nombre de pays dans le monde qui connaissent des situations d’après-conflit pensent qu’il y a peut-être là une leçon à tirer. Nous sommes toujours heureux de partager notre expérience lorsqu’elle peut être utile.
Toutefois, il convient de faire preuve de réalisme lorsqu’on se trouve face à un héritage aussi pernicieux et global que celui de l’apartheid, qui est encore présent dans bien des domaines de la vie. Tant que tous ses effets n’auront pas véritablement disparu, il sera prématuré de dire que toutes les plaies ont été refermées. Nous avons déjà parcouru un très long chemin en édifiant une nouvelle nation unifiée. D’un point de vue constitutionnel et politique, je pense que nous pouvons dire que notre mission est accomplie car :
– Nous avons mis en place une constitution démocratique et progressiste garantissant les droits fondamentaux à tous, indépendamment de la race, de la croyance, du sexe ou de la religion.
– Au regard de cette constitution, nous avons déjà organisé avec succès trois élections démocratiques.
– Nous avons accompli d’énormes progrès en concrétisant notre vision d’un pays prospère, pacifique, non sexiste et non racial.
– L’Afrique du Sud a rejoint le concert des nations en tant que membre respecté défendant fièrement le renouveau et le développement de l’Afrique par le biais de partenariats.
Toutefois, l’apartheid nous a laissé un héritage amer que l’on pourrait résumer en un seul mot, celui
d’ « inégalités ». Ces inégalités restent flagrantes dans les domaines social et économique. Ce n’est que lorsque nous aurons véritablement éradiqué ce mal, que nous pourrons dire que toutes les plaies de l’apartheid sont refermées.
Je pense que les fondements de notre identité nationale commune se trouvent dans le principe
d’acceptation et de respect mutuels, dans la reconnaissance de notre humanité commune, ce que nous appelons « ubuntu ». Cela ne veut pas dire que nous ne nous réjouissons pas de notre grande diversité culturelle, car nous en sommes, au contraire, très heureux. En effet, cette diversité est la pierre angulaire d’une société à visage humain. Comme le dit notre devise nationale, nous sommes à la fois «différents et ensemble».
Comme toutes les autres communautés culturelles, la communauté afrikaner, qui est, elle aussi, très diverse et en pleine évolution, est également un élément important de notre société. Vous vous souviendrez peut-être qu’à l’occasion des funérailles, en septembre 2004, du Docteur Beyers Naude, une grande figure du mouvement anti-apartheid issue d’un milieu afrikaner très traditionnel, le Président Mbeki a déclaré : « aujourd’hui, nous devons tous remercier du fond du coeur la communauté afrikaner car elle nous a donné un homme comme Beyers Naude qui a été pour nous une véritable bénédiction ».
L.L.D : Tandis que l’ancien Président Nelson Mandela a été l’homme de la réconciliation nationale, on attribue au Président Thabo Mbeki le rôle d’architecte de la modernisation de l’Afrique du Sud. Par quelles initia-tives majeures votre gouvernement entend-il faire décoller la croissance économique de votre pays ? Plus précisément, comment comptez-vous rendre votre économie plus attractive aux investissements étrangers ? Dans quels secteurs la poursuite du programme de privatisations est-elle envisagée ?
S.E.Mme N.M.S-T : Pour pouvoir parler de l’économie sud-africaine, il faut d’abord la resituer dans son contexte : l’Afrique du Sud a connu une très longue période de colonialisme qui a engendré des inégalités raciales, des inégalités aussi au niveau de la parité hommes/femmes, l’appauvrissement de millions de personnes et un fort déséquilibre économique. Ce n’est qu’après avoir identifié ces problèmes que l’on est mieux à même de savoir ce qu’il convient de faire.
C’est dans ce but que nous nous sommes assurés de mettre en place un cadre politique nous permettant de relever ces défis. C’est là un engagement que le gouvernement sud-africain a pris. D’un point de vue économique, il nous fallait introduire un cadre qui permettrait à notre économie de décoller. La mise en œuvre du Programme de Reconstruction et de Développement est un exemple de cette politique qui vise à donner au gouvernement un rôle essentiel pour pouvoir faire progresser durablement notre économie. Cet objectif a été atteint.
En matière de privatisation, le gouvernement étudie le cas de chaque entreprise publique pour identifier les secteurs industriels à privatiser, comme celui des télécommunications. Toutefois, il est clair que l’Afrique du Sud ne va pas privatiser pour privatiser. Nous souhaitons nous assurer tout d’abord que c’est là la meilleure façon de procéder. Cela veut dire que si nous trouvons d’autres solutions et de meilleurs moyens pour mieux répartir les richesses du pays, nous les examinerons, comme par exemple les partenariats public/privé.
L.L.D. : Si la transition politique sud-africaine constitue une réussite unique au monde, la transition économique reste à parachever, compte tenu des fortes inégalités sociales qui affectent encore les Sud-Africains et en particulier la population noire. Quelles dispositions sont prévues pour renforcer la lutte contre la pauvreté placée au cœur du discours d’investiture du Président Thabo Mbeki et pour endiguer les problèmes qui lui sont relatifs comme ceux du chômage et du sida ? Quel bilan pouvez-vous dresser de la politique de discrimination positive menée par votre gouvernement (Black Economic Empowerment et Affirmative Action) ?
S.E.Mme N.M.S-T : Les résultats en termes de progrès réalisés par le gouvernement pour donner de meilleures opportunités aux Noirs en Afrique du Sud sont véritablement impressionnants. Nous avons mis en œuvre une politique visant à donner de meilleures chances aux Noirs au niveau économique (c’est ce qu’on appelle le « Black Economic Empowerment »). L’un des nombreux objectifs de cette politique est de mieux répartir les richesses du pays entre tous les Sud-Africains. Nous savons que le chemin à parcourir sera long car l’objectif qui vise à donner plus d’opportunités aux Noirs sud-africains est un objectif à long terme. Il fallait commencer quelque part et nous avons décidé de commencer par là. Toutefois, en donnant plus d’opportunités économiques aux Noirs, il faut aussi trouver des moyens pour que les banques conservatrices acceptent de leur prêter de l’argent. Un des défis que le gouvernement sud-africain doit relever est de trouver comment mettre plus d’argent à la disposition des petites entreprises qui sont aux mains des Noirs.
En ce qui concerne l’emploi, il convient de regarder l’économie sud-africaine à la lumière du passé. Une grande partie de la population sud-africaine possède un faible niveau d’éducation. Cela est plus particulièrement vrai des Noirs. Le gouvernement est très conscient de ce problème et continuera donc d’investir dans le secteur de l’éducation.
La lutte contre le VIH/sida reste une des priorités du gouvernement sud-africain. Avec plus de 400 000 sidéens et environ 5,5 millions de séropositifs, l’importance et l’urgence de ce problème sautent aux yeux. En novembre 2003, le gouvernement a annoncé le lancement d’un programme global de soins et de traitements contre le sida. Ce programme comprend des campagnes de prévention, une sensibilisation permanente, une mobilisation de la communauté, de vastes programmes visant à renforcer le système immunitaire et à ralentir les effets de la maladie, de plus grands efforts dans le traitement des infections opportunistes, une intensification du soutien aux familles touchées par le VIH/sida et l’introduction de traitements antirétroviraux pour tous ceux qui en ont besoin.
Ce programme n’est pas dû à un changement dans l’approche gouvernementale, comme certaines critiques ont pu le laisser entendre. Le fait est que la situation a considérablement changé ces deux dernières années. C’est ainsi que, par exemple, le prix des médicaments a baissé et de nouvelles opportunités se sont présentées, permettant de fabriquer les médicaments en Afrique du Sud, en même temps qu’eurent lieu des négociations couronnées de succès avec les laboratoires pharmaceutiques, sans qui ce programme n’aurait pu être mis en place. De nouveaux médicaments sont nés, ainsi qu’une certaine expérience, au niveau national et international, de la gestion des antirétroviraux. Un nombre important de scientifiques et de travailleurs sociaux ayant des compétences en matière de gestion du VIH/sida a pu être réuni. Plus de fonds ont pu être libérés pour accroître les dépenses sociales dans leur ensemble, à la suite des politiques macroéconomiques prudentes mises en œuvre par le gouvernement. Pour la seule année 2004, 470 millions d’euros supplémentaires ont pu être alloués à la lutte contre le VIH/sida.
Il reste beaucoup à faire, c’est sûr, et la mise en œuvre du programme global n’a pas toujours progressé aussi bien qu’on pouvait l’espérer, car il a fallu tenir compte des contraintes d’un système de santé qui souffre grandement des inégalités héritées du passé. Cependant, nous pensons vraiment avoir pris un bon départ dans la lutte contre ce fléau qu’est le sida.
L.L.D. : Les pays d’Afrique australe ayant connu un régime d’apartheid demeurent confrontés à la délicate question de la redistribution des terres. Alors que la population blanche détient encore près de 80% des terres cultivables sud-africaines, quel serait le juste équilibre à atteindre, selon vous, pour apaiser les craintes des uns et les frustrations des autres ? Dans quelle mesure la position de votre gouvernement à l’égard de la question zimbabwéenne est-elle liée à ce problème foncier qui est commun aux deux pays mais dont l’angle d’approche diverge ? Comment votre pays peut-il contribuer à normaliser la situation au Zimbabwe ?
S.E.Mme N.M.S-T : En effet, cette question de la redistribution des terres est une question délicate et sensible pour ceux qui, en grand nombre, ont été dépossédés de leurs terres dans ces deux pays. Des structures adaptées comme celle de la Commission Foncière en Afrique du Sud semblent bien fonctionner. En 1995, la Commission des Droits à la Restitution de la Terre a été créée avec les objectifs suivants :
– Donner des compensations équitables à ceux qui ont été dépossédés, et plus particulièrement à ceux qui sont pauvres ou sans terre,
– Contribuer à la redistribution équitable de la terre en Afrique du Sud,
– Promouvoir la réconciliation par le phénomène de restitution,
– Faciliter les initiatives de développement en rapprochant tous les acteurs concernés, et plus particulièrement les gouvernements provinciaux et les municipalités.
Au départ, la commission avait adopté une approche judiciaire pour traiter plus de 600 000 demandes, ce qui signifie que toutes ces demandes étaient transmises à un tribunal foncier chargé de trancher.
Ensuite, les amendements apportés à la loi foncière de 1999 ont donné au Ministre de l’Agriculture et des Affaires foncières le pouvoir d’accorder des compensations sur la base d’accords de règlements négociés. Cette approche administrative s’est traduite par une hausse phénoménale du nombre d’affaires qui ont pu ainsi être réglées.
En 2002, environ 68 000 demandes avaient été déposées. 72% de ces demandes émanaient de personnes vivant en milieu urbain et 28% émanaient de personnes vivant en milieu rural. 36 500 affaires au total concernant environ 85 000 ménages ont été réglées. Les demandes urbaines portaient généralement sur des compensations financières à des victimes de déplacements forcés. En décembre 2002, environ 572 000 hectares avaient ainsi pu être restitués pour un coût approchant les 442 millions de rands.
Bien que le processus puisse paraître lent pour le très grand nombre de personnes qui ont été dépossédées de leurs terres par le régime de l’apartheid, il est essentiel de trouver des solutions durables et de redonner des terres à ceux qui sont fondés en droit. Pour ce faire, il est donc capital d’effectuer des enquêtes et des vérifications.
La Commission Foncière s’est engagée à respecter la volonté du Président de résoudre toutes les affaires en cours avant 2005.
L’Afrique du Sud peut contribuer à dénouer la situation au Zimbabwe en demandant à tous les acteurs concernés de s’engager à trouver une solution durable aux difficultés actuelles. Ce sont les Zimbabwéens eux-mêmes qui peuvent et doivent trouver une solution durable et juste, incluant tous les acteurs concernés, à la situation politique et à la question de la terre au Zimbabwe.
L.L.D. : A l’échelle régionale, la Southern African Development Community (SADC) s’est faite l’écho du Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD) à travers son Plan indicatif de développement stratégique régional (RISDP). Acteur majeur de cette organisation régionale, comment l’Afrique du Sud peut-elle contribuer à faire émerger une véritable zone de croissance ? A l’image du projet hydraulique Lesotho Highlands, comment les pays de la SADC peuvent-ils développer leur coopération économique et technique ?
S.E.Mme N.M.S-T : Les chefs d’Etat et de Gouvernement de la SADC ont approuvé, en août 2003, le Plan indicatif de développement stratégique régional (RISDP) en tant que cadre politique majeur pour la mise en œuvre du programme commun de la Communauté de Développement de l’Afrique Australe (SADC) et pour la réalisation des objectifs plus vastes et plus profonds d’intégration économique et de développement social au niveau de la région. Le RISDP définit, comme facteurs d’intégration clés, les conditions fondamentales dans lesquelles une meilleure intégration et un plus grand développement économique et social peuvent se produire dans la région. L’Afrique du Sud pense pouvoir valablement contribuer à la promotion de conditions essentielles telles que :
– La paix, la sécurité, la démocratie et la gouvernance politique,
– La gouvernance au niveau économique et des entreprises, et
– D’autres éléments, tels que le rattrapage au niveau de la parité et la responsabilisation économique des femmes, le développement du secteur privé, une adoption et internationalisation rapides des techniques d’information et de communication, la diversification des économies régionales, la recherche scientifique et l’innovation technologique, l’amélioration de la productivité et de la concurrence et la promotion d’un environnement institutionnel facilitateur.
Le gouvernement sud-africain et un certain nombre d’institutions sud-africaines sont en relation à la fois avec la SADC, en tant qu’organisation régionale, et avec les Etats membres, sur une base individuelle, pour réaliser ces objectifs.
Les Etats membres de la SADC sont richement dotés en ressources naturelles, y compris en terre arable, minerais et mineraux, eau, flore et faune et, dernier atout mais non des moindres, en ressources humaines. Puisque certaines de ces ressources sont transfrontalières, nous avons signé le Protocole sur les voies d’eau communes, le Protocole sur la conservation de la vie sauvage et l’application de la loi en la matière, le Protocole sur les pêcheries, le Protocole sur l’énergie et le Protocole sur l’industrie minière, qui fournissent tous une base solide pour l’exploitation équitable des ressources et une prospérité partagée.
Le commerce au sein de la région, estimé à 24% du commerce total de la SADC, est un outil de développement important. Il doit cependant être développé plus et plus vite. Nous devons harmoniser nos régimes commerciaux par une mise en œuvre efficace du Protocole Commercial de la SADC pour faciliter la libre circulation des biens et services entre nous et maximiser les opportunités et bienfaits provenant du commerce et des investissements régionaux.
Un marché mieux intégré pourrait attirer davantage les investissements directs étrangers, ainsi que les investissements intérieurs. D’après les estimations, pour que nos économies aient un taux de croissance de 5 à 6% par an, il faudrait un taux d’investissement atteignant 25 à 30% du PIB. Ce taux doit donc impérativement augmenter. L’intégration régionale peut être un bon moyen d’y parvenir. La croissance doit se traduire par le développement au niveau économique et social, en offrant un filet de sécurité à tous ceux qui sont vulnérables.
L.L.D. : Illustrant son engagement dans le processus de stabilisation de la région des Grands Lacs, l’Afrique du Sud occupe un rôle de médiateur au Burundi et a récemment conclu un accord de coopération militaire avec la République Démocratique du Congo. Comment percevez-vous les tensions toujours aussi vives dans l’est de la RDC ? Quelles sont les perspectives de stabilisation de cette région qui reste encore très fragile et marquée par les stigmates du génocide rwandais ?
Au-delà des rivalités, des ambitions régionales entre votre pays et l’Angola, quelles possibilités existe-t-il pour établir une coopération entre les deux puissances militaires de la région ?
S.E.Mme N.M.S-T : L’Afrique du Sud est très engagée dans le processus visant à établir la paix, la stabilité et la démocratie dans la région des Grands Lacs. En ce qui concerne la République Démocratique du Congo (RDC), nous nous sentons encouragés par le fait que la guerre est maintenant terminée et que le gouvernement de transition est capable de poursuivre sa tâche. Nous reconnaissons, néanmoins, que la situation est précaire et que la RDC a besoin du soutien et de l’engagement constant du continent et de la communauté internationale. Le grand défi maintenant est d’intégrer les diverses forces armées pour créer une seule force de défense nationale pour le pays tout entier.
La création d’une armée nationale et de forces de police est capitale pour assurer la stabilité durant les élections qui doivent se dérouler en juillet 2005. La préparation de ces élections cruciales doit être accélérée et les ressources mobilisées pour assurer leur succès. La Commission électorale indépendante sud-africaine a présentement envoyé une équipe en RDC, afin que cette dernière puisse aider à la préparation des élections. Au Burundi, le processus avance lentement mais sûrement. En dépit d’attaques sporadiques à Bujumbura et dans les zones rurales, le processus politique est bien ancré et un référendum se tiendra bientôt. Le 20 novembre 2004, douze chefs d’Etat africains, parmi eux le Président Thabo Mbeki, se sont réunis à Dar es Salam, en Tanzanie, à l’occasion du premier sommet de la Conférence Internationale sur les Grands Lacs. Les dirigeants ont signé un accord visant à renforcer et à consolider les efforts pour amener la paix, la stabilité, la démocratie et le développement dans la région. En ce qui concerne l’Angola, nos relations bilatérales sont motivées par le souhait réciproque de renforcer nos liens économiques et politiques, et non par « des ambitions ou rivalités régionales ». En tant que pays membres de la SADC, nous nous sommes engagés à favoriser la coopération pour promouvoir le développement économique et social de nos pays et de notre région.
L.L.D. : Isolé sur le plan diplomatique avant 1994, votre pays est parvenu à acquérir en peu de temps un rôle majeur sur la scène internationale, comme en témoigne sa prise de position au sein du G21 lors du sommet de Cancun, et plus récemment dans le cadre d’une initiative de coopération commune avec l’Inde et le Brésil. Quelle dimension entendez-vous donner à cette association ? Tenant compte des revendications sud-africaines pour siéger au Conseil de Sécurité de l’ONU, quelles sont vos propositions pour une réforme de la gouvernance mondiale ?
S.E.Mme N.M.S-T : La politique étrangère et les valeurs de l’Afrique du Sud sont solidement ancrées dans nos valeurs et nos politiques nationales, – les idéaux auxquels nous aspirons pour l’Afrique du Sud sont aussi ceux que nous voulons voir devenir des réalités pour le monde. Je crois qu’il existe une grande cohérence à cet égard. De la même façon, les moyens que nous employons au niveau national pour résoudre les problèmes communs, à savoir la consultation, les négociations, la tolérance et le compromis, sont aussi ceux que nous aimerions voir devenir la norme au niveau international.
Jusqu’au cycle de Doha, le commerce international était déterminé par les grandes puissances, mais le cycle de Doha a permis d’inscrire plus fermement au programme ce dont les pays en développement ont besoin un peu partout dans le monde. A Cancun, le Comité des 21, dont l’Afrique du Sud faisait partie, a contribué à mettre en commun les ressources liées aux questions des aides agricoles, de la dette, des restrictions non tarifaires, etc, c’est-à-dire à des sujets pouvant induire des changements. Nous croyons que cette association se perpétuera, en collaboration avec d’autres regroupements de pays du sud, et se révèlera efficace pour promouvoir la cause des pays en développement.
Le multilatéralisme est la question fondamentale pour l’Afrique du Sud. Nous pensons que c’est la seule voie permettant au monde d’avancer, – le temps des actes accomplis unilatéralement par les superpuissances est révolu. Les questions qui sont d’une importance capitale pour l’Afrique du Sud, comme la lutte contre la pauvreté, la promotion de la sécurité, de la stabilité et du désarmement, ne peuvent trouver de solution efficace qu’au niveau multilatéral.
Dans ce contexte, l’Afrique du Sud est d’avis, en l’absence du rapport du Conseil de Sécurité des Nations unies, que les Nations Unies et tous les organes s’y rapportant doivent être réformés et renforcés – ECOSOC, l’Assemblée Générale des Nations unies et le Conseil de Sécurité. En ce qui concerne le Conseil de Sécurité, ce dernier est encore le reflet de la réalité du monde après la Seconde guerre mondiale. Pourtant le monde a beaucoup changé. Le Conseil de Sécurité doit être le reflet du monde au vingt-et-unième siècle. Il doit donc être agrandi pour inclure des pays reflétant la majeure partie des pays et régions qui composent les Nations unies. De plus, le Conseil de Sécurité doit répondre aux besoins des différentes régions, et non pas seulement aux besoins des cinq membres permanents. Afin d’améliorer la transparence et la représentativité, l’Afrique demande deux sièges permanents au sein d’un Conseil de Sécurité restructuré. L’Union Africaine a créé un comité composé de dix pays pour aider à déterminer la voie à suivre en ce qui concerne la représentation de l’Afrique au Conseil de Sécurité. L’Afrique du Sud a décidé qu’elle souhaitait faire partie d’un Conseil de Sécurité agrandi. En outre, nous sommes d’avis que l’Afrique ne doit pas être traitée différemment du reste du monde. Les règles applicables au reste du monde doivent aussi être appliquées à l’Afrique. Nous pensons aussi que les Nations Unies doivent tenir davantage compte de la parité hommes/femmes.
L.L.D. : Premier partenaire commercial de l’Afrique du Sud, l’Union européenne a conclu le 11 octobre 1999 avec votre pays un accord sur le commerce, le développement et la coopération ouvrant la voie à l’établissement d’une zone de libre-échange. Comment le dialogue entre les deux partenaires évolue-t-il sur la question des subventions agricoles ? Quelle place occupe l’Union européenne dans la politique étrangère sud-africaine ?
S.E.Mme N.M.S-T : L’Afrique du Sud et l’Union européenne ont beaucoup progressé, à bien des égards, vers la mise en œuvre de l’Accord sur le commerce, le développement et la coopération. Au niveau politique, la première réunion de la troïka au niveau ministériel entre l’Afrique du Sud et l’Union européenne a eu lieu le 1er avril 2004. L’élevation du dialogue politique (au sein de cet accord) au niveau ministériel a marqué le début d’une nouvelle phase dans une relation Afrique du Sud/Union européenne qui était déjà bonne. En novembre de cette année, le Président Thabo Mbeki s’est rendu à Strasbourg pour s’adresser au Parlement européen. Peu de temps après, plus exactement le 23 novembre 2004, a eu lieu la réunion du Conseil de Coopération Afrique du Sud/Union européenne, durant laquelle les deux parties ont exprimé leur satisfaction devant le fait que la pleine mise en œuvre de l’accord renforçait et élargissait la coopération existante dans tous les domaines couverts par l’accord, à savoir le dialogue politique, le commerce et les questions qui y sont liées, la coopération économique et la coopération en matière de développement.
En ce qui concerne la coopération commerciale, l’accord entre maintenant dans sa quatrième année d’application et les tarifs sur plus de 80% des importations industrielles de l’Union européenne en provenance de l’Afrique du Sud ont été libéralisés. Réciproquement, la libéralisation accordée par l’Afrique du Sud aux importations industrielles en provenance de l’Union européenne a atteint un peu plus de 50% et atteindra 60% en 2005/2006. En termes de coopération relative au développement, l’accord donne une base juridique au soutien continu de l’Union européenne aux activités de développement en Afrique du Sud. Ce soutien passe par le Programme européen pour la reconstruction et le développement (PERD). Le PERD est le seul grand programme de développement financé par des capitaux étrangers en Afrique du Sud.
En ce qui concerne l’importance de l’Union européenne pour la politique étrangère de l’Afrique du Sud, cette dernière doit continuer à convaincre l’Union européenne de l’importance de son engagement continu envers les programmes africains, les programmes de l’Union africaine et ceux du NEPAD. Cet engagement est conforté par la volonté de l’Union européenne de développer un dialogue régulier sur le NEPAD en matière de coopération touchant au développement, de développement des infrastructures, de formation et de développement des compétences. L’Accord sur le partenariat en matière de coopération est aussi un outil idéal de promotion du NEPAD. Parmi les autres domaines d’intérêt mutuel figurent le rôle de maintien de la paix joué par l’Union européenne en Afrique, le soutien aux initiatives prises par l’Union Africaine, l’importance de la réforme du système des Nations unies, la mise en œuvre de la feuille de route pour encourager le processus de paix au Moyen-Orient et la lutte contre le VIH/sida, la tuberculose et la malaria.
L.L.D. : Le Président Thabo Mbeki a pu réaffirmer les relations étroites qu’entretiennent l’Afrique du Sud et la France lors de sa visite à Paris en novembre 2003. Comment qualifieriez-vous l’évolution des relations entre les deux pays depuis 1994 ? Considérant la participation conjointe de soldats français et sud-africains à l’opération Artémis en RDC, comment la coopération franco-sud-africaine peut-elle être élargie en matière de résolution de conflits sur le continent africain ? Quels efforts ont été réalisés en matière d’investissements conjoints d’entreprises sud-africaines et françaises sur des projets d’infrastructures liés au NEPAD ?
S.E.Mme N.M.S-T : Les relations entre la France et l’Afrique du Sud se sont considérablement renforcées depuis l’avènement de la démocratie dans notre pays. A la fois l’ancien Président François Mitterand et le Président Jacques Chirac se sont rendus en Afrique du Sud, tandis que la France a, de son côté, reçu l’ancien Président Nelson Mandela et le Président Thabo Mbeki. Etant donné notre engagement commun envers le développement, le dialogue et la paix dans le monde, l’Afrique du Sud et la France continuent de coopérer étroitement dans divers domaines, tels que la résolution des conflits en Afrique, la mise en œuvre du Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD), le Moyen-Orient et l’Irak, le développement durable et la réforme des Nations unies. Les relations économiques bilatérales se sont de la même façon développées, la France étant actuellement notre cinquième partenaire commercial et l’un des dix premiers investisseurs en Afrique du Sud depuis 1994. Durant la dernière semaine de novembre, une délégation à haut niveau conduite par le Président du MEDEF, Monsieur Ernest Antoine Seillière, se rendra en Afrique du Sud pour examiner les possibilités permettant d’accroître les liens économiques entre les deux pays.
Pour résoudre les conflits en Afrique, il faut une vision, une diplomatie faite d’expérience et de patience, ainsi que des ressources considérables. La France et l’Afrique du Sud, chacune puisant dans ses capacités et ses forces respectives, doivent continuer à coopérer dans ce domaine. La France, qui a des relations anciennes et étroites avec beaucoup de pays africains, peut certainement jouer un rôle positif en soutenant l’action du Conseil Africain pour la Paix et la Sécurité et la création d’une force d’alerte africaine. Le NEPAD entre dans la phase décisive de mise en œuvre, les infrastructures étant l’un des domaines clés identifiés. Chacune des Commissions économiques régionales réparties sur tout le continent est chargée de mettre en œuvre des projets et des programmes régionaux spécifiques permettant à la vision du NEPAD de se concrétiser. Tandis que le NEPAD se centre avant tout sur la mobilisation du savoir-faire et des ressources propres à l’Afrique, les partenariats avec les gouvernements étrangers et les secteurs public/privé sont essentiels pour assurer le succès du programme de développement de l’Afrique. Je crois que l’Afrique du Sud et la France continueront de développer le dialogue pour y inclure les grandes questions auxquelles notre monde est confronté, comme les inégalités et la pauvreté qui ne cessent de croître dans le monde, le terrorisme, la prolifération nucléaire, la dégradation de l’environnement, le changement climatique et le rôle des Nations unies au vingt-et-unième siècle.
Depuis 1994, les relations entre la France et l’Afrique du Sud se sont également renforcées dans le domaine commercial. La coopération marche très bien dans un certain nombre de domaines, j’en veux pour preuve la création de la Commission mixte économique qui s’intéresse tout particulièrement aux domaines touchant à la coopération entre la France et l’Afrique du Sud.
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