Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

La lettre diplometque
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     Slovaquie
 
  S.E.Mme / H.E. Maria KRASNOHORSKA

La Slovaquie : un dynamisme nouveau venant de l’Europe centrale

Avec l’adhésion à l’Union européenne et à l’OTAN, la jeune République slovaque a acquis une dimension en adéquation avec la réussite de sa transition politique et son spectaculaire redressement économique. S.E.Mme Maria Krasnohorska, Ambassadeur de Slovaquie en France, nous donne sa vision des enjeux majeurs qui se posent à la Slovaquie avec la résorption des disparités internes de développement et l’insertion au sein d’un nouvel environnement géopolitique en construction.

 

La Lettre Diplomatique : Madame l'Ambassadeur, en entrant dans l'Union européenne (UE) le 1er mai 2004, la Slovaquie a scellé un processus de négociations entamé dès son accession à l'indépendance en 1993. 60 ans après les accords de Yalta, quelle est, selon vous, la portée historique de l'élargissement de l'UE ? Quelles sont vos attentes à l'égard de l'UE, notamment au regard du projet de Constitution européenne et quelle voix la Slovaquie compte-t-elle faire entendre dans les enceintes communautaires ?

S.E.Mme Maria Krasnohorska : 2004 a marqué une année très importante pour la Slovaquie et pour l’Union européenne. Elle représente une charnière dans l’histoire de notre continent. L’adhésion de la Slovaquie et de neuf autres pays à l’Union européenne signifie avant tout la fin des longues années de divisions artificielles entre les peuples européens qui résultaient des accords de Yalta. Nous reprenons désormais notre chemin vers les aspirations de liberté, de stabilité et de démocratie qu’avaient postulés les pères fondateurs de l’Union européenne. Nous connaissons le prix de cette liberté à laquelle fait référence la Déclaration des droits de l’Homme, parce que nous savons ce que signifie d’en être privé. Dans ce contexte, les positions européennes et plus généralement internationales de la Slovaquie, sa stabilité et sa sécurité évoluent selon ces principes fondamentaux et s’appuient sur la création de conditions favorables à une croissance durable de la prospérité du pays. Fort de ces acquis, nous sommes prêts à apporter un souffle nouveau aux institutions européennes ; un souffle fait de modernité et de dynamisme, pour que l’Europe soit plus forte et pour qu’elle soit capable de prendre des décisions dans l’intérêt commun de toute la communauté internationale. Notre voix au sein des Communautés européennes ne sera certainement pas celle d’un pays de deuxième catégorie. Elle exprime notre responsabilité et, plus encore, elle apporte une certaine valeur ajoutée.
La Slovaquie est un pays qui se développe avec dynamisme et qui possède un potentiel important. Nous sommes prêts à accomplir nos obligations d'Etat membre, à mettre à profit nos atouts et à agir efficacement dans le processus général de développement, à l'intérieur comme à l'extérieur de l'Union européenne. En outre, l’appartenance à l'Union européenne nous ouvre des possibilités pour contribuer à façonner l'Europe, à définir notre avenir commun, et cela avec une ampleur sans précédent pour notre pays.
Le Traité constitutionnel est le cadre nécessaire de cet ensemble. Le texte proposé est certes loin d’être idéal, mais il offre le cadre d’un certain compromis politique et juridique qui nous permet de construire une communauté fondée sur les valeurs communes de la démocratie, de l'état de droit, de la protection et du respect des droits de chaque personne. Nous aspirons à une Union européenne qui n'omette pas l’identité culturelle et l'expérience propres à chacun de ses membres, qui n'opprime pas les fiertés nationales. Nous avons besoin d'une Union qui encourage leur développement et la croissance économique, qui assure leur sécurité face aux menaces du XXIème siècle. Mais, il faut également se garder de négliger l’importance de la solidarité entre les Etats membres ; l'ensemble ne peut être solide que si son plus petit composant l’est lui aussi.
La Slovaquie a également l’opportunité de jouer un rôle important dans l’élaboration de la Politique de nouveau voisinage de l’Union européenne. Nous partageons en effet des liens historiques avec les pays des Balkans et une connaissance mutuelle de qualité avec l'Ukraine. A l’appui de cette expérience, nous voulons contribuer à l'élargissement futur de l'Union européenne et au renforcement de la coopération avec les pays voisins.
Par ailleurs, la réforme du droit primaire et l'ajustement des relations inter-institutionnelles dans le cadre de l'Union européenne élargie sont indispensables pour le développement de la coopération entre les Etats membres. Les principes de Laeken – la simplification institutionnelle, l'augmentation du niveau de transparence et le rapprochement des citoyens – sont ancrés dans les textes du Traité constitutionnel approuvé en juin 2004 et signé le 29 octobre suivant par les représentants des Etats membres de l’Union européenne. L’équilibre entre le modèle de fonctionnement institutionnel qu’il propose et les Etats membres et leurs parlements nationaux, est en mesure d’assurer assez d'espace à chaque membre pour le maintien du principe national, en vue du renforcement de l'intérêt communautaire.

L.L.D. : L'adhésion de la Slovaquie à l’UE s'est déroulée dans un contexte politique intérieur marqué par un désaveu de la coalition au pouvoir avec l’élection du Président Ivan Gasparovic le 17 avril 2004, et par la plus faible participation des 10 nouveaux Etats membres (16,96%) aux élections européennes du 13 juinsuivant. Perçue comme un des pays les plus favorables à son adhésion à l’UE, comment expliquez-vous le malaise que semble traverser la société slovaque ? Quelle analyse faites-vous des craintes manifestées par les populations des nouveaux pays-membres d'Europe centrale à l’égard de la perte d’identité religieuse ou de « fuite des cerveaux » ?

S.E.Mme M.K. :
L’adhésion de la Slovaquie à l’Union européenne a été largement soutenue par l’ensemble de la population slovaque lors du référendum organisé sur cette question les 16 et 17 mai 2003. 92,48% des électeurs se sont prononcés en faveur de l’entrée de la Slovaquie dans l’Union européenne. Avec un taux de participation de 52,15%, ce référendum a en fait été l’un des plus réussi de tous les pays candidats.
L’adhésion à l’Union européenne est un thème qui a toujours recueilli un large assentiment auprès de l’opinion publique slovaque et qui a toujours figuré parmi les priorités de l’ensemble des partis politiques slovaques.
Concernant la faible participation aux éléctions européennes du 13 juin 2004, je tiens à souligner que, n’étant pas habituée à se présenter aux urnes fréquemment, la population slovaque a délégué la gestion de cette question à ses représentants politiques, après le succès du référendum. Il est vrai aussi que la fatigue accumulée depuis le lancement de profondes réformes après les élections de 1998, a été l’une des raisons d’un certain désintéressement de la population à l’égard de la question européenne. De plus, la réalité de la construction européenne, avec ses débats sur la distinction de catégories d’Etats membres ou les périodes de transition imposées dans certains domaines, a également contribué à ce désenchantement.
Les Slovaques comprennent mal, par exemple, qu’après avoir parcouru tout ce chemin pavé de réformes difficiles, ils se voient aujourd’hui privés d’une des libertés que devait leur garantir l’adhésion, la libre circulation des travailleurs. La période de transition pour l’élargissement de ce droit aux nouveaux pays-membres est fixée à une durée de 7 ans. Des estimations démontrent pourtant que seulement 3 à 4% de la population des nouveaux membres d’Europe centrale et orientale, composés en majorité d’étudiants ou de jeunes en général, envisagent de quitter leurs pays. Les séjours des jeunes slovaques aux universités à l’étranger avec leur compétences et leur diversité, sont prospères dans leur pays comme dans leurs pays d’accueil. Pour l’instant, je ne suis pas prête à considérer ces déplacements comme une « fuite des cerveaux ». De plus, la plupart d’entre eux reviennent en Slovaquie, enrichis par leur nouvelle expérience.
Enfin, pour répondre à votre dernière question, nous n’avons pas perçu de craintes à l’égard de la perte de l’identité religieuse, compte tenu de toute la liberté d’expression qui existe dans notre pays.

L.L.D. : En quelques années, la Slovaquie a réalisé un rattrapage économique qui la place aujourd'hui en tête des économies les plus dynamiques de la région. Considérant le déséquilibre de développement entre la région de Bratislava et l’Est du pays, quelles mesures votre gouvernement envisage-t-il d’adopter pour éviter que ne se pérennise une économie à deux vitesses ? Quelles priorités entend-il définir pour l’utilisation des fonds structurels européens ? Alors que les principales privatisations ont été réalisées dans votre pays, quels atouts peut-il encore faire valoir pour continuer à attirer les investissements étrangers ?

S.E.Mme M.K. :
La Slovaquie se trouve aujourd’hui en tête des économies les plus dynamiques de la région. C’est le fruit de la politique de réformes de modernisation conduite par le gouvernement slovaque après les élections de 1998 et de 2002. Les disparités régionales et le déséquilibre économique entre la région de Bratislava et l’Est de la Slovaquie trouvent leurs racines dans l’héritage que lui a légué l’économie planifiée de l’ancien régime et dans les transformations opérées dans la structure économique du pays pour répondre aux nécessités de l’introduction d’une économie de marché après 1989. Ces dernières ont provoqué une hausse du taux de chômage à un niveau élevé et disproportionné sur l’ensemble du territoire. Inscrites au sein du « Plan national du développement », nos priorités absolues sont aujourd’hui de soutenir un développement équilibré entre les parties occidentale et orientale de la Slovaquie et de favoriser la diminution des disparités du niveau de vie des habitants en fonction des régions ainsi qu’un essor économique et social plus harmonieux et pour le plus grand nombre possible de citoyens slovaques.
Dans la perspective de l’accomplissement de ces objectifs, nous prêtons une attention accrue à l’utilisation des fonds de pré-adhésion ainsi qu’à la préparation de l’utilisation des fonds structurels et de cohésion. Les fonds européens attribués à la Slovaquie pour les années 2004–2006 s’élèvent à 1 763 millions d’euros, dont 1 187 millions au titre de fonds structurels et 576 millions au titre de fonds de cohésion, auxquels s’ajoutent les 600 millions d’euros issus du cofinancement national. Sur la base du Plan national de développement et des recommandations de l’Union européenne, nous avons retenu quatre priorités pour définir notre stratégie de développement régional : l’accroissement de la compétitivité des entreprises, la création de nouveaux emplois, le renforcement d’un développement régional équilibré, la valorisation de l’agriculture et du développement rural.
Les déclarations sur une éventuelle limitation des fonds structurels aux pays membres de l’UE qui ont introduit de faibles taxes aux entreprises, ne sont pas fondées. Nous pensons, en effet, qu’une politique économique saine et libérale pourrait contribuer au rattrapage des nouveaux pays-membres en termes d’efficacité économique et au renforcement général de la cohésion au sein de l’Union européenne. En outre, j’ajouterais que les décisions prises par une entreprise sur la localisation de son investissement ne sont pas uniquement liées au régime fiscal qu’offre un pays, mais aussi à des facteurs qui me semblent plus importants, comme le dynamisme de l’économie locale, la formation et le savoir-faire de la main-d’œuvre ainsi que le cadre législatif en général. De plus, les principes de la Stratégie de Lisbonne (c’est-à-dire la croissance économique, la compétitivité et l’emploi) ne peuvent être atteints qu’à travers la réalisation de réformes incluant la dérégulation et la diminution des charges fiscales pesant sur les entreprises.
Grâce à ces réformes, le gouvernement slovaque a créé un des meilleurs environnements en Europe pour les investisseurs. Et c’est pour cette raison que la Slovaquie continue à les intéresser. Quels sont ses autres atouts ? La Slovaquie a su pérenniser son héritage industriel, surtout dans les domaines de l’industrie mécanique et électro-technique, de la construction automobile et de l’industrie forestière. Sa main-d’œuvre qualifiée (87,6% des habitants de la Slovaquie ont une formation universitaire ou secondaire), ses faibles charges salariales, l’alignement de ses taxes sur un taux unique constituent autant de facteurs qui placent la Slovaquie au 1er rang parmi les pays de l’Union européenne et de l’OCDE, sans compter les atouts que lui confèrent une situation géographique avantageuse, des moyens de transport performants et une situation politique stable.

L.L.D. : Dans la perspective de l’entrée de la Slovaquie dans l’UE et, à plus long terme, de son intégration à la zone euro, le gouvernement du Premier ministre Mikulas Dzurinda a mis en œuvre un imposant chantier de réformes structurelles depuis 1998. Impliquant des réductions dans les programmes sociaux, comment évaluez-vous leur coût social, notamment au regard du taux de chômage relativement élevé de votre pays ? Quels efforts sont-ils prévus pour favoriser l’intégration de la minorité rom, particulièrement affectée par cette situation ? Thème phare du gouvernement slovaque, quels progrès restent-ils à accomplir en matière de lutte contre la corruption ?

S.E.Mme M.K. :
Après sa reconduction aux affaires lors des élections législatives de 2002, le Gouvernement slovaque a entamé la mise en œuvre des réformes les plus difficiles mais néanmoins nécessaires à l’assainissement du monde du travail et du secteur de la santé, ainsi qu’à la résolution des questions sociales, en vue de l’entrée de la Slovaquie dans l’Union européenne. Toutes ces réformes, y compris sur le plan économique (transformation de l’industrie, fiscalité avec l’abaissement des impôts à 19%, l’alignement de la TVA à 19%, les mesures pour attirer les investisseurs étrangers), ont pour objectif d’équilibrer les dépenses et les revenus de l’Etat, et de préparer les fondements d’un système de protection sociale plus équilibré.
Les récentes réformes sociales (sur les allocations familiales, les allocations de chômage et de précarité) ont notamment pour but de mobiliser les personnes vers la recherche d’un emploi ou en faveur du travail d’intérêt commun (allocation d’activité dans les communautés locales, etc). Leur principe est d’accentuer la mobilisation des individus confrontés à une situation difficile et précaire.
Les répercussions de ces réformes sont plus sensibles pour les catégories les plus pauvres de la population, auxquelles appartiennent les Roms. Elles ne peuvent servir de solution miracle aux problèmes que rencontre une partie de la minorité rom, négligée depuis des dizaines d’années. Mais avec les outils qu’elles proposent, elles constituent une des étapes d’un processus systématique qui permettra aussi aux Roms, socialement défavorisés, de sortir de la pauvreté. Le gouvernement a approuvé en 2003 le document fondamental qui présente les mesures phares en matière d’intégration des communautés roms et qui prévoit l’élaboration, chaque année, de priorités pour l’amélioration de leur situation. Toutes les activités conduites dans ce domaine sont placées sous la responsabilité du Vice-Premier ministre pour les Affaires européennes, les droits de l’Homme et les minorités et sont coordonnées avec tous les ministères concernés ainsi qu’avec le service du délégué du gouvernement pour la minorité rom.
L’objectif du gouvernement est d’approfondir les effets positifs de cette réforme sociale sans pour autant changer les principes de sa philosophie fondamentale. Les mesures adoptées concernent surtout l’augmentation temporaire des allocations d’activité, la lutte contre l’usure, l’aide financière aux orga-nisateurs de programmes d’activité, l’aide aux employeurs pour l’embauche de chômeurs de longue durée, mais aussi l’encouragement à l’accès à la formation post-scolaire des jeunes adultes, l’application de la nouvelle législation sociale avec les efforts conjoints de toutes les institutions concernées sur le terrain, le soutien à l’introduction plus importante de bourses d’études secondaires en fonction des résultats des élèves, l’appui à la distribution de repas équilibrés dans les écoles primaires, l’octroi de facilités de paiement pour la consommation d’énergie et le remboursement des dépenses de transports en commun utilisés pour se rendre au travail, la mise en œuvre des fonds européens, etc. Le gouvernement est conscient que, pour plusieurs raisons, un pourcentage considérable de la minorité rom ne vit pas actuellement sur le même pied d’égalité que les autres citoyens slovaques, notamment au regard de leurs chances d’intégration et de participation à la vie du pays. C’est d’ailleurs justement le principe d’égalité des chances qui représente la principale préoccupation du gouvernement dans l’application de ces mesures, dont il peut se prévaloir d’une coordination hautement professionnelle et qu’il conduit avec une forte volonté politique, en mettant l’accent sur le processus de régionalisation et sur la participation directe des Roms.
Je dois également ajouter quelques mots sur la corruption pour répondre à votre question. Le gouvernement slovaque accorde une grande vigilance à ce phénomène et a adopté d’importantes mesures législatives pour lutter contre celui-ci. Nombreuses sont celles qui portent déjà leurs fruits comme la loi portant sur la création de la Cour spécialisée et du Procureur spécialisé, le nouveau Code pénal, la « tolérance zéro » à l’égard de la corruption dans le milieu juridique, la déclaration obligatoire sur l’origine des biens, la loi sur le conflit d’intérêt, etc. Un Département de lutte contre la corruption, qui a pour but de mettre en œuvre les mesures dans ce domaine, a été créé auprès du Gouvernement, dont la coordination et la gestion méthodologique incombent au Vice-Premier ministre en charge de la Législation et Ministre de la Justice.

L.L.D. : Les quatre chefs de gouvernement du Groupe de Visegrad ont réaffirmé le 13 mai 2004 leur volonté de poursuivre leur coopération au sein de cette organisation régionale après leur adhésion à l'UE. Comment définissez-vous l’avenir de la coopération régionale en Europe centrale et dans quels domaines peut-elle être renforcée ?

S.E.Mme M.K. :
Le Groupe de Visegrad (V4) représente une entité unique sur la carte de l'UE élargie. C'est un groupement créé exclusivement par les nouveaux Etats membres, sur le principe régional et sans l’aide du puissant et riche « moteur » de l'Occident. Depuis sa création en 1991, récente au regard de l’histoire, jusqu’à nos jours, nous sommes parvenus à atteindre tous les objectifs que nous nous étions initialement fixés. Le chemin des transformations sociales, politiques et économiques des pays concernés d’Europe centrale, a commencé par la désintégration de l'Union soviétique, et il s’est achevé par l'entrée de la République slovaque, de la République tchèque, de la Hongrie et de la Pologne au sein de l'Union européenne.
Aujourd'hui, nous nous trouvons à l’orée d’une nouvelle étape de la coopération régionale qui ne semble pas être aussi dramatique qu'il y a treize ans. Nous avons réussi à résoudre les principaux dilemmes qui se posaient à notre politique étrangère, et maintenant, c'est à notre tour de commencer une « vie d'adulte » au sein de l'Union européenne. Les pressions des événements externes qui avaient encouragé d'une certaine façon notre coopération, appartiennent heureusement, aujourd'hui, au passé. Parallèle-ment, le V4 est devenu attractif pour les autres pays voisins qui manifestent régulièrement leur volonté de nous rejoindre. Mais, je ne crois pas que notre avenir passe par l'élargissement de cette forme de coopération. J’envisage, au contraire, son avenir à travers l’approfondissement des thèmes étudiés au sein du V4 et par le biais desquels nous construisons notre identité régionale, comme c'est le cas des pays nordiques et ceux du Benelux depuis déjà des dizaines d'années. Nous ne pouvons avancer que progressivement. Dans un avenir proche, je ne vois donc pas de place pour une implication directe du V4 dans les affaires européennes. Mais ceci n'exclut pas le cas où, dans un intérêt commun bien défini, les pays du V4 pourraient se prononcer d'une seule voix comme, par exemple, dans le cadre du débat sur la dimension orientale de la politique européenne de nouveau voisinage.

L.L.D. : L’élargissement de l'UE a propulsé la Slovaquie aux avants-postes de la nouvelle frontière communautaire à l’Est. Recoupant la frontière séparant jusqu'en 1991 les anciennes républiques socialistes et l'URSS, comment définissez-vous l'impact de l’élargissement sur les relations qu'entretient votre pays, notamment avec l'Ukraine et la Russie ? Que vous inspire l’appel à un « rapprochement économique et spirituel » entre la Russie et l’UE, lancé par le Président Vladimir Poutine le 26 mai 2004 ?

S.E.Mme M.K. :
L'adhésion de la Slovaquie à l’UE se traduit par un changement dans la qualité de ses liens avec le monde qui l’environne, tant du point de vue de ses relations avec les Etats membres qu’avec les pays tiers. Je pense que nous ne nous rendons pas encore suffisamment compte de la profondeur de ce changement. En ce qui concerne nos relations avec l'Ukraine et la Russie, il est nécessaire de souligner que notre « passé socialiste » est perçu comme un facteur commun du point de vue de l’Occident libre. Aujourd’hui nombreux sont ceux qui se souviennent que les frontières entre l'Union soviétique et ses satellites représentaient en fait un rideau de fer équivalent à celui qui séparait la Slovaquie et l’Autriche. Cette liberté de circulation des personnes qui a été si bénéfique au rapprochement des démocraties occidentales pendant la période de l’après-guerre n’existait pas, en revanche, entre l’Union soviétique et les Etats d’Europe de l’Est. Seuls prévalaient les liens politiques, militaires et économiques imposés par la puissance hégémonique à ses vassaux.
Pour toutes ces raisons, la dissolution de l'URSS et la création d’une Ukraine indépendante ont représenté une évolution positive pour nous, Slovaques. L'Ukraine est le plus grand voisin de la Slovaquie, et depuis notre adhésion à l'Union européenne et à l'OTAN, nous pouvons appréhender son poids, en toute quiétude, à la fois comme un défi et comme une opportunité. Nous comprenons le rapprochement économique et spirituel entre la Russie et l'Union européenne dans ce même état d’esprit. Il constitue une opportunité pour cultiver nos intérêts communs, ainsi que pour la diffusion des valeurs de liberté et de démocratie vers la Fédération de Russie.
La Russie est un grand pays qui, par le passé, a souffert beaucoup plus des révolutions et des guerres que les autres Etats d’Europe. Il est donc important, dans le développement des relations avec elle, d’avancer peut être plus progressivement mais opiniâtrement, en conservant l’unité de notre ligne de conduite, de façon à ce que les Russes puissent percevoir notre compréhension mais aussi les limites au-delà desquelles l'Union européenne ne reculera pas.

L.L.D. : Le sommet de l’UE á Bruxelles le 17 décembre 2004 devrait avoir définitivement statué sur le lancement des négociations d'adhésion avec la Turquie. Quelle est votre position sur ce sujet ? Plus globalement, quelles limites doivent-elles, selon vous, être fixées à l’expansion géographique de l’UE ?

S.E.Mme M.K. :
La question de l'adhésion de la Turquie à l'UE est aussi sensible en Slovaquie que dans les autres pays de la communauté. Mais à la différence de beaucoup de ces pays, nos citoyens n'ont pratiquement aucune expérience directe avec la population turque. Personnellement, je vois dans cette réalité une raison probable d’une certaine inquiétude qui se traduit à travers les réminiscences de la mémoire historique de notre nation. Celle-ci découle surtout des mythes dont les racines remontent à l’époque de l'expansion ottomane en Europe centrale, et qui sont ravivés par la littérature classique et les traditions populaires. Or, il n'est pas aisé de surmonter les stéréotypes historiques et c’est notamment l’expérience que nous vivons à présent, qui peut jouer un rôle central pour y parvenir. C'est pour cette raison que je crois nécessaire l’ouverture de négociations d’adhésion avec la Turquie, mais sans en fixer le terme.
Quels sont les frontières de l’Union européenne élargie ? Elle peut s’élargir jusqu’où vivent les hommes identifiés à l’idée européenne et qui sont prêts à adapter leurs systèmes politique, social, juridique et économique, pour qu’ils soient compatibles avec ceux de l’Union européenne et avec les valeurs respectées par les européens. Sur cette question, il faut en fait prendre de la distance par rapport au concept de limites géographiques. En effet, tous les Etats du continent européen n’ont pas voulu, et certains ne veulent toujours pas, adhérer à l’Union européenne, loin de là. En revanche, l’adhésion de Chypre et de Malte confirme que ce sont les hommes et leurs convictions qui définissent les facteurs décisifs.

L.L.D. : Coïncidant avec son adhésion à l’UE, la Slovaquie est également devenue membre de l'Alliance atlantique le 29 mars 2004. Quelle nouvelle donne l’élargissement de l’Otan introduit-il dans la définition de l’environnement géopolitique slovaque ? De votre point de vue, comment la coopération entre l'UE et l’Otan doit-elle s’articuler ?

S.E.Mme M.K. :
Notre adhésion à l’OTAN a eu lieu précisément un mois plus tôt que celle à l’UE, mais les deux processus étaient étroitement liés. Notre cheminement vers ces deux organisations n’a d’ailleurs pas été direct. Nous-mêmes, avec l'évolution de notre politique intérieure durant la deuxième moitié des années 90, nous avons compliqué notre intégration. Pour revenir sur la voie de l’adhésion, nous avons dû remplir les critères politiques identiques que requièrent ces deux organisations. Après notre adhésion, la similarité des processus de décision nous a quelque peu surpris, puisque les mêmes sujets de politique étrangère et de sécurité sont étudiés à l'OTAN et à l'UE. Lorsque nous n’en étions pas encore membres, nous nous attendions à une coopération beaucoup plus étroite et à un partage du travail plus évident entre elles.
L'élargissement de l'Alliance en 2004 a eu une influence importante sur l'environnement géopolitique slovaque qui a subi une transformation radicale. On peut même affirmer qu'il a été redéfini. De fait, pour préserver ses intérêts vitaux et primordiaux comme l’intégrité territoriale et la sécurité militaire, la Slovaquie peut, en tant qu’Etat membre de l'OTAN et de l’UE, compter sur le soutien de tous ses voisins qui, à l’exception de l'Ukraine, appartiennent tous à ces organisations. De par notre statut d’Etat le plus petit dans la région, nous ne pouvons nous sentir en sécurité que dans un environnement fonctionnel, solidaire et coopérant que garantit ces deux organisations. Néanmoins, notre appartenance nous impose aussi des responsabilités et des défis géopolitiques auxquels nous devons prendre part, et cela dans des régions qui nous sont éloignées tant sur le plan géographique que sur les plans social et culturel.
On pose souvent aux nouveaux Etats membres de l’OTAN et de l’UE la question de savoir comment ils conçoivent la coopération entre ces deux organisations et vers laquelle penche leur préférence. En supposant que les Etats ne souffrent de schizophrénie, nous ne pouvons pas, en qualité de membre des deux organisations aux côtés des dix-huit autres pays, défendre une position différente au sein de l’OTAN et au sein de l’UE. Pour cette raison, leur collaboration étroite est plus qu’indispensable, elle est souhaitable, elle est naturelle.

L.L.D. : A l’aune des divergences provoquées par l’intervention américaine en Irak entre les dirigeants des nouveaux pays-membres de l’UE et ceux de ses membres fondateurs, quels principes doivent-ils présider à la formulation d’une politique étrangère et de sécurité commune de l’UE ? Comment analysez-vous l’évolution de l’influence américaine dans les affaires de sécurité européennes depuis la Conférence de paix de Dayton (1995) ?

S.E.Mme M.K. :
Nous n'avons pas adhéré à l’UE dans le but d’y créer des sous-catégories d’Etats membres. Nous pouvons distinguer les « anciens » et les « nouveaux » pays membres, au regard de leur niveau de développement socio-économique, mais non de leurs principes politiques. Nous espérons également que les différences qui les caractérisent ne se creuseront pas davantage mais, qu’au contraire, elles s'atténueront au fur et à mesure du temps. Nous respectons les capacités visionnaires et motrices des dirigeants des Etats fondateurs, mais leur singularisation nous apparaît aujourd'hui anachronique. J’ajouterais que les lignes de division entre les positions prises par les pays européens sur l'intervention américaine en Irak ne correspondent pas aux catégories que vous avez formulées dans votre question.
Je crois en outre que les principes de la politique étrangère et de sécurité de l’UE sont clairement définis. Le problème ne se situe pas au niveau de leur définition mais au niveau de leur application. Vous mentionnez la Conférence de paix de Dayton de 1995. J'espère que cet exemple qui a vu le plein engagement des Etats-Unis pour la résolution d’un conflit en Europe sera le dernier. Je crois fermement que le degré de développement de l’Union européenne est aujourd'hui plus fort qu'il y a dix ans, qu’elle est plus évoluée et plus opérationnelle.

L.L.D. : En dépit des forts liens culturels et historiques que partagent Paris et Bratislava, l’opinion publique française semble encore méconnaître votre pays. A travers quelles actions la connaissance mutuelle entre les deux pays peut-elle être accrue ? Comment percevez-vous le rôle de la France au sein de l’UE élargie ? Fort du dynamisme des échanges économiques franco-slovaques, quelles opportunités votre pays peut-il encore offrir aux entreprises françaises ? Membre observateur de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) depuis 2002, quelle place occupe la francophonie dans la politique culturelle de votre pays ?

S.E.Mme M.K. :
Il est vrai que le public français ne connaît pas suffisamment la Slovaquie. Cet état de fait est partiellement lié à l'isolement qu’a connu notre partie de l’Europe à l’ombre du rideau de fer. Toutefois, d’importantes occasions nous ont permis de faire découvrir nos pays respectifs, comme le 15ème anniversaire de la « Révolution de velours » que nous venons de célébrer et surtout le processus d’élargissement de l’Union européenne. Depuis la naissance de la République slovaque le 1er janvier 1993, les rela-tions entre nos deux pays, fondées sur une histoire riche, se développent à tous les niveaux. Nos représentants politiques sont fréquemment en contact, les occasions de rencontre entre eux, tant officielles qu’informelles, se multiplient, si bien qu’un dialogue presque quotidien s’est installé depuis lors. Mais ce dont nous avons besoin, c’est de rapprocher les citoyens de nos deux pays pour qu’ils disposent mutuellement d’informations nombreuses et variées les uns sur les autres. Nous essayons de conduire cet effort sur les plans politique, diplomatique, économique, culturel et tout simplement humain. Nos expériences réciproques sont riches de rencontres organisées sous l’égide de conférences et des tables rondes qui comptent la participation de publics très variés de la France entière, issu du milieu scolaire, universitaire ou de la société civile, mais aussi d’un public spécialisé et professionnel. La coopération régionale et les contacts directs entre les villes offrent à cet égard des opportunités efficaces pour approfondir la connaissance mutuelle entre les deux peuples. La coopération franco-slovaque est par ailleurs très dynamique dans le domaine économique et commercial. La France occupe, en effet, le second rang des investisseurs étrangers en République slovaque. On dénombre plus de 160 entreprises franco-slovaques actuellement installées en Slovaquie. Notre pays continue d’ailleurs à encourager l'augmentation du volume des investissements français et nous espérons que l’exemple du constructeur automobile PSA Peugeot-Citroën, engagé dans la construction d'une entreprise de montage près de la ville de Trnava, sera suivi par d’autres initiatives.
Nous considérons que le rôle de la France, l'un des membres fondateurs de l'UE, est irremplaçable dans le contexte nouveau de l'UE élargie. Il convient de rappeler qu’elle a été l'un des promoteurs les plus actifs du dernier et du plus important élargissement communautaire en mai 2004. La longue expérience de la France dans l'évolution de la coopération européenne lui confère aujourd'hui un rôle de facteur d’intégration, pour la prochaine étape de développement de la construction communautaire.
Enfin, la Slovaquie est membre de l’OIF au titre d’observateur depuis 2002. Cette organisation représente pour nous un forum de coopération dans le domaine de l'enseignement et de la promotion de la langue française, mais aussi un espace pour le développement d’actions communes dans le domaine des sciences, de la recherche et de l'économie. Nous sommes conscients que l'aspect politique de cette organisation continue de se renforcer. A travers elle, la Slovaquie, Etat membre de l'UE et de l’OTAN, candidat au poste de membre non permanent au Conseil de sécurité de l'ONU pour les années 2006-2007, a la possibilité de promouvoir la diversité culturelle et de faire face, aux côtés des autres pays, aux défis de la mondialisation.

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