Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

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Création de richesse actionnariale dans l’industrie du luxe : Quel avenir pour l’offre occidentale face à la demande asiatique ?

Par M. Philippe-Henri Latimier, Ph.D., Président de Montserrat Economic Development Advisory Services (MEDAS)*

La France, c’est la demeure du luxe. Le constat est tellement gravé dans le marbre et si solidement ancré dans l’imaginaire collectif que sa formulation peut paraître relever du lieu commun. Parce que la grandeur d’une nation ne se mesure pas en milliers de kilomètres carrés ni même en millions d’habitants quand on dispose, à l’instar de la France, comme un don des dieux, du sens cumulé de l’excellence et de la qualité, sans lequel, l’industrie du luxe à l’échelle planétaire ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui. Et il en va de même pour l’Italie et l’Angleterre, d’un bout à l’autre de l’arc des grandes marques.
A décrypter de près les performances commerciales et boursières de nos enseignes les plus prestigieuses, il n’est certes pas inconvenant de se dire fier du savoir-faire français. Il n’est pas de meilleurs exemples de cette réussite bien française, la plus singulière entre toutes les nations celle de la France des lumières, que celle de la maison Hermes et celle du groupe LVMH dont les titres sont cotés respectivement au second marché et au comptant. Leur héritage contribue dans le monde entier à préserver minutieusement l’image et l’identité de la France et d’une partie de son histoire.
Ce n’est pas tout. Ils apportent chaque jour autant de raisons qu’elle peut avoir encore de s’estimer elle-même : puissant contrepoids au syndrome dépressif qui semble toucher en ces temps d’élections toutes les classes sociales de notre pays sujettes aux tourments et convulsions de notre histoire politique.
La météo est donc bonne sur ce débat, elle est radieuse sur la France comme elle l’est pareillement sur les quelques rares pays qui ont, dans le domaine du luxe, démontré un savoir-faire séculaire. Il n’y a en effet – pour l’heure – ni brouillard, ni mauvais vent sur ce secteur protégé par la masse critique de ses marques synonymes d’excellence.
Et cela sert les forces des marchés boursiers autant que les appétits des investisseurs institutionnels et celui de la veuve de Carpentras. En effet, face à la toute puissance de l’économie et du marché, l’industrie du luxe se porte mieux que bien dans notre société postmoderne, caractérisée par une pluralité de valeurs et de styles et sans idéologie dominante.
Une société dans laquelle l’émergence de pratiques de consommation de plus en plus individuelles ou réservées à des petits groupes homogènes de type tribal milite en faveur d’une société de consommateurs, une société du lien social mais aussi du signe identitaire par opposition à la notion de société de consommation qui prévalait jusqu’à présent.
En fait, l’industrie du luxe n’est pas un enjeu économique au sens habituel du terme. C’est un enjeu de civilisation. Et la France pèse lourd dans la balance de la puissance des icônes que sont les marques.
Dans ce nouveau contexte où l’on s’accorde à penser que le consommateur cherche à adopter une marque en fonction de sa capacité à l’associer réellement ou de façon imaginaire et à dialoguer avec elle ; un contexte, aussi, où s’interroger sur son image n’est pas un vain narcissisme mais s’inscrit dans une démarche essentielle d’élaboration d’une identité propre, un environnement social et culturel ; enfin, où l’image en dit long sur chacun d’entre nous et où l’on doit la construire en fonction de ses propres valeurs et désirs, force est de constater que les marques françaises dont les titres se négocient en bourse, pulvérisent cette année encore les indices du monde entier.
Il est piquant de constater que le phénomène s’inscrit dans la durée, depuis le premier trimestre de l’année 2000, quand on a vu successivement, les marchés américains phares et, à leur suite, presque toutes les autres places financières du monde, atteindre des sommets, comme pour mieux retomber.
Tout indique que l’industrie du luxe a toujours mieux tiré son épingle du jeu sur les marchés boursiers que n’importe quel autre secteur à l’exception peut-être pour certaines années, de celui des valeurs pétrolières.
Pour effacer en quelques mois toutes les crises boursières, soit l’industrie du luxe relève d’un miracle quotidien, ce qui n’est pas conforme aux canons de la raison, soit elle est d’une formidable ductilité comme le système occidental est, lui-même, d’une étonnante plasticité.
Et cette confiance dans l’avenir n’est pas excessive à en croire les professionnels. A cet égard, la vérité oblige à dire que le phénomène de portance s’agissant des grandes marques cotées en bourse, s’étend naturellement à l’ensemble des entreprises privées du secteur qui excellent aussi dans l’horlogerie, la joaillerie, les arts de la table, la maroquinerie, l’habillement, la lunetterie, les accessoires de mode sans oublier, naturellement, la cosmétique et la parfumerie.
L’industrie du luxe est une rente. Son développement spectaculaire est, non sans justesse d’ailleurs, associé à la mondialisation. Et commande sûrement que les instances qui les regroupent puissent mener une politique aussi efficace que ferme à l’égard de la contrefaçon dans un état de droit qui reste encore à construire à l’échelle internationale, car pour dire les choses plus simplement, le « faux » sous-entendu ici la captation frauduleuse de notoriété – au-delà d’un certain niveau de tolérance -, nuit au « vrai » sans toutefois que l’on puisse en mesurer précisément le quantum d’effet, tant en termes de « bad-will » d’image que de manque à gagner.
Cette expansion à l’exportation, si l’on jette un regard lucide sur l’économie mondiale, est principalement due à l’émergence de la Corée du Sud et à celle de certains pays d’Asie du Sud-Est comme Taiwan, la Thaïlande, la Malaisie et l’Indonésie ainsi qu’à l’effet d’explosion de la formidable machine à croissance chinoise. Autant de pays, qui gagnent aujourd’hui en force et en assurance et où le pouvoir d’achat des classes moyennes est à mettre en résonance avec l’attrait que représentent aujourd’hui les marques occidentales porteuses de sens et de valorisation sociale.
Encore faut-il ajouter pour bien mesurer le pouvoir d’influence des marques sur les consommateurs asiatiques, le rôle cardinal joué par le Japon et Singapour qui constituent autant de plateformes incontournables. C’est particulièrement vrai s’agissant de Singapour qui chaque année accueille plus de 10 millions de visiteurs en transit soit plus de trois fois la population de l’île.
Autant de carrefours en Asie, qui ont leurs propres particularismes et où les grandes marques mondiales ont eu très tôt la sagesse distinctive d’investir lourdement. Rappelons, à cet égard le rachat à prix d’or, en 1998, de DFS par LVMH juste quelques mois avant la crise boursière des marchés asiatiques. Et tout récemment, l’acquisition par la maison Hermès de tout un immeuble de verre et d’acier, sur Dosan Park, l’équivalent de notre « triangle d’or » sur Paris où se côtoient subtilement et sans jamais se fondre sous le même toit et dans la plus pure tradition de la maison mère du Faubourg Saint-honoré, une boutique sur plusieurs niveaux, un musée majoritairement dédié à la célèbre marque à la calèche, une galerie d’art contemporain et un café littéraire : un concept global très novateur que même les implantations de New York sur Madison avenue et de Tokyo sur Ginza envient aux Coréens.
Puissamment porté par les marchés boursiers, par l’envolée de la demande à l’international et l’appétence des classes moyennes, le luxe – on l’aura compris – est entré dans une nouvelle ère.
Toutefois, la question que l’on est en droit de se poser est de savoir si les pays précités qui font figure aujourd’hui de relais de croissance ne vont pas donner naissance à leur tour à des marques de luxe qui seront un jour des concurrentes aux marques occidentales ?
Preuve est faite que l’Asie, « cet autre monde » commence à secréter ses références en la matière : elles ne correspondent que partiellement aux nôtres.
Citons à cet égard, quelques noms de grandes marques asiatiques dans différents secteurs comme Lee Kum Kee (épicerie fine), Cathay Pacific (aérien), Regent Hotel, Mandarin Oriental et Peninsula Hotel (hôtellerie) sur Hong-Kong, Tiger Beer (bière), Raffles et Shangri-La Hotels, Banyan Tree (hôtellerie), Singapore Airlines (aérien), Hazeline (produits de consommation), Star Cruise (Loisirs), Tiger Balm (pharmacie) sur Singapour, Royal Selangor (art de la table et décoration) en Malaisie, Want Want (épicerie fine) sur Taiwan….Haengnam (porcelaine) en Chine.
S’agissant du luxe à proprement parler et de ce qu’il présuppose en matière d’antériorité pour véritablement asseoir une marque, ne haussons pas les épaules : le pire est toujours possible.
Et rien n’est plus fragile qu’une marque et sa pérennité est un miracle quotidien, une volonté, une approbation, un plébiscite – au sens noble de ce mot – de chaque jour.
Finissons en avec l’hypocrisie ! : aucune marque fusse-elle traditionnelle ou commercialisant des produits ancrés dans l’héritage culturel ne peut rester sous-exposée à la pression concurrentielle d’un environnement multinational et multiculturel sous l’œil attentif des fabricants, des distributeurs, des médias et des consommateurs eux-mêmes.
Nous avons toujours défendu l’idée que l’Asie du Nord-Est comme celle du Sud-Est, mais aussi la Chine et l’Inde qui aujourd’hui encore constituent l’eldorado des grandes marques occidentales et souvent le « core business » de leur stratégie à l’international, pourraient bien se réveiller un beau matin avec l’idée de jouer également dans la cour des grands.
Et imposer, de fait, à grand renfort de « consumer magazines » et autres guides prestigieux, qui comme Noblesse fait la pluie et le beau temps à Séoul, leurs propres produits et marques de luxe à leurs ressortissants notoirement connus pour leur comportement d’achat ultranationaliste et chauvin ?
Après tout, la chose s’est déjà vue, en Corée du Sud dans l’industrie automobile, notamment ou les Kia, les Hyundai, et autres Samsung et Daewoo font la vie dure aux marques étrangères auxquelles elles ne laissent que quelques miettes du gâteau.
On ne peut nier l’existence d’une menace en provenance de nouveaux entrants asiatiques sur un terreau aussi porteur que celui que constitue l’industrie du luxe. Et ceci, à terme pourrait bien entraîner la perte d’influence de nos icônes et par la même une redistribution des cartes. Pas plus que l’on ne peut sous-estimer l’exaspération progressive des consommateurs asiatiques face à une offre majoritairement occidentale et avec lesquels un divorce des valeurs serait catastrophique pour notre balance commerciale. Et face à l’angoissante perspective d’un éloignement inévitable craindre de sérieuses turbulences sur les marchés boursiers.
Ne nous laissons pas griser par les performances de l’heure. Et le nombrilisme et le narcissisme des marques aussi prestigieuses soient-elles, ne sauraient tenir lieu de business modèle. « Il faut prendre l’événement par la main avant d’être saisi par lui à la gorge » conseillait Churchill. Comprenez ici que nous devons commencer à penser à nous adapter avec lucidité et empathie à ce nouvel état de fait que constituent les attentes des marchés asiatiques dont les repères sont différents des nôtres.
La question ici est donc de savoir quelle sortie de crise si d’aventure le monde asiatique, par effet de mimétisme, jouait pour ce qui est de l’industrie du luxe la carte du nationalisme économique et de la réaffirmation absolue de la souveraineté culturelle ? On le voit, l’avenir des marques est inextricablement lié à l’avenir de nos sociétés. Et sans doute à l’énergie, la créativité et l’élan vital de nos designers.
Loin de prétendre donner ici plus que des pistes de réflexion, ce que l’on peut dire avec certitude ici et maintenant, c’est que :
– La logique des marques comme phénomène de société n’échappe plus à aucun secteur fusse-t-il marchand ou caritatif.
– Le capital « marque » est générateur de valeur économique et de création de richesse actionnariale, d’où l’impérieuse nécessité de bâtir des marques puissantes et des portefeuilles de marques à forte valeur ajoutée.
– L’optimisation de la valeur commerciale et financière d’une marque passe par un positionnement clair véhiculé par un nom, un logo, une identité médiatique lisibles et visibles, et tous les éléments constitutifs d’un marketing mix classique
– La survie de toute marque face au risque de contrefaçon est liée à un système de protection juridique et légale adéquat au travers de brevets et d’enregistrement de la marque, notamment.
Rappelons à cet égard, que le fléau de la contrefaçon, selon l’OMPI (Organisation mondiale de la Propriété intellectuelle) ferait perdre quelques 100 milliards de dollars par an à l’économie internationale sans parler naturellement ici de la perte de revenus imputable à chaque marque s’agissant de l’inévitable désaffection de la clientèle traditionnelle à l’égard de la contrefaçon et de ce qu’elle véhicule en termes de destruction de valeur et d’image.
– La globalisation de l’économie impose aux marques le plus grand respect de leurs clients par ailleurs le plus souvent actionnaires, aussi, au même titre que le plus grand respect de leurs obligations en termes d’éthique et de bonne gouvernance d’entreprise à l’égard de toutes les parties prenantes du marché, car si celui-ci est désormais planétaire, il est aussi curieusement devenu « un village » sous l’effet notamment de la propagation spectaculaire d’internet.
– Il n’y a de mariage durable entre un client et une marque que si la promesse du fabricant est tenue et que l’expérience de consommation est couronnée de succès.
– L’Asie, la Corée, Taiwan et la Chine, qui s’affirment d’ores et déjà comme la première plateforme de production du XXIème siècle, compteront demain à n’en pas douter leurs propres marques dans le secteur du luxe qui combineront tradition, modernité et qualité. Ces marques, je le dis non sans tristesse, ne se contenteront pas d’un positionnement domestique mais voudront se poser en puissance mondiale et viendront le moment venu en découdre avec les marques occidentales à l’exportation.
Le problème est potentiellement grave. Et sa gravité obligera à transcender le clivage entre les marques françaises et les marques étrangères. Sauf à faire preuve d’une singulière présomption, nul ne peut prétendre cerner les conséquences d’un événement d’une telle portée.
– S’agissant maintenant de la question de l’évaluation des marques, ce n’est pas faux de dire que toute démarche d’évaluation se nourrit de cinq diagnostics complémentaires :
1- Un diagnostic marketing qui pose la question de la valeur marketing de la marque en termes d’identité, d’image, de notoriété, d’impact et de potentiel d’extension.
2- Un diagnostic stratégique qui pose la question de l’aptitude de l’entreprise à se constituer un « capital marque », à innover et à communiquer.
3- Un diagnostic juridique qui pose la question de la protection juridique de la marque sur l’ensemble de ses marchés.
4- Un diagnostic d’interdépendance qui pose la question du degré de dépendance de la marque à l’égard du centre de profit qui l’exploite, de ses créateurs, de ses dirigeants, de ses autres produits.
5- Un diagnostic financier qui pose la question de la valeur de base de la marque d’après les coûts engagés, la valeur de cession, la valeur du goodwill sachant ici que les actifs incorporels représentent un élément dominant dans la création de richesse, l’impact de l’évaluation du ou des brevets sur les revenus via l’actualisation des flux.
Il n’est pas déraisonnable d’en conclure sans que cette méthode puisse toutefois prétendre s’appliquer de manière idoine à toutes les configurations offertes par le marché, qu’au final la valeur estimée de toute marque après expertise est le produit des cinq coefficients obtenus ci-dessus.
Bien entendu, il est bon de se souvenir qu’en matière d’évaluation, il ne faut jamais perdre de vue qu’une évaluation aussi rigoureuse soit-elle recèle toujours une dimension subjective… et qu’entre l’évaluation et le prix, c’est à dire le produit de la vente, il y a toujours une négociation. Et qu’il convient autant que faire se peut de croiser plusieurs modèles comme l’évaluation par le chiffre d’affaires, les coûts historiques (R&D), les coûts de remplacement, le bénéfice net, les redevances simples, les revenus contributifs, les revenus additionnels, les redevances actualisées avec intégration des risques.
En guise de conclusion, depuis vingt ans que nous parcourons les pays d’Asie et la Chine, il est légitime de dire que ceux-ci ont constitué un « pays de cocagne » pour les grands groupes propriétaires de marques prestigieuses. Et qu’il serait difficile de ne pas admettre qu’au-delà des fortunes météoriques qui s’y sont bâties en quelques années, c’est toujours un énorme marché en plein essor, où la consommation est favorisée par une croissance souvent vigoureuse et des points de passage obligés vers d’autres destinations comme l’Australie ou la zone pacifique.
Pour autant, et même si le niveau de vie des habitants de la zone, pris dans son ensemble, augmente, il faut y regarder de plus près et étudier les lignes de fractures qui traversent les sociétés chinoise, japonaise, coréenne, indonésienne, malaisienne, taiwanaise, singapourienne.
Car à l’exception de Singapour, de la Corée et du Japon, l’écrasante majorité de la population de la zone, végète encore dans un sous-développement consternant, relayant du même coup l’image de soi au rang des préoccupations secondaires.
C’est à l’évidence en Chine et en Asie, plus que partout ailleurs, que le déséquilibre social et culturel, issu des phénomènes d’exclusion, a mis des populations entières en rupture de ban avec la modernité.
Et que dans ces conditions, d’aucuns se demandent quelle mouche pique nos grands chefs d’entreprises à la tête des plus prestigieuses entreprises du luxe et nos augustes experts économiques lorsqu’ils nous répètent quotidiennement que l’Asie et la Chine sont des marchés considérables, que leur seule taille justifie d’y investir des sommes abyssales ?
C’est, par ailleurs, curieusement à des réseaux très organisés, implantés majoritairement en Chine et en Asie, que l’on attribue la contrefaçon des marques, au demeurant démultipliée, depuis qu’elle s’étend sur internet.
C’est également en Chine, où les marques et logotypes sont « vampirisés » en toute légalité – ou presque, dès lors que certains industriels à tout le moins peu scrupuleux se les approprient lorsque par inadvertance, elles n’ont pas été déposées ou insuffisamment protégées sur leur territoire notamment au travers leur traduction en chinois, quitte ensuite à ce que ces industriels aussi astucieux qu’indélicats en négocient la rétrocession auprès du propriétaire légitime de la marque.
Il convient donc de ne pas tricher ici avec le rite du frisson. Et garder par ailleurs à l’esprit, que la concurrence asiatique qui sait faire flèche de tout bois, constitue, s’agissant du secteur du luxe, l’une des forces souterraines à l’œuvre dans le monde qui vient. La menace est d’autant plus sérieuse qu’elle est nichée au cœur des mécanismes de la mondialisation. Et qu’à ce rythme les vraies marques occidentales pourraient bien ne plus faire autant rêver les clients asiatiques.
Pour ma part, et me plaçant naturellement du point de vue des actionnaires – et sans jouer le moins du monde les oiseaux de mauvaise augure -, je serais infiniment intéressé à connaître aujourd’hui quel type de plan « B » en termes de stratégie alternative, nos plus flamboyantes valeurs boursières ont dans leurs cartons, si par extraordinaire, les marchés dont on parle ici se retournaient brutalement et durablement en se tournant par exemple vers des marques locales qui pourraient se voir portées, comme en Indonésie, par le renouveau agressif de certaines identités religieuses.
Quels plans marketing nos plus beaux fleurons du secteur ont-il d’ores et déjà concoctés afin de conjurer toute menace hégémonique en Asie dans l’océan de passions que constitue l’ordre mondial de l’industrie du luxe ?
Que faire par exemple, face aux revirements déjà perceptibles au Japon d’une opinion de plus en plus volatile, versatile, capricieuse et blasée ?
En marketing, tous les experts le savent bien, des clients qui ne croient plus en rien sont mûrs pour croire à n’importe quoi. Et s’agissant de l’industrie du luxe, rien n’est possible sans l’adhésion des clients et de leurs consciences.
En conséquence, à menace commerciale de haute précision, réplique de haute précision : mais laquelle, justement ?
Dans la même veine, quid de la réactivité de nos designers dans l’hypothèse, certes un peu folle ou les marques tomberaient en disgrâce, de ce côté-ci de la planète ?… un peu comme si subitement, la défiance à l’égard des grandes marques se transformait socialement en prime aux caméléons ? Après tout, n’est-ce pas Friedrich Nietzche qui dans « Ainsi parlait Zarathoustra » conseillait : « Deviens sans cesse celui que tu es, sois le maître et le sculpteur de toi-même » ? Et sur cette question cruciale, on ne peut se payer de mots durablement : il faut donner soigneusement à ce dialogue un contenu adapté à l’avenir.
Enfin, sachant que l’économie de libre entreprise est sujette épisodiquement à des accès de fièvre spéculative et que l’euphorie qui emporte aux extrêmes de l’aberration mentale resurgit périodiquement, pour le plus grand danger de l’individu qu’elle touche, de l’entreprise, de toute la communauté économique, je serais également intéressé à connaître quel type de réglementation les autorités des marchés boursiers du monde entier pourraient proposer pour faire œuvre préventive ou servir de garde-fou ? Aurait-on déjà oublié, qu’en montant sans cesse des étages sur elle-même, la spéculation crée à elle seule sa propre dynamique ?
Seule la conscience aiguë du phénomène, tant individuelle que collective, peut aider. La mondialisation est indissociable des bulles et des chocs qui peuvent affecter les marchés financiers. D’où la nécessité pour les grandes entreprises du luxe dont les titres sont cotés en bourse, de disposer d’une capacité à structurer et conduire une stratégie cohérente et réactive en cas de déconvenues réelles.
En concluant un article comme celui-ci, nul ne peut espérer échapper à quatre questions : quand viendra le prochain grand épisode spéculatif ? et sur quoi portera t-il ? sur quels types d’actifs ? et sur quels types de valeurs mobilières ?
En effet, qui peut prétendre au moment où sa puissance semble à son apogée, que l’industrie du luxe serait à tout jamais sanctuarisée et invulnérable ? Pourquoi imaginer que sur les routes de la croissance économique, les marques de luxe poursuivraient un pèlerinage qui n’aurait pas de terme ? Que l’on se rassure ici, celui qui prétend savoir, ne sait pas qu’il ne sait pas.

* M. Philippe-Henri Latimier est également Professeur Associé de Banque/Finance au New York Institute of Finance & à la KAIST Graduate School of Finance (Korea Advanced Institute of Science & Technology), Membre de la Société de Géographie de Paris et Président-Fondateur d’Euro Raid Export Academia (EREA).

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