Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

La lettre diplometque
  Éditorial
Entretien exclusif
Coopération
Diplomatie & Défense
Innovation
Culture
 
La lettre diplometque
La lettre diplomatique Haut
     Editorial
 
  M. Philippe Douste-Blazy

La réduction des inégalités Nord-Sud : « une urgence politique » pour la France

 Par M. Philippe Douste-Blazy, Ministre des Affaires étrangères

À l’aune des défis du monde contemporain, face à l’hypothèse d’un choc des civilisations qui n’est souvent qu’un choc des ignorances, la bataille pour l’éducation, la reconnaissance mutuelle et le savoir partagé s’affirme, pour la communauté internationale, comme une responsabilité majeure pour les années à venir. La France est pleinement consciente de ces enjeux. C’est ainsi que parallèlement à l’action que nous menons face aux crises – celles du continent africain, du Proche-Orient ou de l’Iran – nous avons lancé des initiatives importantes en direction des pays les plus démunis. Car la fracture que nous devons réduire n’est pas seulement sanitaire ; elle est aussi culturelle, sociétale, scientifique, numérique. À l’heure d’une information mondialisée, elle témoigne en somme d’une urgence politique : celle de la réduction des inégalités entre le Nord et le Sud, et en particulier d’un dialogue plus fluide entre les cultures, les sociétés et les civilisations. Le premier grand défi auquel nous sommes confrontés, c’est évidemment celui de la lutte contre les épidémies et la grande pauvreté. Sans ce combat résolu, on ne saurait fonder les bases d’un développement durable, acceptable par tous parce qu’à la fois plus juste et mieux équilibré. En 2007, notre pays tiendra parole dans sa volonté de porter son aide publique au développement à 0,5 % de sa richesse nationale. Mais nous irons aussi plus loin, grâce à l’initiative internationale que nous avons lancée, aux côtés du Brésil, de la Norvège et du Chili. Dans ce projet, de très nombreux pays se sont accordés pour prélever une nouvelle taxe sur les billets d’avion. Par un geste citoyen – un euro prélevé pour les vols nationaux ou européens, quatre euros pour les vols internationaux – chacun sera en mesure de contribuer à l’achat de médicaments à bas prix contre le sida, le paludisme et la tuberculose. « Tous unis pour aider, tous unis pour soigner », telle est la philosophie d’UNITAID qui apportera dès 2007 de nouvelles réponses, concrètes et pérennes, aux enjeux sanitaires cruciaux des pays du Sud. En tant que Ministre des Affaires étrangères mais aussi Président de UNITAID, je suis fier que la France ait initié cette démarche novatrice et ouvert ainsi la voie à une nouvelle forme de solidarité. L'imagination politique au service du développement, c'est aussi le lancement d'un grand partenariat public-privé que j’ai souhaité instaurer pour des actions de solidarité internationale à l’étranger. L'Alliance pour le Développement a vu le jour en mai 2006. Elle permettra au ministère des Affaires étrangères, à l'Agence française du Développement, à Veolia, à Sanofi-Aventis et à l'Institut Pasteur d'unir leurs efforts pour améliorer l'accès des populations pauvres à l'eau et aux services de santé, et pour agir dans un premier temps au Niger, à Madagascar et au Vietnam. Son champ d'action pourra être élargi par la suite à d’autres partenaires et à d'autres secteurs prioritaires du Millénaire, comme l'éducation. Le deuxième grand défi auquel il nous appartient de répondre est culturel. Il revêt une triple forme : d’abord, l’avènement d’une économie post-industrielle, celle de la connaissance, dans laquelle la création de valeur passe par la promotion du savoir ; ensuite, la menace grandissante que représente le divorce entre les cultures et les civilisations ; enfin, le processus de standardisation de la culture qui se développe à la faveur de la mondialisation. Le diagnostic est connu : quatre sociétés se partagent aujourd’hui le marché mondial de l’édition du disque ; 90 % des langues ne sont pas représentées sur Internet ; 88 pays, sur 185, n’ont jamais produit un seul film cinématographique ; enfin, neuf des dix écrivains les plus traduits dans le monde écrivent dans la même langue. Cette érosion de la diversité culturelle est d’autant plus dommageable qu’elle favorise l’apparition de nouvelles fractures, économiques mais aussi politiques, dangereuses non seulement pour les cultures mais aussi pour la paix et la stabilité du monde.Occident contre Islam, laïcs contre religieux, Nord contre Sud, riches contre pauvres : devant ces failles qui menacent de s’approfondir, et dont la crise des caricatures du prophète Mahomet a été l’un des signes révélateurs, la France a choisi d’agir en œuvrant non seulement sur le front politique et diplomatique, mais aussi sur le front culturel. « Les guerres prenant naissance dans l'esprit des hommes, c'est dans l'esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix ». Cette phrase extraite de l’Acte constitutif de l’Unesco, rédigé il y a soixante ans, reste aujourd’hui encore d’une brûlante actualité. C’est pourquoi la France s’est mobilisée en faveur de l’adoption de la Convention internationale sur la diversité culturelle qui témoigne, avec éclat, que nous sommes en train de franchir une étape majeure dans la prise de conscience de l’existence de biens communs à l’ensemble de l’humanité. Cette convention, c’est d’abord, pour les Etats, la garantie de promouvoir avec plus d’équité et d’efficacité leur patrimoine et leurs créations culturelles. C’est aussi l’assurance, pour les individus, de disposer d’un nouvel instrument qui protège leur liberté d’expression contre toute forme de culture officielle. C’est, enfin, l’avènement d’une nouvelle coopération internationale en faveur des pays en développement, du type de celle que la France met déjà en œuvre à travers le programme Afriques en Création ou le Plan Images Afrique. Deux grands projets, portés personnellement par le Président de la République, sont également venus conforter la place éminente qu’occupe notre pays dans le combat pour la diversité culturelle. Dès son ouverture, en juin 2006, le Musée du Quai Branly a été spontanément identifié sur tous les continents comme un lieu d’égale dignité de toutes les cultures et civilisations. Par ailleurs, avec le lancement de France 24, la France dispose pour la première fois d’une télévision internationale proposant en continu un regard français sur l’actualité. Pour notre pays, qui bénéficie déjà avec TV5 et RFI de deux grands médias généralistes, il y a là un atout nouveau dans un espace d’information désormais mondialisé. Au-delà, notre pays dispose aujourd’hui d’autres instruments, nombreux, pour relever le défi des cultures et des civilisations. Songeons, par exemple, à notre réseau d'établissements culturels à l'étranger qui ne cesse de se moderniser. Près de 13 000 manifestations culturelles ont été organisées au cours de l’année 2006. Des millions de spectateurs ont participé aux Saisons, aux Festivals et aux Printemps français en Israël, en Chine, en Corée, en Thaïlande, ou encore en Turquie. Sur le territoire français lui-même, les cultures étrangères sont célébrées, renforçant les liens qui nous unissent à différents pays : la Corée du Sud, la Thaïlande, les Pays-Bas, l’Arménie, pour n’en citer que quelques-uns. Evoquée depuis de très nombreuses années, mais toujours reportée, la création d’une grande agence culturelle française est devenue en 2006 une réalité : CulturesFrance est née et, avec elle, un outil plus cohérent et plus efficace pour promouvoir nos productions culturelles à l’étranger, soutenir la diffusion des cultures étrangères en France, mais aussi offrir des moyens nouveaux au développement culturel des pays du Sud. Le troisième grand défi, celui du numérique et de l’avenir des industries culturelles, a largement occupé le débat politique et médiatique en 2006. Le livre, la musique, les images, sont aujourd’hui en voie de numérisation massive, avec des conséquences politiques et économiques qui restent encore largement sous-estimées. Pour que cette révolution ne se traduise pas par une nouvelle fracture à l’échelle du monde, nous devons agir pour donner aux pays les moins avancés les moyens d’y participer. C’est le choix qu’a fait notre pays en participant au programme mondial d’Appui au Désenclavement Numérique, dénommé ADEN. Dans treize pays d’Afrique sub-saharienne, francophones, anglophones et lusophones, les centres d’accès public à Internet – une vingtaine aujourd’hui, soixante en 2007 – sont autant de fenêtres ouvertes sur le monde pour des populations défavorisées qui peuvent ainsi communiquer, se former et produire des contenus qui renforcent la diversité culturelle en ligne. Ce projet représente une formidable réussite de la démocratisation des nouvelles technologies, au cœur de zones du continent africain aujourd’hui délaissées. Je suis heureux que la France démontre ainsi, sur le terrain, son attachement à la solidarité numérique mondiale, dans le respect des engagements pris à Tunis, lors du Sommet mondial sur la Société de l’Information. Le dernier grand défi que nous devons relever est scientifique. Plus que jamais, à l’heure de l’économie de la connaissance, la maîtrise des savoirs les plus avancés et la formation des hommes jouent un rôle décisif dans la compétitivité des économies, mais aussi l’avènement d’une nouvelle solidarité. L'Europe en général et notre pays en particulier doivent prendre toute leur part dans cette compétition mondiale, au risque sinon de voir s'agrandir le différentiel de croissance avec les Etats-Unis. Dans le même temps, il importe de ne pas s’approprier les élites des pays en développement qui ont un droit d’autant plus légitime à participer à la société de la connaissance qu’elles contribuent à une mondialisation que nous voulons plus humaine et mieux maîtrisée. Le 15 mai 2006, j’ai lancé CampusFrance, la nouvelle agence de la mobilité universitaire et scientifique qui devrait démarrer ses activités dès 2007. De nouveaux jalons ont été posés pour promouvoir nos formations supérieures et simplifier dans le même temps notre dispositif d’accueil des étudiants et chercheurs étrangers. Il s'agit ainsi de conforter le savoir et la formation des étudiants et des chercheurs originaires des pays émergents. Les programmes de coopération universitaire et scientifique que la France s’est engagée à développer vont dans le même sens : celui du renforcement de l’attractivité de la France, mais aussi celui de l’aide bien comprise en faveur des pays en développement, auxquels nous offrons des moyens nouveaux pour améliorer leurs capacités de formation et de recherche et acquérir un savoir partagé.L'ensemble de ces défis justifie notre mobilisation. Dans ce contexte, il importe de rendre hommage aux membres des missions diplomatiques et consulaires ainsi que des organisations internationales qui oeuvrent dans notre pays. Leur action vient compléter utilement celle du ministère des Affaires étrangères pour apporter soutien et conseil à nos compatriotes à l’étranger.Plus de deux millions de Français vivent et travaillent aujourd’hui au-delà de nos frontières. Pour valoriser leurs talents, réaliser leurs projets, mettre pleinement en œuvre leur potentiel créatif, nos concitoyens doivent pouvoir compter sur l’appui de tous ceux capables de faciliter, sur place, leurs échanges, leurs investissements et leurs contacts.

A la place qui est la mienne, et avec le soutien de notre réseau diplomatique, j’entends continuer à appuyer résolument l’action de nos compatriotes à l’étranger, pour servir notre créativité et notre innovation, mais aussi, plus largement, pour soutenir la promotion de nos valeurs et le respect des identités culturelles qui s’inscrivent au cœur de la démarche diplomatique de notre pays.

Retour en haut de page
 
 

 
La lettre diplomatique Bas
  Présentation - Derniers Numéros - Archives - Nos Liens - Contacts - Mentions Légales